Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) : Menaces de gros temps pour les banques.

Mars 2023 a été un mois difficile pour le secteur financier.

Aux Etats-Unis, la faillite de trois entités de petite ou moyenne importance- Silvergate Bank, Silicon Valley Bank et Signature Bank- a nécessité l’intervention immédiate et massive de la Federal Reserve Bank pour stopper des risques de contagion dans le secteur bancaire et restaurer la confiance du public. En Europe, le Crédit Suisse s’est effondré et a disparu en trois jours tandis que la Deutsche Bank était elle-même attaquée par des spéculateurs aux aguets. Face à ces difficultés, la mission des principales banques centrales de ramener au plus vite l’inflation dans les limites souhaitées sans casser la croissance a été rendue encore plus difficile.

Dans l’UEMOA, les difficultés se sont cristallisées de façon simultanée, sur la liquidité bancaire et sur le financement régional des Etats de l’Union.

Avant 1996 en effet, les Etats étaient autorisés, pour compléter leurs ressources, à faire appel à des avances de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEA0). Constituant directement une création monétaire, ces facilités étaient étroitement réglementées : l’article 16 des statuts de la BCEAO limitait leur encours à 20% des recettes fiscales de l’année précédente. La création en 1996 du marché monétaire élargi a supprimé cette procédure en la remplaçant par celle de l’émission par adjudication par les Etats de Titres de Créances Négociables (TCN), Bons du Trésor (BAT) à court terme et Obligations du Trésor (OAT) à moyen terme, émis sur ce nouveau marché. L’UEMOA rejoignait ainsi les pratiques déjà couramment utilisées dans les pays d’Afrique anglophone et empruntées des pays les plus industrialisés. Avec la naissance de la BRVM en 1998, un compartiment obligataire a été ouvert à tous les émetteurs pour des opérations à moyen terme par syndication : les Etats y ont progressivement pris une place  très prépondérante pour compléter leur dispositif de financement.

La montée en puissance de l’utilisation par les gouvernements de ces nouveaux instruments a d’abord été poussive : leur nouveauté technique dans la zone et l’existence en cette période de plusieurs alternatives expliquent cette modestie. La première émission obligataire a été réalisée par la Côte d’Ivoire en 2002 pour une durée de 3 ans. En 2006, l’encours global des titres des 8 Etats s’élevait à 277 milliards de FCFA et à une part modeste de la dette publique totale. Mais le bon fonctionnement de ces mobilisations de ressources a entrainé deux évolutions majeures. La première est celle du gonflement considérable des émissions : 55 milliards de FCFA en 2001 ; puis, tous types confondus, 1200 milliards de FCFA en 2009, 3304 milliards de FCFA en 2015 et 6600 milliards en 2022. L’encours atteint cette dernière année est d’environ 20500 milliards de FCFA, dont 12600 milliards de FCFA émis par adjudication et plus de 8000 par syndication. Il approche maintenant 20% du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Union, contre 5% en 2010 et 12,5% en 2015, avec deux accélérations marquées en 2009 et 2013. L’autre tendance est une transformation continue de la nature et de la durée des dettes émises. Ainsi, les syndications des émetteurs publics sont devenues depuis longtemps majoritaires sur le département obligataire de la BRVM, en nombre comme en montant, et en représentent à ce jour quelque 90% ; le terme de ces emprunts obligataires a été constamment allongé, pour atteindre aujourd’hui 20 ans – pour le Bénin en mars 2022. De même, pour les adjudications, les OAT ont pris de plus en plus d’importance, hormis en quelques phases d’ajustement. Malgré certaines périodes de tension, comme en début 2017, le placement de chacune des émissions venues sur le marché s’est effectué quasiment sans accroc, quel que soit l’Etat émetteur. L’absence de risque de change lié à ces emprunts, la compétitivité des taux par rapport aux autres sources de financement, les encouragements des Partenaires Techniques et Financiers (PTF) à privilégier l’endettement intérieur, expliquent cette tendance.

Le développement rapide de cet endettement public interne dans l’UEMOA est resté longtemps soutenu par au moins deux facteurs. Le plus important est sans doute l’excellente liquidité des banques dans leur ensemble sur toute la période grâce aux transformations du système bancaire régional. La densification du nombre de banques et l’amélioration des taux de bancarisation ont largement « boosté » la collecte des dépôts tandis que le taux de transformation de ceux-ci en crédits à la clientèle n’a pas progressé avec la même vigueur : ceci a mécaniquement accru les ressources disponibles des banques et les a incitées à renforcer des emplois de trésorerie bien rémunérés. L’attractivité multiforme de ces emprunts d’Etats a été en effet le second moteur de leur succès. Outre le niveau satisfaisant des taux déjà souligné, ceux-ci offrent plusieurs avantages comparatifs : facilité de refinancement auprès de la Banque Centrale, exemption de coûts en fonds propres à la différence des crédits à la clientèle, faiblesse du risque au vu du déroulement jusqu’ici sans incident significatif de ces opérations. En l’absence d’autres grands investisseurs institutionnels dans l’espace régional, tels les fonds de pensions, les banques sont vite devenues les principaux souscripteurs de ces titres. Les deux derniers rapports de la Commission Bancaire ont d’ailleurs confirmé que le poids de ces placements en trésorerie s’alourdissait dans le bilan des établissements financiers.  

