Endettement public : de la marge en Afrique si…

Endettement public : de la marge en Afrique si…

L’endettement public en Afrique est  aujourd’hui globalement modeste et des marges de progression significative existent de nouveau dans la plupart des pays. Un accroissement de cet endettement reste cependant soumis à des conditions exigeantes pour être pertinent avec une accélération du développement.

Durant les vingt dernières années, l’Afrique subsaharienne s’est progressivement libérée d’une très lourde dette publique qui étouffait le budget des Etats et bloquait les nouveaux investissements. Les douloureuses économies réalisées lors des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS), les réformes menées, en particulier à travers diverses privatisations, et les importants efforts d’allègement de la dette consentis par les créanciers ont été simultanément mis en œuvre pour transformer cette situation. L’endettement extérieur, souvent supérieur à 100% du Produit Intérieur Brut (PIB) dans les années 1980, a été ramené à un ratio moyen de l’ordre de 30% au début de la présente décennie. Pour les 33 pays africains bénéficiaires de l’initiative exceptionnelle des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), il en résulte une réduction pouvant représenter 85% de leur endettement. Pour certains, l’aboutissement de ce processus est récent : 2012  pour la Côte d’Ivoire par exemple. La forte diminution conséquente du service de la dette a facilité la remise en ordre des finances publiques et du cadre macro-économique, et permis la relance des investissements par les Etats. Il est aujourd’hui admis que cette évolution, jointe à de meilleurs choix quant aux programmes et options prioritaires, sont à l’origine de la phase de croissance soutenue du continent depuis les années 2000.

La situation est toutefois loin d’être figée. A partir des minimaux atteints ces dernières années, le niveau et le poids relatif de cet endettement des Etats repartent logiquement à la hausse sous l’effet d’au moins trois facteurs.

Le retour à la croissance économique sur le continent incite les Etats à mettre en œuvre des projets de plus en plus ambitieux. Parmi ceux-ci, la nouvelle approche dominante met avec juste raison l’accent sur les infrastructures et l’énergie, très consommatrices en capital. Les initiatives renforcées de coopération régionale comme l’apparition plus fréquente de plans globaux de développement à moyen terme ont aussi pour effet de multiplier les projets de grande envergure : si ceux-ci apportent souvent à terme une meilleure efficacité et des économies d’échelle, ils exigent au départ des financements de montant plus élevé et une plus grande utilisation de concours extérieurs.

L’offre de financements publics classiques s’est par ailleurs largement diversifiée depuis vingt ans. Du côté des institutions multilatérales, la Banque Africaine de Développement ou la Banque Islamique de Développement, par exemple, ont consolidé leur action, aidées par une forte augmentation de leurs ressources et, souvent, une meilleure compréhension des préoccupations prioritaires des pays bénéficiaires de l’aide. Pour les appuis bilatéraux, le fait essentiel est la présence accrue des pays émergents. Leurs interventions sont guidées à la fois par des raisons politiques (démonstration de leur nouvelle puissance économique, lutte d’influence pour prétendre à des responsabilités mondiales) et économiques (recherche de matières premières pour leurs industries ou de marchés pour leurs nouvelles grandes sociétés). La Chine est l’exemple le plus marquant de cette catégorie, mais celle-ci englobe d’autres pays comme l’Inde, Singapour, le Brésil, la Malaisie ou la Turquie. Face à cet éventail plus vaste, tant en termes d’acteurs que de modalités d’interventions, la demande des Etats trouve à la fois un volume plus important de concours disponibles, qui compense la diminution de certaines sources traditionnelles, et des durées et conditions de financement parfois mieux adaptées aux besoins. Il en résulte une plus grande incitation à s’endetter.

Enfin, des circuits ont émergé ou sont réapparus. Avec l’intérêt plus marqué des grandes entreprises pour des investissements en Afrique dans des secteurs financièrement rentables, les Partenariats Public Privé (PPP) étalent dans le temps des charges incombant aux Etats. Le boom des marchés financiers sur le continent a développé en outre le recours aux émissions publiques sur les marchés nationaux de titres à court ou moyen terme, pour le financement des dépenses courantes comme pour les investissements. Même les pays francophones, dont les pouvoirs publics se finançaient antérieurement par le canal de leur Banque Centrale, se sont tournés depuis les années 2000, en particulier en Afrique de l’Ouest, vers leurs nouveaux marchés financiers régionaux sur lesquels ils sont devenus le principal émetteur. Enfin, la prolifération des capitaux disponibles sur le marché international et la baisse des taux amènent un nombre croissant de pays à émettre des emprunts extérieurs : pour la seule année 2014, six pays ont ainsi émis pour plus de 7 milliards de dollars US.

Cette tendance générale conduit à une reprise du mouvement ascendant de la dette de beaucoup d’Etats africains, exprimée en pourcentage par rapport au PIB. Pour la seule dette extérieure, ce taux tombé en deçà des 30% en 2011 serait ainsi déjà remonté à plus de  35% en 2014. Encore ces données ne tiennent compte ni des emprunts sur les marchés nationaux ni des dettes vis-à-vis des fournisseurs qui sont parfois une variable d’ajustement importante. La question majeure devient donc celle de la charge supplémentaire d’endettement qui resterait supportable à court et moyen terme. La réponse varie bien sûr selon les Etats et leur situation actuelle. Pourtant, la plupart disposent bien d’une marge de manœuvre significative, dès lors qu’au moins trois conditions sont simultanément remplies.

