Prévisions économiques : Le pire n’est jamais sûr…

Une bonne partie du monde avait connu en 2021 une nette reprise économique après le recul subi l’année précédente en raison de la pandémie du Covid -19. L’année 2022 a été au contraire marquée de nouveau par deux perturbations majeures.

Dès février 2022, la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales qui ont rapidement suivi ont développé des effets multiples – économiques, logistiques, politiques – au niveau international. Ce furent notamment une hausse, rapide et vigoureuse, des prix du pétrole et du gaz, le fort renchérissement d’autres matières essentielles -produits agricoles, engrais, ..-, des difficultés d’approvisionnement de ces produits dans certains pays, et la nécessité de reconstruction de nombreux circuits commerciaux. Certes, certains prix ont reflué de leurs pics en cours d’année, tel le pétrole dont le prix du baril WTI est passé en 2022 de 77 USD en janvier à 121 USD début juin avant de se replier à 77 USD en mars 2023. La poursuite de cette guerre tout au long de 2022 et les réactions adoptées de part et d’autre ont cependant menacé l’Europe d’une crise énergétique fin 2022. Elles ont aussi requis des ajustements souvent difficiles pour transformer profondément et durablement la structure, les flux et les coûts du « mix-énergétique ».

La généralisation sectorielle et géographique de ce dérapage des prix a poussé l’inflation à des niveaux inusités depuis longtemps : près de 9% aux Etats-Unis et plus de 10% en Europe dans l’année écoulée, L’ampleur et l’absence de visibilité sur la durée de ce phénomène ont amené les principales banques centrales à abandonner progressivement leur politique de taux d’intérêt bas et de soutien de la liquidité des banques , provoquant un second traumatisme économique. La Federal Reserve américaine a ouvert la voie depuis déjà près d’un an, avec des a-coups parfois brutaux, et ses taux directeurs ont plus que doublé en neuf mois pour s’élever à 4,75% en décembre dernier, un bouleversement oublié depuis longtemps. D’autres banques centrales -Angleterre, Union Européenne, même le Japon -l’ont suivie. Au vu de l’importance du crédit dans le fonctionnement des économies les plus avancées, ces mesures visaient à durcir mécaniquement l’obtention de financements afin de peser sur la croissance et de ralentir l’inflation.

La conjonction de cette montée irrésistible des prix et de la volonté prioritaire des banques centrales des pays les plus puissants de la faire refluer a assombri les perspectives à court terme de la croissance économique mondiale. Les marchés boursiers ont été les premiers à subir ce mouvement tant pour les obligations, par conséquence directe de la hausse des taux, que les actions, par suite des incertitudes croissantes sur le futur et d’un asséchement des financements à coût négligeable, en particulier pour les secteurs des nouvelles technologies. Les indices SP 500 à New York et CAC 40 à Paris ont ainsi reflué jusqu’en début octobre dernier respectivement de 23% et 20% par rapport à leurs maximaux de début 2022. Les politiques économiques, notamment européennes, ont été réorientées à la fois vers la « sobriété » et la défense du pouvoir d’achat plutôt que vers des investissements visant la croissance. Les prévisions d‘évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) pour l’année échue ont été abaissées, et sont même parfois devenues négatives. Le net repli de l’Euro face au dollar US- -16% de fin janvier à fin octobre 2022, ramené depuis à -7% en mars courant-  a encore exacerbé les tendances inflationnistes dans l’Union Européenne.

L’Afrique a été entrainée dans les divers mouvements de cette période erratique : de manière positive pour les pays exportateurs de pétrole et d’autres matières premières aux cours en hausse ; de manière négative pour les autres, plus nombreux, subissant le renchérissement de leurs importations, l’impact fréquent d’une forte dépendance aux produits russes ou ukrainiens et l’extension de l’inflation à la plupart des secteurs.  Les subventions publiques au profit de certains produits ou activités ont été variables en fonction des moyens financiers des Etats et de leur capacité à mobiliser des financements spécifiques des bailleurs de fonds internationaux, très focalisés sur l’Ukraine. Les zones CFA, souvent préservées des lourdes hausses de prix, ont été cette fois pénalisées par le recul notable de la valeur relative de l’Euro.

