Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) : Menaces de gros temps pour les banques.

Mars 2023 a été un mois difficile pour le secteur financier.

Aux Etats-Unis, la faillite de trois entités de petite ou moyenne importance- Silvergate Bank, Silicon Valley Bank et Signature Bank- a nécessité l’intervention immédiate et massive de la Federal Reserve Bank pour stopper des risques de contagion dans le secteur bancaire et restaurer la confiance du public. En Europe, le Crédit Suisse s’est effondré et a disparu en trois jours tandis que la Deutsche Bank était elle-même attaquée par des spéculateurs aux aguets. Face à ces difficultés, la mission des principales banques centrales de ramener au plus vite l’inflation dans les limites souhaitées sans casser la croissance a été rendue encore plus difficile.

Dans l’UEMOA, les difficultés se sont cristallisées de façon simultanée, sur la liquidité bancaire et sur le financement régional des Etats de l’Union.

Avant 1996 en effet, les Etats étaient autorisés, pour compléter leurs ressources, à faire appel à des avances de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEA0). Constituant directement une création monétaire, ces facilités étaient étroitement réglementées : l’article 16 des statuts de la BCEAO limitait leur encours à 20% des recettes fiscales de l’année précédente. La création en 1996 du marché monétaire élargi a supprimé cette procédure en la remplaçant par celle de l’émission par adjudication par les Etats de Titres de Créances Négociables (TCN), Bons du Trésor (BAT) à court terme et Obligations du Trésor (OAT) à moyen terme, émis sur ce nouveau marché. L’UEMOA rejoignait ainsi les pratiques déjà couramment utilisées dans les pays d’Afrique anglophone et empruntées des pays les plus industrialisés. Avec la naissance de la BRVM en 1998, un compartiment obligataire a été ouvert à tous les émetteurs pour des opérations à moyen terme par syndication : les Etats y ont progressivement pris une place  très prépondérante pour compléter leur dispositif de financement.

La montée en puissance de l’utilisation par les gouvernements de ces nouveaux instruments a d’abord été poussive : leur nouveauté technique dans la zone et l’existence en cette période de plusieurs alternatives expliquent cette modestie. La première émission obligataire a été réalisée par la Côte d’Ivoire en 2002 pour une durée de 3 ans. En 2006, l’encours global des titres des 8 Etats s’élevait à 277 milliards de FCFA et à une part modeste de la dette publique totale. Mais le bon fonctionnement de ces mobilisations de ressources a entrainé deux évolutions majeures. La première est celle du gonflement considérable des émissions : 55 milliards de FCFA en 2001 ; puis, tous types confondus, 1200 milliards de FCFA en 2009, 3304 milliards de FCFA en 2015 et 6600 milliards en 2022. L’encours atteint cette dernière année est d’environ 20500 milliards de FCFA, dont 12600 milliards de FCFA émis par adjudication et plus de 8000 par syndication. Il approche maintenant 20% du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Union, contre 5% en 2010 et 12,5% en 2015, avec deux accélérations marquées en 2009 et 2013. L’autre tendance est une transformation continue de la nature et de la durée des dettes émises. Ainsi, les syndications des émetteurs publics sont devenues depuis longtemps majoritaires sur le département obligataire de la BRVM, en nombre comme en montant, et en représentent à ce jour quelque 90% ; le terme de ces emprunts obligataires a été constamment allongé, pour atteindre aujourd’hui 20 ans – pour le Bénin en mars 2022. De même, pour les adjudications, les OAT ont pris de plus en plus d’importance, hormis en quelques phases d’ajustement. Malgré certaines périodes de tension, comme en début 2017, le placement de chacune des émissions venues sur le marché s’est effectué quasiment sans accroc, quel que soit l’Etat émetteur. L’absence de risque de change lié à ces emprunts, la compétitivité des taux par rapport aux autres sources de financement, les encouragements des Partenaires Techniques et Financiers (PTF) à privilégier l’endettement intérieur, expliquent cette tendance.

Le développement rapide de cet endettement public interne dans l’UEMOA est resté longtemps soutenu par au moins deux facteurs. Le plus important est sans doute l’excellente liquidité des banques dans leur ensemble sur toute la période grâce aux transformations du système bancaire régional. La densification du nombre de banques et l’amélioration des taux de bancarisation ont largement « boosté » la collecte des dépôts tandis que le taux de transformation de ceux-ci en crédits à la clientèle n’a pas progressé avec la même vigueur : ceci a mécaniquement accru les ressources disponibles des banques et les a incitées à renforcer des emplois de trésorerie bien rémunérés. L’attractivité multiforme de ces emprunts d’Etats a été en effet le second moteur de leur succès. Outre le niveau satisfaisant des taux déjà souligné, ceux-ci offrent plusieurs avantages comparatifs : facilité de refinancement auprès de la Banque Centrale, exemption de coûts en fonds propres à la différence des crédits à la clientèle, faiblesse du risque au vu du déroulement jusqu’ici sans incident significatif de ces opérations. En l’absence d’autres grands investisseurs institutionnels dans l’espace régional, tels les fonds de pensions, les banques sont vite devenues les principaux souscripteurs de ces titres. Les deux derniers rapports de la Commission Bancaire ont d’ailleurs confirmé que le poids de ces placements en trésorerie s’alourdissait dans le bilan des établissements financiers.  

Réponse bien adaptée aux besoins croissants de ressources des Etats de la zone, y compris face à la « crise Covid », cette évolution n’était pas exempte d’inconvénients potentiels. Dès 2007, trois principaux d’entre eux étaient identifiés (1) à moyen terme: risque d’éviction du marché du secteur privé pour des raisons de saturation de celui-ci et de coût des ressources ; affectation non optimale des ressources publiques supplémentaires ainsi  mobilisées par suite des difficultés d’identification des priorités nationales et de coordination entre les Etats sur le marché ;  risque d’insoutenabilité de la dette publique en cas de hausse du coût réel de celle-ci, de faiblissement de la croissance et de dégradation des équilibres budgétaires.    

Le système a cependant fonctionné correctement pendant longtemps grâce à plusieurs données favorables. La croissance économique de l’Union jusqu’en 2019 -une des plus fortes du continent avec plus de 5% en moyenne sur les 10 dernières années- en a été le principal moteur, cette croissance alimentant à la fois les ressources des banques, les recettes fiscales des Etats et la consistance du marché financier. La création de l’Agence titres UMOA en 2013, chargée de réguler et de coordonner les émissions publiques, a aussi aidé à la réussite des émissions en coordonnant mieux celles-ci pour éviter l’encombrement du marché.