La première, et primordiale, est celle de la durabilité escomptée d’un taux de croissance élevé. L’analyse met en effet en valeur deux conclusions essentielles : le ratio Dette/PIB s’alourdit dès lors que le taux d’intérêt nominal moyen de l’endettement est supérieur au taux de croissance du PIB ; l’endettement augmente dès que l’excédent primaire des finances publiques ne peut couvrir les intérêts annuels de la dette.  Une progression sans dommage de la dette publique est donc  d’abord corrélée positivement avec le taux de progression du PIB. Si l’environnement actuel est favorable sur ce plan aux pays africains, il importe que les actions menées assurent la pérennité et la solidité de cette croissance. La qualité des investissements effectués, la maîtrise de leurs coûts et le suivi rapproché de leur mise en œuvre sont ici indispensables pour éviter les errements du passé et pour optimiser l’efficacité de toutes les actions menées. La rapidité et la force de l’impact favorable des investissements et de la croissance sur l’amélioration des équilibres budgétaires seront aussi un élément déterminant pour permettre aux Etats de faire face à des échéances, même croissantes, sans devoir souscrire à de nouveaux emprunts.

La seconde est que les contraintes posées par les institutions internationales de référence soient desserrées. Leur vigilance repose certes sur de nombreuses justifications, anciennes ou plus récentes, quant aux situations difficiles dans lesquelles peuvent tomber les Etats. Pourtant les choses ont changé positivement en deux décades, tant dans la situation économique des pays africains que, pour un nombre croissant d’entre eux, dans les méthodes de gestion des finances publiques et la définition de visions stratégiques servant de fil conducteur aux programmes d’actions. De plus, il ne semble pas exister de taux plafond universel et permanent d’endettement tolérable : celui-ci varie en fonction de la pertinence des politiques menées, comme le montre bien l’histoire de tous les pays du Nord et du Sud. Il est donc vital, alors que se bousculent les urgences de toutes sortes, ainsi que des défis nouveaux et gigantesques pour la population et le climat, que les plus grands partenaires fassent preuve d’imagination et de souplesse pour soutenir efficacement ceux qui ont la volonté d’accélérer leur développement et de le faire avec sérieux. Les moyens existent : renforcement des systèmes d’information préalable, en particulier sur les financements innovants ; aménagement des critères de « concessionnalité » ; modification dans le temps, selon les résultats obtenus, des limites autorisées ;… Une souplesse maximale de ces relations, couplée avec un contrôle attentif de leur application, sera sans doute le meilleur garant contre les dérapages et le recours à des financements hasardeux.

La troisième est que les Etats gèrent avec prudence la composition et les conditions de leur dette, notamment vis-à-vis de leurs nouveaux partenaires. Les taux d’emprunt sur le marché international sont pour l’heure exceptionnellement favorables et rendent acceptable le « spread » du risque africain, mais cette situation lénifiante pourrait se modifier rapidement avec la hausse prévisible des taux américains. Le dollar, monnaie d’émission par excellence de ces dettes, devrait aussi suivre une pente ascendante, qui pénalisera par exemple les pays liés à l’euro ou ceux dont la monnaie « décroche » brutalement comme le Ghana. Dans les  PPP, les propositions des partenaires privés incluent parfois des contreparties de monopole ou de traitement de faveur qui peuvent être à terme fort coûteuses pour les économies. Le recours excessif des Etats aux marchés financiers locaux engendre un risque de pénalisation des investissements productifs privés. Chaque offre de financement doit donc être soupesée avec soin et comparée aux conditions de l’encours existant pour maintenir un profil acceptable de la dette globale et un impact positif des actions menées sur le développement économique.

Les pays africains ont désormais une maturité plus affirmée leur permettant de profiter au mieux de leur situation favorable en termes d’endettement public. A eux de montrer que les difficultés du passé sont encore suffisamment dans les esprits, et de faire preuve d’audace et d’imagination sans retomber dans une situation dans laquelle même les nations les plus riches sont maintenant elles-mêmes engluées.

Paul Derreumaux

Les classes moyennes en Afrique : mythe ou réalité ?

Les classes moyennes en Afrique : mythe ou réalité ?

 

L’émergence à grande échelle en Afrique de classes moyennes, au sens utilisé dans les pays du Nord, est un thème récent, mais le succès de la formule est à la hauteur de l’espoir de changement qu’elle reflète. La réalité couverte est pourtant loin d’être précise et indiscutable.

Lancée en 2010 par un bureau international d’études et d’organisation, l’idée s’est surtout répandue à la suite du Rapport publié par la Banque Africaine de Développement (BAD) en 2011. Selon la définition retenue par ces institutions, les classes moyennes engloberaient en Afrique toutes les personnes au revenu quotidien compris entre 2 et 20 dollars US par jour (en parité de pouvoir d’achat), et capables, après la couverture de leurs besoins incompressibles, d’affecter le solde de leur revenu à des consommations librement choisies. Elles compteraient en 2012 environ 300 millions d’individus. La portée psychologique de cette annonce est forte. Elle montre un des premiers effets positifs concrets de la croissance économique ininterrompue de l’Afrique depuis près de 15 ans:  cette dernière n’est plus seulement un continent d’assistés, porté à bout de bras par des donateurs ou des prêteurs, mais aussi un réservoir de consommateurs pour les entreprises, étrangères ou locales, des secteurs de l’industrie, des services et de la grande distribution. Pour les grands bailleurs comme la BAD, ce constat est aussi le signe que les options prises depuis quelques années à travers des politiques visant la transformation structurelle de l’Afrique et la réduction de la pauvreté commencent à porter leurs fruits. La poursuite attendue de la croissance et la forte expansion démographique dans les trente prochaines années complèteraient le tableau pour en faire une parfaite invitation à investir.

