FCFA Afrique de l’Ouest : éléments de réflexion

I- La nouvelle donne

L’année 2019 avait été marquée par d’étonnantes nouvelles pour les questions monétaires en Afrique de l’Ouest. En juin, la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) prenait par surprise analystes et médias pour annoncer pour l’année 2020 la création effective d’une monnaie commune, l’ECO, dans cet espace de près de 400 millions d’habitants. En décembre de la même année, les Présidents de Côte d’Ivoire et de France surprenaient encore davantage en déclarant ensemble pour l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) la fin du FCFA « ancienne formule » et une évolution rapide de l’Union vers une monnaie commune plus indépendante.

Ces transformations soudaines, presque révolutionnaires après tant d‘échéances de changement reportées et de critiques subies, n’ont hélas pas été entièrement concrétisées depuis lors. La paralysie née du Covid-19 justifiait certes des retards importants, mais peut difficilement expliquer que, à mi-2024, on reste sans nouvelle de ces mutations décisives. Le silence de l’UEMOA et l’information récente de la CEDAO d’un nouveau décalage dans les travaux conduits sur ces questions monétaires font craindre légitimement que des changements promis ne sont pas prêts à être mis en oeuvre. Difficultés inattendues, renoncement à la mutation, blocages divers ? Un lourd silence a pesé depuis 2020 sur le report des engagements pris et les éventuels nouveaux délais envisageables.  

Dans l’intervalle, l’Afrique de l’Ouest a été secouée par des changements politiques essentiels. Des coups d’Etat ont eu lieu dans quatre pays de la CEDEAO – Guinée, Mali, Burkina Faso et Niger, les trois derniers étant aussi membres de l’UEMOA-. Il en est résulté au moins deux conséquences essentielles dans les deux Unions régionales touchées par ces évènements. D’abord, la condamnation de ces évènements inconstitutionnels, assortie souvent de sanctions économiques et politiques à l’encontre des pays concernés, a profondément détérioré les relations internes à ces regroupements de pays, pourtant constitués de longue date : 30 ans pour l’UEMOA (et 61 ans pour sa devancière l’UMOA), 50 ans en 2025 pour la CEDEAO. Pour cette dernière, la décision unilatérale de sortie prise en janvier 2024 par trois pays -Burkina Faso, Mali, Niger- et les reports des échéances convenues pour le retour à des régimes constitutionnels confirment l’ampleur inédite de la crise régionale. En second lieu, face à ces tensions avec leurs voisins et une partie de la « communauté internationale », les pays ayant connu des coups d’Etat ont mis au premier plan le critère de la souveraineté nationale comme centre de gravité de leurs stratégies sécuritaire, politique et économique : la monnaie est apparue dès 2023 comme un aspect essentiel, voire prioritaire, de la reconquête de cette souveraineté. La récente constitution de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) traduit cette détermination.

Ainsi, après quelque quatre années d’accalmie, le Franc CFA est à nouveau l’objet de remises en question, sans d’ailleurs qu’une référence soit faite aux décisions communautaires de 2019, aux mutations déjà réalisées- – en particulier fin de l’obligation de constitution de dépôts auprès du Trésor français à hauteur de 50% des réserves en devises de l’Union, et suppression du « compte d’opérations » lié à cette contrainte- ou à celles en attente  Les problèmes posés diffèrent cette fois de ceux évoqués dans la période 2005/2019 sur quatre principaux plans.

En premier lieu, la volonté de changement est désormais plus politique qu’économique. Il est difficile de reprocher aujourd’hui au FCFA d’être un frein au développement alors que l’UEMOA est une des régions subsahariennes où le Produit Intérieur Brut (PIB) progresse le plus depuis plus d’une décennie, que cette avancée touche, avec une force voisine, tous les pays de l’Union, et que la monnaie commune n’a pas empêché de grandes transformations structurelles dans certains Etats de la zone. De plus, dans plusieurs circonstances, des innovations de la Banque Centrale de l’Union ont montré sa capacité à appuyer l’action des Etats face à des difficultés exceptionnelles, comme l’émission de Bons Covid en 2020 ou des rachats de dette publique plus récemment Les « attaques » techniques sont d’ailleurs rarement remises en avant aujourd’hui. En revanche, la dépendance du FCFA par rapport à l’EUR et à la France constitue désormais la critique fondamentale. Il est vrai qu’aucune information n’est disponible sur l’avancée des autres mutations requises en direction de cette autonomie– et notamment le remplacement de la référence à l’EUR par celle à un « panier de monnaies » et la mise en œuvre d’une politique monétaire plus déliée de celle de l’EUR.

En outre, dans le passé, la contestation concernait le FCFA et ses handicaps économiques, et non l’UEMOA, dont la mise en synergie des forces et ambitions de huit nations était au contraire généralement considérée comme un atout essentiel pour le développement économique. En 2024, au contraire, la critique de la monnaie commune s’accompagne souvent de celle de l’Union telle qu’elle se présente actuellement. Il en résulte la formulation d’hypothèses multiples pour la sortie de crise : création par les éventuels Etats « partants » d’une monnaie commune ou d’une monnaie nationale pour chacun d’eux ; maintien du FCFA, réformé ou non, pour les Etats « restants » ; statu quo ; retour généralisé à des monnaies nationales.

Par ailleurs, aucun pays de l’Afrique centrale francophone ne semble emboiter jusqu’ici le pas à cette nouvelle fronde, alors que le FCFA avait aussi souvent été contesté dans le passé sur ce périmètre. Une réforme en Afrique de l’Ouest, telle qu’engagée en 2019 ou sous une autre forme, pourrait donc mettre fin définitivement à la gémellité des deux zones monétaires francophones.

Surtout, la critique est exprimée par les Autorités de certains pays, et non plus par des opposants politiques ou économiques aux pouvoirs en place. Or, celles-ci ont à tout moment le pouvoir d’engager la modification des conditions d’émission et de gestion de leur monnaie nationale. La probabilité de transformations effectives s’en trouve ainsi renforcée.

Face à cette situation inédite, les solutions possibles sont variées mais, pour réussir, seront soumises à plusieurs contraintes (A suivre… le 29 juillet)

Paul Derreumaux

Article publié le 22/07/2024

BANK OF AFRICA-KENYA : THE BOA GROUP’S PAN-AFRICAN AMBITION

From its creation in 1983 until 2002, the BANK OF AFRICA network grew steadily: it gradually established a presence in 7 countries; its activities now extended beyond commercial banking; and its increased power illustrated these developments. In its quest for all-out expansion, the Group seized an exceptional opportunity: its first presence in English-speaking Africa.