Cette mécanique s’est grippée à partir de fin 2022, dans le sillage du changement de paradigme engagé par la quasi-totalité des banques centrales : une hausse généralisée des taux directeurs pour tenter d’arrêter puis de réduire une inflation de portée mondiale et touchant de nombreux secteurs. Dans l’UEMOA, cette bataille a été rendue encore plus difficile par le recul brutal de l’EUR face au dollar US – environ 15% en 10 mois- qui a accru l’inflation importée et réduit le niveau des réserves en devises.  Pressée de répondre à ces diverses contraintes, la nouvelle politique de la BCEAO a visé à la fois le renchérissement et la diminution des possibilités de refinancement des banques : relèvement des taux du guichet principal – 4 hausses en 9 mois pour passer de 2% à 3 % –, restriction de l’accès à celui-ci, relèvement notable du coût et du volume de ressources du guichet annexe. Ces mesures ont eu un triple effet. L’un a été le resserrement de la trésorerie mobilisable des banques, particulièrement marqué à partir de février 2023 : le volume hebdomadaire de liquidités mis à la disposition des banques a décru en moyenne de près de 10% en un mois, mais a surtout fait l’objet de réductions variables selon les banques en fonction de critères retenus par la Banque Centrale pour apprécier la solidité de leur situation respective.   Le deuxième a été en conséquence la recherche par les banques d’une augmentation chaque fois que possible des taux d’intérêts débiteurs pour atténuer les effets sur leurs marges de la hausse du coût des ressources et le ralentissement attendu des encours de nouveaux crédits. Le dernier a été en ricochet la perturbation momentanée des émissions de titres publics. Dès février 2023, de nombreuses opérations à court ou moyen terme n’ont pas trouvé preneur pour la totalité des titres proposes, avec parfois des « gaps » atteignant les 2/3 du total émis, et ont dû accepter des taux en sensible hausse. Certaines ont été reportées jusqu’ au retour au calme du marché.

Devant les difficultés issues de ces changements de l’environnement, la fébrilité a gagné le système financier en mars dernier et a accéléré la mise en œuvre de mesures propres à faire face à la nouvelle situation. Les banques, chacune à leur rythme et selon leurs moyens d’action privilégiés, se sont efforcées de mobiliser des ressources additionnelles auprès de leur clientèle, de reporter certaines dépenses non prioritaires, de céder une partie de leurs placements de trésorerie, d’avoir davantage recours aux crédits interbancaires, de ralentir leurs octrois de crédits quand c’était possible. Les Etats, pour lesquels le recours au marché financier régional est souvent devenu vital pour leurs équilibres budgétaires, ont dû accepter des taux plus élevés et ont activement promu leurs emprunts auprès des investisseurs potentiels afin d’atteindre les souscriptions escomptées. La BCEAO a modérément desserré son étreinte par une politique plus pointilliste sans remettre en cause les orientations directrices de sa nouvelle stratégie.

La rapidité des réactions de chacun semble avoir été efficace. En avril courant, la quasi-totalité des dernières émissions étatiques ont été entièrement souscrites, et parfois sursouscrites. L’écart entre demandes et offres sur les guichets de financement de la BCEAO s’est globalement resserré même s’il demeure inégal entre établissements. Les ajustements opérés devraient s’avérer bénéfiques au moins en deux domaines, importants pour l’amélioration de la profondeur des marchés financiers mais jusqu’alors peu performants : celui de la liquidité effective du marché secondaire des titres d’Etat, celui du volume des crédits interbancaires, qui restaient avant largement cantonnés aux crédits à l’intérieur d’un même groupe.

Ainsi un certain équilibre pourrait être restauré, caractérisé par une prudence accrue en matière de crédits et une hausse des taux d’intérêt, au moins pour un temps d’observation. La remontée de 12% du ratio Euro/USD depuis novembre 2022 devrait aussi favoriser l’effet antiinflationniste de cette nouvelle situation. Ce calme relatif permettra sans doute de mieux s’attaquer aux problèmes structurels toujours oppressants dans la région : augmentation souhaitée du poids relatif des concours bancaires par rapport au PIB, priorité accrue à donner à des secteurs comme les petites entreprises et le logement, affectation de l’usage des emprunts publics plus orientée vers le développement économique, maîtrise de la dette publique. Oublier longtemps les priorités de long terme ne peut conduire qu’à l’échec.  

(1) « Le temps retrouvé de l’endettement intérieur en Afrique », par Sylviane Guillaumont et Samuel Guerineau in Revue française d’économie, 2007

Paul Derreumaux

Article publié le 25/04/2023

Afrique : le spectre du coronavirus

Afrique : le spectre du coronavirus

 

Il est difficile de prédire l’imprévisible. Surtout lorsque celui-ci est inconnu. C’est pourtant ce que doivent s’essayer à faire en ce moment les dirigeants de tous les pays. La maladie issue du coronavirus, ou covid-19, n’est apparue qu’en toute fin d’année 2019 mais sa contamination est déjà supérieure à celle des précédentes grandes épidémies de la période récente (SRAS, Ebola, ..). L’ampleur de son extension géographique, la faiblesse des connaissances sur la maladie et l’absence de remède à ce jour génèrent une peur qui s’est transformée en panique face aux risques d’une pandémie mondiale. Des mesures totalement exceptionnelles, visant à ralentir la propagation de la maladie, ont été maintenant adoptées en désordre par beaucoup de nations, mais leur impact positif contre la maladie ne peut encore être assuré. Ce péril sanitaire potentiellement dramatique s’est désormais doublé d’une crise économico-financière aussi brutale que multiforme. Celle-ci est en partie liée aux difficultés de secteurs dynamiques totalement paralysés par les actions de lutte contre l’épidémie, tels le transport aérien, le tourisme ou l’évènementiel. Elle résulte aussi des craintes sur le rythme de croissance issues des difficultés attendues d’approvisionnement de nombreuses industries, des mesures de confinement imposées par la situation sanitaire et d’une baisse de la demande. La généralisation de ces problèmes, puis l’effondrement du prix du pétrole ont ensemble provoqué en une semaine une débâcle boursière de même ampleur que celle de 2007.

Si cette double crise est mondiale, l’Afrique semble y avoir une place à part tant au plan sanitaire qu’économique.