Une analyse plus fine relativise pourtant cette analyse optimiste. Un revenu quotidien de 2 dollars représente par exemple présentement à Bamako ou Abidjan un revenu mensuel d’environ 30 000 FCFA. Ce montant correspond approximativement au Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) en vigueur au Mali. Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), ces niveaux de rémunération sont en moyenne ceux de salariés urbains de catégories modestes (employés de maison peu qualifiés, ouvriers du bâtiment,..). En l’absence de compléments liés à une seconde activité, ce revenu ne permet en aucune façon aux personnes concernées, soumises par ailleurs aux coûts élevés des familles élargies, de consacrer leurs disponibilités à d’autres affectations que la nourriture ou le loyer de l’habitation, qui ne sont sans doute même pas entièrement satisfaites. Avec un revenu double de ce minimum, qui correspond au montant du nouveau SMIG ivoirien ou au salaire de beaucoup de fonctionnaires débutants, la contrainte se desserre à peine dans les pays où le coût de la vie n’est pas le plus élevé. Le respect effectif de ce minimum officiel semble d’ailleurs jusqu’ici difficilement appliqué par nombre d’entreprises. La fourchette haute retenue pour la définition des classes moyennes, soit la contrevaleur d’environ 300000 FCFA par mois ou 7200 dollars par an, permet cette fois d’incorporer dans les dépenses mensuelles de nouveaux postes budgétaires, tels notamment la santé, les frais scolaires, les biens d’équipement ménager et le moyen de déplacement. En particulier, l’achat d’une voiture (d’occasion) est généralement faisable à ce niveau de rémunération et peut sans doute être considéré comme un seuil essentiel. En revanche, les populations concernées sont très minoritaires. De plus, l’achat d’un logement demeure exclu à ce niveau: en effet, si les prêts immobiliers d’une durée supérieure à 10 ans deviennent courants, les taux d’intérêt pratiqués, très souvent supérieurs à 8%, et le coût élevé des terrains et des constructions exigent pour l’octroi d’un prêt bancaire des revenus familiaux sensiblement supérieurs sauf en cas d’auto-construction. L’exemple de pays hors zone franc ne conduit pas à des conclusions différentes. Les statistiques de la Banque Mondiale de revenu moyen annuel par habitant (en parités de pouvoir d’achat) sur la période 2009/2013 donnent en effet une fourchette de 910 (Niger) à 2900 (Côte d’Ivoire) dollars US pour l’UEMOA, mais aussi d’environ 2250 dollars US pour le Kenya et 5400 dollars US pour le Nigéria.

Le choix de seuils financiers modestes était sans doute le seul cohérent avec la volonté de donner à cette classe moyenne une masse significative, pour frapper les esprits. Il parait cependant manquer de réalisme à court terme. Une étude publiée en août 2013 par la banque sud-africaine Stanbic le confirme, puisque cette institution retient pour les classes moyennes une rémunération annuelle par ménage comprise entre 4500 et 42000 dollars US, soit une moyenne 6 fois plus élevée que la précédente, et arrive bien sûr à une population nettement moins nombreuse. Malgré cette restriction quantitative, l’importance de cette classification apparait fondée dès lors que diverses données sont bien prises en compte.

L’essor des classes moyennes permet d’imaginer les changements attendus de la croissance, et les nouvelles opportunités d’investissement qui en résultent dans de nombreux secteurs. Le revenu moyen par tête a en effet considérablement augmenté sur les trente dernières années, parfois en décuplant dans certains pays, et tout laisse à penser que cette poussée va s’accélérer. Dans cette évolution, les nouvelles classes moyennes ne possèdent cependant pas l’homogénéité de leurs homologues européens en termes de modes de vie et de consommation, d’aspirations, ou d’origine professionnelle, ni même celle des classes moyennes des pays africains dans les années 1970, alors essentiellement composées des cadres de l’administration et des sociétés d’Etat. Elles sont aujourd’hui plus disparates, et probablement constituées surtout d’entrepreneurs du secteur informel. Il est donc nécessaire et urgent de préciser les catégories visées et leurs caractéristiques, de mieux cerner leurs demandes réelles, de connaitre leurs contraintes et de réinventer la manière de les servir. Le placage en Afrique d’analyses issues des expériences européennes risquerait de ne pas insuffler tous les impacts positifs possibles, tant pour les économies que pour les populations.

Une autre caractéristique majeure est la forte variation selon les pays de la présence significative de ces classes moyennes  consommatrices. Celle-ci est d’ailleurs souvent en corrélation directe avec le niveau de développement des économies concernées et, surtout, de la transformation structurelle des environnements nationaux. La force de l’urbanisation, un début d’industrialisation, la présence marquée de grandes entreprises internationales sont en particulier un soubassement décisif pour la consolidation et l’homogénéisation des catégories visées. Celles-ci se concentrent aussi surtout dans les capitales, au moins pour les pays subsahariens avec quelques exceptions comme l’Afrique du Sud et le Nigéria. Cette disparité entre nations pourrait s’accentuer à l’avenir par suite de l’élargissement probable des écarts de croissance entre celles qui engageront les mutations sociétales souhaitables et celles où la pesanteur sociale sera plus forte que la volonté de changement.

