Sommet pour un nouveau pacte financier mondial : Une ambition bien ciblée ?

Trois mois déjà que s’est tenu à Paris le « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial ». Il ne faut certes pas bouder le plaisir de voir le sujet du développement économique mis sur le devant de la scène. Toutefois les résultats obtenus dans cette nième réunion « de haut niveau » sont-ils à la hauteur des prévisions ? Et ne pouvait-on imaginer un autre contenu des débats ?

Ce sommet a bien atteint ses objectifs pour la qualité du public qui y a participé – 40 Chefs d’Etat et plus d’une dizaine de dirigeants des plus grandes institutions internationales de financement-, pour l’audience dont il a bénéficié et pour les bonnes intentions manifestées par les représentants des plus puissants pays représentés. Même si, dans leur majorité, les Présidents des pays du G7 étaient absents, les deux camps – celui des bailleurs de fonds et celui des receveurs de financements – étaient bien qualifiés pour tenter de progresser. Mais le format retenu -centré sur deux jours de communications présentées par les participants – était plus favorable au rappel des positions respectives de chacun qu’aux avancées issues de négociations serrées. Plusieurs autres facteurs expliquent aussi la modestie des résultats concrets. Le sommet prévoyait de traiter à la fois des moyens d’accélérer la croissance économique des pays les moins avancés, d’un côté, et de mieux lutter contre le dérèglement et le réchauffement climatiques, de l’autre. Or, tous n’accordent pas, avec juste raison, la même urgence aux deux sujets comme l’a rappelé le professeur Diwan: « Les pays riches évoquent des réformes sur le long terme alors que les pays pauvres ont besoin d’aide sur le très court terme ». Il aurait donc pu être préférable de se limiter à la première question, pour éviter des points de friction sur le financement des actions visant le climat dans les pays en développement ou sur la priorité à donner aux créations d’emplois plutôt qu’à la surveillance du « bilan carbone »  

Surtout, les nations du Nord partaient avec un handicap de confiance vis-à-vis de leurs interlocuteurs en raison de nombreuses promesses passées non tenues.. Ainsi, l’engagement pris de longue date par les Nations Unies d’une affectation de 0,7% du budget des Etats les plus riches aux programmes de développement des pays du Sud n’est à ce jour appliqué que par une partie de l’Europe du Nord. Sur ce même plan, la prise en compte dans cette aide publique des concours financiers de grande envergure accordés à l’Ukraine à la suite de la guerre que celle-ci subit a montré a contrario combien la part des autres destinataires se réduisait. Dans un autre domaine, l’apport annuel de financements d’au moins 100 milliards de USD à partir de 2020 promis depuis la COP 15 aux nations en développement pour leur lutte contre le réchauffement climatique n’aurait été atteint -durablement ? – que cette année.

Pour que ce sommet reste dans les annales, il aurait donc peut-être été plus productif qu’il permette avant tout la finalisation de quelques propositions majeures encore en suspens. En la matière, le déblocage juridique des formalités de création des 100 milliards de Droits de Tirage Spéciaux (DTS) au profit des pays pauvres est une excellente nouvelle, mais qu’il convient encore de transformer rapidement en une mise à disposition de ces fonds aux bénéficiaires à travers le « Fonds pour la Résilience et la Durabilité » De même, la constitution à bref délai du mécanisme d’urgence envisagé à la COP 27 pour le financement dans les territoires les plus démunis de programmes de réaction à des catastrophes naturelles -le » Fonds dit Lula »- comblerait un vide pénalisant. Ces mesures globales compléteraient efficacement les quelques résultats obtenus durant le sommet sur des dossiers spécifiques à quelques pays comme l’Afrique du Sud, le Sénégal et la Zambie. Elles inciteraient aussi les grandes puissances émergentes, telles celles des « BRICS » qui ont tenu tout récemment leur sommet -sans Poutine- bien médiatisé lui aussi, à offrir eux-mêmes des améliorations notables pour garder toute leur attractivité.

 En restant centrés sur les contraintes du développement économique pour les nations les moins favorisées, certaines autres actions auraient pu être utilement proposées pour une rapide mise en oeuvre. Le sommet s’est en effet concentré sur les questions macroéconomiques. Celles-ci sont bien sûr capitales. L’accord sur les DTS a fait l’objet de longues batailles et est un progrès réel. Il en est de même pour l’accord de principe de la Banque Mondiale et de quelques pays sur la suspension des remboursements de dettes des zones touchées par une catastrophe climatique. L’idée lancée d’une augmentation drastique des capacités de financement des banques internationales de développement est également susceptible d’accroitre fortement les moyens d’action de celles-ci et de stimuler les financements des bailleurs privés. Mais ces deux dernières suggestions imposeront de rudes débats pour leur application pratique et sont des évolutions possibles de longue haleine.

A côté de ces pistes de moyen terme, l’atteinte de solutions pour divers problèmes posés de longue date serait aussi un catalyseur du développement économique, mais relève surtout de patientes actions de terrain. Certaines sont très souvent évoquées comme la nécessité pour les partenaires techniques et financiers (PTF) de mieux prendre en compte les besoins des bénéficiaires finals des projets ou l’urgence de trouver des modalités plus performantes pour soutenir les petites et moyennes entreprises. Deux autres exemples peuvent aussi être cités.

Le premier est celui d’une mobilisation plus efficace des financements disponibles. Dans beaucoup de cas, et notamment en Afrique subsaharienne, de meilleures performances pourraient être obtenues au moins à trois niveaux. Celui du rythme et du taux de décaissement  traditionnellement faibles -parfois moins de 50% des montants attribués- des aides et crédits accordés aux Etats. Celui des montants perdus en raison de montages non optimaux ou de possibles surfacturations. Celui des conditions préalables inadaptées ou excessives parfois formulées par des donateurs, des prêteurs, ou des bureaux d’études, qui retardent et renchérissent le coût des investissements prévus. Une mobilisation déterminée sur ces trois aspects relèverait très significativement le volume des projets financés.

Un deuxième effort spécifique devrait concerner le renforcement accéléré des capacités énergétiques. Dans la plupart des pays africains par exemple, les énergies renouvelables sont abondantes, mais particulièrement sous-employées, et spécialement l’énergie solaire, alors que l’accès à l’énergie est encore trop souvent plus rare et plus coûteux que dans d’autres régions en développement. Or, l’élimination des blocages qui  produisent cette contradiction peut être menée par plusieurs angles d’attaque: priorité donnée aux constructions de centrales électriques utilisant des énergies renouvelables, et notamment le solaire ; appui financier, juridique et technique aux Etats pour faciliter le montage des grands investissements en partenariat public-privé (les mécanismes PPP) ; augmentation massive des dons et prêts bonifiés au niveau international pour les projets en « énergie propre » s’ils sont plus onéreux ; meilleure libéralisation du secteur afin d’améliorer les performances du service offert et l’accès à celui-ci, surtout dans les campagnes ; attention portée à l’optimisation des réseaux de distribution. Un Plan Energie pour l’Afrique, un moment envisagé, serait sans doute un levier décisif de changement, s’il se décline en une succession d’étapes réussies et visibles par tous. Un tel plan aurait en outre des retombées positives dans la lutte contre le dérèglement climatique dans les pays concernés.

Le sommet de Paris a confirmé un cap déjà défini en le renforçant d’ambitions quantitatives supplémentaires, pour tenter d’accélérer le développement économique partout où il tarde à s’installer. Mais le « nouveau pacte » annoncé apparait loin d’être abouti et surtout, n’a guère inclus des changements fondamentaux de doctrine ou de méthode. Peut-être étaient-ce pourtant ces transformations, nécessaires et déjà connues, qui auraient le mieux convaincu les participants du Sud. Elles risquent certes d’être aussi difficiles à obtenir que les changements d’échelle des financements, car elles supposent une volonté forte, multiforme et constante de tous les partenaires, bailleurs et emprunteurs, à mettre en pratique sur tous les chantiers ouverts. Mais cette complexité ne doit-elle pas pousser à lui conférer l’urgence absolue, même si ces actions sont moins spectaculaires ? Pour construire une maison solide, il faut que ses fondations le soient d’abord.

Paul Derreumaux

Prévisions économiques : Le pire n’est jamais sûr…

Une bonne partie du monde avait connu en 2021 une nette reprise économique après le recul subi l’année précédente en raison de la pandémie du Covid -19. L’année 2022 a été au contraire marquée de nouveau par deux perturbations majeures.

Dès février 2022, la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales qui ont rapidement suivi ont développé des effets multiples – économiques, logistiques, politiques – au niveau international. Ce furent notamment une hausse, rapide et vigoureuse, des prix du pétrole et du gaz, le fort renchérissement d’autres matières essentielles -produits agricoles, engrais, ..-, des difficultés d’approvisionnement de ces produits dans certains pays, et la nécessité de reconstruction de nombreux circuits commerciaux. Certes, certains prix ont reflué de leurs pics en cours d’année, tel le pétrole dont le prix du baril WTI est passé en 2022 de 77 USD en janvier à 121 USD début juin avant de se replier à 77 USD en mars 2023. La poursuite de cette guerre tout au long de 2022 et les réactions adoptées de part et d’autre ont cependant menacé l’Europe d’une crise énergétique fin 2022. Elles ont aussi requis des ajustements souvent difficiles pour transformer profondément et durablement la structure, les flux et les coûts du « mix-énergétique ».

La généralisation sectorielle et géographique de ce dérapage des prix a poussé l’inflation à des niveaux inusités depuis longtemps : près de 9% aux Etats-Unis et plus de 10% en Europe dans l’année écoulée, L’ampleur et l’absence de visibilité sur la durée de ce phénomène ont amené les principales banques centrales à abandonner progressivement leur politique de taux d’intérêt bas et de soutien de la liquidité des banques , provoquant un second traumatisme économique. La Federal Reserve américaine a ouvert la voie depuis déjà près d’un an, avec des a-coups parfois brutaux, et ses taux directeurs ont plus que doublé en neuf mois pour s’élever à 4,75% en décembre dernier, un bouleversement oublié depuis longtemps. D’autres banques centrales -Angleterre, Union Européenne, même le Japon -l’ont suivie. Au vu de l’importance du crédit dans le fonctionnement des économies les plus avancées, ces mesures visaient à durcir mécaniquement l’obtention de financements afin de peser sur la croissance et de ralentir l’inflation.

La conjonction de cette montée irrésistible des prix et de la volonté prioritaire des banques centrales des pays les plus puissants de la faire refluer a assombri les perspectives à court terme de la croissance économique mondiale. Les marchés boursiers ont été les premiers à subir ce mouvement tant pour les obligations, par conséquence directe de la hausse des taux, que les actions, par suite des incertitudes croissantes sur le futur et d’un asséchement des financements à coût négligeable, en particulier pour les secteurs des nouvelles technologies. Les indices SP 500 à New York et CAC 40 à Paris ont ainsi reflué jusqu’en début octobre dernier respectivement de 23% et 20% par rapport à leurs maximaux de début 2022. Les politiques économiques, notamment européennes, ont été réorientées à la fois vers la « sobriété » et la défense du pouvoir d’achat plutôt que vers des investissements visant la croissance. Les prévisions d‘évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) pour l’année échue ont été abaissées, et sont même parfois devenues négatives. Le net repli de l’Euro face au dollar US- -16% de fin janvier à fin octobre 2022, ramené depuis à -7% en mars courant-  a encore exacerbé les tendances inflationnistes dans l’Union Européenne.

L’Afrique a été entrainée dans les divers mouvements de cette période erratique : de manière positive pour les pays exportateurs de pétrole et d’autres matières premières aux cours en hausse ; de manière négative pour les autres, plus nombreux, subissant le renchérissement de leurs importations, l’impact fréquent d’une forte dépendance aux produits russes ou ukrainiens et l’extension de l’inflation à la plupart des secteurs.  Les subventions publiques au profit de certains produits ou activités ont été variables en fonction des moyens financiers des Etats et de leur capacité à mobiliser des financements spécifiques des bailleurs de fonds internationaux, très focalisés sur l’Ukraine. Les zones CFA, souvent préservées des lourdes hausses de prix, ont été cette fois pénalisées par le recul notable de la valeur relative de l’Euro.

Dans ce contexte mondial plutôt hostile, tous les acteurs ont mobilisé leurs moyens de riposte, parfois aidés par le sort. La pénurie redoutée d’énergie a été ainsi évitée en Europe avec l’aide d’un hiver spécialement clément. La nécessité a obligé beaucoup d’entreprises à aménager avec réussite leurs processus de production pour des économies d’énergie, des améliorations de productivité, des progrès dans les transformations favorables à l’environnement. L’essor des énergies renouvelables a atteint des records imprévus tandis que de nouveaux circuits d’approvisionnement en gaz se sont mis en place. Les ménages ont démontré partout leurs sens des responsabilités et leurs capacités de protection du pouvoir d’achat : comme souvent, la période a été marquée par une modification des habitudes de consommation mais aussi par une augmentation conséquente de l’épargne de protection, encouragée par les hausses de taux d’intérêt. En Europe, et surtout en France, les gouvernements ont largement ouvert le flux des subventions destinées à réduire l’impact de l’explosion de certains coûts, dans l’énergie notamment. Aux Etats-Unis, le pouvoir fédéral a initié en août 2022 un vaste programme d’appui aux entreprises, l’Inflation Reduction Act, pour soutenir des secteurs essentiels pour le présent et l’avenir (véhicules électriques, médicaments,,..).

Cette combativité tous azimuts a été souvent conduite en faisant fi avec pragmatisme de dogmes économico-politiques jusqu’alors ultradominants : aux grands maux, des remèdes récemment impensables ! Ainsi la préoccupation majeure de lutte contre le réchauffement climatique s’est accommodée, même en Europe, de la relance de mines et de centrales de charbon ; les Etats européens réfractaires aux gaz de schistes ont bien été contraints de les acheter aux Etats-Unis; l’opposition de la Commission Européenne aux subventions des Etats membres à leurs entreprises nationales a été largement tempérée tandis que les limitations « recommandées » aux déficits budgétaires et aux endettements extérieurs restent peu audibles depuis le Covid19.