En matière de santé, trois constats s’imposent. Le premier est que le continent reste jusqu’ici étrangement absent de la carte d’implantation du covid-19. Ce 15 mars, des statistiques officielles recensaient seulement 280 cas et 7 décès en Afrique, et une absence totale de contamination dans u majorité des 54 pays africains. Cette situation, pour une fois très favorable, parait incroyable alors que la Chine, où la maladie s’est déclarée, compte en Afrique un contingent significatif de nationaux en de nombreux pays et que beaucoup d’africains voyagent souvent en Chine pour des raisons commerciales : les passerelles de contamination sont donc multiples. Aucune explication scientifique n’a été jusqu’ici émise pour justifier que le climat, l’environnement ou la morphologie des habitants rendaient plus difficile l’action du coronavirus en Afrique que dans des pays aussi divers que l’Italie, la Corée ou les Etats-Unis. La raison la plus vraisemblable de ce maintien à l’écart est donc le moindre dépistage des personnes infectées qui peut résulter de plusieurs causes. La faiblesse généralisée des équipements sanitaires (seuls 24 pays disposeraient des moyens de dépistage selon l’OMS), la proximité des symptômes avec ceux de maladies courantes comme la grippe ou le paludisme, qui reste de loin la maladie la plus mortelle en Afrique, se conjuguent pour que le coronavirus passe encore en dessous de beaucoup de « radars ». Sa faible mortalité jusqu’à ce jour et le pourcentage nettement plus limité de populations dépassant 60 ans ont pu aussi contribuer à ce que la nouvelle maladie, si elle est déjà présente, n’attire guère l’attention. Le retard avec lequel les avertissements ont été donnés et les premières mesures de prévention lancées explique aussi ce décalage, Les seuls cas signalés sont d’ailleurs surtout ceux de personnes venues de France et immédiatement mises en quarantaine, comme si le virus avait fait ce détour avant de s’attaquer à l’Afrique.

Le second constat est que le continent semble dans l’immédiat mal équipé pour prendre en charge une proportion de la population identique aux taux de contamination qui apparaissent dans les pays les plus frappés comme la Corée et l’Italie, sans parler de la Chine. Les types de soins requis pour les personnes les plus gravement touchées – équipements lourds d’assistance respiratoire notamment – sont en effet très peu présents et conduiraient vite aux blocages actuellement craints dans les pays européens les plus avancés. Il n’est donc pas certain qu’une politique plus active de dépistage soit mieux adaptée pour une gestion efficace de l’épidémie et il pourrait être préférable de mettre surtout l’accent sur l’adoption de comportements et de « mesures barrières » freinant la propagation, et sur des désinfections massives, plus faciles à mettre en œuvre dès lors qu’une relative immobilisation du pays a pu être imposée.

Il faut en effet rappeler enfin que l’Afrique, malgré ses nombreuses faiblesses, a déjà su faire face à des épidémies particulièrement dangereuses. Ce fut par exemple le cas de la fièvre Ebola dans les années 2013/2015, notamment en Afrique de l’Ouest. Avec plus de 11 000 décès sur la période (mais près de 20000 selon certaines statistiques) sur quelque 30000 personnes contaminées, elle a représenté pour des pays déjà fragiles comme la Guinée, le Libéria, la Sierra-Léone, une menace terrifiante. Seules une politique de mise en quarantaine extrêmement sévère, le courage et la ténacité remarquables des équipes médicales de ces pays et l’aide, parfois trop tardive, de quelques grands partenaires sont venus à bout de ce fléau. Il n’est nul doute que l’Afrique se battrait vigoureusement avec ses maigres moyens si le coronavirus faisait une apparition massive dans cette population de plus de 1,2 milliards d’habitants. Elle devrait dans ce cas privilégier à nouveau, faute de mieux, les moyens soulignés ci-avant -strict cantonnement et désinfections systématiques-. Il importera dans ce cas que les gouvernements africains prennent le défi à bras le corps, avec une transparence, un engagement et une cohérence qui les rendront crédibles. Il faudra aussi qu’ils puissent bénéficier en complément de la solidarité internationale, dont la difficile mise en place actuelle va être « testée » dans d’autres régions du monde, en raison des moyens financiers, humains et techniques qui seront requis.

En matière d’économie, la question principale est de savoir si l’Afrique pourra comme en 2007 être relativement épargnée par les conséquences de la crise économique et financière qui accompagne depuis début mars le danger sanitaire actuel. S’il est encore trop tôt pour des conclusions générales sur ce point, plusieurs orientations semblent déjà engagées.

D’abord, la dépréciation brutale de plus de 30% des prix mondiaux du pétrole intervenue le 9 mars dernier, et encore aggravée depuis lors, impactera fortement l’Afrique. Cette baisse, issue d’un fort repli de la demande et d’un désaccord stratégique entre deux principaux exportateurs, l’Arabie Saoudite et la Russie, risque en effet d’être observée au moins quelques mois au vu des incertitudes actuelles de la situation économique mondiale. Elle produira deux effets inverses selon les pays. Les exportateurs d’or noir, déjà en phase de dépression depuis 2015, enregistreront une nouvelle baisse notable de leurs recettes budgétaires et de leurs exportations. Ainsi le Nigéria, qui avait basé son budget 2020 sur un prix international proche de 55 USD, doit-il revoir celui-ci pour tenir compte des nouveaux cours proches de 30 USD. L’Algérie engage le même processus. Il en est déjà résulté un sensible repli de la valeur du naira, et une chute de plus de 12% de la Bourse de Lagos. Pour l’Afrique Centrale francophone, la chute imprévue va rendre plus difficiles les réformes entreprises et compromettre les améliorations récemment constatées dans la croissance économique et les rééquilibrages budgétaires. Pour les pays importateurs de pétrole au contraire, la position favorable des dernières années va être maintenue. Elle sera un facteur particulièrement opportun de soutien de la croissance et des équilibres budgétaires dans la période difficile qui s’annonce.

En second lieu, plusieurs effets négatifs majeurs à l’échelle mondiale de l’épidémie devraient affecter inévitablement l’Afrique ou y être observés rapidement. La baisse générale d’activité va réduire à court terme la demande de matières premières minières, à l’exception possible de l’or dont les cours ont bondi de plus de 20% en 2019 et restent élevés, et donc toucher beaucoup de nations au moins en 2020. Les transports aériens, l’hôtellerie et le tourisme, qui étaient des secteurs en expansion et générateurs d’emplois, seront sinistrés cette année et pourraient souffrir durablement à l’avenir de modifications de comportements, notamment de la part des entreprises. Un possible confinement, au moins partiel, auquel risquent de se résigner beaucoup de nations africaines pour des raisons sanitaires, perturberait les productions nationales, où le télétravail ne peut être encore que marginal, tout autant que les échanges commerciaux internationaux ou régionaux : ces deux évènements auront un impact négatif sur le taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB). La destruction substantielle de la « richesse financière » globale provenant des effondrements boursiers et le climat général d’incertitude vont pour un temps ralentir fortement les flux d’Investissements Directs Etrangers (IDE), notamment privés, et donc la réalisation de nouveaux projets productifs.