L’effet favorable sur l’économie de la hausse des revenus distribués sera en outre d’autant plus notable que sera prise en charge par d’autres acteurs la couverture de dépenses sociales, notamment de santé, qui seraient autrement la destination première des augmentations de rémunérations constatées. Du côté de l’Etat, la mise en place d’une assurance santé efficace, la construction de centres de soins bien équipés et ouverts à tous à des conditions financières avantageuses concourront donc directement à alléger certaines charges des individus et à libérer à due conséquence leurs moyens financiers, pour les biens d’équipement ou l’habitat par exemple, fournies par le secteur marchand. Du côté des entreprises, et en particulier des filiales des compagnies internationales, des avancées sont envisageables dans le cadre de la politique de Responsabilité Environnementale et Sociale (RES) à laquelle adhèrent de plus en plus de groupes : le développement des systèmes d’assurance complémentaire ou les mutuelles de santé apporteraient une contribution de même nature.

Enfin, l’impact de la montée en puissance des classes moyennes sera d’autant plus facilement ressenti sur l’économie que celles-ci trouveront à leur disposition des moyens de financement bien adaptés. Les institutions financières, et en premier lieu les banques, ont donc un rôle clé. L’élargissement de la bancarisation, la baisse des taux d’intérêt, l’inventivité des types de garanties jugés acceptables par les prêteurs, la diversification des produits offerts aux emprunteurs seront des éléments importants pour épauler la hausse régulière des rémunérations. Cette évolution est surtout nécessaire pour l’immobilier où l’allongement des concours rend les coûts insupportables lorsque les taux d’intérêt demeurent élevés. Elle est aussi indispensable pour les entrepreneurs informels, qui devraient constituer une bonne part de ces nouvelles classes moyennes, afin qu’ils puissent accéder aux financements bancaires pour la satisfaction de leurs besoins malgré l’absence de flux réguliers de revenus.

Sans surprise, ces différents aspects rejoignent ceux souvent soulignés pour que, dans chaque pays, la croissance africaine soit réellement inclusive et les inévitables inégalités soient correctement maitrisées et limitées. Les nations qui s’attelleront le mieux à ces défis seront certainement celles qui transformeront le plus vite le rêve des classes moyennes en réalité.

Paul Derreumaux

La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan : Interrogations et Perspectives

La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan : Interrogations et Perspectives

Au terme de quinze ans de fonctionnement, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) affiche un bilan plutôt positif : après un démarrage difficile, elle a en particulier fait la preuve de sa viabilité et montré sa capacité à développer progressivement ses activités. Ses détracteurs lui reprochent toutefois de progresser trop lentement et de souffrir encore d’importantes faiblesses de fonctionnement. Face à eux, les dirigeants de la BRVM affichent de fortes ambitions et une grande confiance dans l’avenir de l’institution

Chaque appréciation comporte bien sûr ses arguments. En l’état actuel, la BRVM nécessite encore des améliorations sur plusieurs plans et subit diverses contraintes de son environnement. Dans le même temps, les développements escomptés sont justifiés et plausibles, mais ils supposent que soient réunies des conditions précises.

En termes de faiblesses, il apparait en premier lieu que le contenu du marché financier n’a pas évolué selon les attentes majeures de ses fondateurs. Les sociétés déjà présentes sur l’ancienne Bourse des Valeurs d’Abidjan (BVA) sont restées en place pour la plupart, mais peu d’entre elles ont eu recours au marché pour leur expansion. Moins de dix sociétés, surtout issues des secteurs de la banque et des télécommunications, sont venues s’ajouter sur la liste des sociétés cotées. Les privatisations d’entreprises publiques, qui devaient être la principale origine d’accroissement de l’offre, ont été pour l’essentiel retardées ou se sont réalisées selon d’autres voies, à l’exception notable de Sonatel et d’Onatel. Le financement des grandes sociétés régionales s’est donc peu tourné vers ce nouveau marché alors que celui-ci avait été créé à son profit. Les Etats eux-mêmes sont au contraire devenus l’émetteur dominant, mais leurs opérations obligataires ont été rarement tournées vers la réalisation d’investissements. Les contraintes à court terme  rencontrées les ont plutôt conduits à utiliser le marché boursier pour financer des besoins de trésorerie qui ont cru partout de manière très importante. A fin 2012, les opérations étatiques représentaient près de 70% du total des actifs du compartiment obligataire alors qu’elles étaient quasiment inexistantes 10 ans auparavant. Pour la seule année 2014, plus de 1700 milliards de FCFA de titres publics, toutes durées confondues, ont été émis. Cette situation génère deux risques majeurs. Le premier est celui d’un assèchement du marché, dont la profondeur effective est très mal connue, et de l’apparition de difficultés de placement ou de cherté excessive pour les émetteurs privés d’emprunts obligataires. Le second est que certaines émissions effectuées se retrouvent à un moment en difficultés de paiement, même provisoires, et compromettent ainsi sérieusement la crédibilité des Etats comme celle de la Bourse. Certes, l’analyse effectuée en amont par les Instances responsables permet de vérifier la fiabilité des besoins sous-tendant ces mobilisations de ressources, mais les priorités des Etats sont parfois difficilement discutables. De plus, des évènements exogènes graves peuvent perturber le cours normal des choses, comme ce fut le cas de la crise ivoirienne en 2010.

A côté de ces difficultés externes, le marché financier régional Ouest Africain laisse encore apparaitre diverses faiblesses internes. Même si des progrès significatifs ont été accomplis ces dernières années pour les corriger, des améliorations restent urgentes.