Ces réponses ont apporté une certaine résilience aux multiples adversités de la période. Le rythme de l’inflation s’est réduit au dernier trimestre 2022, même s’il est demeuré supérieur aux objectifs fixés et aux données pré-Covid, et s’il reste préoccupant. Malgré les resserrements monétaires mondiaux, les économies n’ont pas « craqué ». Les évolutions effectives du PIB  des grands ensembles économiques, si elles ont ralenti, sont finalement meilleures en 2022 que les prévisions les plus alarmistes : au moins +2,1% pour les Etats-Unis, +3,5% pour l’Union Europenne,+2,6% pour la France. La consommation a été le principal moteur de cette résistance. De plus, dans tous les pays du Nord, le niveau d’emploi a bien résisté au ralentissement, et les tensions au recrutement continuent même dans plusieurs secteurs d’activité. Une récession générale a donc été jusqu’ici écartée et les prévisions pour 2023, tout en convergeant vers une croissance encore fragilisée, gardent une tendance positive. Aux Etats-Unis, les bourses ont regagné en février 2023 environ 55% de leur chute de 2022, à l’exception du Nasdaq très en retard. En Europe, les replis de 2022 sont maintenant effacés et une certaine euphorie s’est même emparée depuis janvier dernier des principaux marchés mobiliers : le CAC 40 a ainsi curieusement dépassé fin février 2023 tous ses records alors que les anticipations de l’évolution du PIB français pour 2023 sont voisines de zéro.

En zone subsaharienne, on observe cette même ambivalence d’espoirs et d’inquiétudes. Certes, l’inflation s’est ralentie comme ailleurs mais les prix demeurent à des niveaux élevés sur de nombreux produits- carburants, biens alimentaires, …-. Beaucoup de monnaies ont fortement « dévissé » – Ghana, Angola, Ethiopie, Nigéria par exemple – ce qui explique aussi ces envolées des prix et perturbe le fonctionnement des économies touchées comme la capacité des pays concernés à honorer leurs engagements extérieurs -le Ghana est ainsi en « défaut partiel »  .. Les tensions de trésorerie des finances publiques et la raréfaction des financements extérieurs, parfois aggravées des problèmes politiques et sécuritaires, freinent la réalisation d’investissements pourtant indispensables. La Banque Mondiale prédit une probable aggravation de la pauvreté en 2023. Face à cela, le Fonds Monétaire International (FMI) annonce une possible augmentation du PIB subsaharien de +3,7% en 2023, légèrement supérieure à celle de 2022 et supérieure à la moyenne mondiale. En ligne avec les disparités d’évolution entre pays, cette croissance continuerait à être inégalement répartie : en recul et inférieure à la moyenne en Afrique du Sud et au Nigéria, les deux mastodontes du continent ; supérieure au contraire dans l’Afrique de l’Ouest francophone, comme dans les dix années passées. Elle est ici en 2022 « boostée » notamment par une Côte d’Ivoire toujours en forme (+6,5%%) et par le Sénégal et le Niger (respectivement + 8,1% et +7,3%) grâce à la production pétrolière.

Les chocs apportés par les crises majeures de 2022 -guerre et inflation- ont donc violemment frappé l’économie mondiale, mais celle-ci continue jusqu’ici à faire preuve d’une résistance inattendue. Pourtant plusieurs difficultés, particulièrement d’ordre financier, pourraient encore assombrir l’horizon à court terme, comme le montrent les deux exemples suivants. En matière de dette publique, la hausse rapide et généralisée de l’endettement des Etats et la montée des taux ne font que commencer à déployer leurs effets : leur impact sur les budgets étatiques pourrait devenir insupportable si l’activité économique se porte mal. C’est vrai aussi bien pour les marchés internationaux de capitaux pour les pays développés que pour les marchés de capitaux régionaux ou locaux pour les pays en développement. En matière de santé des institutions financières, les bons indicateurs de la période précédente pourraient vite révéler des imprudences et laisser place à un « jeu de dominos » de crises de liquidité bancaire. La faillite actuelle de la petite Silicon Valley Bank(SVB) et ses répercussions encore mal connues, d’une part,  et les vives inquiétudes créées par la réduction brutale des refinancements de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), d’autre part, sont ici  des clignotants d’alerte  à suivre de près.

Le pire n’est jamais sûr, mais le meilleur non plus…

Paul Derreumaux

(Article publié le 14/03/2023)

Les banques subsahariennes à l’offensive

Les années 2021 et 2022 avaient révélé les prémices d’une nouvelle montée en puissance des banques à capitaux privés subsahariens.  L’année 2023 pourrait confirmer la vigueur de ce mouvement de fonds et mériter d’en analyser les limites.

Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en particulier, l’accélération du départ de la Banque Nationale de Paris (BNP) a été l’illustration marquante de cette tendance dans les deux années écoulées. Après son départ du Mali et du Burkina Faso, la 1ère banque française par le Produit Net Bancaire (et 9ème mondiale par les actifs) a conclu les accords pour céder ses deux principales filiales – celle du Sénégal au groupe Sunu, celle de Côte d’Ivoire à un consortium public national emmené par la Banque Nationale d’Investissement (BNI). Elle laisse ainsi la Société Générale seul établissement français dans l’Union – à l’exception de la toute récente Orange Bank Africa en Côte d’Ivoire-, mais aussi en Afrique -hormis la BRED isolée à Djibouti- puisque la BNP a cédé également ses filiales au Gabon et aux Comores dans cette même période. La prédominance des banques « régionales » par rapport aux « étrangères » dans l’UEMOA, confirmée dès 2020 au moins pour les bilans et la collecte des dépôts, va s’en trouver sensiblement renforcée. L’évolution pourrait aussi vite s’accélérer sous l’effet de l’élargissement continu de l’empreinte des banques qui aspirent à un réseau couvrant tout ou partie de l’Union : les Maliennes BDM et BMS, l’Ivoirienne Bridge Bank par exemple.

Le bouleversement enfle encore si on ajoute à cette catégorie, dans chaque pays ou zone monétaire spécifique, les entités qui viennent d’autres pays du continent. Toujours dans l’UEMOA, l’annonce récente par la Banque Nationale d’Algérie (BNA) de l’installation en 2023 d’une filiale au Sénégal dotée d’un capital imposant de 60 milliards de FCFA est toutefois une surprise en la matière. Il s’agirait là de la première incursion en territoire subsaharien de la 11ème plus importante banque du continent. L’importance de ses moyens financiers, son réseau de correspondants pourraient en faire rapidement un acteur sérieux de la place, surtout pour les opérations de commerce international. L’encouragement des Autorités algériennes donné aux principales banques nationales pour ces installations outre-Sahara pourrait aussi montrer que la venue de la BNA n’est pas un « coup isolé ». Si ces annonces se concrétisent, ceci renforcerait à nouveau le poids des banques maghrébines en zone subsaharienne et leur rivalité avec les banques « regionales ».

Cette tendance irréversible à la « dé-compartimentation » du continent, engagée dès 2005 par les banques nigérianes, se poursuit aussi ailleurs sous des formes devenues plus « classiques ». La Marocaine Atijari prévoit par exemple une implantation au Tchad, qui élargirait son réseau en Afrique occidentale et centrale. Toujours au Tchad, la Gabonaise BGFI pourrait s’emparer de l’ex-filiale de la Banque Commerciale du Cameroun, en restructuration de longue date. Access Bank, une des trois plus grandes banques nigérianes, déjà opérationnelle au Kenya, ayant échoué à y racheter aussi la Sidian Bank, annonce de nouvelles installations au Kenya et au Ghana mais aussi un plan quinquennal d’extension tous azimuts hors d’Afrique. Les puissantes banques kenyanes accentuent pour leur part leur pression sur la République Démocratique du Congo (RDC) qui vient d’adhérer à l’East African Community( EAC) : Equity Bank se saisirait ainsi de la Banque Commerciale du Congo, première entité du pays et ancien fleuron du Groupe belge Belgolaise, et Kenya Commercial Bank (KCB) de la Trust Merchant Bank qui dispose déjà d’une solide assise régionale en Afrique Orientale.

Mais la nouvelle la plus remarquable de ce début 2023 est sans conteste celle du rachat par le réseau ivoirien Atlantic Finance Group (AFG) de la majorité du capital du troisième établissement mauricien, Afrasia Bank. L’opération frappe à la fois par l’importance du « deal » -le bilan d’Afrasia atteint 4,6 milliards d’USD- et par l’éloignement géographique des centres de gravité des deux banques. Lorsque cette opération sera menée à terme, la banque ivoirienne rejoindra le club encore très restreint des entités subsahariennes véritablement panafricaines, c’est-à-dire présentes dans au moins deux zones linguistiques du continent. De plus, Afrasia, comme ses consoeurs mauriciennes, est active par exemple dans la gestion des titres ou le change, autant de secteurs peu familiers aux banques francophones, ce qui durcit encore ce challenge.

Cette profusion de nouvelles opérations va mécaniquement accroître partout le poids relatif des banques subsahariennes. Toutefois, pour que les changements opérés et/ou annoncés produisent des effets maximaux, beaucoup de conditions sont à remplir.

Les repreneurs des banques françaises devront pour leur part réussir le pari de garder dans leurs nouvelles filiales le public existant mais surtout d’y gagner une clientèle beaucoup plus large et variée et de satisfaire ses besoins de crédit, tout en veillant à maintenir la qualité du portefeuille et des services rendus. La forte présence à Abidjan d’acteurs publics dans l’ex-BNP va aussi constituer une nouveauté au sein d’un système bancaire régional où le secteur privé domine très largement depuis vingt ans. Par ailleurs, tous les acteurs élargissant leur périmètre auront à mettre leurs nouvelles filiales au niveau de leur réseau, et maintenir en même temps la cohésion de celui-ci, dans des environnements changeants, une concurrence plus aigüe et une réglementation toujours plus dure.

Outre ces exigences spécifiques, les systèmes financiers subsahariens doivent en effet continuer dans leur ensemble à relever divers défis. L’un est la hausse continue des ratios prudentiels : elle s’exprime dans l’augmentation du capital social minimal, observée partout et régulièrement, et surtout dans celle des coefficients requis de fonds propres, qui limite strictement les banques dans la progression de leurs crédits, comme on le vérifie actuellement dans l’UEMOA. Dans ce même espace, la Banque Centrale met maintenant l’accent sur une diversification des crédits mieux assurée, pour rattraper le retard par rapport à d’autres régions, telle l’Afrique de l’Est. Ceci va exiger de chaque banque d’importants efforts de recapitalisation qui s’ajouteront, pour toutes celles engagées dans des acquisitions, à ceux des rachats effectués. Le niveau insuffisant des financements bancaires par rapport aux besoins des économies locales, spécialement pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME) n’est en outre en rien résolu par ces fusions-acquisitions : cette question dépend de nombreux facteurs économiques, fiscaux, juridiques, politiques, dont la résolution prendra du temps. Enfin, les banques subsahariennes souffrent aussi dans leurs opérations avec l’extérieur de réticences croissantes des grands établissements internationaux, pour des raisons tenant notamment aux règles de conformité, omniprésentes dans les pays du Nord et jugées souvent insuffisantes en Afrique subsaharienne. La disparition qui y est programmée du réseau de la BNP -après celles des Françaises Crédit Agricole et Banques Populaires ou celle de l’anglaise Barclays-, les incertitudes sur la stratégie de Standard Chartered Bank, risquent de renforcer ces réticences de coopération et imposeront aux entités régionales de reconstruire d’autres réseaux de relations.           

Enfin, il faut souligner que, malgré le projet majeur de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF), les relations économiques, et donc financières, entre zones régionales sont restées jusqu’ici très limitées. Contrairement aux échanges intrarégionaux, elles n’ont jamais pu être un vecteur majeur de synergie et d’expansion des réseaux qui furent les premiers à tenter une construction panafricaine. La prouesse de AFG à Maurice ne prend donc tout son sens que reliée à la récente implantation du Groupe aux Comores et, surtout, à l’obtention annoncée en novembre dernier d’un agrément à Madagascar, où les banques sont encore peu nombreuses et bien rentables.   

En somme, le dynamisme actuel des groupes bancaires africains, et principalement subsahariens, constitue bien « une bonne nouvelle d’Afrique ». Mais il doit avant tout être vu, pour ne pas générer de déceptions, comme le signe d’une détermination des banques concernées à aller de l’avant et à se saisir des opportunités offertes. Il n’est qu’un préalable indispensable pour que les acteurs les plus motivés mettent en place les transformations opérationnelles qui changeront vraiment le visage de ces systèmes bancaires : constructions stratégiques solides, ressources humaines encore plus professionnelles, innovations technologiques adaptées, financements plus nombreux et efficaces, coopérations avec d’autres acteurs financiers,.. L’offensive ne fait que commencer.

Paul Derreumaux

Article publié le 23/01/2023

Population mondiale : de vraies interrogations à l’horizon 2100 (part 2)  

Le chemin démographique vers le milieu de ce siècle apparait déjà bien tracé à partir des réalités actuelles, au moins pour les regroupements régionaux, avec des idées-forces qui devraient peu varier (1).

Au-delà de cette date, le poids des hypothèses devient plus déterminant et conduit à des scenarii d’évolution encore vagues et fort divers. Pour l’échéance de 2100, les dernières projections actuelles pourraient être réparties en trois groupes.