This opportunity arose in Kenya. Banque Indosuez, which was in the process of merging with Crédit Agricole, had long had a subsidiary there, a product of its colonial past. Based in Nairobi and Mombasa, the bank is small but well managed by a quality team: it has very large international corporate clients, a good reputation and a healthy loan portfolio. 

It was a very risky gamble; the Kenyan banking sector is one of the most efficient and competitive – with almost 45 banks – in Africa, and our Group was unknown in the region. But the temptation was too good to resist: discussions began in 2002 with Indosuez and lasted two long years. This exciting adventure will leave some unforgettable memories.

During the negotiations, BOA first had to be accepted as an acceptable partner. This was achieved fairly quickly, thanks to a network that was now well established, a good image and an original shareholding structure. Discussions on the price of the transaction were more delicate: Indosuez raised the stakes. Negotiations, conducted in the utmost secrecy in Paris and Nairobi, were difficult and sometimes came close to breaking down. It took all the experience of the negotiators and lawyers representing BOA to find the arguments for the price reductions requested. Despite everything, Indosuez, which was above all sensitive to the buyer’s reputation and the commitments he would make, appreciated BOA’s methods and objectives, and an agreement was finally reached.

In the meantime, BOA has had to find an original legal arrangement to meet the requirements of the Central Bank of Kenya (CBK) for the shareholding of commercial banks. Thanks to the participation of BANK OF AFRICA of Benin, Côte d’Ivoire and Madagascar alongside the Group’s holding companies, the application for approval is progressing. The trust between the holding company and its subsidiaries, eased by the transparency of the decisions taken and everyone’s support for the development programmes, has once again enabled this new project to succeed. The subsequent arrival of the FMO and the Aureos Investment Fund will consolidate this initial « round table ».

The final preparatory work, carried out in the open at last, enabled us to meet the teams in place. They had to be convinced of the quality of the project. It was going to shake up previous habits – with a bank focused in future on Kenyan businesses, product innovation and the creation of new branches – and would include strong growth forecasts. In exchange, everyone is offered a place in the new entity and real opportunities for future development. The frankness of the pitch and the positive feedback from the Group outweighed the handicap of the network’s French-speaking origins, and the unreserved commitment of all parties was quickly secured. After a final legal hiccup over the adoption of our name, the BANK OF AFRICA-KENYA was approved on 30 June 2004.

BOA is extremely pleased to be entering Kenya. With a population of already 35 million and a powerful economy that is the jewel in the crown of East Africa, the country offers unhoped-for prospects. But the pleasure of this success is immediately accompanied by an awareness of the challenges ahead. In particular, two major projects need to be completed as a matter of urgency if we are to brighten up the horizon. The first is internal: the Group needs to build an organisation in Nairobi that is faithful to its philosophy but adapted to the working methods and commercial approaches that are relevant in Kenya, to master the new regulatory context, To keep the former customers, to obtain the support of the local teams for the objectives of developing and diversifying the clients base, and to ensure that the new subsidiary is properly integrated into the network. Thanks to everyone’s efforts, we are making progress on these objectives, but progress is slow. The management changes introduced in 2008 and the massive support of shareholders – with capital already quintupled in 2010 – will speed up the adaptation process and give the bank a new dimension. The second is external. While the entity gradually took its place on the Kenyan market, the Group succeeded in establishing itself in two neighbouring countries: Uganda in 2006 and Tanzania in 2007. BOA’s presence in the three countries of the East African Community (EAC) has changed the situation and breathed new life into BOA-KENYA.

Building on this strengthened base, the bank will gradually consolidate its position among its local peers and become the Group’s hub in the AEC. Thanks to the experience and efficiency of its teams and the support of the whole Group, the bank is now present in corporate and household finance as well as in the national financial markets, and its audience is growing. Admittedly, fluctuations in the Kenyan shilling do not always allow foreign shareholders to reap the rewards of growth and profits. But all the parties involved are confident: BOA-KENYA creation, which celebrates its twentieth anniversary on 30 June, was an act of faith in the future of the continent, the coming boom in trade between its major regions and the construction of interconnected regional banking groups.

Twenty years on, these hopes are more alive than ever and there is no doubt that BOA-KENYA will confidently and successfully make its contribution.

We wish you a happy anniversary

Paul Derreumaux

BANK OF AFRICA-KENYA : L’ambition panafricaine du GROUPE BOA

De sa création en 1983 jusqu’en 2002, le réseau BANK OF AFRICA a connu un développement régulier : une implantation progressive dans 7 pays ; des activités désormais élargies au-delà des banques commerciales ; une puissance accrue illustrant ces développements. En recherche d’expansion tous azimuts, le Groupe va alors saisir une occasion exceptionnelle : celle d’une première présence en Afrique anglophone.

C’est au Kenya que se situe cette opportunité. La Banque Indosuez, en cours de fusion avec le Crédit Agricole, y possède depuis longtemps une filiale, issue de ses antécédents coloniaux. Installée à Nairobi et Mombasa-, la banque est petite mais elle est bien gérée par une équipe de qualité : elle compte de très grandes entreprises clientes à l’international, possède une bonne réputation et son portefeuille de crédits est sain.  

Le pari est très risqué : le secteur bancaire kenyan est un des plus performants et compétitifs -près de 45 banques – d’Afrique, et le Groupe BOA est absent de la zone. Mais la tentation est trop belle : les discussions s’engagent donc en 2002 avec Indosuez et dureront deux longues années. Cette aventure passionnante laissera plusieurs souvenirs inoubliables.

Pour les négociations, il faut d’abord faire admettre BOA comme interlocuteur acceptable, ce qui est assez vite obtenu grâce à un réseau désormais consistant, une bonne image et un actionnariat original. Les débats sur le prix de la transaction sont plus délicats : Indosuez met haut les « enchères ». Les négociations, menées dans le plus grand secret à Paris et Nairobi, sont difficiles, parfois au bord de la rupture. Il faut toute l’expérience des négociateurs et avocats représentant BOA pour trouver les arguments pour les diminutions de prix demandées. Toutefois, Indosuez, avant tout sensible à l’honorabilité du repreneur et aux engagements qu’il prendra, apprécie les méthodes et les objectifs de ce candidat, et un accord est finalement trouvé.