D’abord, les coûts demeurent élevés pour ceux qui ont accepté de s’engager sur l’un ou l’autre des compartiments de la BRVM, en comparaison avec des modalités alternatives de financement. Il s’y ajoute, hormis pour les émissions étatiques, des fiscalités dont le caractère attractif, décidé au plan régional, n’est pas encore appliqué intégralement dans tous les pays. Outre cette pénalisation financière, les contraintes administratives fixées, notamment pour les émissions obligataires, peuvent décourager les candidats. Il en est ainsi des garanties exigées, étonnantes par exemple pour les banques émettrices d’emprunts. Les aménagements récemment introduits, en particulier par la substitution à ces garanties financières de notations d’agences spécialisées, sont une avancée notable, mais la souplesse de ce nouveau système doit encore être renforcée et son coût abaissé. Enfin, le processus d’agrément à la Bourse par les structures compétentes reste nettement trop long pour les opérateurs privés, ce qui exige des mises à jour répétées des données requises. Bien sûr, la rigueur des procédures et le niveau élevé des exigences sont parfaitement compréhensibles, mais les enseignements tirés des quinze ans écoulés doivent permettre désormais de nouveaux ajustements. En la matière, il est essentiel que tous les émetteurs, publics ou privés, soient traités sur un pied d’égalité. C’est à la fois une question d’équité, mais aussi de crédibilité vis-à-vis des investisseurs étrangers.

Le troisième facteur à prendre en compte est celui de l’environnement économique sous deux principaux aspects. Avant tout, le marché financier est le reflet, en particulier pour les actions, du niveau de développement atteint et de l’histoire économique constatée. Rappelons que les bourses de Paris et de New York sont nées respectivement en 1724 et 1817 et que leur croissance a été notamment soutenue par celle des grandes sociétés ferroviaires, minières, industrielles et d’infrastructures qui ont été à la base de la révolution économique du XIXème siècle en Occident. L’évolution de ces deux marchés, comme celle de nombreux autres, prouve que le marché financier et la croissance économique se nourrissent mutuellement. De plus, la comparaison du ratio des financements d’intermédiation par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB) est un autre élément de relativisation de la taille respective des marchés financiers. La jeunesse de la BRVM, le niveau encore limité du développement économique de la région doivent être intégrés dans l’analyse : ils justifient, au moins en partie, la modestie de notre capitalisation boursière et du nombre de sociétés cotées. A contrario, l’accélération et la meilleure régularité de la croissance régionale depuis plus de 10 ans sont des facteurs décisifs de l’avancée régulièrement constatée sur la BRVM sur les dernières années. La capitalisation du compartiment actions, qui avait atteint 5000 milliards de FCFA en 2011 a ainsi dépassé les 6000 milliards de FCFA dès le début de 2014. Un second élément de contexte jouant sur le dynamisme de la Bourse régionale est la rigidité du lien qui unit le FCFA à l’Euro. Pour les investisseurs étrangers, qui retrouvent une confiance dans les fondamentaux des économies africaines, cette parité n’est une caractéristique protectrice qu’en cas de fortes incertitudes sur d’autres monnaies mais pas en cas de turbulences mondiales. C’est pourquoi ces acteurs extérieurs ont été croissants avant 2008, se sont plutôt retirés après cette date et auraient plutôt tendance à revenir. Pour les investisseurs nationaux, au vu de cette stabilité du FCFA, les placements boursiers sont surtout une modalité de placements à long terme orientés vers des titres au bon rendement annuel plutôt qu’un moyen de se prémunir contre une perte régulière de valeur de leur monnaie. Ceci explique le comportement davantage patrimonial de nos épargnants à la différence de ceux des pays africains à la monnaie moins stable.

Malgré ces handicaps liés au contexte autant qu’à la jeunesse de la structure, les perspectives d’évolution de la BRVM devraient être nettement favorables pour les prochaines années. Afin de concrétiser ces potentialités, plusieurs conditions ou directions sont cependant à  réunir.

La première concerne la poursuite,  et si possible le renforcement, de la croissance économique de l’UEMOA, point d’ancrage de la vitalité et de l’expansion du marché financier. Sur ce plan, les hypothèses sont optimistes et un taux de croissance annuel moyen d’au moins 6% est escompté jusqu’à 2016 pour la sous-région. Ce taux pourrait sans doute être porté à un minimum de 7% si la croissance  s’accompagne d’une nette amélioration de l’environnement des affaires et d’une meilleure efficacité des administrations, qui transformeraient en profondeur nos économies et nos sociétés. La force de notre intégration régionale, souvent citée en exemple, pourrait alors être mise à profit pour amener tous les pays de l’Union dans un cercle vertueux de développement. Notre Bourse régionale, expérience unique au monde, serait bien placée pour être un des moteurs de cette évolution homogène. Sur cette base, l’objectif fixé à la BRVM d’entrer à bref délai dans le groupe des cinq plus importantes places africaines semble très réaliste et pourrait constituer une première étape tangible de notre consolidation..

Une seconde condition est la poursuite des transformations structurelles engagées pour rendre la BRVM plus attractive. Les directions déjà engagées sont pertinentes et pourraient être accentuées dans les meilleurs délais. Une nouvelle réduction des coûts d’entrée et de présence sur le marché, toutes commissions incluses, est d’abord souhaitable pour que les émetteurs puissent donner une préférence au recours au marché financier, en particulier par rapport aux crédits bancaires dont les conditions s’adoucissent régulièrement sous la pression d’une compétition accrue entre banques et du très faible niveau des taux internationaux. Cette baisse des coûts sera certes d’autant plus réalisable que les valeurs inscrites et les opérations effectuées seront plus nombreuses. Elle est cependant avant tout la conséquence de choix politiques que la BRVM et les différents acteurs du marché doivent assumer pour justifier leurs ambitions. Les procédures de sécurisation pourraient utilement continuer à être diversifiées  en admettant d’autres garanties, en allégeant celles-ci dans certains cas ou pour certains secteurs, en acceptant l’intervention des agences de notation internationales. La rapidité de réaction à des demandes d’émission obligataire, d’augmentation de capital, voire de nouvelle cotation en bourse sera aussi un élément déterminant pour convaincre les sociétés de la région de la performance du marché et de l’opportunité d’y avoir recours. Ici encore, toutes les Instances de décision se doivent d’être compétitives, faute de quoi le marché ne pourra profiter des opportunités que génère l’embellie actuelle de la croissance africaine.  On pourrait également ranger dans ce chapitre les mesures nécessaires pour préserver un équilibre acceptable entre les émetteurs publics et privés, aussi bien en termes de volume d’opérations que de calendrier de celles-ci. La création récente de l’Agence UMOA Titres montre à la fois la prise de conscience du risque existant et la possibilité de le réduire grâce à une meilleure coordination des offres des Etats. Toutes ces dispositions apporteraient à la fois une plus grande attractivité financière et une meilleure organisation de la place d’Abidjan, toutes deux de nature à stimuler l’intérêt des acteurs économiques extérieurs comme régionaux.