Hormis ces tendances vraisemblables, la plupart des évolutions sur le continent demeurent jusqu’ici des hypothèses qui ne pourront être vérifiées que dans un délai minimal de quelques mois. La plupart sont défavorables et entraineraient à court terme l’Afrique dans une spirale dépressive. Emporté par le repli de secteurs importants rappelés ci-avant, le rythme de croissance du PIB en 2020 pourrait décliner bien en dessous des 3,9% prévus et même faire basculer des grands pays en récession, tel le Nigéria. Les premières prévisions émises en Europe apparaissent d’ailleurs catastrophiques avec des taux de repli du PIB atteignant 5% Il en résulterait dans ces cas le recul des recettes publiques et des difficultés accrues de financement des Etats concernés. Celles-ci ralentiraient les possibilités de réalisation d’infrastructures économiques et sociales pourtant prioritaires. Malgré ces sombres perspectives, il faut toutefois souligner que les pays africains, en raison de leurs structures économiques et de leur faible intégration aux échanges mondiaux, sont moins sensibles aux variations de la conjoncture internationale, comme observé en 2007/2008. Ils disposent en particulier de quelques secteurs solides -télécommunications et banques par exemple – ou soutenus par la forte croissance démographique – comme l’agriculture – ou faiblement liés aux circuits classiques -tels le secteur informel -. Enfin, il est aussi possible d’espérer que le grand chambardement provoqué par le Covid-19 pourrait donner aux nations africaines l’énergie nécessaire pour accroitre les actions de développement de leurs capacités de production agricoles et industrielles nationales et régionales. Cette stratégie aurait le double mérite de « booster » les PIB africains à un moment spécialement opportun et de réduire la dépendance des populations vis-à-vis de l’étranger. Il faudra pour cela un effort d’imagination et de volonté de la part des pays intéressés, mais aussi un soutien financier suffisant et vite mis en œuvre de la part des grands partenaires, qui témoignerait de la cohérence de leurs actes et de leurs discours en cette période difficile.

Même si elle n’en a pas encore conscience, l’Afrique risque de connaitre une crise sanitaire et économique issue de l’épidémie du coronavirus aussi redoutable que partout ailleurs dans le monde. Pour la traverser au mieux, elle doit montrer sa capacité à mener dans l’urgence toutes les actions, à combattre ses « démons » habituels et à mobiliser ses atouts. Le pire n’est jamais sûr, surtout si on se prépare bien à l’affronter.

Paul Derreumaux

Article publié le 20/03/2020

Faut-il encore investir à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan ?

Faut-il encore investir à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan ?

 

Pour les actions cotées à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) des huit Etats de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), l’année 2017 s’était  terminée comme elle avait commencé. Le rebond observé les tout derniers jours de décembre, pour cause habituelle de « window dressing », n’a pas remis en cause la baisse qui s’est régulièrement accentuée toute l’année. Les deux principaux indices se sont largement repliés pour terminer, par rapport à fin 2016, à -16,1% pour le BRVM 10 portant sur 10 principales valeurs et -16,8% pour le BRVM Composite. Cette chute a touché, avec une force inégale, la quasi-totalité des secteurs et des valeurs de la place. Elle a surpris à un moment où la croissance économique régionale reste une des plus fortes du continent et où les introductions de nouveaux titres n’ont jamais été aussi nombreuses (5 en 2017).

Quatre facteurs peuvent expliquer cette évolution décevante. Le premier est le réajustement logique après trois années de hausse intensive : les valorisations à la BRVM avaient souvent atteint pour beaucoup de sociétés des niveaux anormalement élevés par rapport à celles observées alors dans les autres pays africains. Un autre vient des nombreuses opérations qui ont eu lieu en 2017 sur les actions –augmentations de capital par émission d’actions gratuites, divisions des valeurs nominales. – par suite d’exigences réglementaires du Conseil Régional de l’Epargne : souvent mal présentées par les sociétés de bourse et mal suivies par les entreprises concernées, elles ont déconcerté les actionnaires, et surtout les petits porteurs, et provoqué un large mouvement de ventes de titres. Une autre raison est la gourmandise excessive des sociétés nouvellement admises à la cote : contrairement au schéma observé pour les précédentes introductions, les prix d’admission au marché ont été trop élevés par rapport aux potentialités des valeurs et à l’environnement moins favorable du marché. Pour l’émission de NSIA Bank par exemple, la hausse initiale après la première cotation n’a pas duré deux semaines et le prix s’est vite stabilisé à moins de 90% du cours initial, générant une perte significative pour ceux qui avaient fait confiance à la société. Un dernier facteur réside sans doute dans les craintes émises durant l’année sur le changement de parité du FCFA, qui ont pu entrainer le départ d’investisseurs étrangers.

Après cette période sombre, on pouvait espérer que les ajustements effectués et, surtout, le maintien dans l’Union d’une forte croissance économique favoriseraient une remontée en 2018. Il n’en a rien été. La capitalisation a poursuivi son repli régulier jusqu’en début mars. Les bons résultats de 2017 de la plupart des sociétés listées et l’annonce de dividendes globalement conformes aux attentes ont permis une brève reprise en mars dernier, qui a quasiment effacé la baisse de 5% du début du trimestre. Pourtant, dès avant fin avril, le recul a repris et les deux indices sont à fin mai respectivement inférieurs de 6,8%  et 10,2% à ceux de fin 2017. La baisse a touché tous les secteurs de façon variée, pesant principalement sur l’industrie, la distribution, le transport et quelques valeurs bancaires.

Deux données supplémentaires ont encore nourri en 2018 cette orientation baissière sur le compartiment actions: l’absence d’introduction à la cote susceptible de « booster » la demande ; la hausse attractive des taux sur un marché obligataire marqué par la demande pressante des Etats et des possibilités de souscription plus réduites des banques. Face à ces tendances négatives, les dirigeants de la BRVM n’ont pas ménagé leurs efforts : promotion de la place en Afrique et sur d’autres continents – Europe, Moyen Orient, Etats-Unis -, lancement d’un compartiment réservé aux Petites et Moyennes Entreprises, stimulation de coopérations avec d’autres marchés comme le Ghana ou la Maroc. Ces actions seront cependant essentiellement profitables à moyen et long terme et n’ont pu encore inverser la tendance.