Dans ce contexte mondial plutôt hostile, tous les acteurs ont mobilisé leurs moyens de riposte, parfois aidés par le sort. La pénurie redoutée d’énergie a été ainsi évitée en Europe avec l’aide d’un hiver spécialement clément. La nécessité a obligé beaucoup d’entreprises à aménager avec réussite leurs processus de production pour des économies d’énergie, des améliorations de productivité, des progrès dans les transformations favorables à l’environnement. L’essor des énergies renouvelables a atteint des records imprévus tandis que de nouveaux circuits d’approvisionnement en gaz se sont mis en place. Les ménages ont démontré partout leurs sens des responsabilités et leurs capacités de protection du pouvoir d’achat : comme souvent, la période a été marquée par une modification des habitudes de consommation mais aussi par une augmentation conséquente de l’épargne de protection, encouragée par les hausses de taux d’intérêt. En Europe, et surtout en France, les gouvernements ont largement ouvert le flux des subventions destinées à réduire l’impact de l’explosion de certains coûts, dans l’énergie notamment. Aux Etats-Unis, le pouvoir fédéral a initié en août 2022 un vaste programme d’appui aux entreprises, l’Inflation Reduction Act, pour soutenir des secteurs essentiels pour le présent et l’avenir (véhicules électriques, médicaments,,..).

Cette combativité tous azimuts a été souvent conduite en faisant fi avec pragmatisme de dogmes économico-politiques jusqu’alors ultradominants : aux grands maux, des remèdes récemment impensables ! Ainsi la préoccupation majeure de lutte contre le réchauffement climatique s’est accommodée, même en Europe, de la relance de mines et de centrales de charbon ; les Etats européens réfractaires aux gaz de schistes ont bien été contraints de les acheter aux Etats-Unis; l’opposition de la Commission Européenne aux subventions des Etats membres à leurs entreprises nationales a été largement tempérée tandis que les limitations « recommandées » aux déficits budgétaires et aux endettements extérieurs restent peu audibles depuis le Covid19.

Ces réponses ont apporté une certaine résilience aux multiples adversités de la période. Le rythme de l’inflation s’est réduit au dernier trimestre 2022, même s’il est demeuré supérieur aux objectifs fixés et aux données pré-Covid, et s’il reste préoccupant. Malgré les resserrements monétaires mondiaux, les économies n’ont pas « craqué ». Les évolutions effectives du PIB  des grands ensembles économiques, si elles ont ralenti, sont finalement meilleures en 2022 que les prévisions les plus alarmistes : au moins +2,1% pour les Etats-Unis, +3,5% pour l’Union Europenne,+2,6% pour la France. La consommation a été le principal moteur de cette résistance. De plus, dans tous les pays du Nord, le niveau d’emploi a bien résisté au ralentissement, et les tensions au recrutement continuent même dans plusieurs secteurs d’activité. Une récession générale a donc été jusqu’ici écartée et les prévisions pour 2023, tout en convergeant vers une croissance encore fragilisée, gardent une tendance positive. Aux Etats-Unis, les bourses ont regagné en février 2023 environ 55% de leur chute de 2022, à l’exception du Nasdaq très en retard. En Europe, les replis de 2022 sont maintenant effacés et une certaine euphorie s’est même emparée depuis janvier dernier des principaux marchés mobiliers : le CAC 40 a ainsi curieusement dépassé fin février 2023 tous ses records alors que les anticipations de l’évolution du PIB français pour 2023 sont voisines de zéro.

En zone subsaharienne, on observe cette même ambivalence d’espoirs et d’inquiétudes. Certes, l’inflation s’est ralentie comme ailleurs mais les prix demeurent à des niveaux élevés sur de nombreux produits- carburants, biens alimentaires, …-. Beaucoup de monnaies ont fortement « dévissé » – Ghana, Angola, Ethiopie, Nigéria par exemple – ce qui explique aussi ces envolées des prix et perturbe le fonctionnement des économies touchées comme la capacité des pays concernés à honorer leurs engagements extérieurs -le Ghana est ainsi en « défaut partiel »  .. Les tensions de trésorerie des finances publiques et la raréfaction des financements extérieurs, parfois aggravées des problèmes politiques et sécuritaires, freinent la réalisation d’investissements pourtant indispensables. La Banque Mondiale prédit une probable aggravation de la pauvreté en 2023. Face à cela, le Fonds Monétaire International (FMI) annonce une possible augmentation du PIB subsaharien de +3,7% en 2023, légèrement supérieure à celle de 2022 et supérieure à la moyenne mondiale. En ligne avec les disparités d’évolution entre pays, cette croissance continuerait à être inégalement répartie : en recul et inférieure à la moyenne en Afrique du Sud et au Nigéria, les deux mastodontes du continent ; supérieure au contraire dans l’Afrique de l’Ouest francophone, comme dans les dix années passées. Elle est ici en 2022 « boostée » notamment par une Côte d’Ivoire toujours en forme (+6,5%%) et par le Sénégal et le Niger (respectivement + 8,1% et +7,3%) grâce à la production pétrolière.

