Sommet pour un nouveau pacte financier mondial : Une ambition bien ciblée ?

Trois mois déjà que s’est tenu à Paris le « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial ». Il ne faut certes pas bouder le plaisir de voir le sujet du développement économique mis sur le devant de la scène. Toutefois les résultats obtenus dans cette nième réunion « de haut niveau » sont-ils à la hauteur des prévisions ? Et ne pouvait-on imaginer un autre contenu des débats ?

Ce sommet a bien atteint ses objectifs pour la qualité du public qui y a participé – 40 Chefs d’Etat et plus d’une dizaine de dirigeants des plus grandes institutions internationales de financement-, pour l’audience dont il a bénéficié et pour les bonnes intentions manifestées par les représentants des plus puissants pays représentés. Même si, dans leur majorité, les Présidents des pays du G7 étaient absents, les deux camps – celui des bailleurs de fonds et celui des receveurs de financements – étaient bien qualifiés pour tenter de progresser. Mais le format retenu -centré sur deux jours de communications présentées par les participants – était plus favorable au rappel des positions respectives de chacun qu’aux avancées issues de négociations serrées. Plusieurs autres facteurs expliquent aussi la modestie des résultats concrets. Le sommet prévoyait de traiter à la fois des moyens d’accélérer la croissance économique des pays les moins avancés, d’un côté, et de mieux lutter contre le dérèglement et le réchauffement climatiques, de l’autre. Or, tous n’accordent pas, avec juste raison, la même urgence aux deux sujets comme l’a rappelé le professeur Diwan: « Les pays riches évoquent des réformes sur le long terme alors que les pays pauvres ont besoin d’aide sur le très court terme ». Il aurait donc pu être préférable de se limiter à la première question, pour éviter des points de friction sur le financement des actions visant le climat dans les pays en développement ou sur la priorité à donner aux créations d’emplois plutôt qu’à la surveillance du « bilan carbone »  

Surtout, les nations du Nord partaient avec un handicap de confiance vis-à-vis de leurs interlocuteurs en raison de nombreuses promesses passées non tenues.. Ainsi, l’engagement pris de longue date par les Nations Unies d’une affectation de 0,7% du budget des Etats les plus riches aux programmes de développement des pays du Sud n’est à ce jour appliqué que par une partie de l’Europe du Nord. Sur ce même plan, la prise en compte dans cette aide publique des concours financiers de grande envergure accordés à l’Ukraine à la suite de la guerre que celle-ci subit a montré a contrario combien la part des autres destinataires se réduisait. Dans un autre domaine, l’apport annuel de financements d’au moins 100 milliards de USD à partir de 2020 promis depuis la COP 15 aux nations en développement pour leur lutte contre le réchauffement climatique n’aurait été atteint -durablement ? – que cette année.

Pour que ce sommet reste dans les annales, il aurait donc peut-être été plus productif qu’il permette avant tout la finalisation de quelques propositions majeures encore en suspens. En la matière, le déblocage juridique des formalités de création des 100 milliards de Droits de Tirage Spéciaux (DTS) au profit des pays pauvres est une excellente nouvelle, mais qu’il convient encore de transformer rapidement en une mise à disposition de ces fonds aux bénéficiaires à travers le « Fonds pour la Résilience et la Durabilité » De même, la constitution à bref délai du mécanisme d’urgence envisagé à la COP 27 pour le financement dans les territoires les plus démunis de programmes de réaction à des catastrophes naturelles -le » Fonds dit Lula »- comblerait un vide pénalisant. Ces mesures globales compléteraient efficacement les quelques résultats obtenus durant le sommet sur des dossiers spécifiques à quelques pays comme l’Afrique du Sud, le Sénégal et la Zambie. Elles inciteraient aussi les grandes puissances émergentes, telles celles des « BRICS » qui ont tenu tout récemment leur sommet -sans Poutine- bien médiatisé lui aussi, à offrir eux-mêmes des améliorations notables pour garder toute leur attractivité.

 En restant centrés sur les contraintes du développement économique pour les nations les moins favorisées, certaines autres actions auraient pu être utilement proposées pour une rapide mise en oeuvre. Le sommet s’est en effet concentré sur les questions macroéconomiques. Celles-ci sont bien sûr capitales. L’accord sur les DTS a fait l’objet de longues batailles et est un progrès réel. Il en est de même pour l’accord de principe de la Banque Mondiale et de quelques pays sur la suspension des remboursements de dettes des zones touchées par une catastrophe climatique. L’idée lancée d’une augmentation drastique des capacités de financement des banques internationales de développement est également susceptible d’accroitre fortement les moyens d’action de celles-ci et de stimuler les financements des bailleurs privés. Mais ces deux dernières suggestions imposeront de rudes débats pour leur application pratique et sont des évolutions possibles de longue haleine.