Le premier s’appuie sur une prolongation de la plupart des tendances actuelles : allongement de la durée de vie moyenne, vieillissement de la population mondiale, poursuite du recul démographique des pays avancés mais baisse lente du nombre d’enfants par femme en Afrique et en Asie du Centre. Il en résulterait une hausse encore significative du nombre total d’habitants qui pourrait atteindre ou dépasser 11 milliards de personnes en 2100, ordre de grandeur précédemment jugé vraisemblable. Malgré tout, cette hypothèse « haute », déjà en retrait par rapport à celles émises ces dernières années, est devenue la moins probable et pourrait être assimilée au « scénario de la continuité »  

Un scénario central est jugé aujourd’hui le plus réaliste par une majorité d’experts, mais retient lui-même d’assez larges intervalles pour les projections de ses indicateurs. Selon cette approche, la baisse continue, généralisée et apparemment croissante du taux moyen de fécondité serait déterminante pour conduire à un ralentissement progressif de l’augmentation de la population du monde, puis à une éventuelle modeste diminution de cette dernière avant la fin du siècle. Sur ces bases, un « pic » global de quelque 10,4 milliards d’habitants pourrait être atteint aux environs des années 2080. Ces chiffres sont certes encore approximatifs et, selon les centres de recherche, varient entre 8,9 (voire 7) et 11 (voire 12) milliards d’êtres humains à l’horizon 2100, et un maximum pouvant être atteint dès 2064 pour les analystes les plus « radicaux ». Le trait d’union de ces travaux est sans doute l’idée que la période 2050/2100 devrait être celle d’un changement crucial d’inflexion dans l’évolution démographique du monde. Plusieurs faits justifient ces choix : la réduction des taux de fécondité dans les régions les plus en retard sur ce plan semble avoir pris une force nouvelle dans la période récente – le taux est proche de basculer en deçà de 3 en Afrique du Nord et de 4 en Afrique de l’Est  par exemple- ; les nombreuses actions menées pour une meilleure maîtrise de la natalité auront alors eu plus de temps pour étendre leur impact; les taux de mortalité et l’espérance de vie s’amélioreront sans doute  plus difficilement à l’avenir, sauf découvertes scientifiques majeures ; l’espoir de stratégies de développement plus efficaces dans les pays africains accélérant aussi le repli du taux de fécondité. La baisse du taux de progression de la population mondiale notée depuis deux ans vient conforter cette vision qui pourrait être dénommée le « scénario de retournement ».

Enfin, un dernier groupe, minoritaire, apparait pour la première fois de façon plus « offensive » et annonce une nette diminution de la population à la fin du siècle. Certaines de ces projections apparaissent caricaturales, telle celle qui annonce une humanité réduite à 4 milliards d’individus bien avant 2100. Mais d’autres conduisent à des résultats moins surprenants tout en étant sensiblement inférieures à celles du scénario précédent. Elles sont notamment fondées sur quelques constats très récents : recul de l’espérance de vie moyenne depuis 2019 ; effets de la pandémie Covid19, directs (6,5 millions de morts) ou indirects (réduction de la natalité dans certains pays avancés), maintien à un haut niveau dans une bonne partie du monde d’indicateurs comme les taux de mortalité infantile et maternelle. Les projections pessimistes induites sont aussi alimentées par d’autres faits qui pourraient influer négativement sur les taux de natalité dans les années à venir. L’ONU vient ainsi de souligner que l’Indice de Développement Humain (IDH) est globalement en baisse depuis deux ans et est ramené à son niveau de 2016, à la suite d’une dégradation de l’espérance de vie, de l’éducation et du niveau de vie. Les inquiétudes nées du dérèglement climatique touchent désormais tous les continents et ont été plus visibles que jamais en 2022 : leur impact pourrait s’exercer à la fois par le nombre de victimes de catastrophes naturelles mais aussi par des comportements accentuant la baisse des taux de natalité. Ce « scénario de rupture » risque donc de prendre plus d’importance dans les prochaines années.

Dans ce long terme, la situation de l’Afrique, notamment subsaharienne, est également incertaine. La variable fondamentale sera le taux de fertilité, clairement engagé à la baisse sur le continent, mais avec une intensité fort variable selon les régions. Atteindre un rythme plus rapide requiert normalement une accélération de la croissance économique. La corrélation constatée partout dans le monde entre développement économico-social et diminution du taux de fécondité tendrait en effet à conclure que la baisse à venir de ce taux sera lente si les turbulences qui handicapent la croissance ne s’estompent pas. Mais les phénomènes démographiques sont complexes, et donnent aussi une grande importance aux aspects religieux, sociaux, comportementaux, qui peuvent agir dans les deux sens. Trois nouvelles données essentielles de l’environnement pourraient cependant jouer un rôle essentiel. La première est l’impact multiforme des actions terroristes, qui frappent à l’Ouest comme au Centre et à l’Est, sur la large bande sahélienne :  le nombre considérable des personnes déplacées, toujours en total dénuement, l’absence d’investissements productifs dans certains territoires, les vols et destructions croissantes de récoltes devraient être des catalyseurs de la pauvreté déjà trop présente. Ces conditions de vie spécialement difficiles pourraient avoir un impact négatif sur la démographie des pays concernés. En second lieu, l’Afrique devrait supporter de plus en plus les effets négatifs du dérèglement climatique, même si elle ne porte qu’une responsabilité très limitée sur les causes de celui-ci. Les inquiétudes sur l’avenir que déclenche cette situation sont maintenant bien perçues par toutes les catégories de population et pourraient conduire, comme ailleurs, à une réduction du nombre de naissances par famille par suite de ces craintes existentielles. D’un autre côté, le continent subit toujours de lourdes pertes de population en raison d’endémies chroniques comme le paludisme ; pourtant, les espoirs actuels de la mise au point d’un vaccin contre cette maladie pourraient atténuer fortement ce type d’hémorragies humaines et favoriser la croissance démographique.

Les facteurs qui emporteront la population dans un sens ou dans l’autre entre 2050 et 2100 sont donc nombreux, variés et encore difficilement saisissables. Dans tous les cas, l’Afrique restera au centre du jeu pour au moins trois raisons. L’importance qu’elle aura alors acquise dans la population mondiale et qui donnera un impact crucial à toute évolution de sa part. L’originalité décisive qu’elle tient d’ores et déjà pour la variable du taux de fécondité par rapport aux autres continents : selon l’orientation que prendra ce taux dans les décennies à venir, l’un des scénarii évoqué ci-avant deviendra plus vraisemblable, à moins qu’un mouvement d’importance comparable mais opposé s’empare de ce taux dans les autres régions du monde. Enfin, son poids croissant dans les mouvements migratoires internationaux, en raison de la situation sécuritaire, climatique et économique du continent.

Les migrations pourraient être en effet dans les prochaines décennies un vecteur clé d’atténuation des déséquilibres profonds entre les pays à revenu élevé, au solde naturel de population de plus en plus négatif, et ceux à la sécurité la moins assurée ou aux revenus les plus bas, dans lesquels l’accroissement de la population locale est plus dynamique que la hausse des ressources économiques et financières. Ces écarts se sont nettement aggravés dans les dernières années, tant entre nations qu’entre individus au sein d’un même territoire, conduisant à des situations potentiellement insupportables. Le flux des migrations devrait gonfler dans la même proportion que ces différences et l’Afrique y tenir une place croissante. Face à ce mouvement inévitable, il est peu probable que des mesures coercitives étatiques de freinage suffisent à supprimer des déplacements issus des besoins vitaux des candidats à l’exode. Pour que ces flux développent leurs impacts positifs, il faut en revanche que les pays d’arrivée comme les pays d’origine des migrants réussissent à traiter cette question avec plus de responsabilité, de clarté et de coopération, pour résoudre au mieux les difficultés économiques, sociales et sociétales qui y sont liés. Chaque partie y trouvera plus d’avantages que d’inconvénients si les « règles du jeu » sont claires et si chacun consent et respecte une répartition équitable des efforts et des concessions. Dans cette humanité devenue si puissante mais si menacée, un peu de sagesse serait une bonne nouvelle.

(1) cf. sur ce blog « Population mondiale : Montée en puissance confirmée de l’Afrique en 2050 », septembre 2022

Paul Derreumaux

Article publié le 14/10/2022

Afrique Subsaharienne et développement économique : Des leviers de réponse à réformer et à inventer ( partie 2)

Peut-on trancher les nœuds gordiens qui rendent pérennes les turbulences frappant l’Afrique Subsaharienne (ASS), malgré toutes les actions menées depuis des décennies, et libérer ainsi, enfin, son potentiel ? ll faudrait pour cela revoir certaines stratégies, en s’appuyant sur quelques évidences

Le développement économique est dans chaque pays la résultante de l’œuvre de trois acteurs qui cohabitent et doivent coopérer dans le respect de buts communs : l’Etat et ses démembrements, les entreprises privées, et les partenaires étrangers. Comme dans toute action commune, la responsabilité des échecs est toujours partagée. En revanche, le rôle des deux acteurs nationaux est prépondérant puisque ce sont eux qui mettent en œuvre toutes les actions, même émanant d’appuis extérieurs. Parmi ces deux intervenants locaux, l’Etat dispose des moyens les plus vastes, qui concernent à la fois le cadre institutionnel et administratif, les règles de fonctionnement du secteur privé et les conditions de vie des populations. Les performances de l’économie et de la finance sont donc indissociables de celles du politique, et les faiblesses de ce dernier sont la plupart du temps en mesure de ralentir, voire bloquer, les progrès des premières. Les turbulences, anciennes comme nouvelles, de plus en plus entremêlées, sont de plus en plus difficiles à éliminer. Elles exigent selon les cas d’importants moyens financiers à mobiliser, ardus à trouver en cette période troublée, ou des mutations de comportement, qui ne peuvent s’opérer que dans le moyen et le long terme. Face à ces contraintes, il semble opportun de prioriser les actions les moins complexes et ayant le maximum d’effets directs et indirects. Enfin, il est essentiel de retenir à l’esprit que l’ASS est de plus en plus hétérogène : cette pluralité rend peu efficace des solutions globales, qui traduisent un dogmatisme intellectuel, et exige plutôt une adaptation optimale à chaque cible visée. Il devrait en résulter des actions de taille souvent plus modeste mais plus efficaces et dont les résultats positifs pourraient être ressentis plus vite. Quatre exemples, non exhaustifs, peuvent être donnés de telles nouvelles approches, dont la mise en œuvre peut être combinée pour un maximum d’efficacité

Un premier changement crucial serait que les Pouvoirs Publics nationaux et les Partenaires Techniques et Financiers (PTF) donnent tous une priorité plus marquée à l’économie. Celle-ci est trop souvent passée au second plan par rapport au politique, empêtré dans de nombreuses faiblesses, et les nations qui ont réussi à construire, voire ébaucher, une vision économique à long terme de leurs pays, semblent progressent le plus vite. Un travail un salaire, une activité, la  moindre embellie du pouvoir d’achat sont aussi ce qui change la vie au quotidien des citoyens les plus pauvres, leur restitue l’espérance en l’avenir et l’adhésion aux efforts demandés. Deux domaines au moins sont ici susceptibles d’impacts décisifs. Le premier concerne le secteur primaire : agriculture, élevage, sylviculture, pêche. Ces activités représentent déjà une part essentielle du Produit Intérieur Brut (PIB) et des emplois des pays de l’ASS -respectivement près de 20% et plus de 50% en 2020- mais les produits de rente ont surtout bénéficié jusqu’ici de toutes les attentions. Les atouts naturels sont puissants pour de plus grandes ambitions : terres cultivables, disponibilités en eau, climat souvent favorable, population croissante. Celle-ci constitue d’ailleurs pour les paysans un moteur suffisant pour augmenter régulièrement les productions vivrières grâce aux engrais et aux extensions de surface. Mais, pour gagner en puissance et en modernité, cette agriculture doit changer de méthodes et de dimension en étant plus productive et plus soucieuse de l’environnement. Les paysans ont besoin de formation, de financement, d’équipements, d’innovations, de capacité de négociation, de moyens de stockage, de modes de transport sécures et d’informations fiables. Des partenaires potentiels, pays et/ou entreprises, existent dans tous ces domaines, comme en France qui compte de grands spécialistes mondiaux, avec des réalisations déjà opérationnelles dans la production ou dans la recherche. Ceux-ci pourraient se voir accorder le droit de prendre en charge directement ces investissements, tout en y associant des producteurs et chercheurs locaux. Par souci d’efficacité, il conviendrait de privilégier les projets de taille petite ou moyenne, des technologies bien éprouvées plutôt que d’avant-garde, des matériels robustes et adaptés plutôt que trop sophistiqués, des interlocuteurs rassemblés en coopératives et associations plutôt que des individualités, un accent mis sur les réalisations plutôt que sur les études. Partout les bonnes volontés locales sont disponibles et l’enjeu d’une telle révolution, qui donnerait à l’ASS une moindre dépendance alimentaire et économique, s’est récemment aiguisé à la suite de la crise ukrainienne.   

Un second créneau économique prioritaire devrait être celui des petites et microentreprises tournées vers une formalisation. Classiquement incluses dans le « fourre-tout » du secteur informel, elles en forment en catégorie à part grâce à leur capacité d’écoute et d’ouverture aux partenariats. Elles manquent de tout- argent, connaissances, matériel-, mais leurs promoteurs et promotrices débordent d’une énergie et d’une ténacité admirables. Le taux de mortalité de ces sociétés est élevé, comme dans tous les pays du monde, mais de nombreuses résistent et certaines grandissent. Face aux faiblesses des autres composantes des systèmes économiques africains, elles sont en ASS un levier efficace pour créer de la valeur ajoutée, des emplois, du pouvoir d’achat et un peu moins de dépendance extérieure. Les instruments apparaissent partout pour aider à franchir les premières étapes : des incubateurs dispensent les formations de base et encadrent les responsables, des « business angels » consentent les premiers financements, des sociétés locales de capital risque abondent les fonds propres. Certains PTF sont passés du stade du discours bienveillant à celui de l’action, soit en coopération avec les Etats qui ont compris l’importance du secteur, soit de manière autonome comme le Danemark le fait avec brio au Mali depuis plusieurs années. Les effets individuels sont certes minimes à cause de la petite taille des cibles, mais le nombre élevé de celles-ci compense cet aspect et les coûts sont modestes à côté de certains programmes dispendieux. Dix millions d’EUR d’argent public prêtés suffiraient pour aider à la croissance de 1000 micro-entreprises ayant démarré avec leurs propres forces, réaliser 50000 embauches, faire mieux vivre 500000 personnes et engendrer 3 fois plus de nouveau PIB, tout en étant ensuite réemployés vers d’autres bénéficiaires. Il resterait ensuite aux banques à prendre le relais des financements et aux Etats à ne pas les tuer par une fiscalité asphyxiante.