Les chocs apportés par les crises majeures de 2022 -guerre et inflation- ont donc violemment frappé l’économie mondiale, mais celle-ci continue jusqu’ici à faire preuve d’une résistance inattendue. Pourtant plusieurs difficultés, particulièrement d’ordre financier, pourraient encore assombrir l’horizon à court terme, comme le montrent les deux exemples suivants. En matière de dette publique, la hausse rapide et généralisée de l’endettement des Etats et la montée des taux ne font que commencer à déployer leurs effets : leur impact sur les budgets étatiques pourrait devenir insupportable si l’activité économique se porte mal. C’est vrai aussi bien pour les marchés internationaux de capitaux pour les pays développés que pour les marchés de capitaux régionaux ou locaux pour les pays en développement. En matière de santé des institutions financières, les bons indicateurs de la période précédente pourraient vite révéler des imprudences et laisser place à un « jeu de dominos » de crises de liquidité bancaire. La faillite actuelle de la petite Silicon Valley Bank(SVB) et ses répercussions encore mal connues, d’une part,  et les vives inquiétudes créées par la réduction brutale des refinancements de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), d’autre part, sont ici  des clignotants d’alerte  à suivre de près.

Le pire n’est jamais sûr, mais le meilleur non plus…

Paul Derreumaux

(Article publié le 14/03/2023)

L’Afrique, étonnante et résiliente, face aux menaces d’inflation et de récession

Une partie du monde est depuis 2021 sous le coup de deux menaces économiques ; le retour d’une inflation forte, et peut-être durable ; un ralentissement marqué de la croissance économique, voire une récession à plus ou moins large échelle. Les pays d’Afrique subsaharienne n’échappent pas à ces turbulences. Les solutions qu’ils doivent y apporter et les effets qu’ils subissent sont cependant divers et originaux, à l’image de la façon dont le continent avait réagi à la pandémie du Covid-19. 

La zone subsaharienne est accoutumée, en beaucoup de pays qui la composent, à un environnement inflationniste, parfois entrainé dans de brutales accélérations. Il provoque un glissement fréquent de la valeur des monnaies locales, et des taux d’intérêt nominaux élevés. Les exceptions notables à ce mouvement d’ensemble sont les pays dont la monnaie est reliée par une parité fixe à une des devises internationales fortes – Dollar ou Euro -, tels notamment ceux de la zone franc. Dans ces cas particuliers, la hausse des prix reste limitée et les taux bancaires nettement plus modérés. Dans le contexte économique et financier actuel, le mouvement mondial de hausse des prix se révèle d’une ampleur et d’un périmètre exceptionnels. Il a été alimenté par quatre principaux moteurs qui se sont succédés en se renforçant partiellement: la création monétaire de grande ampleur effectuée en 2020 pour faire face aux dépenses publiques issues de l’épidémie du Covid-19 ; la reprise soutenue en année 2021, durant laquelle l’offre a été soumise à d’importantes contraintes logistiques qui ont gêné sa progression et entrainé des ajustements de prix ; la guerre en Ukraine qui a perturbé les marchés du pétrole, du gaz et de quelques produits alimentaires ; la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis depuis mars dernier qui a fait s’envoler la valeur du dollar, y compris par rapport à l’Euro -qui a perdu quelque 10% de mars à juin 2022-. La convergence et l’intensité inhabituelles de ces facteurs ont nettement aggravé les tendances inflationnistes habituellement rencontrées. Fin juin dernier, le rythme annuel approche ainsi 7% en République Sud-Africaine ou 8% au Kenya mais plus de 19% au Nigeria et près de 30% au Ghana tandis que le Zimbabwe a renoué avec l’«hyper-inflation» avec un taux avoisinant 90%. Même dans UEMOA, souvent « exemplaire », le rythme annuel de hausse des prix a régulièrement progressé depuis début 2022 pour s’élever en milieu d’année à plus de 8% en rythme annuel, et parfois davantage depuis lors, loin des 3% définis comme « objectif de convergence » de la zone. Des produits importés ont été les principaux générateurs de ce mouvement -pétrole (+70% environ d’août 2021 au pic de juin 2022), mais aussi biens d’équipement et produits alimentaires notamment – mais les produits locaux ont souvent suivi, sous l’effet cumulé d’une hausse générale des prix de revient et de comportements spéculatifs dans des marchés peu régulés, dominés par l’informel et ses réactions erratiques.