Dans l’intervalle, BOA a dû trouver un montage juridique original pour répondre aux exigences de la Banque Centrale du Kenya (BCK) pour l’actionnariat des banques commerciales. Grâce à la participation, aux côtés des holdings de tête du Groupe, des BANK OF AFRICA du Bénin, de Côte d’Ivoire et de Madagascar, le dossier d’agrément progresse. La confiance entre la holding et ses filiales, grâce à la transparence des décisions prises et l’adhésion de tous aux programmes de développement, permet encore une fois de réussir ce nouveau projet. L’arrivée ultérieure du FMO et du Fonds d’Investissement Aureos consolideront ce « tour de table » initial.

Les derniers travaux préparatoires, menés enfin à découvert, permettent de rencontrer les équipes en place. Il faut les convaincre de la qualité du projet. Celui-ci va bouleverser les habitudes antérieures – avec une banque surtout tournée à l’avenir vers les entreprises kenyanes, l’innovation dans les produits et la création de nouvelles agences – et inclura de fortes prévisions de croissance. Il offre en échange à chacun le maintien au sein de la nouvelle entité et de réelles possibilités d’évolution à l’avenir. La franchise du discours et les bons échos émis par le Groupe parviennent à l’emporter sur le handicap de son origine francophone, et l’engagement sans réserve de tous est rapidement obtenu. Après une dernière péripétie juridique rencontrée pour l’adoption de notre nom, la BANK OF AFRICA-KENYA est agréée le 30 juin 2004.

L’entrée au Kenya est une immense satisfaction pour la BOA. Les 35 millions d’habitants que compte déjà le pays et sa puissante économie, fleuron de l’Afrique de l’Est, ouvrent des perspectives inespérées. Mais le plaisir de ce succès s’accompagne sans délai de la conscience des défis à relever. Il faudra notamment réussir dans l’urgence deux lourds chantiers pour éclaircir l’horizon. Le premier est interne : le Groupe doit à la fois construire à Nairobi une organisation fidèle à sa philosophie mais adaptée aux méthodes de travail et aux approches commerciales pertinentes au Kenya, maîtriser le nouveau contexte réglementaire, conserver toute la clientèle antérieure, obtenir l’adhésion des équipes locales aux objectifs de développement et de diversification, et assurer une bonne intégration de la nouvelle filiale au sein du réseau BOA. La mobilisation de tous -salariés comme Administrateurs- permet de progresser sur ces objectifs, mais l’avancée est lente. Les aménagements du management introduits en 2008 et le soutien massif des actionnaires -avec un capital déjà quintuplé en 2010-accélèreront l’adaptation et donneront à la banque une autre dimension. Le second est externe. Pendant que l’entité prend peu à peu sa place sur le marché kenyan, le Groupe parvient à s’implanter dans les deux pays voisins : l’Ouganda en 2006, la Tanzanie en 2007. La présence de la BOA dans les trois pays de l’East African Community (EAC) change la donne et apporte à BOA-KENYA un souffle nouveau.

Appuyée sur cette base renforcée, la banque va pouvoir consolider peu à peu son rang parmi ses consoeurs locales et devenir le « hub » de BOA dans l’AEC. Grâce à l’expérience et l’efficacité de ses équipes et à l’appui du Groupe, elle est présente aussi bien dans le financement des entreprises et des ménages que sur les marchés financiers nationaux, et son public s’élargit. Certes, les variations du Shilling Kenyan ne permettent pas toujours aux actionnaires étrangers de récolter le fruit de la croissance et des résultats dégagés. Mais toutes les parties prenantes sont confiantes : l’implantation au Kenya, qui fête ce 30 juin son vingtième anniversaire, a été un acte de foi sur l’avenir du continent, l’essor prévisible des échanges entre grandes régions de celui-ci et la construction de groupes bancaires régionaux interconnectés.

Vingt ans plus tard, ces espoirs sont plus que jamais vivaces et il n’est nul doute que la BOA-KENYA y apportera avec assurance et succès sa contribution.

Joyeux anniversaire.

Pau Derreumaux

Article publié le 24/06/2024

Sénégal : retour sur les marchés internationaux de capitaux

L’émission réussie par le Sénégal d’un Eurobond de 750 millions de USD est une bonne nouvelle à trois titres.

Pour le pays, elle constitue un apport peu attendu de ressources financières additionnelles qui aideront les nouvelles Autorités politiques à concrétiser un ambitieux programme, aussi bien économique que social. Elle montre aussi la confiance des prêteurs internationaux dans la vision comme dans le pragmatisme des dirigeants récemment élus, dans la solidité de leur base politique, et dans les évolutions à court et moyen terme de l’économie sénégalaise Pour l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, elle illustre la vision optimiste que les investisseurs étrangers continuent à avoir de la solidité de la zone. En 2024, trois des quatre Eurobonds émis en Afrique subsaharienne ont en effet concerné la région : Côte d’Ivoire, Bénin, Sénégal (le 4ème étant réussi par le Kenya). Les tensions politiques et risques sécuritaires sur le territoire de certains membres demeurent donc pour l’instant moins prééminentes que les performances économiques récentes et attendues de l’ensemble de l’Union et que sa capacité à trouver des solutions aux problèmes de l’heure.

Pour l’Afrique subsaharienne entière, elle représente l’espoir reconnu à l’étranger que les transformations positives à l’œuvre dans certains pays et regroupements régionaux peuvent se renforcer et s’étendre, et l’emporter sur tous les risques possibles de dégradation. Vue de l’intérieur du continent, elle constitue un encouragement à consentir les efforts requis pour conduire ces mutations et mobiliser à cette fin une jeunesse impatiente.

Toutefois, cette réussite n’est pas sans risques.