L’amélioration du fonctionnement et de l’atteinte des objectifs des administrations peut constituer une deuxième opportunité à court terme en visant notamment deux objectifs. L’un serait de « booster » les recettes internes des Etats, qui peinent à atteindre le seuil de 20% des PIB nationaux, sans décourager l’expansion des activités productives. Avec un plancher souhaitable pour ce ratio de 25% du PIB, les efforts nécessaires sont considérables mais plusieurs pistes existent en la matière pour enclencher une augmentation progressive. La digitalisation des administrations pour le recouvrement des impôts et taxes douanières et l’identification de la matière taxable est une réforme essentielle, normalement indolore pour les citoyens Elle est déjà pratiquée avec succès par divers pays et peut aisément être financée partout en ASS. Elle est synonyme de réduction d’insécurités sur la qualité des informations et la fraude à subir, et donc d’accroissement des entrées fiscales. Elle peut d’ailleurs être étendue avec les mêmes ambitions à d’autres aspects sensibles, allant du cadastre foncier à la paie des fonctionnaires. Une autre voie consisterait à élargir la matière taxable sans que cette évolution soit préjudiciable à la croissance : la taxation des transactions et des plus-values foncières, la mise au point d’un impôt forfaitaire sur les entreprises du secteur informel prenant en compte des moyens d’évaluation du chiffre d’affaires et du résultat seraient deux exemples de régimes fiscaux plus modernes et équitables, qui pèseraient moins exclusivement sur le secteur formel. Une troisième orientation, plus innovante, viserait à mettre en oeuvre certains programmes prioritaires en coopération directe avec des bailleurs de fonds et des acteurs privés nationaux, dont la participation pourrait être une alternative à une fiscalité supplémentaire. Les actions menées y gagneraient sans doute une accélération et une vision plus pragmatique. L’enseignement et la formation professionnelle pourraient être des secteurs-tests de cette approche, avec une délégation limitée dans le temps et l’espace et un contrôle des Etats. Le risque financier de ces initiatives audacieuses serait maîtrisé tandis que le résultat pourrait être aisément apprécié par la population et les entreprises, bénéficiaires directs de telles actions.

L’exploitation maximale de tous les avantages des solidarités régionales est une autre idée-force pour renforcer le rôle positif des Etats et combattre certaines tendances actuelles de déconstruction de ces synergies. Plusieurs directions sont utilisables. La plus urgente est celle de la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme, notamment dans la zone du Sahel. Les enseignements de la décennie écoulée montrent qu’une riposte efficace doit allier réponse militaire et accélération du développement, d’une part, et être commune à tous les pays concernés, d’autre part. Cela suppose des actions militaires coordonnées sous une direction unitaire et crédible, des objectifs clairs et agréés par tous, des moyens financiers accrus, des dispositifs techniques adaptés, une évaluation périodique des résultats. Un tel dispositif est difficile à mettre en œuvre mais il peut être installé progressivement et devrait recevoir le soutien d’alliés étrangers à la zone concernée. Un autre progrès pourrait résider dans la fixation de délais restreints pour la transposition au niveau national de décisions prises par un collectif d’Etats, dans le cadre d’une structure permanente comme dans des circonstances particulières : en l’absence d’une telle règle, l’Afrique a connu dans le passé beaucoup de retards dans la transposition nationale de nouvelles mesures utiles pour tous, en particulier pour les législations fiscales et douanières ou certaines politiques économiques. Enfin, dans le même esprit, les membres d’une Union régionale pourraient confier à des institutions « ad hoc » la réalisation d’investissements prioritaires d’envergure régionale. Grâce à ce transfert ponctuel, volontaire et contrôlé de souveraineté, comme il l’a été recommandé ci-avant, cette méthode devrait être avantageuse en rapidité d’exécution, en cohérence, en économie de coûts et en pertinence par rapport aux besoins, et pourrait servir d’incitation à d’autres solidarités.    

Le troisième revirement stratégique devrait toucher les interventions des partenaires étrangers en faveur du développement de l’ASS et les attentes sont nombreuses. D’abord, une meilleure écoute des besoins réels. La définition d’un projet ou d’un programme d’actions s’ajuste encore davantage aux préoccupations du partenaire qu’aux besoins réels des groupes destinataires du pays receveur.  Les partenaires ont même tendance à harmoniser leurs positions, en se regroupant dans de nouvelles structures qui viennent s’ajouter au « mille-feuilles » administratif existant, ce qui renforce encore leur force de négociation. L’Alliance Sahel, émanation des pays de l’Union Européenne au bénéfice de cette zone, la toute nouvelle Alliance pour l’Entrepreneuriat en Afrique regroupant des institutions multi- et bilatérales, sont des avatars récents de cette tentation. Si la coordination entre partenaires au développement est bien nécessaire, elle ne devrait pas être effectuée de manière unilatérale, mais regrouper pour chaque projet les bailleurs, les destinataires appréhendés sous la forme la plus pertinente et les Etats hôtes. Le changement est d’autant plus nécessaire au moment où la compétition internationale entre grands blocs rivaux, voire ennemis, prend parfois en otage les pays demandeurs de l’ASS et où l’Afrique devient de plus en plus plurielle.

En second lieu, l’acceptation par tous les bailleurs de fonds publics d’un dialogue direct avec les utilisateurs finals de l’aide. Le canal de l’Etat hôte était jusqu’il y a peu le seul admis. Une plus grande liberté commence à apparaitre, qui n’exclut pas le suivi par l’Etat des programmes engagés : elle devrait conduire à des résultats probants, en termes de coûts, de délai de décision et d’efficacité, qui faciliteront l’extension de cette procédure indispensable, Le programme de financements mis en place au Mali par le Danemark pour les petites entreprises, cité ci-avant, suit cette voie plus directe.

La réduction de la taille de la plupart des projets ensuite : les années passées ont coïncidé avec   la hausse importante de l’envergure minimale des projets considérés comme acceptables, sous la justification notamment des coûts d’analyse Cette tendance conduit à des excès à corriger : le lancement effectif des actions, l’évaluation de leurs effets et les éventuelles corrections de trajectoires ne devraient qu’en être plus faciles. La réduction des délais de lancement effectif et de décaissement des fonds mobilisés constitue d’ailleurs une difficulté substantielle : les durées de préparation imposées par les PTF sont anormalement longues, souvent injustifiées et entrainent des surcoûts qui peuvent aller jusqu’à rendre impossible la réalisation de certains investissements. La Banque Africaine d’investissement (BAD) et l’Union Européenne (UE), qui auraient pourtant des raisons d’être exemplaires, sont hélas parmi les plus mauvais exemples en la matière.

Une dernière réforme devrait résulter du constat que l’Afrique évolue de plus en plus à -au moins- deux vitesses avec des différences croissantes entre Etats, et que les appuis donnés, par un souci logique et équitable de rééquilibrage, à ceux qui ont réalisé le moins de progrès ont souvent des effets très réduits. Cette faible efficacité peut certes résulter de handicaps naturels permanents ou exceptionnels, tels les effets du dérèglement climatique. Mais elle provient la plupart du temps de la mauvaise gouvernance ou du manque de vision et de savoir-faire des dirigeants des pays concernés. Les objectifs visés ont alors été doublement manqués. Pour éviter un telle issue, trois scénarios pourraient être alors simultanément menés. Le premier consisterait à consentir plus de soutiens aux nations qui se sont déjà engagées avec assez de détermination, de constance et d’organisation sur le chemin du développement économique, afin de maximiser les chances d’obtenir les résultats les plus rapides et les plus « impactants » pour les nouveaux soutiens apportés. Ces concours pourraient d’ailleurs être de plus en plus consentis sous forme de prêts Le deuxième périmètre pourrait viser les pays les moins favorisés, voire les plus réfractaires aux changements, pour éviter de laisser les populations concernées s’enfoncer dans une pauvreté accrue : la condition posée pour ces appuis, composés principalement de dons ou de prêts très bonifiés, pourrait être une intervention directe auprès des utilisateurs finals afin d’apprécier au mieux les résultats obtenus. La troisième consisterait à renforcer particulièrement les programmes des Structures régionales et rejoint le levier déjà évoqué de restitution d’un rôle important à ces regroupements de pays.

Un quatrième facteur d’accélération concerne les institutions financières, et notamment les banques commerciales. Partout sur le continent, celles-ci ont renforcé leurs structures, développé leur puissance et consolidé leur rentabilité depuis les crises systémiques des années 1970/80. La hausse notable de leurs fonds propres et la sévérité progressivement durcie des régulations qu’elles doivent suivre expliquent cette évolution. Grâce à ces nouveaux atouts, le poids relatif des concours bancaires à l’économie dans le PIB approche en moyenne dans l’ASS 40%. Ce taux reste cependant faible par rapport aux autres régions en développement et est très inégal, dépassant les 100% en Afrique du Sud et demeurant en deçà de 20% dans diverses nations. De plus, ce taux recule parfois, comme cela a été le cas dans l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) depuis 2018, sous l’effet de la réaction des banques à de nouvelles contraintes réglementaires ou à des opportunités attractives de placements de trésorerie.

Il faut donc accentuer toutes les actions de réorientation des institutions bancaires vers le financement des crédits à l’économie. Plusieurs leviers sont envisageables en la matière : nouvelles incitations réglementaires par le jeu des provisions de fonds propres demandées sur certains secteurs ; allègements fiscaux contrôlés et limités au profit des crédits consentis à des créneaux d’activités névralgiques ou spécialement difficiles. Mais l’instrument le plus efficace continue à être le partage avec d’autres acteurs des risques encourus pour ces concours. Cette pratique est déjà mise en oeuvre depuis longtemps par diverses institutions telles, par exemple, Proparco ou la Société Financière Internationale. Mais la pratique doit être largement intensifiée et généralisée, aussi bien par les institutions multilatérales et bilatérales d’appui au développement que par des structures nationales. La Côte d’Ivoire vient ainsi de créer un Fonds de Garantie pour les PME qui devrait répondre à cet objet et rejoint les initiatives déjà prises par d’autres nations. Il s’agit sans doute là de la meilleure arme pour développer au maximum les concours à ces catégories d’entreprises, dont la réussite du plus grand nombre ouvrira pour  les pays de l’ASS les portes d’une consolidation radicale de leur appareil économique.

Pour les entreprises figurant dans la partie inférieure de l’éventail existant et disposant d’un grand potentiel, de nouveaux instruments se mettent aussi en place comme il l’a été souligné ci-avant. Ainsi la société I§P, dont les fonds d’investissement locaux seront bientôt implantés dans une dizaine de pays, tant francophones qu’anglophones, est un des pionniers de ce modèle. Pour des sociétés encore plus petites, l’association ABAN, qui oeuvre avec l’appui de la Banque Mondiale, coordonne maintenant une soixantaine de « business angels » souvent entièrement privés. Le Mali en compte désormais un depuis un an, MALI ANGELS, fort modeste mais prometteur dans un environnement difficile.     

Ces quelques exemples sont bien sûr très partiels. Ils laissent en particulier de côté le grand chantier qui doit viser la puissance publique, pouvoirs politiques et administratifs confondus, là où s’est le plus développée une mauvaise gouvernance dont la protubérance est parfois capable de maintenir un pays dans un immobilisme mortifère. La puissance de cette turbulence requiert certes une urgence absolue, l’action conjuguée de tous les autres acteurs au développement et l’utilisation de tous les leviers possibles. Mais les effets espérés ne seront pour la plupart visibles qu’à moyen terme en raison de la complexité des blocages et de la nature des moyens d’action. La mise en œuvre efficace des mesures présentées ci-avant et les résultats qui pourraient en être attendus à court terme pourraient faciliter l’atteinte de cet objectif central.

Paul Derreumaux

Article rédigé le 30/05/2022

Afrique subsaharienne et développement économique : L’accumulation récente des turbulences (partie 1)

Sur la route de leur développement économique, les Etats d’Afrique subsaharienne (ASS) affrontent de nombreuses « turbulences ». Celles-ci se nourrissent souvent les unes des autres, s’enchevêtrant jusqu’à devenir inextricables, et leurs liens multiformes rendent très difficile l’identification des modalités par lesquelles elles pourraient être supprimées ou circonscrites. On pourrait toutefois les classer en deux catégories : celles présentes depuis des décennies ; celles apparues plus récemment mais tout aussi perverses.

Cinq principales turbulences sont des compagnes de route habituelles de l’ASS.


La première est la faiblesse de la croissance moyenne annuelle du Produit Intérieur Brut (PIB) des pays qui la composent. Depuis les années 1960, celui-ci n’a connu que deux phases favorables, celle de 1960/75 et, surtout, celle de 1995/2015, durant lesquelles la hausse de cet indicateur a atteint en moyenne 5%/an. Hors ces périodes, ces PIB n’ont cru que modestement, et en tout cas de façon sensiblement inférieure à celle des pays en développement d’Asie et d’Amérique Latine, et parfois même régressé à certains moments. Les 4% de hausse annoncés pour 2021 sont le meilleur score obtenu depuis 2015, mais l’embellie risque d’être remise en cause en 2022 par les effets des évènements d’Ukraine. Cette moyenne peu satisfaisante occulte toutefois un changement majeur :  l’Afrique devient aujourd’hui de plus en plus multiple, et quelques pays réalisent régulièrement des progressions à hauteur des meilleures performances mondiales. Ainsi, Ethiopie, Kenya, Tanzanie, Ghana approchent souvent des taux annuels de 8%. Le PIB de l’Union Economique et Monétaire (UEMOA) progresse de près de 6%/an depuis 10 ans. Malgré tout, les difficultés des pays les plus puissants -Nigéria, Afrique du Sud, Angola- handicapent toujours l’évolution d’ensemble de l’ASS et brouillent l’image du continent. Ces performances globales médiocres résultent de trois principaux facteurs : la prédominance persistante de la production de matières premières exportées (pétrole, minerais ou cutures de rente) dans les moteurs de la croissance, qui corrèle étroitement celle-ci aux cours mondiaux de ces produits ; la lenteur des réformes structurelles et notamment l’accroissement insuffisant des activités de transformation qui autoriseraient une réduction de la dépendance économique ; l’insuffisance, et souvent l’inadaptation, de financements pour réaliser les investissements nécessaires.   