Réponse bien adaptée aux besoins croissants de ressources des Etats de la zone, y compris face à la « crise Covid », cette évolution n’était pas exempte d’inconvénients potentiels. Dès 2007, trois principaux d’entre eux étaient identifiés (1) à moyen terme: risque d’éviction du marché du secteur privé pour des raisons de saturation de celui-ci et de coût des ressources ; affectation non optimale des ressources publiques supplémentaires ainsi  mobilisées par suite des difficultés d’identification des priorités nationales et de coordination entre les Etats sur le marché ;  risque d’insoutenabilité de la dette publique en cas de hausse du coût réel de celle-ci, de faiblissement de la croissance et de dégradation des équilibres budgétaires.    

Le système a cependant fonctionné correctement pendant longtemps grâce à plusieurs données favorables. La croissance économique de l’Union jusqu’en 2019 -une des plus fortes du continent avec plus de 5% en moyenne sur les 10 dernières années- en a été le principal moteur, cette croissance alimentant à la fois les ressources des banques, les recettes fiscales des Etats et la consistance du marché financier. La création de l’Agence titres UMOA en 2013, chargée de réguler et de coordonner les émissions publiques, a aussi aidé à la réussite des émissions en coordonnant mieux celles-ci pour éviter l’encombrement du marché.

Cette mécanique s’est grippée à partir de fin 2022, dans le sillage du changement de paradigme engagé par la quasi-totalité des banques centrales : une hausse généralisée des taux directeurs pour tenter d’arrêter puis de réduire une inflation de portée mondiale et touchant de nombreux secteurs. Dans l’UEMOA, cette bataille a été rendue encore plus difficile par le recul brutal de l’EUR face au dollar US – environ 15% en 10 mois- qui a accru l’inflation importée et réduit le niveau des réserves en devises.  Pressée de répondre à ces diverses contraintes, la nouvelle politique de la BCEAO a visé à la fois le renchérissement et la diminution des possibilités de refinancement des banques : relèvement des taux du guichet principal – 4 hausses en 9 mois pour passer de 2% à 3 % –, restriction de l’accès à celui-ci, relèvement notable du coût et du volume de ressources du guichet annexe. Ces mesures ont eu un triple effet. L’un a été le resserrement de la trésorerie mobilisable des banques, particulièrement marqué à partir de février 2023 : le volume hebdomadaire de liquidités mis à la disposition des banques a décru en moyenne de près de 10% en un mois, mais a surtout fait l’objet de réductions variables selon les banques en fonction de critères retenus par la Banque Centrale pour apprécier la solidité de leur situation respective.   Le deuxième a été en conséquence la recherche par les banques d’une augmentation chaque fois que possible des taux d’intérêts débiteurs pour atténuer les effets sur leurs marges de la hausse du coût des ressources et le ralentissement attendu des encours de nouveaux crédits. Le dernier a été en ricochet la perturbation momentanée des émissions de titres publics. Dès février 2023, de nombreuses opérations à court ou moyen terme n’ont pas trouvé preneur pour la totalité des titres proposes, avec parfois des « gaps » atteignant les 2/3 du total émis, et ont dû accepter des taux en sensible hausse. Certaines ont été reportées jusqu’ au retour au calme du marché.

Devant les difficultés issues de ces changements de l’environnement, la fébrilité a gagné le système financier en mars dernier et a accéléré la mise en œuvre de mesures propres à faire face à la nouvelle situation. Les banques, chacune à leur rythme et selon leurs moyens d’action privilégiés, se sont efforcées de mobiliser des ressources additionnelles auprès de leur clientèle, de reporter certaines dépenses non prioritaires, de céder une partie de leurs placements de trésorerie, d’avoir davantage recours aux crédits interbancaires, de ralentir leurs octrois de crédits quand c’était possible. Les Etats, pour lesquels le recours au marché financier régional est souvent devenu vital pour leurs équilibres budgétaires, ont dû accepter des taux plus élevés et ont activement promu leurs emprunts auprès des investisseurs potentiels afin d’atteindre les souscriptions escomptées. La BCEAO a modérément desserré son étreinte par une politique plus pointilliste sans remettre en cause les orientations directrices de sa nouvelle stratégie.

La rapidité des réactions de chacun semble avoir été efficace. En avril courant, la quasi-totalité des dernières émissions étatiques ont été entièrement souscrites, et parfois sursouscrites. L’écart entre demandes et offres sur les guichets de financement de la BCEAO s’est globalement resserré même s’il demeure inégal entre établissements. Les ajustements opérés devraient s’avérer bénéfiques au moins en deux domaines, importants pour l’amélioration de la profondeur des marchés financiers mais jusqu’alors peu performants : celui de la liquidité effective du marché secondaire des titres d’Etat, celui du volume des crédits interbancaires, qui restaient avant largement cantonnés aux crédits à l’intérieur d’un même groupe.