A côté de ces pistes de moyen terme, l’atteinte de solutions pour divers problèmes posés de longue date serait aussi un catalyseur du développement économique, mais relève surtout de patientes actions de terrain. Certaines sont très souvent évoquées comme la nécessité pour les partenaires techniques et financiers (PTF) de mieux prendre en compte les besoins des bénéficiaires finals des projets ou l’urgence de trouver des modalités plus performantes pour soutenir les petites et moyennes entreprises. Deux autres exemples peuvent aussi être cités.

Le premier est celui d’une mobilisation plus efficace des financements disponibles. Dans beaucoup de cas, et notamment en Afrique subsaharienne, de meilleures performances pourraient être obtenues au moins à trois niveaux. Celui du rythme et du taux de décaissement  traditionnellement faibles -parfois moins de 50% des montants attribués- des aides et crédits accordés aux Etats. Celui des montants perdus en raison de montages non optimaux ou de possibles surfacturations. Celui des conditions préalables inadaptées ou excessives parfois formulées par des donateurs, des prêteurs, ou des bureaux d’études, qui retardent et renchérissent le coût des investissements prévus. Une mobilisation déterminée sur ces trois aspects relèverait très significativement le volume des projets financés.

Un deuxième effort spécifique devrait concerner le renforcement accéléré des capacités énergétiques. Dans la plupart des pays africains par exemple, les énergies renouvelables sont abondantes, mais particulièrement sous-employées, et spécialement l’énergie solaire, alors que l’accès à l’énergie est encore trop souvent plus rare et plus coûteux que dans d’autres régions en développement. Or, l’élimination des blocages qui  produisent cette contradiction peut être menée par plusieurs angles d’attaque: priorité donnée aux constructions de centrales électriques utilisant des énergies renouvelables, et notamment le solaire ; appui financier, juridique et technique aux Etats pour faciliter le montage des grands investissements en partenariat public-privé (les mécanismes PPP) ; augmentation massive des dons et prêts bonifiés au niveau international pour les projets en « énergie propre » s’ils sont plus onéreux ; meilleure libéralisation du secteur afin d’améliorer les performances du service offert et l’accès à celui-ci, surtout dans les campagnes ; attention portée à l’optimisation des réseaux de distribution. Un Plan Energie pour l’Afrique, un moment envisagé, serait sans doute un levier décisif de changement, s’il se décline en une succession d’étapes réussies et visibles par tous. Un tel plan aurait en outre des retombées positives dans la lutte contre le dérèglement climatique dans les pays concernés.

Le sommet de Paris a confirmé un cap déjà défini en le renforçant d’ambitions quantitatives supplémentaires, pour tenter d’accélérer le développement économique partout où il tarde à s’installer. Mais le « nouveau pacte » annoncé apparait loin d’être abouti et surtout, n’a guère inclus des changements fondamentaux de doctrine ou de méthode. Peut-être étaient-ce pourtant ces transformations, nécessaires et déjà connues, qui auraient le mieux convaincu les participants du Sud. Elles risquent certes d’être aussi difficiles à obtenir que les changements d’échelle des financements, car elles supposent une volonté forte, multiforme et constante de tous les partenaires, bailleurs et emprunteurs, à mettre en pratique sur tous les chantiers ouverts. Mais cette complexité ne doit-elle pas pousser à lui conférer l’urgence absolue, même si ces actions sont moins spectaculaires ? Pour construire une maison solide, il faut que ses fondations le soient d’abord.

Paul Derreumaux

COP 27 : Evitons de nous tromper de priorités !

Sept ans et six autres Conférences Internationales sur le Climat (COP) après celle de 2015, après des rapports du Groupe d’Experts sur le Climat (GIEC) de plus en plus inquiétants sur l’évolution de la situation, l’optimisme de la COP21 semble retombé pour au moins trois raisons. D’abord, les pays les plus riches ont pris du temps pour s’appliquer à eux-mêmes, à leurs entreprises et à leurs citoyens les mesures qu’ils avaient eux-mêmes définies en en sous-estimant les difficultés d’application, les coûts et les réticences des agents concernés : des retards se sont donc accumulés, variables selon les pays, entre les performances et les prévisions. En outre, ces mêmes pays n’ont pas encore porté au niveau promis les soutiens financiers volontairement pris en 2009 pour un total annuel de 100 milliards de USD au profit des nations en développement, afin d’aider celles-ci à réaliser leurs programmes de résistance aux effets des changements climatiques. Après cet effet d’annonce, si tristement habituel, les sommes décaissées ne culmineraient actuellement qu’aux environs de 80 milliards de USD , avec des contenus qu’il conviendrait d’analyser de près. Enfin, les « accidents » climatiques ont été en 2022 d’une ampleur, d’une multiplicité de formes et d’une empreinte géographique rarement atteintes. Ce constat a en revanche renforcé partout la prise de conscience des bouleversements en cours et la pression des opinions publiques pourrait bousculer dirigeants politiques et économiques pour une accélération des actions en cours.