D’abord, l’emprunt est à un taux élevé et sa durée courte. Son remboursement pèsera sur les finances publiques d’un Etat parfois considéré comme trop endetté, qui devra peut-être réaliser des économies de charges compensatoires ou une restructuration en bon ordre de certaines parties de sa dette   

Surtout, les Autorités auront la lourde responsabilité d’assurer une affectation optimale de ces ressources complémentaires. L’atteinte d’un bon équilibre entre deux impératifs est déterminante. D’abord, répondre en actes aux aspirations populaires en matière de cherté de certains coûts ou d’amélioration des protections sociales, trop attendues pour être reportées, mais d’une application souvent délicate. Par ailleurs, procéder aux dépenses productives requises pour un lancement optimal des activités pétrolière et gazière et la poursuite d’investissements urgents, comme dans l’énergie. Enfin, des questions clés, comme celle de la monnaie commune, auront à être traitées sans perturber les autres priorités.

Ces défis sont complexes. Ils exigeront innovation et audace, mais aussi rigueur. La superbe élection démocratique de juin dernier, qui interdit l’immobilisme, a toutefois montré qu’un combat juste peut triompher de beaucoup d’obstacles.

Paul Derreumaux

BANQUE DE CREDIT DE BUJUMBURA ET BANK OF AFRICA : 16 ans d’une coopération réussie

C’est dès 2006, et en raison de ses contacts étroits avec la banque Belgolaise, que le Groupe BANK OF AFRICA envisage une implantation au Burundi. Les relations entre les deux groupes bancaires existent alors depuis plusieurs années et sont excellentes : le puissant réseau international de la grande banque belge facilite les opérations étrangères des BANK OF AFRICA qui grandissent ; la Belgolaise a de son côté choisi la BOA pour négocier le possible rachat par cette dernière de certaines de ses filiales africaines. Pour l’heure, ces tentatives de cession n’ont pas abouti, mais les deux réseaux demeurent proches et ont établi des liens de confiance.

Alors que la Belgolaise subit une pression grandissante pour « alléger » son réseau africain, l’intérêt de la BOA pour ses filiales est-africaines s’accroit à la suite de l’ouverture de la BANK OF AFRICA-KENYA en juin 2004. La Banque de Crédit de Bujumbura (BCB) est donc une des entités, avec celles de l’Ouganda et de la Tanzanie, pour laquelle s’engagent des négociations. Figurant parmi les deux premières banques de la place bancaire de Bujumbura, elle permettrait une entrée en force du Groupe dans le pays. Toutefois, compte tenu de cette place essentielle, la BCB a aussi valeur de symbole et l’Etat tient à devenir majoritaire dans l’actionnariat en cas de départ de la Belgolaise. Le réseau BOA n’a nulle part l’expérience d’un partenariat avec des Autorités locales détenant la majorité des actions de la filiale et sa notoriété est loin d’atteindre celle de la Belgolaise dans cette zone géographique. Une fois la décision de principe validée, il faudra donc du temps, un montage spécifique et une forte volonté mutuelle d’aboutir pour conclure en mai 2008 l’accord pour la reprise de la Banque. Selon le schéma adopté, l’Etat renforce sa participation et détient désormais 55% du capital. Les 45% restants sont acquis par trois actionnaires, à parts quasiment égales : la holding de BOA ; l’institution BIO, structure officielle belge d’appui au secteur privé des pays en développement ; et la banque De Groof, importante banque privée belge. Tous les actionnaires acceptent de confier à BOA la responsabilité de la gestion de la banque et un contrat d’assistance technique est signé à cette fin par le Conseil d’Administration de la nouvelle BCB, qui garde son appellation antérieure. Le Directeur Général est désigné par l’Etat et son Adjoint par la BOA qui accepte, à titre exceptionnel, de renoncer à donner son nom à la Banque.

Chaque partie prenante a ainsi préservé ses préoccupations premières tout en s’efforçant de satisfaire au mieux celles des autres intervenants. L’Etat domine maintenant l’actionnariat et maintient le nom chargé d’histoire de l’institution. La BOA aura les moyens de mettre toute sa compétence technique et commerciale pour piloter la banque et maximiser le développement de celle-ci. Les autres actionnaires privés sont rassurés par le rôle confié à la BOA et, au moins pour BIO, sont bien connus de l’Etat, ce qui devrait faciliter le fonctionnement du Conseil d’Administration. Ce bon équilibre formel sera surtout servi par la volonté que mettront toujours en œuvre tous les Administrateurs, les dirigeants et l’ensemble des équipes de la Banque pour faire prévaloir les intérêts à court et moyen terme de la structure face à l’ensemble des défis à relever.

Les longues négociations pour obtenir cet accord équilibré n’ont en effet entrainé aucune perturbation dans la gestion de la BCB. Les équipes de celle-ci ont assuré avec un soin efficace pendant la transition tous les services fournis de longue date à la nombreuse clientèle, et notamment aux grandes entreprises du pays. Dans cette période, les banques Belgolaise et BOA ont coopéré pour que la crédibilité de la BCB soit maintenue au Burundi comme à l’étranger. Dès la conclusion des accords, le Groupe BOA a mis à la disposition de la Banque son expertise technique, son réseau de correspondants étrangers, ses approches commerciales innovantes et l’appui d’un réseau de filiales en expansion, et son équipe d’assistance technique a coopéré avec détermination et transparence avec le personnel local. Comme promis, et respecté partout par le réseau BOA, aucun licenciement collectif n’est intervenu. Dans le Conseil d’Administration, tous les Administrateurs ont eu à cœur d’intensifier le développement et la solidité de la Banque. En effet, il a vite été reconnu par tous que l’atteinte d’une gestion harmonieuse, d’une croissance régulière et d’une rentabilité optimale de la Banque, dans le respect des contraintes réglementaires fixées par les Autorités monétaires, était la meilleure voie pour satisfaire aux objectifs de chaque acteur, y compris au souci de l’Etat de continuer à faire de la BCB une référence historique et une institution leader du marché bancaire national.

Seize ans après ces changements, la BCB apparait avoir gagné son pari. Certes, le système bancaire est nettement plus dense, désormais relié à l’espace prometteur de l’East African Community qui a amené au pays les puissantes banques kenyanes et tanzaniennes. Mais la BCB demeure une des grandes institutions de la place, grâce à ses performances et à l’attachement que lui portent toutes les catégories de clients. Le Groupe BOA, pour sa part, a contribué activement à faciliter la modernisation de la Banque, tel qu’au plan informatique, et a développé avec la BCB une coopération permanente et multiforme : la BCB est ainsi bien intégrée dans un Groupe bancaire panafricain en gardant son autonomie

Puisse cet équilibre se renforcer continûment pour conduire la BCB et tous ceux qui participent à ses activités et à sa croissance vers d’autres succès futurs.