Ainsi un certain équilibre pourrait être restauré, caractérisé par une prudence accrue en matière de crédits et une hausse des taux d’intérêt, au moins pour un temps d’observation. La remontée de 12% du ratio Euro/USD depuis novembre 2022 devrait aussi favoriser l’effet antiinflationniste de cette nouvelle situation. Ce calme relatif permettra sans doute de mieux s’attaquer aux problèmes structurels toujours oppressants dans la région : augmentation souhaitée du poids relatif des concours bancaires par rapport au PIB, priorité accrue à donner à des secteurs comme les petites entreprises et le logement, affectation de l’usage des emprunts publics plus orientée vers le développement économique, maîtrise de la dette publique. Oublier longtemps les priorités de long terme ne peut conduire qu’à l’échec.  

(1) « Le temps retrouvé de l’endettement intérieur en Afrique », par Sylviane Guillaumont et Samuel Guerineau in Revue française d’économie, 2007

Paul Derreumaux

Article publié le 25/04/2023

Les systèmes financiers de L’UEMOA en 2021 : 1. Banques : Santé florissante, diversité des acteurs, nouveaux équilibres au sommet

Au vu du dernier rapport de la Commission Bancaire, les systèmes financiers de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) demeurent fin 2021 une des activités les mieux portantes de cet espace économique. Leurs trois principaux groupes – banques, sociétés de microfinance (ou Systèmes Financiers Décentralisés SFD) et Etablissements de Monnaie Electronique (EME) – montrent des traits communs d’évolution, mais aussi des spécificités. Les banques y gardent cependant une place très prépondérante tant en masse bilantielle que pour le financement intermédié de l’économie, avec respectivement 92% et 95% du total. Cette domination justifie donc une analyse particulière.

Le premier constat pour les établissements bancaires qui se dégage des données disponibles à fin 2021, et parfois au 30 juin 2022, est celui d’un secteur toujours en croissance et dont la santé s’est encore améliorée. La plupart des indicateurs de bilan augmentent d’au moins 12% : +17,1% pour le total des bilans ; +12,5¨% pour les crédits à la clientèle nets de provisions ; + 19,6% pour les dépôts. Ces rythmes de progression sont tous sensiblement supérieurs à celui du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’UEMOA (+6,0 %) en cette année de reprise post-Covid. De même les principales données d’activité ressortent embellies par rapport à 2020, qui fut pourtant un « bon cru » pour les banques malgré la crise sanitaire : un Produit Net Bancaire (PNB) en hausse de +8,8% ; surtout un taux brut de dégradation du portefeuille ramené à 10,3%, en repli de plus de 11% en un an, qui autorise une parfaite stabilité du volume de provisions pour créances en souffrance ; un résultat net final en conséquence relevé de +77% sur l’année sous revue. Celui-ci induit une belle amélioration des ratios de rentabilité par rapport au chiffre d’affaires comme aux fonds propres. Le coefficient d’exploitation moyen connait lui aussi une remarquable avancée et descend à 61%, plancher jamais atteint dans la dernière décennie. Le fait que ces tendances aient touché les systèmes bancaires de chacun des Etats de l’Union souligne enfin la force de ce mouvement positif. Ce dernier semble d’ailleurs se poursuivre sur le premier semestre 2022 malgré les incertitudes liées à une forte inflation non encore maîtrisée. Les premières données au 30 juin 2022 des banques cotées sur la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) enregistrent en effet de belles augmentations vis-à-vis de la même période de 2021. On note ainsi, en termes de PNB, +10,9% pour la Société Ivoirienne de Banque (SIB), +7,2% pour la BOA-BURKINA FASO, +16,6% pour le réseau Orabank par exemple, tandis que les résultats nets s’accroissent souvent plus vite.

Outre ce panorama avantageux, trois principaux points saillants apparaissent. C’est d’abord un écart grandissant entre les indicateurs de puissance et de modernité des établissements selon les pays. Le nombre des banques en activité, qui s’est actuellement stabilisé en 2020/21 à 131 entités dans l’Union, est partagé pour l’essentiel en 2 zones: Côte d’Ivoire et Sénégal, leaders quasiment ex-aequo avec 27 et 28 établissements chacun ; toutes les autres nations classées en outsiders, comptant chacune 14 ou 15 entités, à l’exception de la Guinée-Bissau et ses 5 banques. Mais les autres critères de ventilation sont beaucoup plus largement différenciés entre pays et reflètent avant tout la vitalité économique de ceux-ci. Ainsi, la Côte d’Ivoire regroupe fin 2021 près de 34% du total des bilans de l’Union, contre moins de 19% pour le Sénégal, mais le retard du dernier est inférieur pour les guichets en activité et supérieur pour les automates bancaires. Derrière, la dispersion est encore plus forte, même hors Guinée-Bissau dont la petitesse fait un cas à part. Le poids relatif des bilans entre pays s’échelonne entre 14,5% pour le Burkina et moins de 4% pour le Niger, hors établissements financiers qui ont une place spécifique dans ce dernier. Ces écarts élevés apparaissent sous d’autres aspects. Le nombre de comptes en Côte d’Ivoire est deux fois plus important qu’au Sénégal alors que la concurrence entre établissements semblerait plus vive dans ce dernier. Le Niger, pays le plus peuplé, recense moins de 60% des guichets automatiques du Togo, moins de 37% des comptes bancaires du Burkina et à peine 17% de ceux de Côte d’Ivoire. Globalement, le nombre des automates bancaires a cru plus vite que celui des guichets. Derrière ces disparités, on retrouve l’évidence, pas toujours acceptée, que la présence d’établissements financiers n’est pas une condition suffisante pour le développement et que la vigueur de ce dernier influe aussi sur les caractéristiques du système bancaire national. En revanche, le taux de bancarisation dans l’Union, longtemps faiblesse majeure, continue à progresser partout. L’effectif des comptes bancaires s’est renforcé de 51% sur 4 ans, bien au-delà de l’accroissement de la population. Cet important progrès est indéniablement un succès de la période récente.