Deux éléments contribuent sans doute aussi à la dé-corrélation étonnante entre les bons indicateurs macroéconomiques de la région et la léthargie de son système financier. L’un pourrait être la désertion d’un nombre important de petits porteurs. Composante notable du succès de la BRVM, ces investisseurs ont été désorientés par la gestion peu efficace des opérations imposées par la Bourse sur un grand nombre de titres en 2017 : contrairement à l’objectif recherché, ceci a généré leur méfiance et leur fuite par rapport au marché, ce qui a accéléré sa chute. Un autre point est l’absence de réaction de la plupart des sociétés cotées face à la chute de leur capitalisation : celles-ci auraient pu limiter le recul  en soutenant au moins provisoirement leurs cours. C’était l’intérêt à court terme de leurs actionnaires, et leur propre intérêt à moyen terme. Cette action est d’ailleurs prévue par la Bourse qui demande aux entreprises cotées la création d’un fonds de liquidité contrant les fluctuations excessives du marché. Celles qui ont abandonné ce système l’ont payé cher sur les 12 derniers mois. Celles-qui l’ont respecté ont mieux résisté et seront gagnantes dès la reprise des cours.

Ce sombre panorama actuel ne doit pas conduire à un découragement des émetteurs et des investisseurs par rapport au marché financier régional. Les « fondamentaux » de l’économie de la zone restent bons malgré la fragilité accrue qui touche tout le continent. Le sérieux et le volontarisme de la gestion des dirigeants seront payants à terme s’ils tiennent le cap de la recherche des possibles enrichissements du marché. Le niveau actuellement bas des principales valeurs les rend plus attractives, cet atout devant se renforcer avec la baisse inévitable des taux d’intérêt bancaire, qui entrainera de facto de meilleures valorisations.. La sortie de crise parait donc essentiellement conditionnée à une meilleure prise en considération par les émetteurs des avantages qu’ils peuvent tirer du marché financier et d’une adoption de conduites stratégiques cohérentes avec cette vision. Une approche plus réaliste des prix d’introduction des nouvelles valeurs, un recours plus intensif à la bourse pour les augmentations de capital et les émissions d’obligations, une meilleure gestion de la liquidité et de la volatilité des titres émis, un effort de communication et de transparence sont essentiels en la matière. De la part des Autorités, les acteurs économiques attendent une meilleure écoute, une plus grande flexibilité, et une forte capacité d’innovation Ces changements rétabliront la confiance de tous, qui est le maître mot pour le succès d’une place financière.

Il faudra de la patience pour redresser la situation. En France, le CAC 40 n’a retrouvé qu’en mai dernier son niveau de 2008 et ce n’est que récemment que les petits épargnants reviennent sur le marché. C’est une raison de plus pour engager tout de suite les actions nécessaires.

Paul Derreumaux

Article publié le 11/06/2018

Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) : La reprise est-elle possible ?

Bourse Régionale des Valeurs Mobilières : La reprise est-elle possible ?

 

Après plus de deux ans d’une forte hausse engagée en 2013, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) d’Abidjan a connu en 2016 une année mitigée. Certes l’Indice Composite regroupant tous les titres cotés a bien résisté, en limitant son repli annuel à 3,9% mais le « BRVM 10 », indice des 10 principales valeurs, a baissé de 9,8% sur l’année. Ce recul s’est intensifié et généralisé sans interruption en 2017. Au 30 septembre dernier, ces deux indices globaux avaient respectivement perdu 19,0% et 18,2% de leur valeur sur les trois premiers trimestres de l’année en cours. Tous les secteurs ont été touchés. Les entreprises de la distribution, de l’industrie et de l’agriculture figurent parmi les plus affectées, avec des baisses approximatives de 50%, 30% et 20% sur les 9 mois de 2017, mais les valeurs financières, jusque-là très recherchées, ont aussi reculé de plus de 10% en 2017. La bonne tenue du titre Sonatel, qui représentait plus du tiers de la capitalisation du compartiment actions fin 2016, a permis d’éviter une chute encore plus importante.

Cette évolution fortement négative étonne puisque l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est en 2016/17 une des rares régions subsahariennes où la croissance économique est restée solide alors qu’elle se contractait fortement ailleurs sur le continent. Trois raisons au moins expliquent ce repli. D’abord, la hausse marquée de la plupart des valeurs sur la période 2013/2015 justifie que beaucoup d’actionnaires, notamment institutionnels, aient souhaité prendre leurs bénéfices à partir de 2016. En second lieu, des prises de position, économiques comme politiques, hostiles au maintien du statu-quo du FCFA et de sa liaison fixe à l’Euro se sont faites de plus en plus nombreuses à partir de fin 2016 et ont sans doute incité les investisseurs extérieurs à alléger leurs actifs sur la bourse régionale francophone. Les tensions sociales répétées en Côte d’Ivoire, première puissance économique de l’Union, ont pu également renforcer cette frilosité des partenaires étrangers. Enfin, les progressions remarquables réalisées à partir de 2013 ( +87,5% en particulier pour l’indice composite) avaient conduit pour la plupart des titres à des valorisations exceptionnellement élevées par rapport à la valeur comptable et à la rentabilité des entreprises. Les multiples observés, souvent nettement supérieurs à ceux des autres places boursières africaines ou internationales, appelaient donc une correction inévitable. L’apparition des incertitudes évoquées ci-avant a lancé ce mouvement de réajustement et créé un facteur de baisse supplémentaire.

Avec ce net repli, la BRVM fait en 2017 figure d’exception par rapport aux principaux marchés boursiers du continent, qui en compte maintenant plus de 25. En 2016, la chute des marchés financiers avait en effet été généralisée même si elle était provoquée par des raisons variées. Chute brutale des prix du pétrole, forte baisse de la naira et crise économique au Nigéria. Difficultés conjoncturelles prolongées et incertitudes politiques croissantes en Afrique du Sud. Dévaluation brutale de la monnaie et permanence de fortes tensions politiques en Egypte. Problèmes monétaires, perturbations boursières et crise bancaire au Kenya. Dévaluation monétaire et nouvelle donne politique au Ghana. L’une des rares évolutions positives avait été celle de Casablanca, avec une progression de +30% sur l’année. Bien que négative, la BRVM avait donc atteint en 2016 une performance acceptable par rapport à la moyenne des bourses africaines soumises aux fortes turbulences de leur cadre macroéconomique. Cette année au contraire, les résultats des marchés financiers se sont bien redressés sur de nombreuses places, en liaison avec l’amélioration des conjonctures. En Egypte et au Kenya par exemple, les dévaluations réalisées et leurs mesures d’accompagnement ont assaini la situation et aidé au redémarrage de l’économie. L’ajustement monétaire, les limitations d’importation, les efforts de restructuration de quelques secteurs  ont stoppé la récession au Nigéria. L’ile Maurice a su consolider les points forts de son économie et rester un territoire attractif pour les investisseurs. Les indices boursiers traduisent cet environnement plus positif ( +32% à Lagos et +59% au Caire pour les progressions les plus impressionnantes en 2017 ) et, dans bien des cas, effacent l’essentiel des pertes observées les années précédentes, et surtout en 2016. A contrario et au vu de cette revue comparative, la contraction actuelle du marché financier ouest africain apparait jusqu’ici un phénomène essentiellement boursier : elle traduit surtout une forte correction après une hausse exceptionnelle des cours, plutôt qu’une dégradation des données économiques de la zone.