Un deuxième écueil est que cette hausse modérée du PIB des économies africaines a été absorbée en grande partie par la croissance démographique. En ce domaine, et contrairement à la sphère économique, l’Afrique est restée plus homogène, mais est désormais un monde à part. Sa spécificité s’exprime notamment par deux indicateurs globaux : un taux de fertilité (nombre d’enfants par femme) encore supérieur à 4 alors qu’il est descendu aux environs de 2 dans toutes les autres régions du monde, hormis l’Asie du Centre et du Sud ; une augmentation annuelle de la population comprise entre 2,5% et 3%/an, contre moins de 1% ailleurs. L’historique des dernières décennies montre certes une tendance, récente et variable selon les pays mais globalement encore faible, vers un rapprochement avec les autres continents. Le taux de fécondité s’est ainsi replié à 4,4  en Côte d’Ivoire et même à 3,3 au Kenya, mais est encore à 5,5 au Mali et 4,7 en Tanzanie. Au Niger, où il est un des plus élevés au monde, il atteint 6, faisant plus que doubler la population de 11 à 25 millions d’habitants entre 2000 et 2022. Les obstacles à la baisse sont à la fois économiques, religieux, historiques, sociologiques. Ils expliquent la lenteur de cette évolution et les difficultés pour les dirigeants de l’accélérer. Cette expansion démographique, jointe au ralentissement de la croissance depuis 2016, explique que le revenu par tête n’ait guère progressé depuis 5 ans. Même avec une hausse annuelle du PIB global de 5,5%, il faudrait une génération pour que le revenu par habitant double, toutes choses égales par ailleurs.  D’autres marqueurs démographiques confirment le retard du continent, tels les taux élevés de mortalité infantile ou maternelle, ou le nombre toujours important de mariages précoces. L’inertie inhérente aux variables démographiques fait aussi que ces handicaps actuels devraient se maintenir au moins dans les 30 prochaines années.

La conjonction de ces deux premières turbulences en génère une troisième : la stagnation du taux de pauvreté absolue dans la plupart des pays africains à des niveaux proches de 40% de la population, loin des 10% atteints en Amérique Latine ou en Asie. Malgré des variantes entre pays, cette pauvreté s’impose au regard dans toutes les capitales et, encore plus, à l’intérieur des pays.  Plusieurs causes s’associent pour expliquer cet état de fait : la faiblesse de la croissance ; la modestie d’une politique de redistribution par les Etats ; les bas niveaux de salaire dans l’informel et l’agriculture qui apportent la grande majorité des emplois. Cette pauvreté est en retour un frein à l’accélération de la croissance, un risque croissant d’explosion sociale, un nutriment de la manipulation des masses par des décideurs défaillants, une incitation à l’émigration quels qu’en soient les risques physiques ou sociaux, une publicité pour l’enrôlement dans le terrorisme. Elle illustre aussi que l’ASS s’éloigne le plus du premier des 17 nouveaux Objectifs du Développement Durable (ODD) retenus par les Nations Unies, et rend encore plus difficile les respect de tous les autres. Sans mutation profonde et à bref délai, la pauvreté absolue (moins de 1,9 USD/jour actuellement) toucherait près de 800 millions de personnes en 2050 quand l’Afrique comptera 2 milliards d’habitants. L’essor escompté d’une classe moyenne est apparu un temps, dans la parenthèse afro-optimiste, la piste capable de faire basculer une part importante de la population hors de la pauvreté. Une décennie plus tard, cette possibilité apparait limitée dans son ampleur et cantonnée à une minorité de pays, dans chacune des régions de l’ASS.          

Comme la pauvreté, les questions liées à l’éducation et la formation sont à la fois cause et conséquence des difficultés du développement économique.  D’importants progrès ont été accomplis depuis les indépendances, notamment sur le plan quantitatif et dans l’enseignement primaire. Mais de grands chantiers sont à accélérer pour éliminer des handicaps : étendre les avancées aux enseignements secondaires, supérieurs et, surtout, professionnels ; améliorer la qualité de l’éducation ; mettre un accent particulier sur la formation professionnelle pratique, surtout dans les métiers techniques. Au Mali par exemple, comme dans d’autres Pays Moins Avancés (PMA), les inconvénients s’empilent depuis des années : faible expérience de beaucoup d’enseignants à tous les niveaux de la scolarité, grèves répétées et « bras de fer »  avec l’Etat sur des rattrapages salariaux, « années blanches » sans examen, écoles supérieures privées chères et parfois surévaluées.  En beaucoup d’endroits, et notamment en territoires musulmans, le pourcentage des filles scolarisées est aussi nettement inférieur à celui des garçons, privant les pays d’une part notable de leurs ressources humaines. Jointe au poids élevé de la population en âge de scolarisation et à la rareté des emplois formels, cette situation rend le « dividende démographique » illusoire, surtout dans les pays où la population progresse le plus vite.

Enfin, le manque d’infrastructures est un ultime handicap critique au développement. Des améliorations significatives sont constatées après les réalisations des « 10 glorieuses » de la période 2005/2015. Mais elles suffisent d’autant moins que les retards étaient considérables, que ces investissements ont privilégié certaines composantes -comme des routes et des voies urbaines-. Le secteur de l’énergie est ici un des domaines où les manques sont les plus criards et compromettent le plus les changements nécessaires. Il est marqué notamment par l’insuffisance des nouveaux investissements, la priorité longtemps donnée aux énergies non renouvelables, parfois les plus polluantes, aux dépens par exemple d’une énergie solaire immensément disponible, les coûts élevés pour les usagers, le mauvais fonctionnement des sociétés étatiques gestionnaires qui pénalise le bon fonctionnement des équipements et génère de coûteux délestages. Les améliorations sont cependant possibles comme le montrent les investissements conséquents réalisés par certains pays au profit du solaire, tels le Kenya, le Sénégal ou le Burkina Faso. Une nouvelle fois, l’accroissement de population peut réduire à néant les efforts puisque le nombre de personnes non desservies croît, même si leur pourcentage dans la population totale diminue. Dans ce chapitre des infrastructures souvent à haute intensité capitalistique, et donc exigeantes en ressources financières et techniques, l’énormité des chiffres évoquant les gaps à combler, qui vont de 50 à 100 milliards d’USD/an selon les sources, a fini d’émouvoir.

A ces obstacles, identifiés de longue date mais toujours présents, sont venus se greffer dans la dernière décennie trois autres turbulences.

La première est l’exacerbation d’insécurités dans tous les aspects du quotidien. La manifestation la plus connue en est la « mauvaise gouvernance » politique, largement répandue, qui anéantit la protection normalement apportée aux populations et aux entreprises par les Pouvoirs Publics. Elle exprime à la fois le non-respect par les dirigeants des règles qu’ils sont normalement chargés d’appliquer, le refus ou l’incapacité de servir l’intérêt général, parfois la restriction de la liberté d’expression ou d’information, la prévalence de la corruption, le libre cours à la désinformation.  Au plan physique et patrimonial, l’insécurité s’illustre par la montée et l’expansion géographique du terrorisme et du grand banditisme, sans que les Etats, leurs armées et leurs administrations sachent les éradiquer. La dégradation de services publics comme la santé, l’éducation et la justice, préoccupations prioritaires des citoyens, conséquence directe des turbulences anciennes, ne fait qu’amplifier ce mouvement. Dans le domaine économico-social, cette insécurité s’exprime aussi par divers canaux, tous plus dirimants les uns que les autres : les abus fiscaux sur l’économie formelle, les dénis de justice, les appels d’offres virtuels, parfois même la destruction de biens par l’Etat, l’irrégularité de la fourniture d’une électricité souvent très coûteuse pour de nombreuses entreprises. Le dérèglement climatique, dont les effets sont apparus en nombre de pays, s’inscrit maintenant dans cette liste, comme l’ont montré les récents exemples des nouvelles sécheresses en Afrique de l’Est et des grandes inondations en Afrique du Sud. La décomposition des valeurs morales, dans des sociétés où l’argent facilement et rapidement gagné devient souvent pour la jeunesse le critère de réussite, introduit une nouvelle forme d’insécurité et un sentiment d’injustice pour les plus méritants. Enfin, les faiblesses de beaucoup d’appareils statistiques rendent incertaines les données collectées et peuvent compromettre la valeur des appréciations et des politiques : les modifications brutales de certains PIB nationaux en témoignent.

La seconde, peut-être la plus grave, provient des risques de « déconstruction » régionale. La constitution d’Unions de pays voisins est longtemps apparue comme une des meilleures manières d’accélérer et de consolider la croissance économique et de la répartir plus équitablement. Dans certains secteurs, des avancées notables ont été obtenues grâce à cette mutualisation des moyens financiers et humains et à la volonté collective de dirigeants unis au service d’objectifs communs : en Afrique de l’Ouest, la construction de barrages ou le redressement des banques illustrent ces succès. De manière globale, l’Union Economique Ouest Africaine (UEMOA) ou l’East African Community (EAC) sont souvent présentées comme faisant partie des meilleures références en la matière. Elles ont à leur actif quelques belles réussites grâce à leur intégration économique et financière bien avancée, et les bons résultats des économies qui les composent ne peuvent être indépendants de cette situation.  La récente adhésion de la République Démocratique du Congo à l’EAC prouve que des regroupements d’Etats peuvent encore apparaitre comme une solution pour gagner du temps sur le chemin de la stabilité politique et de la croissance économique. Pourtant, la dernière décennie manque de grandes nouveautés en ce domaine. L’intérêt porté à ces rassemblements semble aussi passé de mode : le dernier rapport « Africa Pulse » de la Banque Mondiale ne dit rien de ces Unions régionales. Surtout, des évènements intervenus dans les deux dernières années tendent à montrer que des dirigeants privilégient durablement des préoccupations nationales à la discipline requise au sein d’un regroupement de nations. Les relations de la CEDEAO et de l’UEMOA avec le Mali depuis les deux coups d’Etats de 2020 et 2021 sont le cas actuellement le plus grave de cette déconstruction. Elles ont sérieusement perturbé le fonctionnement de l’économie malienne : le blocage des frontières réduit les possibilités d’importation et d’exportation du pays, élève les coûts et réduit les investissements, nationaux comme étrangers ; l’interdiction des transactions financières avec les autres pays de l’Union perturbe les circuits financiers des entreprises, des ménages mais aussi de l’Etat. Les menaces s’accumulent : arrêt des financements des Partenaires Techniques et Financiers (PTF) suite aux non-remboursements de l’Etat ; cri d’alarme des banques sur les impayés de la dette publique malienne. Le motif avancé du côté malien d’une « refondation », qui tarde à prendre forme, provoque l’absence de visibilité sur la sortie de cette impasse. Ce retard risque de créer des dommages difficiles à réparer et une tentation pour Bamako de rechercher ailleurs des solutions durables, même si elles ne sont pas optimales pour le pays. La CEDEAO et l’UEMOA ne sortiraient pas non plus indemnes de la persistance d’une mise à l’écart du Mali alors qu’une crise de nature avoisinante a déjà saisi la Guinée en 2021 et le Burkina-Faso début 2022. Si cet isolement frappe aussi le Burkina,, c’est près de 25% du PIB et plus de 30% de la population de l’UEMOA qui seraient ainsi exclus, réduisant d’autant l’audience de l’Union. L’Afrique Centrale francophone, jusqu’ici déjà peu exemplaire en termes d’intégration, voit en outre ses risques politiques croitre pour la succession de certains de ses dirigeants à la longévité exceptionnelle, ou sa cohésion économique compliquée par le récent avatar de la décision de la Centrafrique pour l’adoption du Bitcoin comme monnaie officielle. La solidarité régionale, longtemps espoir d’accélération des mutations, pourrait ainsi s’effilocher, laissant place à la tentation d’un repli sur soi, si elle ne prouve pas au plus vite qu’elle contient tous les ressorts d’une solution optimale.   

Enfin, malgré la multiplication des acteurs, la question des financements étrangers génère maintenant une turbulence qui s’amplifie à au moins deux niveaux.

La coordination et l’efficience de ces soutiens d’abord. L’Aide Publique au Développement (APD), celle des Partenaires Techniques et Financiers (PTF), longtemps prédominante, cohabite désormais avec les apports de plus en plus importants de nouveaux intervenants : pays arabes, puis Chine et autres grands émergents, marchés internationaux de capitaux. Ces financements sont trop rarement coordonnés entre eux, ce qui risque de réduire leur impact global et de générer des compétitions créatrices de surendettement des emprunteurs, particulièrement à une époque où les tensions s’aggravent entre les grandes nations et où chaque camp souhaite utiliser ses concours pour se constituer des alliés. Les conditions d’octroi et de remboursement ne sont pas toutes transparentes et peuvent donc être pénalisantes pour les pays destinataires dont les capacités de négociation sont faibles. Surtout, la pertinence des cibles et des modes d’action nécessite des améliorations. Les apports des partenaires pour des projets reflètent encore trop souvent les objectifs et préoccupations de ceux-ci plutôt que ceux des pays receveurs. Le recours au marché ou aux financements budgétaires est au contraire exempt de contrôles et susceptible de dévoiements par rapport aux priorités. Ce désalignement a conduit dans le passé à de graves impasses, comme le libéralisme excessif de certains PTF qui a mis à mal l’industrialisation dans de nombreux pays. Le second niveau est plus technique et concerne principalement le coût global de ces soutiens. La réduction du poids relatif de l’APD, la moins onéreuse, tend à renchérir le coût total du montant global des dettes extérieures tandis que l’appel au marché place les emprunteurs en risque de taux et de change. D’autres obstacles importants persistent, comme la lenteur de mobilisation des ressources obtenues, et la difficulté pour beaucoup de PTF d’accepter de traiter directement avec des structures plus proches des utilisateurs finals et capables de mieux apprécier les meilleures modalités à utiliser. Indispensables, les financements étrangers ne jouent donc pas pleinement le rôle escompté.

L’Afrique subsaharienne est-elle condamnée à rester en arrière du reste d’un monde en expansion, à cause de ces turbulences, anciennes ou récentes, dont l’enchevêtrement empêche le déblocage ? Elle est pourtant une championne de la résilience, comme l’a montré sa capacité à résister récemment à la pandémie du Covid avec des moyens plus que modestes. Cette vitalité qui s’affiche partout en Afrique ne peut être synonyme de défaite éternelle et nous fait espérer qu’un cycle vertueux de croissance économique et de modernité maîtrisée apparaitra comme il est né ailleurs. Il reste à trouver et mettre en œuvre les bons points d’appui pour faire « bouger les lignes ».