Enfin, la dernière piste de progression de notre Bourse réside évidemment dans l’élargissement de sa gamme de produits. Les avancées passées, comme par exemple la création de quelques SICAV ou FCP, sont encore insuffisantes et la multiplication des OPCVM est très certainement de nature à multiplier les transactions sur tous les compartiments grâce à un rôle accru des professionnels. Le projet de création d’un Département réservé  aux Petites et Moyennes Entreprises est en cours de concrétisation. Une autre voie d’expansion pourrait être celle d’un marché spécialement réservé aux Start Up dans quelques secteurs d’activité reconnus au niveau mondial comme particulièrement porteurs d’avenir. Des restrictions pourraient alors être apportées aux agents admis à investir sur ce marché hautement risqué, pour éviter les possibles désillusions futures d’acteurs peu expérimentés. Dans l’UEMOA comme ailleurs, une bonne partie des entreprises futures n’existe sans doute pas encore. Les jeunes talents africains, qui ont parfois déjà fait leurs preuves sous d’autres cieux, pourraient alors trouver localement les fonds qui leur manquent et faire profiter pleinement la région de leur créativité. Le renforcement qualitatif pourra aussi trouver sa source dans les coopérations accrues avec d’autres bourses, comme les dirigeants de la BRVM l’ont déjà commencé avec les places d’Accra et de Lagos, et dans l’appui technique que sont en mesure d’apporter les intervenants de marchés plus développés. Sur ce plan, la forte présence des groupes bancaires marocains dans l’Union est une excellente opportunité. Tous sont des acteurs majeurs sur un marché boursier national très mature et sophistiqué : leur implication renforcée dans les activités boursières de leurs filiales subsahariennes sera essentiel pour accélérer les évolutions en cours. Enfin, si ces ouvertures complémentaires sont nécessaires, il faut en même temps que la BRVM consolide les garde-fous empêchant autant que possible les opérations à caractère spéculatif ou hasardeux. Tout impact négatif qui serait lié à de telles opérations aurait des effets dévastateurs sur la confiance qui commence à s’installer et projetterait notre région dans des espaces de turbulences évités jusqu’à présent.

En quinze ans, la BRVM a donc su s’imposer comme un marché financier fiable, viable et profitable, pour ses émetteurs aussi bien que pour ses investisseurs. Certaines de ses caractéristiques sont encore fragiles et doivent faire l’objet d’améliorations, parfaitement explicables par sa jeunesse. Malgré cela, beaucoup d’expériences concrètes observées confirment les apports possibles que ce marché a déjà amenés. Les transformations introduites ces dernières années témoignent bien de la ferme volonté d’aller plus loin en ce sens et du soutien des Autorités politiques de l’UEMOA.  Cet état d’esprit est sans doute le meilleur gage des développements que peut encore réaliser la BRVM et de la responsabilité qu’elle porte au sein de notre zone. Il faut maintenant que les actions annoncées soient menées à bien avec diligence. Le marché financier est un terrain réservé aux hommes d’action. L’Histoire des grands devanciers de Paris ou d’ailleurs montre que, à côté des temps de facilité ou des  réussites éclatantes, chaque place doit subir aussi ses moments difficiles et ses jours d’échec. Pour devenir l’instrument irremplaçable de financement des économies qu’ils sont aujourd’hui, ces marchés ont su faire montre à chaque instant d’imagination des acteurs, de soutien des Autorités, d’exploitation des opportunités et de vitesse de réaction. C’est ce cocktail d’atouts que la BRVM devra mettre en œuvre pour gagner la partie qu’elle a engagée.

Paul Derreumaux

Afrique de l’Ouest : une année manquée ?

Afrique de l’Ouest : une année manquée ?

 

L’Afrique de l’Ouest va-t-elle manquer le coche de l’année en cours et ne pas profiter au mieux des opportunités qui lui étaient offertes pour être en 2014 un des champions de la croissance subsaharienne ?

Certains des atouts annoncés ont bien été concrétisés. Les investissements en infrastructures se sont effectivement accélérés et quelques projets phares sont lancés comme la Boucle Ferroviaire qui devrait concerner 5 pays de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Le secteur minier est resté très actif et quelques nouveaux gisements ont été identifiés. Le fonctionnement de l’UEMOA demeure une référence en Afrique Subsaharienne et permet de progresser sur divers grands chantiers comme celui de la fiscalité. La Côte d’Ivoire a repris son rôle de moteur économique de la zone, avec un taux de croissance supérieur à 10% en 2013 comme en 2014, et attire des investisseurs étrangers en nombre croissant.

Pourtant, alors que la fin d’année approche, le sentiment d’ensemble est la déception.  