Il reste que le repli est notable. A fin septembre 2017, les deux indices majeurs du marché ont perdu une bonne part des progrès accomplis depuis 2012 ; la hausse entre ces deux dates n’est plus que de 42% pour le BRVM Composite et surtout de 17% pour le BRVM 10. Suite aux baisses intervenues, les multiples de valorisation sont cependant redevenus attractifs par rapport à d’autres marchés comparables, et la bourse régionale d’Abidjan pourrait reprendre sa marche en avant si quelques conditions, très interdépendantes, sont remplies.

La première est l’amélioration continue de la liquidité par l’augmentation des transactions quotidiennes. La fixation début 2017 par le Conseil Régional de l’Epargne et de la Protection des Marchés Financiers (CREPMF) de planchers de nombre d’actions pour chaque titre en fonction du niveau de capitalisation de celui-ci va notamment dans ce sens. Sur l’année en cours, environ la moitié des sociétés cotées auront en conséquence augmenté massivement leur capital et/ou fractionné significativement la valeur unitaire de chaque titre. Le pari, non encore gagné, est à la fois de multiplier la base possible des opérations et d’amener au marché boursier une clientèle plus populaire. La BRVM examine aussi la possibilité de l’ouverture de nouveaux compartiments, réservés à des entreprises plus modestes. Elle étudie en outre avec la structure Africa-France et d’autres bourses africaines un projet de Fonds susceptible d’investir de façon importante sur quelques marchés financiers du continent. A court terme, la meilleure stimulation possible résiderait pourtant dans la dynamisation du rôle des investisseurs institutionnels et des sociétés de gestion d’actifs : leur masse financière parait seule capable d’effectuer rapidement les investissements nécessaires pour réduire la volatilité des cours et accroitre la liquidité des valeurs. Une seconde piste réside dans l’accroissement de la consistance du marché. En 2016/2017, la BRVM se sera enrichie de cinq nouvelles sociétés cotées, soit presque autant que dans les 18 ans qui ont précédé, et les émissions d’obligations d’Etat continuent avec la même régularité et la même ampleur. Des nouveautés sont apparues comme la cotation en continu et les émissions obligataires en « sukuks » de forme islamique. Pourtant, de nombreux progrès restent réalisables: le Togo et la Guinée-Bissau ne recensent encore aucune société cotée ; dans chaque pays, les principaux fleurons des entreprises locales restent toujours en dehors de la bourse ; les privatisations se font souvent à l’extérieur du marché financier ; les émissions obligataires des entreprises sont quasiment inexistantes, même de la part des sociétés déjà cotées. Les améliorations escomptées exigeront à la fois la transformation des mentalités de tous les acteurs, publics et privés, et de nouveaux efforts d’attractivité de la BRVM. Enfin, un autre pilier de la relance est celui d’une meilleure visibilité et crédibilité de la BRVM. Les nombreuses actions menées par ses Autorités pour l’établissement de partenariats régionaux et internationaux concourent depuis plusieurs années avec succès à cet objectif. La meilleure illustration en est sans doute l’intégration récente de la BRVM dans le Groupe des « Marchés frontières », qui est la reconnaissance des avancées accomplies.  Restent à poursuivre sans relâche les efforts d’innovation, un fonctionnement sans faille au quotidien, et surtout le renforcement de la liquidité et la multiplication des valeurs cotées évoquées ci-avant.

Ces mesures internes sont donc prioritaires. Pour qu’elles aient leur plein effet, il importe toutefois que les indicateurs économiques de l’espace régional restent au vert, et dans certains cas s’améliorent encore. Les grandes entreprises que vise la BRVM, auront alors des résultats en hausse et investiront davantage. Les données du premier semestre apportent un certain optimisme sur le premier point : pour les sociétés cotées les plus importantes, qui ont déjà publié leurs comptes, les bénéfices sont souvent significativement supérieurs à ceux du premier semestre 2016, ce qui pourrait soutenir les valorisations. Pour le second aspect, il faut donner à ces sociétés un environnement plus prometteur et sécurisé à moyen terme pour qu’elles intensifient leurs investissements et répondent aux défis posés dans la région. Il resterait alors à la BRVM, forte de ses nouvelles armes, de s’imposer comme un partenaire de premier plan pour le financement de cette croissance future.

Paul Derreumaux

Article publié le 18/10/2017

La résilience de la BRVM illustre celle de l’UEMOA

La résilience de la BRVM illustre celle de l’UEMOA

 

La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) d’Abidjan s’est distinguée en 2015 avec une progression globale de sa capitalisation de l’ordre de 14%. Elle a non seulement eu les meilleures performances par rapport aux marchés financiers africains mais a aussi fait mieux que la plupart des bourses mondiales qui, après un début d’année euphorique, ont connu une fin d’année difficile. Cette évolution est d’autant plus remarquable qu’elle fait suite à des progressions soutenues et ininterrompues observées depuis 2012 : en 4 ans, l’indice « BRVM composite » aura plus que doublé. Alors que l’année 2016 démarre avec une forte chute des principales bourses, que peut-on attendre pour l’Afrique de l’Ouest ?