Paul Derreumaux

Article publié le 29/05/2024

BOA-FRANCE : Vision stratégique et ténacité

La création d’une institution financière en France est sans conteste un des projets du Groupe BANK OF AFRICA qui a mis le plus de temps à voir le jour, mais il sera peut-être un de ceux qui joueront un rôle crucial pour son futur.

Dès la naissance de la BANK OF AFRICA-MALI en 1983, l’intérêt de disposer d’une agence à Paris apparait comme une évidence au vu de l‘importance des rapatriements réguliers d’épargne de la diaspora malienne en Europe et des actions déjà menées par d’autres banques du pays pour collecter ces flux. Les rencontres en 1991 avec des représentants de la Banque de France « douchent » cependant cet enthousiasme. La jeune banque, à l’actionnariat africain privé et éparpillé, sans institution de référence, ne peut répondre aux critères des Autorités françaises de contrôle des banques. Il faudra alors se contenter d’un bureau de représentation réservé aux contacts avec la clientèle malienne installée en France et trouver des partenariats avec des structures françaises comme La Poste pour les transferts des migrants.

Cette solution est très imparfaite et produit des résultats limités. Elle est très éloignée des ambitions des dirigeants du réseau BANK OF AFRICA qui a commencé à grandir. Une nouvelle tentative est donc lancée en 1996 par la holding du Groupe. Celle-ci prendrait une participation majoritaire, en étant épaulée par une banque française partenaire de l’époque. Mais la holding n’est pas régulée par une Autorité monétaire, ce qui empêche le projet de satisfaire aux règles en vigueur : c’est un nouvel échec.

L’idée va reprendre vie en 2008. Le schéma s’est modifié. L’élargissement du réseau BOA en Afrique subsaharienne permet de composer un « tour de table » avec plusieurs BANK OF AFRICA dûment agréées par des Autorités monétaires locales : toutes celles qui sont contactées acquiescent avec engouement et détiendront ensemble une large majorité d’un capital de 5 millions d’Euros. Notre partenaire Proparco s’engage aussi pour une participation de 20%. L’agrément est cette fois accordé au début de 2009. La Banque Marocaine du Commerce Extérieur, désormais actionnaire principal du Groupe, a approuvé cet investissement, mais n’y est pas associée. Il faudra ensuite une bonne année pour installer cette nouvelle filiale, embaucher l’équipe, concevoir des procédures et une organisation adaptées aux normes françaises bancaires. Le bureau de représentation de la BOA-MALI va être intégré à la nouvelle filiale et donnera à celle-ci un premier point de contact avec la clientèle. Sur ces bases, BOA-FRANCE ouvre ses portes en mai 2010, avec un statut d’établissement financier.

La nouvelle entité affiche un double objectif : d’abord, imposer sa présence dans les rapatriements d’épargne des migrants des pays subsahariens où elle est implantée ; à moyen terme, devenir un « hub » pour les opérations internationales des filiales africaines du réseau BOA. Dans la mise en œuvre de cette stratégie, elle va affronter pendant une dizaine d’années d’importantes difficultés. Les deux nouvelles agences créées à Paris pour la clientèle africaine assurent un premier essor des activités de détail, mais la concurrence est toujours plus intense et diversifiée et freine le mouvement. Surtout, les exigences de conformité sur ces opérations se durcissent constamment et les caractéristiques de la clientèle de BOA-FRANCE rendent difficile le respect par celle-ci des contraintes fixées en la matière. L’institution doit rapidement mettre au second plan ses actions commerciales et « mettre à plat » toutes ses procédures et méthodes de travail   pour que celles-ci soient en parfaite harmonie avec les standards requis. Ceci constituera une priorité pesante et de longue haleine, menée avec patience et détermination par toute l’équipe de BOA-FRANCE et l’appui multiforme et décisif du Groupe BOA. Les buts visés seront atteints, mais la compétition féroce sur ce créneau et le durcissement du traitement en France des opérations en espèces conduisent BOA-FRANCE à fermer ses agences et à restreindre ses activités dans ce créneau qu’elle avait privilégié. Ces handicaps retardent la rentabilité de l’institution et contraignent les actionnaires à accroitre à plusieurs reprises leur investissement initial. Convaincus du bien-fondé de leur projet et confiants dans la solidité et la qualité de l’équipe et de son management, les BOA actionnaires adhèrent à chaque nouvel effort financier.

A partir de 2015, des hésitations stratégiques du Groupe entraineront une nouvelle période d’incertitudes pour BOA-FRANCE et son positionnement. Il faudra toute la volonté et la force de conviction du Directeur Général, appuyé sur l’expérience et la ténacité de son personnel, pour faire admettre les perspectives de développement de la filiale française, basculer le « centre de gravité » de la structure vers sa seconde composante stratégique, celle d’un centre d’opérations internationales pour les BOA, et même au-delà de ce périmètre, et lancer BOA-FRANCE dans une nouvelle vie sans délaisser totalement son orientation première. Près de 5 ans et des actions opiniâtres quotidiennes seront encore requises pour démontrer que cette option était pertinente. La confiance constante de toutes les BOA à BOA-FRANCE, la croissance continue du Groupe ont alimenté cet essor, que la réticence de plus en plus forte des banques françaises à coopérer avec les banques africaines a en outre involontairement renforcé. A l’aube de 2024, BOA-FRANCE est bien armée pour progresser dans cette voie prometteuse, tandis que de nouvelles possibilités éclosent pour exploiter des relations innovantes avec la clientèle privée africaine. La double orientation stratégique de l’entité, jamais abandonnée, retrouve ainsi toute son actualité.

Une bonne nouvelle pour saluer les 14 ans d’activité de BOA-FRANCE et lui souhaiter un brillant avenir !

Paul Derreumaux

L’exemple de l’East African Community (AEC) : une autre approche d’Union Economique Régionale

L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est une des régions de l’espace subsaharien les plus remarquées pour sa robuste croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) depuis plus d’une dizaine d’années, et une bonne maitrise de l’inflation grâce à l’arrimage de sa monnaie à l’EUR, mais elle préoccupe par les tensions politiques et sécuritaires qui la touchent aujourd’hui. A plusieurs milliers de kilomètres de là, une autre Union se distingue aussi par son dynamisme, ses ambitions et ses réussites récentes : l’East African Community (AEC). S’il est vraisemblable que les deux zones pourraient peser sur le destin du continent en raison de leur poids croissant, elles offrent en tout cas des « modèles » de construction assez différents.