Devant ces nouvelles donnes, trois aspects méritent d’être pris en compte.

Le premier est qu’un sujet central retenu pour Charm El Cheick semble être particulièrement ardu : celui de la définition des responsabilités des grands « pollueurs » dans les catastrophes climatiques que subissent les pays en développement, notamment africains et asiatiques, et, en conséquence, de la prise en charge des « réparations et dommages » qu’ils devraient payer aux nations victimes. Les problèmes techniques, juridiques, éthiques, financiers, administratifs, liés à cette approche nécessiteraient, dans le meilleur des cas, un temps de « mûrissement » s’adaptant mal à l’urgence des situations à régler. Il serait sans doute préférable de privilégier la création d’un mécanisme, aussi simple que possible, de création d’un Fonds d’urgence tel que celui préconisé par le Président brésilien Lula. Ce Fonds serait destiné à financer les dégâts et les investissements résultant de catastrophes naturelles induites pat le réchauffement climatique dans les pays les plus pauvres, sans recherche de la responsabilité d’autres États dans de tels évènements. Avec l’attention désormais portée à ces questions, le Fonds pourrait bénéficier de ressources publiques, mais aussi privées, conséquentes. Des procédures adaptées à son objet permettraient un déblocage rapide de ses ressources. L’utilisation pertinente de celles-ci par les pays victimes restera un risque central, mais il pourrait être prévu l’intervention d’organismes internationaux habitués à la gestion de dossiers urgents, et un contrôle serré du bilan des premières expériences afin de mener les éventuelles adaptations requises.   

Le second est le constat d’accélération récente des avancées obtenues dans la réduction des émissions de CO2, principale cause du réchauffement, dans un nombre croissant de secteurs et d’entreprises des pays économiquement avancés. Ceux-ci concernent bien sûr la montée en puissance des énergies renouvelables, mais aussi des processus de fabrication industrielle, de récupération des déchets, de modification des pratiques agricoles. Ils touchent d’abord les grands groupes, les plus puissants financièrement et en matière de recherche/développement, mais encore des entreprises plus modestes qui y trouvent aussi leurs avantages. Ces entreprises sont aidées par les États qui apportent subventions, prêts et marchés, mais aussi par les clients, prêts à payer plus cher des produits correspondant mieux à leurs aspirations de qualité et de durabilité. Dans les nations où l’État est le plus « directif », comme en Chine, ces transformations sont les plus rapides -mais elles partent de « plus bas »-, mais la compétition mondiale toujours présente et la sensation que les meilleurs dans ces nouveaux « business models » seront les futurs leaders font que les entreprises y accordent elles-mêmes partout de plus en plus d’importance. C’est sur ce terrain que le combat à court terme pourra surtout progresser au quotidien comme en témoigne l’amélioration récente des indicateurs mondiaux.

Le troisième a trait aux pays en développement les plus fragiles. Dans beaucoup d’entre eux, la pression des urgences multiples et la faiblesse des volontés politiques sont aussi décisives que le manque de moyens financiers pour expliquer la lenteur des progrès dans la lutte contre le dérèglement climatique. Cette situation ne devrait hélas pas changer de sitôt. En matière d’énergie par exemple, le retard de nombreux pays africains dans l’accès à l’électricité est dû aussi aux obstacles juridiques pour le montage de projets privés en Public Private Partnership (PPP) » et aux réticences à accepter la production d’énergies indépendantes pour alimenter les réseaux nationaux. Face à ces difficultés, quelques priorités pourraient être retenues dans les régions les moins favorisées. Dans les nations les plus engagées dans la lutte environnementale, les financements internationaux sont à intensifier fortement au service d’investissements déjà identifiés localement, comme dans l’énergie, d’une part, et une agriculture de subsistance performante et incorporant au maximum la transformation des produits du cru, d’autre part. Ailleurs, l’accent pourrait être mis sur des actions de base, de coût limité mais cruciales pour éviter les drames liés aux accidents climatiques : reboisement, assainissements urbains, arrêt des constructions en zone inondable,  amélioration de l’habitat,…

Assurer en urgence une réponse financière aux catastrophes dans les zones fragiles, stimuler les programmes des grandes entreprises pour réduire leurs effets négatifs sur le climat, appuyer les pays défavorisés dans leurs travaux aux impacts les plus immédiats sur leurs populations : tels sont sans doute quelques moyens de produire d’ici un an un bilan positif qui encouragerait la production d’initiatives nouvelles pour la prochaine COP. 

Paul Derreumaux