L’une des premières chances de la BRVM est qu’elle ne compte dans ses 39 sociétés cotées aucune société pétrolière ou minière, contrairement à ses principales concurrentes du Nigéria ou du Ghana. Elle a donc évité les forts impacts négatifs de la chute des prix du pétrole sur les valeurs de ces secteurs. Au contraire, ses compagnies « phares » sont des sociétés de télécommunications et des banques, de plusieurs pays de l’Union, qui pèsent ensemble près des 2/3 de la capitalisation du marché régional. Ces activités demeurent des moteurs essentiels de la croissance en Afrique : la progression continue et la bonne santé financière des entreprises concernées soutiennent donc leurs cours et permettent de bonnes distributions de dividendes, ce qui contribue à la poussée générale des indices. La détérioration sensible en 2015 des valorisations des entreprises agricoles –hévéa et palme-, seules influencées par les cours internationaux, justifie a contrario cette analyse

Une analyse plus fine montre cependant que, à la différence des exercices précédents, la hausse de l’année 2015 a davantage été portée par d’autres secteurs et par des sociétés parfois de moindre envergure. L’indice le plus large de la BRVM a cru en effet deux fois plus vite que celui de ses « Top 10 » : 18% contre 9%. Avec une hausse sectorielle de plus de 90%, les activités commerciales ont enregistré de loin les plus belles évolutions : certaines entreprises de vente de petits et gros équipements, implantées de longue date, tout comme des sociétés de distribution pétrolière ont notamment largement attiré les investisseurs. L’industrie a également été  attrayante et une entreprise textile a été de façon surprenante la favorite de la cote avec une progression annuelle d’environ 250%. La quasi-totalité de ces sociétés est ivoirienne : leurs performances bénéficient donc à la fois d’un effet de rattrapage après les années de crise qui ont particulièrement frappé ces secteurs et de la forte croissance de ce pays en 2015.

Depuis début 2016, la BRVM n’a pas totalement résisté au mouvement général de baisse qui a saisi tous les marchés. Le recul y reste cependant pour l’instant plutôt plus contenu qu’ailleurs. Les indices se sont en effet repliés à Abidjan de 5% depuis le 1er janvier dernier contre plus de 10% en France, 16% à Lagos, 8% à Nairobi. Accra, Casablanca et Maurice  ont toutefois par exemple fait mieux. Beaucoup de titres ont été à la base de cette baisse mais quelques grandes valeurs ont été spécialement touchées. La chute boursière des pays émergents a pu en effet amener certains investisseurs étrangers à se désengager de ces investissements jugés présentement trop exotiques. Les valeurs préférées de 2015, orientées vers les secteurs de l’équipement et de la consommation, continuent en revanche à être relativement préservées.

Ces quelques données sont porteuses de leçons plus générales. En Afrique, comme ailleurs, les marchés financiers reflètent au moins partiellement la structure des économies locales. En étant peu exposée aux risques actuels des secteurs pétroliers et miniers, en s’appuyant sur la Cote d’Ivoire dont le taux de croissance élevé et les bonnes perspectives à moyen terme peuvent entrainer les pays voisins, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) dispose pour l’instant d’atouts solides et apparait comme une des régions prometteuses du continent. Il reste à la BRVM à en profiter au mieux en accroissant au plus vite le nombre de ses valeurs, en stimulant la densité des transactions et en élargissant au maximum son public d’investisseurs.

Paul Derreumaux

Afrique Subsaharienne : A-t-on encore besoin des banques ?

Afrique Subsaharienne : A-t-on encore besoin des banques ?

 

Dans l’analyse des questions de financement des entreprises en Afrique, et particulièrement en zone subsaharienne, une place croissante est réservée à la désintermédiation. La donne est simple : face aux insuffisances des financements actuellement disponibles auprès des banques locales, la solution ne serait-elle pas de recourir beaucoup plus aux financements « désintermédiés », directement consentis par des agents non bancaires.

L’origine de cette approche résulte d’abord de l’observation de la situation des pays les plus avancés, et notamment des Etats-Unis. Dans ces derniers, les financements désintermédiés sont devenus majoritaires, atteignant 60% du total. En Europe, les banques demeurent l’acteur principal, mais leur place est désormais ramenée à environ 60% de l’ensemble et tend toujours à baisser. Pour les régions du globe moins avancées économiquement et dans lesquelles le système bancaire est encore très dominant, il est donc logique d’imaginer que les tendances à venir laisseront aussi une part plus réduite aux banques.

Même si cette prévision peut également concerner l’Afrique subsaharienne, le contexte exige de l’apprécier avec prudence. Les banques devraient encore rester longtemps l’intervenant essentiel dans le financement des entreprises. En revanche, certaines autres composantes des systèmes financiers semblent prêtes à accélérer leur développement et les banques pourraient  être activement associées à cette émergence d’une meilleure diversification.

Le système bancaire africain a connu des progrès considérables depuis environ trente ans. Sa solidité, sa densification, sa profitabilité se sont renforcées sur la période. Il a été un des facteurs permissifs mais aussi un des moteurs de la croissance retrouvée dans l’espace subsaharien. Il comprend maintenant des groupes puissants, majoritairement d’origine africaine, qui disposent le plus souvent de réseaux plurinationaux, voire continentaux. Il est le principal bailleur de fonds des grandes entreprises, y compris les filiales de sociétés multinationales, mais aussi l’interlocuteur unique des Petites et Moyennes Entreprises (PME). L’accroissement régulier du nombre d’acteurs avive la concurrence et met au service de la clientèle un panel toujours plus large et mieux adapté de produits et de services. Pour les entreprises en particulier, on note dans la période récente, au moins dans les pays francophones, une nette tendance à la réduction des taux d’intérêt et à l’allongement des durées de crédit, qui constituaient auparavant deux faiblesses notoires. En zone anglophone, ce « trend » est parfois perturbé par les contraintes momentanées de politique monétaire, mais constitue aussi l’orientation fondamentale. On constate également que les crédits bancaires progressent globalement de plus de 10% par an depuis 2008, soit plus vite que la croissance économique, et que le ratio concours directs/dépôts collectés s’élève. Cette place accrue  trouve sa principale logique dans le fait que, en raison de la rareté et de la faible fiabilité des informations en Afrique,  les banques sont les seules à posséder la connaissance du terrain et des emprunteurs, qui est le meilleur garant du bon déroulement des prêts consentis.

La banque subsaharienne n’a cependant pas encore fait le plein des étapes à franchir. Même en incluant la puissante Afrique du Sud, les concours bancaires, avec un total de quelque 750 milliards de dollars en 2014, dépassent à peine 30% du Produit Intérieur Brut (PIB) du continent, contre plus de 45% pour la moyenne des pays émergents. Encore ces chiffres d’ensemble gomment-ils la grande disparité qui existe entre régions et pays. Certains secteurs d’activité sont encore très délaissés, comme celui des plus petites PME, très souvent informelles, qui constituent pourtant la grande masse des sociétés existantes. Quelques statistiques indiquent qu’environ 20% seulement des entreprises disposent d’un crédit bancaire contre près de 80% dans les pays du Nord, et que les PME ont trois fois moins de chance que les grandes entreprises d’avoir accès au crédit.