Le périmètre de l’AEC a connu ces deux dernières années une augmentation considérable. Reconstituée en 2000, après une mise en parenthèse de plus de 20 ans, par ses trois fondateurs -Kenya, Ouganda et Tanzanie-, la Communauté Est Africaine s’est étendue en 2007 au Burundi et au Rwanda, puis au Sud-Soudan en 2016. Elle a surtout inclus en 2022 la République Démocratique du Congo (RDC) et ses quelque 100 millions d’habitants, et vient d‘accueillir la Somalie comme 8ème membre.

L’ensemble pèse lourd. L’AEC couvre aujourd’hui 16% de la surface du continent – plus de 20% de sa partie subsaharienne-, traverse l’Afrique d’Ouest en Est et s’ouvre désormais à la fois sur l’Océan Atlantique et, largement, sur l’Océan Indien. Sa population globale dépasse maintenant 300 millions d’habitants, soit 25% de toute l’Afrique subsaharienne et plus de 2 fois celle de l’UEMOA. Elle augmente de plus de 2% par an et compte quatre poids lourds de la démographie africaine : Tanzanie, Ouganda et Kenya, et surtout la RDC dont la croissance est la plus rapide du continent et qui pourrait être le 2ème Etat subsaharien le plus peuplé en 2050. Le PIB cumulé des 8 pays atteint en 2022 307 milliards de dollars US, ce qui en fait globalement la 3ème puissance subsaharienne et représente environ 1,65 fois le PIB de l’UEMOA. La répartition est cependant fort inégale : le Kenya assure à lui-seul le tiers de l’ensemble, et la Tanzanie et l’Ouganda réunis un second tiers ; pour le reste, la RDC fournit l’essentiel malgré le faible niveau du revenu par habitant.

L’évolution et la situation actuelle de l’AEC sont pour une bonne part le résultat de l’approche pragmatique et libérale des trois pays fondateurs de l’Union, caractéristique de leur culture anglophone : s’appuyer sur le dynamisme et les atouts respectifs de chacun pour construire un grand marché où l’essor des entreprises locales peut s’exprimer le plus aisément avec des contraintes politiques communes minimales et la préservation optimale par les Etats des intérêts nationaux. Le Kenya a joué le rôle de pionnier et de premier bénéficiaire dans cette approche de terrain, grâce notamment à l’avance d’un appareil industriel puissant et diversifié, et à la sophistication de son système financier. Mais Tanzanie et Ouganda ont pu en tirer profit en restant vigilants sur les particularités – historiques, politiques, sociologiques, ..- qui leur semblaient essentielles à sauvegarder tout en utilisant au maximum cette ouverture des économies. Beaucoup des entreprises et des banques ont donc adopté une stratégie régionale qui a permis à la fois de stimuler leur propre croissance et de diffuser dans les trois pays des progrès structurels. Les structures communautaires ont veillé par ailleurs à encourager ces tendances de renforcement des liens économique régionaux – création d’une zone de libre-échange en 2008 ; mise en place d’un marché commun régional en 2010 pour favoriser la circulation des biens, personnes et capitaux, avec une protection de l’extérieur assurée par un tarif unique. Mais cette libéralisation a laissé à chaque Etat beaucoup de prérogatives régaliennes : on compte ainsi dans l’AEC autant de monnaies et de banques centrales que de pays et plusieurs Etats ont créé leur propre bourse mobilière.  Les ambitions fortes comme une monnaie commune et une construction plus fédérale restent affichées, mais le terme de leur réalisation a été mis au second plan.

En adoptant cette optique, les dirigeants de l’EAC ont donc visé avant tout des objectifs limités en termes d’intégration structurelle, mais surtout volontaristes en matière de croissance économique, en s’appuyant sur des politiques suffisamment concrètes et solides pour être utiles à des acteurs dynamiques dans un marché en expansion rapide. L’évolution historique de l’AEC observée depuis 2007, rappelée ci-avant, témoigne de l’attraction de cette politique et quelques exemples montrent ses impacts positifs. Les données géographiques et démographiques, déjà citées, parlent d’elles-mêmes. Au plan des ressources naturelles, on trouve maintenant dans l’immense espace de l’AEC aussi bien de riches cultures d’exportation -café, thé, fleurs du Kenya, d’Ouganda, de Tanzanie – que des zones forestières et, surtout, une large gamme de produits miniers allant du pétrole en Ouganda aux métaux rares -cobalt, coltan,..- dont est si bien dotée la RDC. Les puissantes banques kenyanes -le bilan d’Equity Bank, première banque kenyane, est 2 fois supérieur à celui de la Société Générale de Côte d’ivoire -, grâce à des rachats ou de nouvelles implantations, sont en train de devenir dominantes en RDC comme elles l’avaient fait au Sud-Soudan où elles ont ouvert des filiales vite florissantes dès l’indépendance de ce pays. Elles accélèrent ainsi l’inclusion financière dans toute la région. L’AEC a aussi la chance de posséder des membres précurseurs dans certaines infrastructures. Le Kenya est numéro 1 en Afrique pour l’éolien, grâce à son parc géant de Turkana, et pour la géothermie, par ses installations dans la vallée du Rift. Il pourrait être une locomotive pour rattraper le retard considérable de la RDC ou de la Somalie. L’AEC est aussi une exception en matière ferroviaire avec plus de 7000 kms de voies ferrées opérationnelles et de nouveaux projets d’extension. Le Kenya abrite un appareil industriel de grande envergure et de large composition qui a déjà commencé à inspirer ses deux voisins immédiats. Le tourisme est un secteur prospère, sous des formes variées, aussi bien en Tanzanie et au Kenya qu’au Rwanda.