Hétérogènes entre pays, les systèmes bancaires de l’UEMOA sont aussi fort diversifiés dans leurs caractéristiques comme le montrent les deux exemples suivants. Pour la ventilation des acteurs bancaires par leur taille, les spécificités relevées fin 2020 ont toutes été amplifiées l’année écoulée. Pour le degré de concentration des systèmes nationaux, la dispersion des bilans entre les plus petites et les plus grandes banques s’est élargie, avec notamment un seuil en hausse de 14% pour les établissements constituant le quartile des banques les plus importantes. Cette évolution est encore plus significative pour les dépôts, qui connaissent à nouveau la plus forte augmentation de l’écart. Malgré tout, la place des 50% des établissements les plus petits pèse encore lourdement dans le financement de l’économie avec près de 24% du total des dépôts collectés dans l’UEMOA et, surtout, de 36% des crédits de trésorerie, qui expriment la force de leur ancrage territorial. Du côté des acteurs les plus importants, les évolutions se poursuivent lentement au plan global. Les treize groupes rassemblant chacun plus de 2% des actifs bancaires de la zone représentent toujours 75% des bilans totaux et des pourcentages souvent supérieurs en termes de comptes gérés, de nombres d’automates et, surtout, de résultats finaux annuels. Aux douze groupes recensés en 2020 s’est ajoutée seulement la banque gabonaise BGFI. Dans ce total, les entités ayant le siège de leur banque ou de leur holding dans l’Union – les « régionales » – consolident modestement une prédominance acquise depuis 2020 pour leur total bilantiel comme pour la densité de leurs implantations. Elles restent cependant derrière celles ayant leur siège à l’extérieur de l’UEMOA – les « internationales » – pour le nombre de comptes et les effectifs. Le réseau régional d’origine burkinabé Coris Bank est même entré pour la première fois dans le trio de tête, derrière ceux de la togolaise Ecobank et de la française Société Générale, repoussant BANK OF AFRICA au 4ème rang. Ces groupes régionaux comprennent en particulier un nombre croissant d’outsiders vite montés en puissance grâce à la promptitude de leur couverture régionale et à leur plus grande agilité dans les décisions de crédit. Cette transformation était attendue et devrait s’accentuer, les anciens leaders étant au contraire contraints par l’absence d’extension géographique et par les exigences de fonds propres de leurs maisons-mères. Ce passage de pouvoirs s’affiche au grand jour depuis 2021 avec par exemple la « vente par appartements » du réseau de la française BNP au Burkina, au Mali, au Sénégal et, en cours, en Côte d’Ivoire à des actionnaires différents, privés ou publics mais tous régionaux. 

Enfin, le portefeuille des établissements bancaires en 2021 s’est, comme l’année précédente, davantage enrichi d’emplois de trésorerie que de concours à la clientèle. Ces deux catégories augmentent respectivement de 18% et de 12% en 2021 et, depuis 2016, la première a progressé de 84% contre 49% pour la seconde. Il s’agit donc bien d’un mouvement de fond issu de plusieurs facteurs : importantes sollicitations des Etats pour financer leurs budgets et leurs investissements -7200 milliards de FCFA pour la seule année 2021- ; durcissements annuels des exigences réglementaires de fonds propres qui touchent les banques de 2019 à 2022 ; plus grande sélectivité apportée dans la distribution du crédit depuis la crise économique qui a résulté du Covid19 en 2020. Le classement des produits d’exploitation traduit cette restructuration : entre 2017 et 2021, les produits de placement auront progressé de quelque 70% et ceux des crédits à la clientèle de 28% seulement. La relation étroite désormais imposée entre le niveau des fonds propres des banques et les risques qu’elles sont autorisées à prendre a été déterminante pour cette réorientation des emplois. La bonne rémunération des emprunts d’Etat, l’absence de provisions qu’ils entrainent jusqu’ici, les avantages fiscaux qui y sont liés compensent aussi en partie l’infériorité de leur rémunération par rapport aux crédits à l’économie. Même si ces derniers croissent sur la période plus vite que le PIB de la zone, le constat effectué n’est pas un bon signe pour le financement des économies, surtout pour les petites entreprises qui sont les plus touchées par ces choix stratégiques des banques. En contribuant fortement au financement des budgets étatiques, les banques appuient bien sûr indirectement les actions de ceux-ci pour le développement économique, mais le choix par elles-mêmes des secteurs et des entreprises bénéficiaires de leurs concours pourrait être plus efficient et plus bénéfique en termes de rendement même s’il devait être plus coûteux en termes de provisions.