Paul Derreumaux,

Article rédigé le 30/05/2022

Union Économique et Monétaire Ouest Africaine: le système bancaire ne connait pas la crise

Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) : le système bancaire ne connait pas la crise

Le Rapport annuel de la Commission Bancaire de l’UEMOA pour l’année 2021 ne devrait être publié que dans quelques mois, dressant le panorama complet des dernières transformations des systèmes financiers de l’Union. Quelques informations donnent cependant les tendances qui pourraient être observées. Trois constats paraissent importants.

En premier lieu, les banques ont dans l’ensemble consolidé en 2021 les bons résultats atteints en 2020, en termes de bilan comme de résultats. En Côte d’Ivoire par exemple, les données disponibles du système bancaire -qui représente environ 35% des actifs bancaires de l’Union- concluent à une progression moyenne notable des principaux indicateurs d’activité : + 16% pour les bilans, + 13% pour les crédits directs, +23% pour les ressources drainées. Ces taux varient certes d’un établissement à l’autre, avec une poussée plus marquée pour les entités des groupes régionaux : celles-ci peuvent en effet s’appuyer sur l’ensemble de leur réseau pour optimiser les composantes de leur bilan en fonction des opportunités locales. Les performances de Ecobank, Coris Bank, BGFI Bank, la Banque de l’Union (BDU) figurent ainsi parmi les meilleures, mais des banques encore isolées comme Bridge Bank ont aussi beaucoup progressé. Pour les 27 banques du pays, une évolution négative, modérée, n’a concerné que 2 entités pour les dépôts et 4 pour les crédits : la BICICI, est le seul grand établissement touché par ce repli.

Un autre éclairage de ces tendances 2021 est donné par la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières. La moitié environ des 15 banques cotées ont déjà publié les résultats arrêtés par leurs Conseils d’Administration pour l’exercice écoulé. Dans cet échantillon, toutes les données montrent un système bancaire régional « en forme » pour cette année de reprise économique après la crise du Covid 19 de 2020. Les Produits Nets Bancaires (PNB) ressortent de nouveau en croissance -jusqu’à près de 20% pour Coris Bank- : ils illustrent à la fois la relance des activités, après une grande période d’incertitude, mais aussi l’absence de perturbation majeure dans la structure des taux d’intérêt malgré les pressions inflationnistes. La fréquente réduction des coefficients d’exploitation et du coût du risque témoignent du suivi attentif des charges de fonctionnement et de la maîtrise des créances en souffrance. La distribution programmée d’un dividende plus élevé que l’an précédent est le signe que les ratios réglementaires sont respectés et que les banques gardent des fonds propres capables de soutenir leur expansion future.

Le second constat majeur a trait à la composition des actifs du système bancaire. Pour les deux dernières années, dans le bilan de la plupart des établissements, les placements en trésorerie augmentaient plus vite que les crédits à la clientèle et se portaient de plus en plus sur les souscriptions de titres publics régionaux émis massivement pour financer les réponses étatiques à la pandémie. Cette orientation semble s’être maintenue en 2021 au vu des données recueillies sur la structure des emplois bancaires en fin d’année de quelques banques, qui mettent en évidence la poussée toujours prioritaire des emplois de trésorerie. Enfin, selon une note récente de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), les contreparties de la masse monétaire pour l’Union croissent respectivement en 2022, en glissement annuel, de 32% pour les titres publics et de 12% pour les concours à l’économie.

Les raisons de cet appétit sont inchangées : rentabilité confortable de ces actifs publics ; accès aisé au refinancement de la BCEAO ; coût moindre en mobilisation de ressources propres selon les règles prudentielles en vigueur depuis 2018.  Ces financements sont devenus indispensables aux Etats à la suite de l’explosion de leurs besoins exceptionnels – prêts et aides lors de la pandémie Covid, subventions contre l’inflation, ..- mais aussi de leurs contraintes budgétaires de fonctionnement, voire d’investissements. En 2021, c’est encore 7268 milliards de FCFA de titres -après le pic de 10500 milliards de FCFA de 2020- qui ont été émis par les huit Etats de l’UEMOA sur le marché financier régional et largement souscrits par les banques. Les circuits financiers se modifient en conséquence. A l’intermédiation classique vis-à-vis des entreprises et des ménages de chaque pays s’ajoute de plus en plus pour les banques une mission d’apporteur régional de ressources aux Etats de la zone, pour leurs actions régaliennes mais aussi leur rôle de nouvel intermédiaire financier auprès de nombreux agents économiques. Cette nouvelle distribution des fonctions apparait jusqu’ici assez efficiente. Mais elle n’est pas exempte de nouveaux risques :  les banques utilisent des critères de rentabilité, de sécurité, et de diversification qui peuvent être en décalage avec les besoins de certains Etats ; en cas de perturbations politiques locales, comme c’est actuellement le cas au Mali, les blocages peuvent peser à la fois sur l’équilibre financier de quelques Etats et la trésorerie des entités bancaires.  

A côté de ces transformations du système bancaire « stricto sensu », la montée en puissance du « mobile banking » dans les moyens de paiement, mutation essentielle de la décennie, se poursuit mais a enregistré deux changements importants. D’abord, les Emetteurs de Monnaie Electronique (EME), lancés par les sociétés de télécommunications régionales et agréés par la BCEAO, qui restent les leaders de ce marché en expansion très rapide, doivent affronter dans quelques pays -Sénégal, Cote d’Ivoire, Mali pour l’heure- une concurrence très vive, notamment de la « Fintech » Wave. Celle-ci a bâti son développement sur une politique de coûts de transaction particulièrement bas, qui ont séduit le public et accélèrent l’inclusion financière tant recherchée. Elle bénéficie aussi depuis 2020 de fonds propres fortement accrus qui ont « boosté » ses moyens d’action. Le groupe de la Banque Mondiale, désormais partie prenante dans cette société, parle même à son propos de « première licorne africaine » même s’il s’agit d’une société créée par des capitaux étrangers au continent. Face à cette stratégie, les EME ont d’abord vu leurs activités ralentir, ou baisser, et leurs profits plonger. Mais la riposte s’est désormais organisée de leur côté, notamment au sein du groupe Orange : leurs tarifs ont fini de s’adapter, de nouveaux produits ont été introduits, la digitalisation des offres s’est accentuée. Cette rude compétition a finalement élargi le marché et profité au public.

En revanche, certains acteurs bancaires qui s’étaient risqués sur ce terrain font machine arrière. La Société Générale, qui avait lancé à grand bruit en 2018 sa filiale « YUP » de paiement mobile annonce le prochain arrêt de ce service, préférant se concentrer sur ses marchés habituels où elle obtient de belles réussites. Malgré son implantation dans 7 pays et les 2 millions de clients revendiqués, Yup ne semble pas avoir atteint la rentabilité souhaitée. Cette décision montre que la nature des opérations de monnaie mobile -très petites transactions à faible commission individuelle-, l’ampleur des investissements technologiques qu’elles requièrent pour être performant et la concurrence féroce sur ce marché constituent une redoutable barrière d’accès.

La bonne santé de la grande majorité des banques et le jeu toujours ouvert dans le domaine très porteur de la téléphonie mobile sont des indicateurs positifs dans une période d’incertitudes. Il reste à les mettre encore davantage au service d’un financement plus dynamique de toutes les catégories d’entreprises, qui est toujours une faiblesse dans l’UEMOA.

Paul Derreumaux

Article rédigé le 05/04/2022

Mali : programme d’action du Gouvernement de transition (PAGT) : priorité à donner à l’essentiel

Mali : programme d’action du Gouvernement de transition (PAGT) : priorité à donner à l’essentiel

 

Le Premier Ministre a présenté le 19 février 2021 devant le Conseil National de la Transition (CNT) son Programme d’Action du Gouvernement de Transition (PAGT). Cet acte officiel doit être salué au moins pour deux raisons.

D’abord, il répond à un engagement ferme pris publiquement par les nouvelles Autorités du pays, et ce respect des promesses faites n’a pas été jusqu’ici chose facile sur tous les plans.

En second lieu, le document produit par la Primature est un document ambitieux et bien construit, qui démontre la volonté du gouvernement d’apporter une réponse à beaucoup des inquiétudes et des espoirs du peuple malien.

A côté de ces éléments de satisfaction, l’analyse du PAGT conduit en revanche à plusieurs préoccupations notables, qui tiennent à la fois au périmètre des sujets pris en charge et à la manière dont ces questions sont abordées.

Sur ce dernier point, les 26 Priorités qui détaillent les six Axes retenus sont une succession de recommandations, d’orientations, d’actions avec lesquelles il est difficile de ne pas être d’accord, si les Priorités sont réparties dans le court, le moyen et le long terme. L’approbation de ce document à la quasi-unanimité par le CNT le confirme. En effet, les thèmes et objectifs sont en harmonie avec la Feuille de Route initialement fixée et rejoignent souvent des aspirations fortes reliées à la grande fronde politique et sociale de juin 2020, ou aux traumatismes qui secouent le pays depuis près de 10 ans, du fait de l’insécurité sur une grande partie du territoire malien.

Cette convergence d’idées pourrait être une force du PAGT si plusieurs handicaps n’étaient pas en même temps relevés.

D’abord les détails donnés sur ces axes et priorités sont rarement plus développés et plus concrets qu’ils ne l’étaient lorsqu’ils ont été exprimés depuis quelques mois par des personnes et institutions qui ne disposent pas des moyens d’information et d’action d’un gouvernement. Les 275 actions et 291 indicateurs annoncés sont nécessairement plus précis et doivent inclure une quantification, des précisions sur le financement des mesures et un chronogramme rassurant sur leur faisabilité. Mais ces données ne sont pas publiques à ce jour et sont indiquées comme « à évaluer », ce qui peut justifier des inquiétudes à lever sur le respect du calendrier dans lequel s’inscrit obligatoirement la Transition.

De plus, pour certains des axes, le PAGT suggère comme vecteur de réalisation des assises nationales. Il en est notamment ainsi pour l’éducation (Axe 3) ou pour la mise au point d’un Pacte de Stabilité Sociale (Axe 5) qui ne comprendrait pas moins de 4 grandes conférences. Si ces larges concertations peuvent parfois convenir, elles paraissent ici inappropriées, face aux impératifs de temps déjà soulignés.

Hors ces questions de méthodes, l’inquiétude la plus fondamentale est celle du champ d’action que recouvre ce Plan. Compte tenu des missions et des délais donnés à l’équipe de la Transition, celle-ci a à concentrer son action, outre la gestion quotidienne du pays, par ailleurs très prenante, sur un nombre limité de sujets dont la réalisation conditionne l’avenir à long terme du Mali, et sa Refondation future si souvent évoquée. Dans ce cadre, il semble que les six Axes du PAGR auraient pu être ramenés aux deux suivants.

Le premier est bien celui du « Renforcement de la Sécurité sur l’ensemble du territoire national » (Axe 1), exigence fondamentale pour que tout le reste soit possible. Dans cet Axe stratégique, les quatre Priorités énoncées apparaissent logiques même s’il est possible de s’interroger sur certains points. Il en est ainsi de la capacité de rassembler si vite les financements liés à certains aspects même si ceux-ci sont déjà inscrits dans le budget 2020/2022- tels le recrutement de 25 000 nouveaux soldats, les 12 autres composantes liées au redéploiement des forces de défense, et les actions de grande ampleur d’intégration d’ex-combattants rebelles pour lesquelles le pays piétine depuis déjà longtemps -. Il en est de même pour la plausibilité d’une relecture de l’Accord d’Alger afin qu’un texte agréé par tous connaisse une mise en œuvre diligente par toutes les parties concernées.

Surtout, cet Axe sécuritaire serait encore plus crédible s’il s’y ajoutait une Priorité, méritant sans doute d’être classée en tête, visant à « Renforcer les capacités de l’armée par une meilleure formation et mobilisation de toutes ses composantes ». Le coup d’Etat d’août 2020 avait en effet engendré le grand espoir que des leaders militaires, en libérant le pays d’un régime enfoncé dans l’immobilisme et le renoncement, voulaient montrer que l’armée malienne était prête et capable de s’engager totalement dans la lutte contre tous ceux qui terrorisent la population, la tiennent en otage et parfois l’assassinent, et qu’ils prendraient eux-mêmes, sur le terrain et dans les postes de commandement opérationnel, la tête de ce combat. Les évènements politiques et administratifs intervenus depuis lors n’ont pu que provoquer l’étonnement ou la déception des nombreux citoyens. Il faut espérer qu’un engagement fort au service de cette mission reste d’actualité pour tous ceux qui ont organisé le « coup » d’août dernier et que cette responsabilité première sera bien assumée par eux, mais les actes qui le laissent transparaitre sont rares. Le PAGT était l’occasion de réaffirmer l’acceptation de ce rôle et d’expliquer comment il serait concrétisé sans délai.

Le second Axe à conserver a trait bien sûr à l’«Organisation des élections » (Axe 6) et à ses deux Priorités énoncées, et il faudrait y intégrer  au moins l’élaboration prévue de la nouvelle Constitution (Partie de l’Axe 4) inscrite dans le programme de la Transition. Toutefois, le PAGT, s’il prend bien en charge des questions essentielles comme la mise à jour des listes électorales, n’évoque pas certains besoins de changements majeurs, souvent exprimés par des citoyens, des observateurs ou des partenaires du Mali, dans les modalités de réalisation de ces élections et les règles de désignation des candidats possibles. Or ces transformations sont décisives pour que les futures consultations électorales ne reproduisent pas les mêmes lacunes, erreurs ou insuffisances qui ont caractérisé de plus en plus les votes de la période récente. Le point central est bien ici de faire disparaitre dans les prochaines échéances électorales toutes traces de corruption et d’impunité : la crédibilité des élections et des élus sera le baromètre du succès de la Transition et la première condition d’un futur « contrat de société »..

Pour les élections par exemple, quelles qu’elle soient, ceci implique des améliorations sans délai dans la représentativité des partis politiques et dans les conditions de leur création, de leur existence, des financements publics auxquels ils pourraient avoir droit. De même, les exigences nouvelles pour la candidature à un poste électif ont la même urgence : une moralisation est impérative pour rendre par exemple impossible l’utilisation de biens mal acquis pour la corruption des élections à venir. L’installation de structures indépendantes et de moyens adéquats pour la préparation et la surveillance des élections constitue une autre nécessité pour que les graves incidents des dernières législatives ne se reproduisent plus. Ce dispositif serait utilement à compléter par la définition -et la stricte application- de sanctions, y compris pécuniaires, à l’encontre de tous ceux qui ne respectent pas le rôle qu’ils prétendent assumer dans ce processus électoral.