D’autres impacts espérés devraient être cependant plus lointains ou incertains à l’avenir. En particulier, le nouvel ensemble, s’il a gagné en taille, a aussi perdu en homogénéité -linguistique, culturelle, de niveau de vie-, ce qui peut rendre plus difficiles les mutations structurelles profitables à plusieurs pays. De plus, les investissements industriels et en infrastructures, stratégiques pour les derniers membres arrivants, risquent de prendre du temps pour se concrétiser et porter leurs fruits. Surtout, deux questions majeures interpellent. La première, ancienne, est d’ordre monétaire. Le shilling kenyan, le moins fragile dans l’EAC, a ainsi perdu plus de 50% de sa valeur par rapport au Dollar US de 2000 à 2024 contre 15% seulement pour le FCFA sur la même période, le repli ayant été plus élevé pour l’Ouganda et la Tanzanie. Cette situation a des effets variés. Ainsi, selon les données de la Banque Mondiale, le revenu par habitant du Kenya en dollars courants a crû deux fois plus vite que celui de la Côte d’Ivoire sur ces deux décennies, mais la même variable exprimée en parité de pouvoir d’achat a été dans le même temps plus performante de 10% en Côte d’Ivoire. De même, les soubresauts du Shilling absorbent souvent une partie notable des bénéfices des sociétés pour les actionnaires extérieurs et peuvent freiner des investissements encouragés par d’autres motifs.  Ces constats tendent à confirmer qu’une monnaie, quelle qu’elle soit, ne constitue ni un handicap dirimant pour le développement économique, ni un avantage décisif face à cet objectif. Le secret de la performance se trouve davantage dans d’autres facteurs, liés à la sphère réelle et à la qualité de la vision et des politiques économiques. La seconde interrogation, plus récente, est que les élargissements récents de l’EAC ont eu lieu alors même que des tensions politiques semblaient s’exacerber entre membres et postulants, le cas le plus marquant concernant la RDC et le Rwanda. Certaines adhésions ont aussi été agréées alors qu’elles pouvaient gêner les relations avec de puissant voisins, tels le Soudan pour le Sud-Soudan et l’Ethiopie pour la Somalie.  Il apparait donc que les motivations et critères d’adhésion sont essentiellement économiques, tablant sur une espérance d’amélioration par effet d’entrainement dans un espace performant, mais aussi que les différences politiques entre membres, même majeures, n’ont pas entrainé jusqu’ici d’arrêt des synergies ni de volonté de scission. Il reste à voir si cette conception saura être maintenue alors que des tensions s’avivent entre certains membres de l’EAC.

L’évolution des vingt dernières années ne semble pas encore indiquer si, dans la comparaison possible entre l’AEC et l’UEMOA, l’une des deux Unions aurait durablement pris le pas sur l’autre en termes de perspectives. En économie, les indicateurs témoignent des importantes avancées des deux espaces régionaux, les atouts et handicaps de l’un et de l’autre l’emportant tour à tour selon la conjoncture, notamment internationale. En politique, le niveau variable d’intégration des deux communautés rend difficile l’appréciation de leurs succès et échecs respectifs. Cette « compétition » peut être bénéfique. En cette période où surgissent beaucoup de remises en question, fortifier de toutes manières les constructions régionales les plus crédibles, parfois en imaginant qu’elles peuvent susciter des inspirations réciproques, est sans doute un bon moyen de faire progresser à la fois la paix et le mieux-être pour tous.

Paul Derreumaux

L’implantation de la BANK OF AFRICA-GHANA : un pari osé mais pertinent.

Début 2011, le Groupe BANK OF AFRICA va enfin pouvoir saisir une opportunité qu’il guettait depuis longtemps : s’implanter au Ghana. Ce pays est alors déjà considéré comme l’un des plus prometteurs en Afrique de l’Ouest, tant par ses atouts économiques que par le dynamisme de ses entreprises et par la vitalité acquise par sa démocratie. Certes, la valeur de sa monnaie connait d’importants à-coups au niveau international et l’ouverture du pays aux banques nigérianes a encore durci la concurrence dans un secteur financier animé et diversifié. Mais la recapitalisation imposée par la Banque Centrale du Ghana en 2010 amène certaines banques locales à rechercher des partenaires pour continuer leurs activités. Encouragée par la série d’expansions réussies menées depuis 2006, la holding du Groupe décide donc d’explorer les possibilités d’une implantation.

Les premiers contacts sont difficiles face à des interlocuteurs souvent peu pressés d’accueillir des actionnaires étrangers et de partager leurs ambitions. Après un premier échec, les discussions se révèlent cependant prometteuses avec Amalgamated Bank (AMAL BANK). Le Groupe retrouve dans la personnalité des dirigeants, dans leur approche de terrain, dans l’attention qu’ils portent à leur banque, dans la transparence des négociations menées avec eux, beaucoup de points qui ont marqué la culture de la BANK OF AFRICA depuis près de trente ans. Chaque partie défend bien sûr ses intérêts mais conduit les négociations de manière constructive avec la volonté d’aboutir. La Banque Centrale, vigilante, précise ses exigences mais manifeste aussi son ouverture et donne de précieux conseils à chaque partie. Dans cet environnement anglophone moins familier au Groupe – l’apprentissage n’a démarré qu’en 2004 au Kenya-, les contraintes sont plus pesantes face à des pratiques commerciales et une réglementation différente, et devant des concurrents aguerris et des clientèles bien informées.  Malgré tout, les choses progressent bien. Les avancées sont facilitées par l’appui qu’apportent les anciens actionnaires et administrateurs, tous restés au cœur du dispositif de la nouvelle Banque, aussi bien que par la coopération active des équipes de AMAL BANK, rassurées par notre engagement de ne procéder à aucun licenciement.

Avant la fin du premier trimestre 2011, l’agrément est accordé et la BANK OF AFRICA-GHANA (BOA-GHANA) peut démarrer ses activités. Les débuts ne sont pas faciles dans une économie soutenue par une croissance solide mais handicapée par des taux d’intérêts élevés et les contraintes monétaires. Mais l’énergie et la solidarité de tous permettent à BOA-GHANA de mettre en oeuvre progressivement des caractéristiques fondamentales de la  BOA -ouverture d’agences, évolution vers une banque tous publics – et de s’inscrire au mieux dans les circuits de financement ouverts aux banque. En 2018, BOA-GHANA traversera avec succès la phase difficile imposée aux banques ghanéennes par un triplement en 18 mois de leur capital social minimum : elle figurera ainsi début 2019 parmi les 23 banques rescapées alors que 11 devront cesser leurs activités Il n’est nul doute que le franchissement de cet obstacle a renforcé les ambitions de la Banque  et lui ouvre les portes d’importants développements à venir.