En ligne avec les exercices précédents, l’an 2021 a donc été globalement pour les banques de l’UEMOA une excellente période pour la croissance des activités et un millésime exceptionnel pour les résultats et les indicateurs de solidité. La nouvelle progression du poids relatif des principaux groupes et, au sein de ceux-ci, des réseaux dominés par des intérêts régionaux, est sans doute la mutation essentielle, et devrait s’accélérer en 2022 avec les changements en cours sur ce plan.

Sur deux points cependant, la période écoulée n’a pas connu de modification significative : celui d’une plus forte concentration et d’une diminution du nombre d’acteurs, celui d’un renforcement du rôle des banques dans le financement des économies. L’analyse du dynamisme en ce dernier domaine des banques réparties selon leur taille ne plaide toutefois pas en faveur des plus importantes qui sont moins actives en ce domaine. On peut dès lors se demander si, en l’état actuel de l’environnement réglementaire et des appareils économiques nationaux, une concentration plus forte résoudrait mieux la question du déficit de financement constaté ? « Small would it be beautiful today »?

Paul Derreumaux

Article publié le 05/01/2023

Banques de l’UEMOA : Quelques tendances lourdes pour le futur

Banques de l’UEMOA : Quelques tendances lourdes pour le futur

 

Depuis 2017, les banques des huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ont accumulé les défis à relever : durcissement et diversification continues de la concurrence, finalisation requise du doublement du capital social minimum, profonde modification des règles de gouvernance, challenges réglementaires multiformes, modification du Plan Comptable Bancaire. Le rapport de la Commission Bancaire pour l’année 2018 et l’observation du panorama bancaire fin 2019 donnent une première appréciation sur les capacités et modalités d’ajustement des systèmes bancaires dans les délais fixés face à la multiplicité et à la coïncidence de ces transformations. Trois points pourraient en particulier être retenus.

Le premier est que le nombre de banques en activité a encore augmenté de 3 entités en 2018, pour atteindre 128 établissements. Les exigences supplémentaires n’ont donc pas atténué l’appétit des investisseurs pour le secteur bancaire dans l’Union, ni entrainé une concentration majeure du secteur. Sur la décennie 2008/2018, on constate un triple mouvement. D’abord celui d’une augmentation régulière du nombre global (+32 entités soit environ+35% par rapport à 2008), notamment entrainée par les principaux groupes présents – banques marocaines d’abord, puis banques régionales – qui ont continué à compléter leur implantation en vue d’une présence dans la plupart des Etats de la zone. En second lieu, celui d’un faible regroupement des principaux acteurs : au contraire, le nombre des groupes présents dans l’Union a continument augmenté. Les réseaux qui possèdent chacun plus de 2% des actifs globaux de l’espace bancaire régional sont passés de 8 à 12, les groupes régionaux comme Coris Bank, NSIA et Orabank par exemple rejoignant depuis 2010 les banques françaises et marocaines déjà en place. Dans les trois dernières années, le poids de ces leaders est reste stable aux environs de 76% en termes d’actifs, mais il a crû de plus de 10 points pour les bénéfices, qui atteignaient   quelque 93% du total en 2018. Derrière eux, enfin, on enregistre dans les dernières années un accroissement continu de groupes plus modestes, comptant un petit nombre de filiales et provenant d’horizons géographiques fort variés, et de banques isolées, ce qui traduit le sentiment des investisseurs qu’un espace viable reste disponible. La rentabilité de ces nouveaux établissements, actuellement limitée par leur jeunesse, sera cependant sûrement handicapée par les nouvelles contraintes de fonctionnement du secteur, gourmandes en investissements technologiques et en ressources humaines. Quoi qu’il en soit, le grand mouvement de regroupement attendu n’a guère encore été engagé, contrairement aux orientations de pays comme le Kenya (Commercial Bank of Africa et NIC Bank) ou le Nigeria (Access Bank et Diamond Bank) où des groupes de premier plan ont fusionné. La force des égos a été jusqu’ici préférée à l’union des forces pour répondre aux évolutions requises de la profession.