Pour les consultations référendaires ou constitutionnelles, il est sans doute regrettable que le Plan n’ait pas rappelé que la future Constitution aurait à respecter certains principes comme un partage des pouvoirs plus équilibré entre l’exécutif et le législatif, d’une part, et entre l’Etat central et les régions, d’autre part. Il aurait aussi été opportun de souligner les impératifs de cohérence entre cette future Constitution et le contenu des Accords d’Alger après l’éventuelle relecture de ceux-ci.

Ces deux Axes ainsi complétés et précisés composaient un programme déjà assez vaste pour occuper l’équipe de Transition jusqu’à l’échéance de son mandat et pour traduire les orientations attendues. Les autres Axes pouvaient alors être mis en œuvre ensuite par les soins des Dirigeants qui seront élus. En revanche, le PAGT semble « orphelin » d’un Axe à dominante économique. La gestion des finances publiques et de l’économe malienne pendant la Transition illustrera en effet, soit l’ampleur du changement opéré après le coup d’Etat de 2020, soit une simple prolongation décourageante des tendances antérieures. Cette question est d’autant plus cruciale que les perturbations intervenues au Mali entre juin et septembre 2020, au plus fort de la crise sanitaire et économique qui secouait le monde entier, ont gravement réduit les initiatives de l’Etat au moment où elles étaient le plus nécessaires. Les domaines d’urgence sont donc nombreux, comme le montrent quelques exemples.

Ils couvrent ainsi les actions de redistribution au profit des plus démunis, comme les 40% environ de la population qui sont en régime de pauvreté extrême ou les centaines de milliers de déplacés. Ils concernent aussi la lutte contre les hausses de prix spéculatives, qui enregistrent une accélération récente. Ils englobent la récupération des montants considérables détournés au détriment de l’Etat et pour lesquels de nombreux dossiers sont connus, déjà constitués et à la disposition des Autorités. Ils incluent aussi la réduction du train de vie de l’Etat, annoncée à l’Axe 2 (Priorité 4), mais pour laquelle des efforts plus conséquents et transparents sont attendus – et possibles-, notamment au sommet de l’Etat. Ils comprennent également une action continue de renforcement des recettes fiscales, non par un « harcèlement » accru du secteur formel de l’économie, mais par une fiscalisation d’activités ou richesses actuellement épargnées.

Les actions concrètes qui seraient menées avec diligence sur de telles priorités économiques, en illustrant la sincérité des Dirigeants dans leur volonté de rompre avec le passé, aideraient à renforcer la confiance et l’adhésion du peuple malien à l’ensemble des transformations et des efforts qui seront requis.

Malgré son intérêt, le PAGT gagnerait donc à être recentré sur un périmètre mieux adapté aux objectifs assignés à la Transition et, dans le cadre ainsi défini, à privilégier résolument les réalisations concrètes offrant des résultats tangibles avant la fin de celle-ci. C’est à ce prix que les Dirigeants actuels obtiendront véritablement le retour de la confiance du peuple malien. C’est à ce prix que le Mali pourra espérer entreprendre, dans environ un an, une première étape de sa Refondation et Reconstruction.

Ce texte est un Appel collectif émis par le Groupement de Recherches, d’Analyses et d’Initiatives Novatrices (GRAIN) à l’image des Appels déjà publiés sur ce Blog les 21 juillet 2020 (Appel pour un Mali à reconstruire), 26 août 2020 ( Appel pour une Transition réussie) et 17 novembre 2020 (Gardons la cap !)

 

Article publié le 08/03/2021

 

365 jours de Covid 19 : quelques nouvelles leçons !

365 jours de Covid 19 : quelques nouvelles leçons !

 

Le monde s’est réveillé au seuil de l’année 2020 sous la menace du Covid 19. Apparue en Chine dès début janvier, cette nouvelle maladie a frappé très vite les autres pays asiatiques et l’Océanie. Puis l’épidémie, poursuivant sa route, a atteint l’Europe fin février et l’Amérique en mars. Le désarroi initial face à la gravité et la nouveauté de la maladie, les réponses hésitantes apportées, le manque de certains matériels basiques dans divers pays, tels les masques, ont conduit au déferlement d’une « première vague » mondiale. Pour stopper celle-ci, les dirigeants se sont la plupart résignés à la solution extrême et inédite de l’isolement de chaque pays, voire de chaque ville, au confinement généralisé impliquant l’arrêt momentané des activités économiques non vitales, et à l’injection de financements considérables par le canal des banques centrales et des Etats pour faire face aux coûts économiques et sociaux de la pandémie. Malgré ces mesures, l’impact sanitaire de cette première attaque du Covid19 a été lourd : au 20 juillet 2020, alors que la pandémie franchissait ses 200 jours, les contaminations officielles avaient touché 14,5 millions de personnes et provoqué quelque 620000 décès. Cinq grands pays – Etats-Unis, Brésil, Inde, Russie et Afrique du Sud- rassemblaient plus de 55% des malades, même si la situation y révélait des intensités relatives fort différentes de l’épidémie. Ces données étaient sans doute nettement sous-estimées en raison de tests insuffisamment nombreux d’une comptabilisation incertaine des décès et de l’absence de statistique de la Chine après fin avril.

Le début de l’été 2020 fut marqué à la fois par la poursuite d’une flambée des contaminations dans quelques nations comme les Etats-Unis, l’Inde et le Brésil, mais par un sensible ralentissement dans les principaux pays d’Europe, et surtout d’Asie, après les périodes d’isolement appliquées au printemps. Intégrant ces deux mouvements contraires, les données mondiales montent alors avec plus de modération et leur hausse semble concentrée sur certaines zones. La planète espère à ce moment éviter une « deuxième vague ». Il est vrai que l’ignorance qui persiste sur beaucoup de caractéristiques de la maladie laisse une grande place à des théories optimistes sur la maîtrise possible de celle-ci. Mais la réalité s’impose : après le succès relatif des mesures de confinement, la vigilance s’est réduite dans les comportements, notamment pendant les vacances d’été en Europe. A partir de fin septembre toutefois, le doute ne sera plus permis : le Covid 19 lance sa deuxième attaque meurtrière sur le monde entier. Le trimestre écoulé depuis lors nous permet de tirer fin 2020 au moins cinq leçons de cette nouvelle période.

La première est que le rythme des contaminations officielles s’est considérablement accéléré. En octobre, il s’est globalement élevé à près de 370000 personnes/jour, contre 225000 en juillet, pour passer à 550000 en novembre et 650 000 en décembre. Deux facteurs opposés expliquent cette amplification, sans qu’il soit vraiment possible d’identifier l’influence particulière de chacun d’eux: l’interruption des mesures d’isolement les plus contraignantes appliquées dans la plupart des pays au second trimestre, et l’intensification massive des tests qui augmente les détections de cas positifs Quoi qu’il en soit, le nombre total officiel de personnes infectées avoisine 83,5 millions au 31 décembre dernier, bien au-delà des hypothèses les plus pessimistes (on complotistes) formulées au milieu de l’année dernière. Encore ces données écartent-elles toujours la Chine, toujours en dehors des écrans statistiques, et doivent parfois être réajustées la hausse, comme l’a montré l’exemple récent de la Turquie. Durant les 5 derniers mois de 2020, les infections recensées ont donc augmenté 4,9 fois plus vite que dans les 7 premiers mois de l’année, ce qui montre l’emballement de la maladie, et se sont bien répandues dans tous les pays. L’absence à ce jour de traitement avéré, les lacunes persistantes sur la connaissance du virus et donc ses modes de propagation, l’approximation (voire la réticence) avec laquelle les mesures minimales de distanciation sont parfois respectées ont facilité cette dissémination. Elles ont obligé la plupart des nations, surtout en Europe, à revenir à des méthodes plus contraignantes, prises en ordre dispersé à partir de septembre 2020. La généralisation récente de ces précautions accrues semble avoir réussi à stabiliser le nombre des nouveaux cas, proche de 625000 en moyenne dans les deux dernières semaines de 2020.

Dans cette évolution inquiétante, on note une grande variété de situations rencontrées et le monde pourrait être partagé en plusieurs grands compartiments.  Les Etats-Unis demeurent l’épicentre de la maladie et le nombre d’infections y a franchi le cap des 20 millions dans les derniers jours de 2020 : la moyenne de contaminations a augmenté d’environ 50000/jour en juin à près de 210000 en décembre, et près de 2500 morts quotidiennes sur ce dernier mois. L’Inde est encore à ce jour la deuxième nation la plus frappée : mais les quelque 10,2 millions de contaminations à fin 2020 sont avant tout le reflet de sa population de 1,3 milliard d‘habitants. Le pays a eu en effet le courage de faire appliquer pendant le troisième trimestre des mesures de confinement douloureuses pour la majorité de la population, qui ont montré leur efficience. La courbe des infections a nettement fléchi depuis octobre dernier et le nombre officiel de malades/million d’habitants reste aujourd’hui de l’ordre de 8400, environ 5 fois inférieur aux niveaux européens. Le troisième groupe se compose de la plupart des pays d’Europe et d’Amérique du Sud. Ils sont devenus des foyers majeurs de la « deuxième « vague » d’invasion du Covid19.  L’Europe a particulièrement été touchée durant cette période :  les défenses ont été érigées de façon souvent « pointilliste » par les Etats, pour éviter l’arrêt d’une grande partie des activités économiques comme au premier semestre, et ont entrainé une série de « stop and go » en fonction de l’évolution des statistiques de l’épidémie. Elles ont aussi été prises de façon dispersée selon les pays, ce qui a permis au virus de mieux « circuler ».  A fin 2020, le nombre total des contaminations s’élève à 25,8 millions et a dépassé celui des Etats-Unis depuis la fin d’octobre dernier. En Amérique du Sud, où le Brésil compte fin 2020 7,7 millions de contaminations officielles, un bon nombre de pays ont suivi un chemin analogue tels l’Argentine, le Chili et la Pérou. On note que la densité des malades sur ces deux continents est fréquemment comprise entre 30000 et 40000 par million d’habitants. Mais certains pays restent des exceptions : ainsi le Mexique, l’Allemagne, la Russie sont relativement moins frappés ; l’Europe de l’Est l’est davantage que la moyenne : la Suisse et la Belgique ont les moins bons résultats du monde, à l’égal des Etats-Unis, avec plus de 60000 malades/million d‘habitant. L’Afrique a bien résisté contrairement aux craintes initiales : seule l’Afrique du Sud avait été fortement impactée et ses 600000 malades représentaient en juin dernier plus de 50% des contaminations officielles du continent. La faible progression notée ensuite, à l’exception notable du Maroc, n’a cédé la place à une nouvelle poussée dans beaucoup de pays africains que depuis début décembre. L’Afrique du Sud apparait encore la plus concernée et a terminé l’année à plus d’1 million de contaminations. En Asie enfin la plupart des nations ont résisté, grâce à une grande vigilance et à de vives réactions, à une reprise de la pandémie sur leur territoire selon les données collectées.

Pour la létalité de la pandémie, la période récente est dominée par trois constats. D’abord, l’accélération par rapport à la phase janvier/juillet 2020 a été également observée, mais elle a été plus maîtrisée que pour les contaminations : multiplication par 2,7 au plan mondial, par 2, 3 aux Etats-Unis, par 2,6 en Europe par exemple. C’est que l’influence probable de la densification des tests, soulignée pour les contaminations, est nettement plus faible sur le nombre de décès enregistrés. La deuxième observation, la plus importante, est la remarquable stabilité d’un pays à l’autre du rapport entre le nombre de malades recensés et le nombre officiel de décès, tous deux calculés pour un million d’habitants du pays concerné. Ce ratio s’inscrit dans une fourchette comprise entre 1,6% et 2,5% pour la grande majorité des nations, que celles-ci aient été ou non lourdement frappées par la maladie : ainsi ce ratio est-il de 1,7% aux Etats-Unis, de 1,9% en Allemagne et de 2,5% en France. Certes il existe quelques exceptions comme la Belgique à 3,0%, mais aussi le Japon à 1% ou la Serbie à 0,8%. Mais la faiblesse de l’écart moyen tend à prouver que ce pourcentage exprime le mieux le ratio tendanciel de mortalité de la maladie. Celui-ci a d’ailleurs eu tendance à baisser puisqu’il était supérieur à 3% en juillet dernier, ce qui pourrait constituer un indice d’une meilleure capacité des systèmes sanitaires à traiter les cas graves. Malgré cette uniformité de la dangerosité de la maladie, la diversité des taux de contaminations officiels par pays explique que le nombre de décès rapporté à la population varie fortement d’un pays à l’autre. En la matière, la Belgique détient toujours le triste record avec plus de 1900 décès/million d’habitants alors que l’Inde, bien que très frappée par la pandémie, en compte « seulement » 118.

Le quatrième constat, que traduisent en partie ces données erratiques, est l’ampleur des lacunes subsistantes sur la maladie et les faiblesses souvent constatées dans la stratégie de la lutte anti-Covid. Malgré les déclarations assurées des nombreux « experts » qui défilent dans les médias, la connaissance du virus est encore approximative : modalités de contaminations, symptômes, durée de l’immunité, sensibilité à la température ou à l’environnement sont toujours en débat. La crainte suscitée par la diffusion plus rapide et l’impact inconnu des nouvelles variantes anglaise et sud-africaine ravive encore ces incertitudes. La variété des politiques de réaction à la pandémie et les échecs de certaines d’entre elles accroissent également la méfiance et le découragement des populations ballotées d’une stratégie à l’autre avec des résultats décevants. Le manque de liberté laissé aux Autorités locales ou régionales pour réguler certains aspects pour lesquels elles semblent les mieux placées ajoutent à la cacophonie. Enfin la surexposition médiatique des recherches pour les vaccins, les outrances financières auxquelles ont donné lieu les succès obtenus, au bénéfice des actionnaires et dirigeants des compagnies concernées, ont quelque peu terni l’immense espoir né de la découverte de vaccins tant attendus et réduit la confiance des citoyens. En France, les échecs et mensonges des dirigeants, toujours assumés avec la même arrogance, pour les masques, puis les tests expliquent sans doute la grande réserve devant les vaccins : le début de la phase vaccinale ne semble pas leur donner tort. Face à ces constats, les populations ne sont pas dupes et le sentiment d’inquiétude continue à dominer.