Face à l’inflation, les pays subsahariens disposaient de moyens de réaction modestes en comparaison avec les deux instruments utilisés dans ceux du Nord : la hausse des taux d’intérêt et les subventions étatiques. Les variations de taux décidées par les Banques Centrales n’y ont qu’un impact limité sur le volume des crédits bancaires locaux, qui pèsent moins lourdement dans le financement des économies nationales. De plus, les niveaux antérieurs déjà élevés de ces taux n’ont autorisé que des ajustements limités, contrairement à ce qui s’est passé dans les grands pays du Nord. Du côté des subventions, les Etats concernés ont des moyens budgétaires fort variés et globalement modestes : les aides étatiques n’ont donc été ni étendues à tous les pays, ni aussi importantes que souhaité, contrairement à ce qui s’était passé en réaction au Covid-19 faute d’appuis étrangers aussi conséquents et rapidement débloqués. Les augmentations de prix se sont donc largement déployées jusqu’au niveau des consommateurs. A ce jour, le prix de l’essence a ainsi déjà augmenté par exemple de 20% en Côte d’Ivoire et plus de 30% au Mali où le coût de la farine a crû de plus de 20%. Face à ces hausses et malgré des situations variables selon les régions, l’ajustement s’est globalement réalisé par l’érosion du revenu réel des ménages et la réduction de la demande chaque fois que possible. Les statistiques à venir devraient donc constater un accroissement de la pauvreté, en particulier dans les pays également touchés par les catastrophes climatiques comme la Somalie soumise à une longue sécheresse. Malgré tout, la résistance aux difficultés des populations africaines a conduit à ce que les protestations contre la vie chère sont restées jusqu’ici limitées, hormis les manifestations récentes en Sierra-Léone, où le changement de signe monétaire a sans doute été un élément inflationniste supplémentaire.     

Largement démunies pour lutter contre l’inflation, les nations d’Afrique subsaharienne sont en revanche plutôt mieux placées vis-à-vis des risques de récession qui menacent les pays économiquement les plus avancés en ce milieu d’année 2022. Elles ont d’abord connu en 2021, comme dans le monde entier, une reprise généralisée de la croissance de leur Produit Intérieur Brut (PIB), évaluée à +4,1%, après la contraction de 2020 d’ailleurs plus réduite que ce qu’avaient retenu toutes les prévisions. Cette relance s’est en bonne partie appuyée sur les hausses, en prix comme en quantités, des exportations de matières premières : pétrole, métaux mais aussi produits agricoles. A partir de février 2022, la crise russo-ukrainienne a provoqué une envolée supplémentaire de beaucoup de ces produits. Les pays africains exportateurs de pétrole ont notamment profité à plein de cette situation qui a renfloué leurs Trésors publics et leurs balances des paiements. Mais les pays importateurs ont souvent pu compenser la hausse de leur facture pétrolière par l’embellie des prix internationaux d’autres produits de base. Dans le même temps, d’autres activités locales ont poursuivi leur « trend » positif : agriculture vivrière, stimulée par l’accroissement démographique et l’urbanisation ; systèmes financiers ; sociétés de télécommunication ; quelques services et industries de transformation ; petites entreprises de l’informel. Dans ce moment de profondes perturbations, la triple caractéristique de beaucoup de systèmes économiques africains – forte place de la production de matières premières destinées à l’exportation, présence de quelques services modernes solides, dynamisme d’un secteur informel en expansion – , souvent considérée comme une faiblesse structurelle, a plutôt constitué un atout de circonstance.

Les dernières estimations de croissance du PIB pour 2022 reflètent ces données. Le « boom » des prix des matières premières devrait ainsi se refléter particulièrement dans certaines régions : plus de+ 3,5% pour le PIB de la Communauté des Etats d’Afrique Centrale (CEMAC), près de +7% en République Démocratique du Congo (RDC), +3,4% au Nigéria par exemple. Mais les économies plus diversifiées devraient aussi réaliser de bons scores : plus de +5% dans l’UEMOA, dont environ+ 7% en Côte d’Ivoire, et près de +7% au Kenya. Globalement, l’Afrique subsaharienne escompte présentement une progression de son PIB de l’ordre de +3,7% en 2022, supérieure aux perspectives mondiales de +2,9% sur cette période. Ces performances seraient finalement meilleures que celles de la période 2016/2019.