Le deuxième constat est que le système bancaire régional a réalisé d’importants efforts pour se conformer aux nouvelles exigences réglementaires. Il en a été ainsi notamment pour la modification des règles de gouvernance, visant surtout le fonctionnement des Conseils d’Administration, et pour le financement des titres d’Etat, où l’essentiel a été fait. Il en est de même pour le respect des nombreux nouveaux ratios instaurés en 2018. Ici, le résultat n’est certes pas parfait, mais le poids relatif des banques ayant satisfait aux nouvelles limites au terme de la première année d’application peut être considéré comme satisfaisant. Pour les indicateurs de fonds propres, de levier ou de couverture des emplois à moyen terme par des ressources stables, ce poids dépasse 80% pour le nombre d’assujettis -banques et établissements financiers réunis- et est proche de 90% pour les actifs totaux du système. Le pourcentage approche même les 100 % pour le niveau du capital minimum, dont la date butoir de mise en place était fixée au 30 juin 2017, et pour les limites à respecter en termes de participations mobilières. Le résultat le moins performant concerne le coefficient de division des risques, qui n’est respecté à fin 2018 que par 70% des établissements : l’importance des concours déjà en place et l’étroitesse de certaines places par rapport aux besoins des grandes entreprises nationales expliquent au moins partiellement ce retard.  Ces données globales sont toutefois à nuancer dans une analyse par pays. Le rapport précité montre en effet que, hormis la Guinée-Bissau qui cumule beaucoup de handicaps, le Benin et le Togo semblent être les pays le plus à la traine en termes de ratios. Enfin, la portée du caractère satisfaisant de ce premier test doit être modérée de deux manières. D’abord, face à l’urgence de cet ajustement réglementaire et de la priorité qui devait lui être donnée, une méthode fréquemment utilisée par les banques, au moins dans une phase provisoire, a été celle d’une progression plus limitée de leurs concours et d’une réorientation de ceux-ci vers les dossiers les moins risqués. Le renforcement des fonds propres, contrairement à ce qui était souhaité, n’a donc pas encore permis une plus forte expansion des crédits à l’économie. Il a aussi probablement pénalisé dans l’immédiat les dossiers les plus difficiles comme ceux des Petites et Moyennes Entreprises bénéficiant de faibles garanties. Le ralentissement de la progression des crédits à la clientèle en 2018 par rapport à 2017 tend à confirmer ces hypothèses. En second lieu, 2018 n’a été que la première étape du durcissement des contraintes de fonds propres et de liquidité à respecter. Celles-ci vont augmenter progressivement d’au moins 30% jusqu’à fin 2022, date à laquelle le ratio de fonds propres effectifs s’élèvera au minimum à 11,5%. Les banques auront à réaliser encore des efforts considérables pour atteindre cet objectif, tout en rattrapant si nécessaire les retards enregistrés sur le chemin. Ceci pourra imposer à la fois l’arrivée de nouveaux actionnaires, des paiements de dividendes moins généreux, des recherches d’économies, mais aussi une évolution modérée des actifs risqués. La rigueur de ces nouvelles donnes risque également de provoquer des « accidents de parcours », comme il en a déjà été observé ailleurs ou comme l’a subi un groupe sénégalais en 2019, qui pourraient générer l’arrêt d’activité ou la fusion de certaines banques. La solidité de l’actionnariat, le suivi rapproché des risques et la qualité de la gestion seront donc décisifs dans les quelques prochaines années pour permettre aux établissements de crédit de respecter le dispositif prudentiel tout en poursuivant leurs ambitions commerciales. Il devrait en résulter une plus grande sélection naturelle au sein du système bancaire régional.

Un troisième fait majeur est celui de la poursuite de la montée en puissance des sociétés spécialistes du « mobile banking ». Elles fonctionnent depuis 2008 avec l’agrément d’Emetteurs de Monnaie Electronique (EME) et sont, fin 2018, 8 entités en activité dans 5 pays de l’Union. Elles sont dominées par les grands acteurs des télécommunications, et notamment par le groupe Orange qui compte 4 filiales. Le panorama de ce secteur met en valeur plusieurs faits remarquables. D’abord, leur réussite exemplaire en termes de public : ces EME recensent 37 millions de comptes, dont plus de 50% sont actifs. Comparée aux 12 millions de comptes des banques à la même date, cette statistique témoigne de l’apport inégalé du nouveau secteur pour l’inclusion financière des populations à faible revenu. La facilité d’utilisation par tous et sur tout le territoire national de ce mode de paiement, la modestie de son coût qui l’adapte parfaitement aux petites sommes, justifient ce succès qui devrait se poursuivre. Le déploiement considérable du réseau de distribution, évalué à près de 300000 points de vente, très éloigné des 3600 agences bancaires, facilite aussi par son envergure exceptionnelle l’accès à ce circuit monétaire spécifique et la sortie de celui-ci. On note par ailleurs en 2018 une augmentation de plus de 20% du stock de monnaie électronique, de quelque 30% du nombre de transactions et de 40% de la valeur de celles-ci, des taux bien supérieurs aux rythmes de progression des indicateurs des banques. Ces trois chiffres montrent non seulement que le nombre d’usagers augmente, mais que l’intensité d’utilisation du « mobile banking » croit encore plus vite. Car les usages se diversifient : d’abord destinée à recharger son crédit téléphonique et à réaliser des virements intra-nationaux, la monnaie électronique sert aussi pour les transferts régionaux, et même depuis la France, pour les paiements marchands et les règlements de factures. Les EME sont aussi bien placés pour diversifier rapidement ces canaux d’action grâce à la puissance financière des groupes de télécommunications et à l’agilité de leurs systèmes d’information qui font une large place à la digitalisation. La concurrence de ces nouveaux acteurs reste toutefois modeste jusqu’ici : la masse des unités de valeur en circulation n’était à fin 2018 « que » d’environ 330 milliards de FCFA, soit quelque 1% des dépôts du système bancaire de la zone. Les EME sont aussi confrontés à toutes les exigences liées à la conformité en matière de connaissance du client (le « KYC) ou de lutte contre le blanchiment, qui sont désormais une priorité pour les Autorités monétaires qui les contrôlent. En la matière, leur expérience encore brève et le nombre très élevé de leurs clients les handicape face aux banques et peut freiner leur expansion. Le duel ne fait donc que commencer et reste ouvert.