La priorité absolue pour améliorer le financement des entreprises est donc de consolider et de rendre plus performant le rôle des banques. Deux pistes paraissent primordiales. La première est celle de la poursuite du renforcement des banques elles-mêmes, afin qu’elles soient à la fois plus offensives et plus innovantes. Les effets convergents de la concurrence et de la réglementation devraient produire ce résultat : l’augmentation du nombre de banques, l’accroissement de leurs fonds propres, la multiplication d’agences bancaires de proximité, la hausse rapide des ressources collectées, la consortialisation des crédits aux grandes entreprises, l’extension des cofinancements permettant le partage des risques, une plus grande incursion dans les pratiques innovantes, une meilleure formation et expérience des équipes bancaires figurent parmi les manifestations les plus apparentes de cette transformation. En marge des banques elles-mêmes, la poussée impressionnante du « mobile banking » va accélérer la bancarisation des petites entreprises et favoriser l’octroi de crédits bancaires à de nouvelles catégories de clients. La deuxième source de changement est l’amélioration de l’environnement, qui prendra plusieurs formes. Les Etats pourront y avoir un rôle déterminant s’ils veulent véritablement soutenir le secteur privé en émergence : meilleur fonctionnement de la justice réduisant le coût du risque et donc les taux d’intérêt, incitations fiscales diverses pour l’épargne à long terme, encouragement de la formalisation des entreprises facilitant le travail des établissements bancaires. La généralisation prévisible de « bureaux de crédit » et d’agences de notation apportera un surcroît d’informations propices aux octrois de crédits, surtout aux PME. Enfin, l’augmentation probable du poids relatif et du nombre des entreprises grandes ou moyennes, « boostées » par la vive poussée des PIB nationaux sur une longue période, constituera un autre élément favorable au développement souhaité des banques.

Même si les institutions bancaires sont ainsi de plus en plus performantes, les financements désintérmédiés, qui ne satisfont en effet jusqu’ici en Afrique que 5% des besoins des entreprises, sont inévitablement appelés à croître. Compte tenu des caractéristiques actuelles des économies et des entreprises africaines, l’avancée de ces modalités financières sera vraisemblablement lente. Trois canaux possibles pourraient cependant montrer la voie.

Le secteur des assurances est le premier. Il n’a pas encore fait sa mue comme le système bancaire et connait un grand retard, hormis en Afrique du Sud et dans quelques rares pays d’Afrique du Nord ou anglophone. Les ingrédients sont cependant en place pour une prochaine « révolution » en de nombreux endroits: croissance soutenue des compagnies existantes, fort intérêt de grands acteurs internationaux, accélération spécifique de l’assurance vie en liaison avec l’urbanisation et la croissance économique, poussée au renforcement des sociétés sous la pression des réglementations. Si cette mutation s’engage. L’augmentation rapide des primes collectées contribuera à développer l’épargne longue, qui manque le plus, et à renforcer les moyens financiers du secteur. Les assurances pourront alors faciliter la transformation, par leurs dépôts accrus auprès des banques, et investir davantage sur les marchés financiers, jouant ainsi pleinement leur rôle d’investisseurs institutionnels. Dans cette évolution, banques et assurances ont des synergies à activer. En connectant mieux leurs réseaux respectifs par la « bancassurance », elles ont ensemble les moyens de rendre plus performants leurs circuits de collecte de ressources, de fidéliser leurs clientèles respectives et de promouvoir l’attraction des produits financiers. En élargissant leur gamme de produits, en introduisant des mécanismes de titrisation, les banquiers répondront au vœu des assureurs de diversifier et de mieux rentabiliser leurs placements. En invitant les assurances à des syndications de prêts, les banques initieront celles-ci aux financements désintermédiés.

A la différence des assurances, les fonds d’investissement jouent un rôle pour lequel le secteur bancaire est mal placé : celui de l’apport en capital aux entreprises. Ces fonds ne s’intéressent guère à l’Afrique que depuis la relance de sa croissance. Si leur rôle reste modeste (0,1% du PIB en 2013), leur progression est très rapide (plus de 1,8 milliards de USD investis annuellement). De plus, les acteurs se multiplient et se diversifient, les fonds africains occupant maintenant une place importante. Dans la période récente, ces fonds ont puissamment aidé à la réalisation de grands investissements structurants. Leur intervention se heurte cependant à deux principales limites : concentration sur de grandes entreprises, rares en Afrique ; par suite, champ géographique et sectoriel fort restreint. Un renforcement significatif suppose des changements, pour lesquels, ici encore, les institutions bancaires peuvent être d’utiles alliés. Une première exigence consistera à abaisser la taille des investissements ciblés et à diversifier les secteurs visés afin de toucher un nombre accru d’entreprises : la multiplication de fonds à dimension plus modeste, dans lesquels les banques pourraient être actionnaires, irait dans ce sens. Les « fonds d’impact » locaux en cours de lancement par la structure IPDEV en Afrique francophone pour de très petites entreprises vérifient ce principe et pourraient, malgré leur petitesse, être une référence stimulante pour d’autres initiatives. Une deuxième piste consisterait à recourir davantage, dans les opérations menées, à de l’injection simultanée de capital et de dettes, ce qui permettrait une présence conjointe, sous des formes variées, de financements directs et désintermédiés.

Les marchés financiers, malgré leur faible dynamisme à de rares exceptions,  constituent un troisième canal possible de croissance des financements directs. Les banques y sont de longue date des acteurs majeurs. Sur la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) d’Abidjan par exemple, les établissements bancaires de la zone détiennent la majorité des sociétés de bourse agréées et animent le plus le marché. Là comme sur les autres marchés financiers du continent, le secteur bancaire est un de ceux qui comptent le plus de valeurs cotées, se portent le mieux et sont donc les plus attractifs pour les investisseurs privés locaux ou étrangers. Enfin, au quotidien, les banques sont souvent les meilleurs prescripteurs des bourses de valeurs, soit auprès des entreprises pour leur suggérer des solutions de financement, soit auprès des épargnants pour leur amener à compléter leur patrimoine et le rentabiliser. La consolidation des marchés financiers peut alors s’effectuer en pleine symbiose avec les acteurs bancaires et les deux partenaires y trouvent pleinement leur compte.

La répartition actuelle entre financements bancaires et financements désintermediés n’est donc pas en soi  un motif d’inquiétude. Elle n’est qu’une illustration supplémentaire du retard de l’Afrique par rapport au reste du monde. A ce jour, la consolidation des premiers est une nécessité et ne peut qu’aider à l’avancée des seconds. Les évolutions en cours montrent que, ici encore, le secteur financier est un de ceux qui concourent fortement à la transformation du continent. Reste à voir si cela sera suffisant…

Paul Derreumaux