L’occasion offerte d’une concentration de l’attention sur les grands sujets économiques, grâce à l’absence d’élections majeures en 2014 et à la fin des crises ivoirienne et malienne, a été rarement mise à profit. Au Mali, les faibles progrès dans les négociations avec les touarègues et une sécurité encore fragile ont bloqué une bonne part des projets de relance dans la partie Nord du pays tandis que les insuffisances constatées dans la gouvernance freinent le soutien des grands partenaires financiers. Les investissements publics comme privés s’effectuent donc au ralenti et le taux de croissance de 6,5% annoncé pour 2014 semble difficile à justifier. Au Niger, les actions menées dans le cadre d’un ambitieux Plan de Développement à moyen terme ont vu leurs effets pénalisés par de vives tensions politiques et par les grandes faiblesses persistantes de l’administration. Au Burkina Faso, les bonnes performances des années précédentes risquent d’être amoindries en 2014 par les problèmes énergétiques rencontrés et par l’impact négatif sur les investissements des contestations déjà engagées à propos des élections présidentielles de novembre 2015. Au Sénégal, les résultats obtenus par la nouvelle équipe ne sont pas jusqu’ici à la hauteur des attentes. Dans le voisinage de l’UEMOA, deux  pays qui semblaient être des piliers de la croissance régionale font face à de sérieux handicaps : le Ghana en raison de la forte chute de valeur de sa monnaie ; le Nigeria par suite de la montée en puissance du terrorisme dans le Nord du pays.   

Deux principales raisons peuvent être avancées pour ce contretemps généralisé. La région s’est d’abord heurtée à deux handicaps exogènes. Les risques instillés par les groupes terroristes n’ont pas disparu malgré la défaite de ceux-ci au Mali : la menace s’est faite moins directe mais reste toujours pesante dans toute la bande sahélienne et y gêne les investissements, des entreprises comme de l’Etat. Les dégâts causés par le virus Ebola depuis début 2014 se sont rapidement amplifiés et propagés : l’épidémie frappe maintenant officiellement quatre pays, y compris le géant nigérian, mais l’étendue réelle de la contagion est mal connue et les moyens de la stopper non encore identifiés, ce qui provoque parfois une panique contreproductive. A côté de ces éléments externes, le retard croissant pris dans les transformations structurelles constitue sans doute l’élément déterminant des performances décevantes. Les financements requis sont en effet désormais plus facilement mobilisables grâce au renouveau de la confiance envers toute l’Afrique subsaharienne et la diversification continue des bailleurs de fonds. Les priorités stratégiques d’investissements font partout l’objet d’un large agrément, ce qui facilite leur mise en œuvre. En revanche, faute de volonté politique, les réformes les plus difficiles mais aussi les plus décisives sont reportées ou menées à pas trop lents : transformation en profondeur de l’administration afin d’accroitre son efficacité et son honnêteté ; lutte contre la corruption sous toutes ses formes; appui effectif à l’initiative privée tournée vers les activités productives ; modernisation et renforcement de l’agriculture, maîtrise des inégalités et amélioration du caractère inclusif de la croissance. En Afrique francophone plus qu’ailleurs, ces mutations sont indispensables pour détruire les blocages à une croissance économique plus vive et mobiliser au profit de cet objectif toutes les énergies disponibles. L’Etat est en effet dans cette région un acteur économique encore trop important. Il lui faut absolument concentrer ses efforts sur la création d’un environnement mieux adapté au développement, laisser plus de champ libre au secteur privé en exigeant de lui en contrepartie qualité des projets et respect des règles fixées, et veiller à une nette amélioration de la répartition des fruits de la croissance.

L’année 2015 ne sera guère propice à des avancées majeures en ces domaines difficiles. En Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, qui semblent être les pays plus enclins à ce type de réformes, l’attention sera très vite focalisée sur les élections de fin d’année, ce qui devrait ralentir le traitement des sujets les plus difficiles. Ailleurs, il restera d’abord nécessaire de passer en la matière des paroles aux actes. Pour cela, les Autorités doivent être convaincues du caractère vital de ces transformations pour leurs pays. Pour les en convaincre, deux influences extérieures pourraient être déterminantes. Après avoir soutenu très justement la mise à niveau des infrastructures, les partenaires financiers devraient renforcer leur appui financier et technique à ces mutations et en faire une nouvelle priorité. C’est en effet une condition nécessaire pour atteindre l’accélération de la croissance que certains, comme la Banque Africaine de Développement (BAD) appellent maintenant de leurs vœux. Il  faudra cependant de la part de ces institutions un grand effort de réflexion stratégique et de meilleure écoute des contraintes locales pour que leur message soit entendu. L’autre acteur essentiel devrait être l’UEMOA : sa solidité, son fonctionnement sans heurts lui donnent une responsabilité décisive en la matière. Il sera toujours plus facile aux Etats de mettre en œuvre des actions délicates  décidées en commun que de les imposer seuls face à des oppositions ou des lobbys peu soucieux de l’intérêt général. L’Union pourrait donc utilement renforcer son rôle aussi bien dans la promotion de grands investissements structurants que dans celle de réformes institutionnelles ou environnementales.