Devant ces orientations récentes, deux tendances pourraient être souhaitées pour l’avenir dans l’intérêt du public. La première est une évolution plus rapide vers la concentration du secteur bancaire afin que se construisent les groupes les plus capables de qualité, de diversité et de modernité de services, mais aussi de conformité à une réglementation qui se rapprochera constamment des standards internationaux. C’est à ces conditions que sera facilitée l’intégration de nos banques dans un système financier mondial de plus en plus exigeant et méfiant. La seconde est la simultanéité du développement rapide des EME mais aussi de la digitalisation accélérée des banques, qui concourraient toutes deux à l’inclusion financière recherchée. En la matière, les défis sont suffisamment nombreux pour qu’une coopération de ces deux branches les plus dynamiques du système financier soit profitable à tous.

 

Paul Derreumaux

Publié le 13/02/2020 à l’occasion des journées annuelles du Club des dirigeants de Banques et établissements de crédit d’Afrique

BANK OF AFRICA : une tradition pionnière

BANK OF AFRICA : une tradition pionnière

 

Depuis près de 40 ans, la BANK OF AFRICA a été à plusieurs reprises un des pionniers des évolutions vécues par les systèmes bancaires subsahariens.

Sa naissance au Mali en 1982 en a été la première illustration. C’est en effet à Bamako, un 20 décembre, que plusieurs centaines de maliens de tous horizons géographiques et professionnels, quasiment sans appui extérieur et sous l’œil méfiant, voire incrédule, de tous les observateurs, créaient une des premières banques à capitaux privés africains en zone francophone. Ce moment exceptionnel fut d’abord la conséquence d’une nécessité. Tous les systèmes bancaires de l’époque en zone francophone, constitués uniquement de banques étrangères et de banques d’Etat, étaient alors mis à mal, principalement par la crise économique frappant alors l’Afrique pour les premières et par leur mauvaise gestion pour les secondes. La brutale disparition de nombreuses banques et l’affaiblissement généralisé de celles qui résistaient créaient un vide dont plusieurs initiatives privées africaines vont se saisir dans divers pays pour s’implanter dans ce secteur mythique de la banque, considéré jusque-là presque comme inaccessible aux investisseurs africains. Mais cette naissance fut aussi le fruit du hasard : l’adhésion fusionnelle de la dynamique classe des grands commerçants maliens à l’un de ces projets de banque qui lui était alors présenté, ce qui a permis la constitution puis l’ouverture de la BANK OF AFRICA-MALI en un temps record. Certes cette première expérience portait en son sein les inévitables imperfections d’un premier essai dans un univers bancaire en pleine mutation. Pourtant la détermination des dirigeants, l’engagement d’un personnel jeune et motivé, les efforts d’innovation en termes d’opérations et de clientèle visées ont permis à la nouvelle banque de s’implanter solidement et durablement dans le paysage bancaire du pays.

L’expérience BANK OF AFRICA prit un nouvel essor dès 1988 avec le lancement d’une expansion géographique qui fut aussi la voie suivie par plusieurs groupes concurrents. Cette expansion s’est d’abord appuyée sur la création d’une holding qui entreprit de concevoir progressivement les principes et l’organisation de ce développement. Sur cette base s’est ensuite construit pendant plus de vingt ans un réseau régional, puis continental, de banques commerciales sur la base de deux règles majeures. La première fut de bâtir chaque fois que possible les futures entités sur un actionnariat tripartite : des actionnaires privés nationaux diversifiés, des institutions d’appui au développement et la holding du groupe, en maintenant entre chaque composante un équilibre satisfaisant. La seconde fut de mettre en place une structure d’assistance technique capable d’apporter les appuis de formation et d’encadrement nécessaires dans les filiales. Celle-ci prenait en charge des sujets de plus en plus nombreux au fur et à mesure que le Groupe se complexifiait, tout en restant légère et peu coûteuse. L’existence d’une holding de tête et d’une structure centrale d’assistance technique sont maintenant retrouvées chez la plupart des groupes subsahariens des secteurs de la banque ou de l’assurance. La structure de l’actionnariat et l’importance donnée aux actionnaires locaux sont demeurées une spécificité de la BANK OF AFRICA, et une de ses grandes forces. Ainsi organisé, le réseau BANK OF AFRICA a réussi une extension méthodique, fondée à la fois sur des rachats de banques existantes ou sur des créations « ex nihilo », qui l’a conduite à une présence dans 14 pays africains en 2010. Cette implantation s’est étirée du Sénégal à Madagascar et a touché des pays francophones comme anglophones. Parmi ces filiales, certaines ont vite conquis la première place dans leur pays comme au Bénin ou à Madagascar. L’attention portée au maintien d’un équilibre satisfaisant entre les différents actionnaires et au respect mutuel entre chacun d’eux a vraisemblablement été déterminante pour que cette importante extension s’effectue sans crise majeure.