Bon anniversaire à la BANK OF AFRICA-GHANA et à ses équipes, et beaucoup de réussites futures à savourer.

Paul Derreumaux

The setting up of BOA-GHANA: A daring but relevant bet.

At the beginning of 2011, the BANK OF AFRICA Group will finally be able to seize an opportunity it has been waiting for a long time: to build a footprint in Ghana. At the time, the country was already considered as one of the most promising in West Africa, both in terms of its economic assets and the dynamism of its businesses and the vitality acquired by its democracy. Admittedly, the value of its currency was experiencing significant international shocks and the country’s opening up to Nigerian banks had further tightened competition in a dynamic and diversified financial sector. But the recapitalisation imposed by the Central Bank of Ghana in 2010 led some local banks to look for partners to continue their activities. Encouraged by the series of successful expansions carried out since 2006, the Group’s holding company decided to explore the possibilities of setting up a company.

Initial contacts were difficult in front of interlocutors who were often reluctant to welcome foreign shareholders and share their ambitions. After an initial setback, however, discussions with Amalgamated Bank (AMAL BANK) proved promising. The Group finds in the personalities of the managers, in their approach in the field, in the attention they pay to their bank, in the transparency of the negotiations conducted with them, many points that have marked the culture of the BANK OF AFRICA for nearly thirty years. Of course, each side defends its own interests, but conducts the negotiations constructively with the will to succeed. The Central Bank, vigilant, clarifies its requirements but also shows its openness and gives valuable advice to each party. In this English-speaking environment, which is less familiar to the Group – apprenticeships only started in 2004 in Kenya – the constraints are heavier in the face of different business practices and regulations, and in the face of seasoned competitors and well-informed customers. Despite this, things are progressing well. Progress has been facilitated by the support of former shareholders and directors, all of whom have remained at the heart of the new Bank’s system, as well as by the active cooperation of AMAL BANK’s teams, reassured by our commitment not to make any lay-offs.

Before the end of the first quarter of 2011, approval was granted and the BANK OF AFRICA-GHANA (BOA-GHANA) was able to start operations. The beginnings were not easy in an economy supported by constant dynamism but handicapped by high interest rates and an internationally unstable currency. But thanks to the energy and solidarity of involved, BOA-GHANA was able to gradually implement the fundamental characteristics of the BOA – opening branches, evolution towards a bank for all public – and to be part of the financing circuits open to banks. In 2018, BOA-GHANA successfully go through the difficult phase imposed on Ghanaian banks by tripling their minimum share capital in 18 months: it will thus be among the 23 banks restated in early 2019 while 11 will have to cease their activities. There is no doubt that overcoming this hurdle has strengthened the Bank’s ambitions and opened the door to important future developments.

Happy birthday to the BANK OF AFRICA-GHANA and its teams and many future successes to savour.

Paul Derreumaux

BOA-BURKINA FASO … plus de 25 ans de croissance continue

En se tournant vers le Burkina Faso début 1997 pour y installer sa 5ème filiale après avoir racheté deux banques, au Niger puis en Côte d’Ivoire, le Groupe BANK OF AFRICA revient à ses premières expériences : créer un établissement ex-nihilo comme il l’a déjà fait à ses débuts au Mali et au Bénin. La période et le lieu sont favorables à ce nouveau pari.

Le réseau BANK OF AFRICA (BOA) a maintenant plus de 10 ans d’existence : il a acquis une bonne réputation dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) où il a gagné en puissance et en rentabilité grâce aux évolutions positives de ses quatre établissements en activité. L’économie du Burkina Faso est certes encore modeste, mais elle progresse régulièrement en s’appuyant notamment sur une agriculture solide et diversifiée, et sur une classe de commerçants actifs et bien organisés. De plus, le système financier national, longtemps inchangé, connait quelques transformations qui peuvent faciliter la croissance des entrants. Dans le même temps, l’UEMOA ouvre de belles perspectives aux banques qui, comme la BOA, ont décidé d’utiliser au mieux toutes les opportunités d’une approche en réseau dans un espace financier bien intégré : cette empreinte géographique additionnelle consolide donc aussi le Groupe.

Le premier essai est celui du rachat d’une entité en restructuration, mais la compétition tourne au profit d’une banque française qui a maintenant disparu du paysage local. Qu’importe, car la décision est prise et les expériences du Mali et du Bénin ont laissé aux équipes les acquis pour piloter tambour battant les principales phases préparatoires à une création. Le tour de table est d’abord concrétisé selon les principes habituels d’un équilibre optimal : la holding du Groupe ; des actionnaires privés burkinabés motivés et crédibles ; deux institutionnels déjà partenaires, Cauris et FMO, auxquels vont s’ajouter les BOA du Bénin, du Mali et du Niger. Confectionné dans l’été 1997, le dossier de demande d’agrément est accepté dès septembre de la même année. Un grand immeuble en construction est identifié pour le futur siège et, grâce à la vigilance de tous les instants des dirigeants et des actionnaires, sera finalement disponible en mars 1998.

Une banque école s’est mise en place fin 1997 pour former la vingtaine de jeunes recrues qui viennent d’être rigoureusement sélectionnées. La formation approfondie qui y est donnée met en valeur leurs qualités -compétence, sérieux, solidarité, engagement-, qui seront retrouvées dans tous les renforts qui les rejoindront selon le même processus au fur et à mesure que la banque grandit. Ces ressources humaines assureront à la BANK OF AFRICA-BURKINA FASO (BOA-BURKINA FASO) une régularité exemplaire dans sa progression et ses performances, et quelques-unes dirigeront plus tard avec brio d’autres banques du Groupe.

Le reste va très vite. BOA-BURKINA FASO entrouvre ses portes le 12 mars 1998 pour tester son personnel et son fonctionnement et accueille le public le lundi 23 mars. Le succès qu’elle rencontre alors ne se démentira jamais, alimenté notamment par le soutien décisif de ses actionnaires nationaux, la disponibilité de ses équipes et l’audience croissante du Groupe. Il conduira la Banque avant 2010 dans le trio de tête des établissements burkinabés, qu’elle n’a pas quitté. La cotation en Bourse de ses actions en 2010, parfaitement réussie, reste un des points d’orgue de cette belle odyssée qui se poursuit toujours.

Bon anniversaire à la BOA-BURKINA et belle série de prouesses pour l’avenir…

Paul Derreumaux