L’Afrique subsaharienne pourrait donc déjouer encore en 2022 les prévisions les plus pessimistes, en préservant sa croissance économique malgré tous les inconvénients liés à une inflation « hors normes ».  Pourtant, ce résultat mitigé n’a qu’une portée ponctuelle. D’abord, les effets de l’envolée des prix en 2022 pourraient continuer alors que le soutien aux entreprises et aux ménages apporté par les Etats et les capacités d’endettement supplémentaire de ceux-ci pourraient être réduits. Le poids des emprunts publics extérieurs dans le PIB a sensiblement augmenté depuis 2020, dépassant 80% en 2022 pour une dizaine de pays et même plus de 100% pour 6 d’entre eux., avec des effets budgétaires qui devraient s’aggraver à la suite de la hausse internationale des taux. Le Ghana, où l’inflation a de loin dépassé les bons résultats de hausse du PIB, vient ainsi de voir son « rating » d’endettement extérieur dégradé à « hautement spéculatif ». De plus, l’inflation elle-même, malgré un vraisemblable ralentissement dans les grands pays, pourrait se poursuivre activement en 2023 en Afrique, en raison des déséquilibres et tensions diverses qui persistent sur le continent.  Surtout, les évènements de 2022, et avant eux ceux liés au Covid-19 en 2020, ont confirmé plus que jamais la dépendance excessive et multiforme de la zone subsaharienne vis-à-vis de l’étranger : par ses exportations composées surtout de matières premières, par ses importations gonflées par une faiblesse persistante des productions tournées vers les marchés intérieurs, par le poids de sa dette extérieure liée à l’insuffisance de ses ressources financières locales. Cette situation fragilise le continent sur le moyen terme et pénalise son développement. Pour la corriger, les pays visés doivent réaliser les mutations requises de leurs appareils économiques et de l’environnement dans lequel travaillent les entreprises. Face aux retards accumulés en la matière, toute amélioration de la croissance économique est à mobiliser pour accélérer ces transformations.  Certains s’imposent cette discipline, même dans la période troublée actuelle. Le Kenya démarre ainsi une nouvelle centrale solaire à Kisumu, d’une puissance de 40 Megawatts (MW), poursuivant les grands investissements déjà réalisés dans ce secteur, tandis que le Benin a inauguré sa première centrale solaire de 25 MW. La Côte d’Ivoire renforce ses investissements dans la transformation de cacao et de cajou et poursuit la création de grandes zones industrielles ultramodernes. Le Nigéria renforce sa position dans la production d’engrais grâce aux investissements de M. Dangote. D’autres, par manque de vision à long terme et/ou sous la pression de graves difficultés, n’accordent pas aux investissements économiques indispensables la place nécessaire : plusieurs pays du Sahel, rongés par le terrorisme et par des contraintes politiques, ou le Sud-Soudan, paralysé par de longues luttes intestines, n’ont pas encore adopté ces priorités. La première conséquence de ces disparités sera l’élargissement du fossé grandissant entre les perspectives pour l’avenir des divers groupes d’Etats.

La résilience récente de l’Afrique subsaharienne n’est donc pas synonyme automatique d’amélioration à moyen terme de la situation de celle-ci. Pour qu’une large partie du milliard d’habitants qui la peuplent bénéficie d’un tel changement, les orientations requises -augmentation des productions locales tournées vers la satisfaction des besoins intérieurs, innovations, amélioration qualitative des ressources humaines,..-  auront à être appliquées aussi vastement que possible, ce qui est loin d’être encore le cas. Sur ce plan, la consolidation des regroupements régionaux resterait sans doute un des meilleurs moyens pour que les pays « locomotives » entrainent dans leur sillage ceux qui sont en retard ou affaiblis, au service d’un mieux-être collectif. La période récente n’a pas montré d’importantes initiatives en ce sens. Mais les faits sont têtus : les priorités à retenir et les moyens de les atteindre finissent toujours par s’imposer.             

Paul Derreumaux,

Article publié le 23/08/2022