Enfin, l’année vécue avec le Covid permet de valider ou de revoir au moins quatre conclusions hâtivement tirées sur l’impact économique de celui-ci. D’abord, la pandémie aura frappé en 2020 l’économie « réelle », c’est-à dire la Production Intérieure Brute Mondiale (PIB), qui devrait reculer d’environ 4,5% selon les dernières estimations. Toutefois, les replis enregistrés des PIB ont eu tendance à s’amenuiser partout par rapport aux prévisions formulées dès mars 2020 : le monde en effet choisi de faire face à la deuxième vague du Covid en maintenant au maximum les activités économiques. En second lieu, la pandémie a épargné jusqu’ici la sphère financière. Les grandes bourses mondiales – la France étant une des exceptions – terminent en effet l’année plus haut qu’elles ne l’ont commencée, et leurs principaux acteurs ont été, par des circuits divers, les grands bénéficiaires de la manne inédite déversée par les banques centrales. Il est remarquable que les Etats-Unis, pays apparemment le plus fragile vis à vis du Covid soient aussi un des pays où les cours boursiers ont le plus progressé. En troisième lieu, la pandémie aura bien accéléré une mutation de la structure de toutes les économies. Si certains secteurs ont été mis à mal – aéronautique, hôtellerie et restauration, divertissements, petits commerces, -, d’autres ont progressé de manière parfois considérable et inattendue – nouvelles technologies, transports de marchandises, industries pharmaceutiques, – et certains s’en sortent bien comme les activités financières ou les secteurs « verts ». C’est vraisemblablement cette restructuration qui traduira le « monde d’après » plutôt qu’une remise en cause du primat de l’économie sur d’autres valeurs. Enfin, le Covid a introduit en une seule année des sources considérables de nouvelles inégalités financières, sociales et de bien-être entre pays, groupes sociaux et individus. Si les Responsables politiques ne considèrent pas la réduction de ces inégalités comme une priorité des années à venir, à l’égal du retour à la croissance économique, les risques de déstabilisation mondiale atteindront de nouveaux seuils, potentiellement plus explosifs.

L’année 2021 s’ouvre encore sous des auspices contradictoires. Après les fêtes de fin d’année, les contaminations ont repris leur rythme ascendant, parfois vivement dans certains pays européens ou aux Etats-Unis. Dans le monde, il y a toutes « chances » que le nombre de cas recensés dépassera le seuil symbolique des 100 millions de personnes avant ce 31 janvier tandis que le cap des 2 millions de morts vient d’être franchi. L’identification récente de nouvelles souches plus virulentes ; comme l’anglaise et la sud-africaine, font craindre une amplification de cette propagation : l’exemple actuel du Royaume Uni montre que cette hypothèse est loin d’être théorique. Face à ces menaces persistantes, tout l’espoir repose maintenant sur les quelques vaccins annoncés à grands bruits fin 2020 et déjà en cours d’application. Encore faut-t-il que leur production suive les besoins, que leur délivrance et leurs résultats soient à la hauteur des attentes et qu’ils soient si possible complétés par un traitement efficace de la maladie. Il est donc encore trop tôt pour crier victoire. L’année 2021 sera, de manière certaine, une nouvelle période de combat. Pour le reste, la prudence reste de mise.

Paul Derreumaux

Article publié le 21/01/2021

Mali : Gardons le cap !

Mali : Gardons le cap !

 

Le coup d’Etat du 18 août 2020 était apparu pour une large majorité de Maliennes et de Maliens comme une délivrance. Il mettait fin, de façon relativement apaisée, à une situation entièrement bloquée : un régime à bout de souffle, accusé de nombreuses pratiques corruptives, incapable de répondre à des revendications catégorielles multiples, de plus en plus inefficace dans son soutien à la croissance et dans la lutte antiterroriste, englué dans la remise en cause partielle des résultats des législatives de mars 2020 ; des manifestations très suivies, à Bamako et en province, conduites par des leaders religieux, politiques et syndicaux, réclamant, entre autres, le départ du Président et de son gouvernement. Un soulèvement militaire avait donc facilement ramassé en août dernier un pouvoir déjà largement mis à mal par une longue période de paralysie et trois mois de vive contestation. L’atmosphère joyeuse et « bon enfant » qui a salué ce changement politique a bien montré la facilité de l’opération, le soulagement des citoyens et l’espoir immense que représentait pour eux ce changement. Pour le peuple malien, et surtout les jeunes, il allait instaurer, enfin, un « Mali nouveau », traduit par le mot « Refondation » auto-approprié par la plupart des acteurs, qui serait libéré des démons progressivement installés après la grande espérance du Renouveau Démocratique de 1991 (cf. notre appel « Pour une transition réussie au Mali »)

Les premières déclarations à la population et aux médias du Conseil National pour le Salut du Peuple (CNSP), jugées dans l’ensemble rationnelles, modérées et ouvertes, et les premiers jours sans faux pas des militaires putschistes avaient amené la population et les observateurs à adopter un sentiment positif sur la jeune équipe au pouvoir et sur ses intentions. La position inflexible de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), prise dès le coup d’Etat, a vite conduit le pays à appuyer les nouveaux dirigeants. C’est dans ce contexte empreint d’un fort sentiment de nationalisme et d’un a priori de soutien aux actions de remise en ordre attendues du pouvoir militaire que celui-ci a entamé la préparation de l’installation des Autorités de la Transition politique. Trois principales limites aux caractéristiques possibles de cette Transition avaient seulement été émises par beaucoup de citoyens : une direction civile et non militaire ; une composition de l’équipe fondée avant tout sur la crédibilité et la compétence reconnue de chacun de ses membres ; une durée strictement limitée mais suffisamment longue pour des réformes de fond.

La relative lenteur avec laquelle les concertations ont été préparées pour cette mise en place de la Transition ainsi que le déroulement et les conclusions de celles-ci en septembre dernier avaient déjà suscité beaucoup d’interrogations et déceptions. La place éminente des militaires dans le processus et dans les futurs organes, y compris au niveau le plus élevé, et l’absence de priorités bien arrêtées dans le programme de travail étaient notamment surprenantes par rapport aux souhaits publiquement exprimés, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, depuis le coup d’Etat. Soumises à un feu vert de la CEDEAO pour que celle-ci accepte une levée de ses sanctions, les propositions maliennes ont été contraintes au minimum à plusieurs amendements et précisions. Devant divers atermoiements, voire des louvoiements, observés face à certaines de ces demandes, la fermeté de la CEDEAO est apparue cette fois très utile pour que des points jugés essentiels soient clarifiés et publiquement agréés.

Sur cette base, les blocages de la CEDEAO n’ont pu être levés que début octobre 2020, soit plus de 45 jours après le coup d’Etat, ce qui a alors permis au pays, à ses habitants et à ses entreprises d’espérer le retour à une vie plus « normale » et le début d’une phase de reconstruction du Mali sur les nouvelles bases attendues. A l’évidence, les étapes qui ont suivi cette décision ont surtout contribué à accroître les inquiétudes des citoyens pour au moins deux raisons.

La première est la lenteur constatée dans la mise en place des organes chargés de gérer la Transition. Le Premier Ministre désigné a dû mettre dix longs jours pour composer le gouvernement qui devrait être la cheville ouvrière essentielle dans la définition et le lancement des lignes directrices de la Refondation attendue. En outre, le public n’a pas retrouvé à tous les postes ministériels des personnalités techniquement éminentes et suffisamment neutres, qui l’auraient rassuré. En revanche, les fins connaisseurs des relations sociales multiples que connait le pays ont vite décrypté les connexions existantes entre les personnes choisies, et notamment la très forte influence, directe et indirecte, que possèdent les leaders du CNSP dans cette équipe. Le Conseil National de la Transition, quant à lui, n’est pas encore constitué, la complexité de sa composition telle qu’envisagée ne facilitant sans doute pas la désignation de candidats ayant les compétences requises pour le rôle de ce Conseil. Ces retards expliquent vraisemblablement pourquoi le CNSP n’a pas encore été dissous contrairement au programme des actions à mener. Son existence ne se justifie pourtant plus puisque toutes les forces concourant au redressement peuvent maintenant se fondre dans une Transition oeuvrant pour le bien du pays.

La seconde raison est que ne sont pas encore apparus les signaux qui montreraient que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de transparence, de reconnaissance de l’urgence à agir, de prééminence permanente de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, et de renaissance de l’Etat, de l’administration et de tous les acteurs socio-économiques du pays. Au contraire, alors que ces indicateurs sont pour l’instant absents, quelques premiers clignotants s’allument et alimentent de légitimes inquiétudes.

Ainsi, aucune information publique n’a indiqué que la déclaration de patrimoine des Autorités désignées, pourtant obligatoire, était réalisée.

Les « fuites » largement commentées sur les sujets d’examen du Diplôme d’Etudes Fondamentales (DEF) sont une autre illustration de la persistance de tares passées. La réponse apportée par la coupure de certains réseaux sociaux, pour limiter la diffusion excessive de ces fraudes, tendrait à prouver qu’il est jugé plus facile d’agir sur les moyens de propagation que sur les causes de cette anomalie.

Les menaces de grèves annoncées par les Administrateurs Civils, les policiers et d’autres catégories socio-professionnelles montrent enfin la gravité du malaise dans de nombreux secteurs, et notamment du côté des salariés de l’Administration. Or cette dernière jouera un rôle capital dans la remise en marche de services de l’Etat diligents, efficaces et irréprochables, et dans le rétablissement de la confiance entre les pouvoirs publics et les citoyens.

Surtout, la multiplication des attaques meurtrières perpétrées par les terroristes à l’intérieur du pays, et particulièrement dans le Centre de celui-ci, est beaucoup plus préoccupante. Le Mali attendait en effet impatiemment que l’armée, efficace pour se saisir à Bamako d’un régime aux abois, s’engage avec force et détermination pérenne, en coordination performante avec les troupes alliées engagées dans le même combat, dans la reconquête de tout le territoire et le retour à une sécurité durable en tout lieu. Malgré une écoute attentive, rien n’est jusqu’ici apparu dans les mots d’ordre ou les actions des Forces Armées et de leurs premiers responsables, qui nous indique qu’il s’agit là d’une priorité absolue. D’une certaine façon, la population attendait un héroïsme et une stratégie dignes d’un Soundjata Keita, mais n’a observé jusqu’ici qu’une timidité surprenante et de nouveaux reculs. Le trop long encerclement du village de Farabougou par des bandits terroristes au visage découvert, prolongé plusieurs semaines à la consternation générale, et dont l’épilogue est encore flou et incertain, est le témoignage le plus affligeant de cette évolution. Celle-ci est incompréhensible pour tous, et, si les justifications tactiques existent, leur présentation fait encore défaut.

Qu’on ne s’y trompe pas. Nous savons que, dans chaque Ministère ou Administration, la mise en place d’un dispositif requiert du temps et de l’énergie. La constitution des cabinets ministériels ou les prises de contact avec les dirigeants étrangers, ou les administrations et entreprises sous tutelle sont indispensables. Elles ne devraient cependant pas constituer la seule actualité du Gouvernement face à des urgences connues et non résolues.  Un large public a besoin d’être certain que tout est mis en œuvre, de façon à la fois ambitieuse et rationnelle mais urgente et réaliste, pour que les écoles et universités fonctionnent sans accroc, que l’accès aux soins soit facilité pour les plus démunis, que la corruption est partout menacée et en recul, que les mesures sont prises pour que les recettes fiscales et douanières sont bien recouvrées et la fraude combattue, que les menaces de grève sont désamorcées, que les routes sont améliorées,… A défaut de la mise en évidence que ces questions sont en cours de traitement prioritaire, il est à craindre que les Maliens aient tendance à conclure comme l’adage populaire : « Tout ce bruit pour rien ».

Trouvera-t-on que notre impatience est trop arrogante ou trop critique ? Ici encore, qu’on ne se méprenne pas. Le voeu le plus cher du plus grand nombre est que l’équipe installée au pouvoir, pour 18 mois, réponde à toutes ses attentes et que le peuple puisse faire bloc derrière elle comme au premier jour, dans une relation de confiance enfin rétablie avec les dirigeants. Il suffit de passer dans les quartiers de Bamako, et encore plus dans d’autres villes, pour comprendre l’urgence de toutes les requêtes exprimées et la disponibilité de chacun à soutenir les efforts qui visent à les satisfaire. Mais cette anxieuse espérance s’accompagne obligatoirement d’une exigence de transparence, d’information et d’explications de la part des dirigeants et d’un devoir de vigilance des dirigés. Qu’il nous soit donc permis de réclamer la première et d’assumer la seconde.

Un pays ne meurt jamais, mais sa descente aux enfers peut être interminable et est toujours préjudiciable aux plus modestes. C’est cela qu’il nous faut éviter en gardant bien, tous ensemble, le cap d’un véritable changement qui doit être conduit sans faiblesse et sans relâchement pour atteindre les objectifs dans les délais fixés.

 

Ont signé cet appel

Mossadeck Bally, Maïmouna Sow Bally, Moussa Bagayoko, Arwafa Ben Baba, Jamila Ben Baba, Abdoulah Coulibaly, Paul Derreumaux, Ramatoulaye Traore Derreumaux, Fatoumata Sidibé Diarra, Tiguida Guindo Diarra, Sekou Diarra, Hamadoun Dicko, Modibo Dicko, Mohamed Bassirou Diop, Cheikna Dibo, Serge Lepoultier, Ibrahim Sory Makanguilé, Mariam Coulibaly N’Diaye, Habib Ouane, Fatoumata Keita Ouane, Mamadou Sidibé, Aminata Diabaye Sidibé, Birama Sidibé, Youba Sokona, Khanata Traore Sokona, Amadou Sidiki Sow, Sadio Lamine Sow, Moustapha Soumaré, Ousmane Sy, Ousmane Thiam, Aya Diallo Thiam, Diadié Touré, Moctar Touré, Lalla Badji Haidara Touré, Hamadoun Touré, Ibrahim Touré