A la fin des années 2000, le réseau BANK OF AFRICA fut aussi le premier à accepter un changement majeur de son actionnariat, comme d’autres groupes subsahariens le firent ensuite. Pour mieux assurer la pérennité du réseau et lui donner les moyens de poursuivre son développement, les dirigeants ont alors accepté l’entrée au capital d’une banque de taille internationale. En plusieurs étapes, le partenaire retenu, la Banque Marocaine du Commerce Extérieur (BMCE), a ainsi acquis une large majorité du capital de la holding, à l’occasion d’augmentations de capital de celle-ci, et de chacune des filiales locales du réseau. L’équilibre capitalistique longtemps maintenu s’est ainsi rompu aux dépens des investisseurs privés subsahariens. Cette évolution était logique de la part d’un actionnaire stratégique cherchant avant tout à sécuriser et rentabiliser son investissement, et poussé également par sa banque centrale à agir en ce sens. Les effets de cette évolution du « tour de table » sur le fonctionnement des banques du réseau ne pourront être appréciés que dans le temps. Compte tenu du fort ancrage des BANK OF AFRICA dans leur espace national et des avantages qui étaient habituellement retirés de cette spécificité, il semble souhaitable que cet impact reste limité. Le caractère africain de l’actionnaire de référence et l’engagement des dirigeants de la BMCE à maintenir l’esprit et l’approche traditionnellement appliqués par BANK OF AFRICA devraient jouer un rôle positif sur ce point. Une autre conséquence a en revanche déjà produit ses effets. Les nouveaux dirigeants du Groupe ont été en effet contraints de privilégier la maîtrise du réseau existant et l’éventuel ajustement de ses structures et méthodes à leurs propres règles, par rapport à la poursuite du développement géographique antérieur. Les autres conquérants marocains arrivés en zone subsaharienne ont d’ailleurs fait de même dans les années 2010. C’est pourquoi, face à la faible évolution du périmètre de ces banques dominantes, les groupes outsiders, plus agiles dans cette conquête de nouveaux territoires, sont montés en puissance dans la période récente.

Les années 2019/2020 devraient marquer le début d’une nouvelle phase dans l’histoire des banques subsahariennes suite à l’amplification de plusieurs contraintes. Le durcissement généralisé des règles de la profession, notamment en matière de capitaux propres requis et de gestion des risques opérationnels et de crédit, oblige tous les groupes bancaires à de lourds investissements et à une phase au moins transitoire de réduction de distribution de dividendes. Par ailleurs, la compétition s’intensifie, non seulement entre établissements bancaires mais avec d’autres acteurs « technologiques », comme les sociétés de télécommunications, aux immenses moyens financiers, qui s’installent sur le territoire traditionnel des banques et révolutionnent les méthodes commerciales et de gestion avec la digitalisation. Enfin, le mouvement d’intégration devrait connaitre une nouvelle relance avec la création de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECA) et les regroupements régionaux qui y seront sans doute associés : cette tendance pourrait constituer une puissante émulation des principaux réseaux à étendre leur empreinte géographique. Ces trois facteurs conduisent à attendre une accélération des opérations de rapprochement de banques ou de recherche d’alliances. En Afrique de l’Est, le mouvement est déjà initié avec la fusion annoncée de la Kenya Commercial Bank (KCB) et de la National Bank of Kenya (NBK) ou le partenariat renforcé da Safaricom avec Equity Bank pour le développement de la « banque numérique » de cette dernière. A l’Ouest, les changements récents dans l’actionnariat de la holding d’Ecobank ouvrent la porte à de telles évolutions. Pour BANK OF AFRICA, l’entrée de la Commonwealth Development Corporation (CDC) au capital de la BMCE est explicitement dédiée par ce fonds d’investissement au soutien de l’expansion du groupe en Afrique subsaharienne. Elle pourrait être le premier pas vers d’autres partenariats capitalistiques permettant à BANK OF AFRICA de garder son rang dans les réseaux subsahariens tout en consolidant ses structures.

Le réseau BANK OF AFRICA conserve donc toutes ses chances de garder sa position de pionnier des mutations engagées dans les systèmes bancaires subsahariens. Elle dispose d’ailleurs de deux actifs symboliques qui pourraient l’aider. Son nom d’abord : alors qu’on pouvait craindre il y a quelques années qu’elle disparaisse, cette appellation prémonitoire reprend toute sa force avec la décision annoncée par la BMCE de l’adopter elle-même pour la maison mère. Nul doute que ce sera un atout utile pour montrer la symbiose du groupe tout entier et sa bonne adéquation aux évolutions du continent. Son mot d’ordre ensuite, inventé dès les années 2000 : « La force d’un Groupe, la proximité d’un Partenaire » symbolise bien tout ce que les clients, quels qu’ils soient, attendent de leur banque : une écoute attentive et la compréhension de leurs attentes quotidiennes, et une capacité de traiter leurs dossiers, petits ou grands, locaux ou internationaux, confirmant qu’ils sont bien intégrés dans le monde. Il reste à utiliser au mieux ces actifs déjà anciens.

 

Paul Derreumaux

Article publié le 18/07/2019