Le pari est difficile mais il est fondamental. En plus des menaces actuelles déjà évoquées, l’Afrique de l’Ouest doit affronter, peut-être encore plus que d’autres parties de l’Afrique subsaharienne, trois challenges essentiels. A court terme, celui des emplois à offrir en masse à une jeunesse exigeante, mais à laquelle sont données des formations souvent mal adaptées et des opportunités de travail en nombre insuffisant. A moyen terme, une explosion démographique encore non maîtrisée et exceptionnellement rapide. Selon les estimations du « Population Reference Bureau » et faute d’infléchissement des tendances présentes, la population des 8 pays de l’Union devrait être multipliée par 2,5 en 35 ans et dépasser les 250 millions de personnes en 2050, après avoir franchi un seuil de 140 millions d’habitants dans 10 ans. Il est facile d’imaginer l’immensité des actions à accomplir pour apporter à ceux-ci un niveau de vie et de progrès social acceptables. A plus long terme enfin, des modifications climatiques notables, dont les effets sont jusqu’ici très peu pris en compte.

L’urgence devait donc être le maître mot. Le temps politique n’est cependant pas le même que le temps économique… jusqu’à ce que les faits reprennent le dessus sur les promesses.

Paul Derreumaux

France : la croissance doit-elle être le premier objectif de l’Etat ?

France : la croissance doit-elle être le premier objectif de l’Etat ?

 

Vues d’Afrique, les difficultés économiques actuelles de la France, et les péripéties politiques qui l’accompagnent, devraient interpeler les Responsables des Etats d’Afrique subsaharienne. Elles montrent en effet la fragilité du bon fonctionnement d’une économie, même très développée, et sont donc riches d’enseignement.

Comme dans beaucoup de pays européens, les Autorités politiques françaises ont à résoudre actuellement une équation économique comportant au moins cinq principales inconnues: réduire la charge de la dette extérieure, atteindre l’équilibre budgétaire, maximiser la croissance, minimiser le chômage, améliorer la compétitivité de l’appareil économique.

La situation, qui n’était pas la plus mauvaise en 2009, ne s’est guère améliorée et devient donc maintenant l’une des plus inquiétantes alors que d’autres nations  relèvent la tête.

Beaucoup de raisons, économiques ou politiques, sont avancées pour expliquer cet échec français. La comparaison avec d’autres expériences – européennes ou non – permet de mettre en valeur, de manière non exhaustive, certains de ces facteurs.

Une première cause est de continuer à vouloir atteindre en même temps tous les objectifs en choisissant une voie médiane, en essayant en même temps d’éviter les changements les plus difficiles liés à l’atteinte assurée d’un d’entre eux. Cette  option semble d’autant plus erronée que certains objectifs, comme le taux de croissance, dépendent à la fois de tous les agents économiques nationaux – et pas seulement de l’Etat – et du contexte international. La seule influence, partielle, que l’Etat peut donc avoir sur lui, est celle de la création d’un environnement national favorable, ce qui n’a pas été fait. Les Etats qui paraissent avoir le mieux réussi à enrayer la crise ont concentré leur attention et leur action sur l’équilibre budgétaire et le marché de l’emploi, sur lesquels ils ont une prise directe, en escomptant que  le succès sur ces plans permettrait une évolution vertueuse des autres cibles. Des réformes profondes ont été menées et des sacrifices souvent très importants ont été acceptés par les entreprises et, surtout, la population durant près de 5 ans, mais ces efforts semblent avoir aujourd’hui les effets positifs espérés sur les autres variables. 

Des efforts insuffisants pour restaurer l’équilibre budgétaire sont une autre explication essentielle. L’équilibre permanent n’est bien sûr ni nécessaire, ni optimal et des déficits publics sont justifiés s’ils financent pour un temps des investissements générateurs de croissance future ou un « trou d’air » de la conjoncture. Même la « règle d’or », si âprement discutée, est sans doute inapplicable et d’ailleurs peu utile. Comme la croissance, l’équilibre ne se décrète pas : il se construit à force de rigueur et de respect de principes normalement connus de tous. Le laxisme toléré en France, comme ailleurs, depuis plus de vingt ans, bien au-delà de la normale, rendait inévitable un ajustement urgent et pertinent, qui n’est pas opéré à ce jour. Les deux outils possibles à cette fin n’ont en effet pas été utilisés de façon optimale.

Pour l’augmentation des ressources publiques, et principalement de la fiscalité, la marge de manœuvre était certes modeste en raison du niveau déjà élevé des prélèvements publics. Les choix opérés en la matière ont cependant été caractérisés par leur complexité et par la variabilité des buts poursuivis et donc des mesures prises. Ces hésitations sur la politique suivie et les changements régulièrement entrepris ont réduit les effets de ces hausses tout en élargissant au maximum le sentiment d’insatisfaction. Les « rafistolages » ont remplacé la refonte globale de la fiscalité toujours promise mais jamais réalisée, et le « choc de simplification » a oublié les taxes. Deux solutions « neutres » semblent notamment avoir été sous-employées alors qu’elles pouvaient générer des ressources significatives : celle d’une augmentation plus forte de la Taxe à la Valeur Ajoutée (TVA), avec une simplification de ses taux, en application du principe de « qui consomme paie » ; celle de la vente par l’Etat de certains de ses actifs, notamment immobiliers.

Pour la réduction des charges, il parait effectivement nécessaire d’éviter des ponctions excessives dans les dépenses de redistribution que l’Etat se doit de maintenir tant pour des raisons morales que pour amortir les effets de la crise. Certes des rentes anormales existent et sont à éliminer, mais la protection sociale de qualité dont bénéficie une grande part de la population française est un acquis qui a valeur universelle et est à préserver. L’économie peut donc provenir surtout de deux sources. D’abord, toutes les structures administratives elles-mêmes doivent à la fois réduire leurs coûts de fonctionnement et améliorer leur efficacité. Les réalisations faites sur ce terrain sont infinitésimales par rapport aux possibilités. La réforme territoriale annoncée  en est un bon exemple puisqu’ on indique déjà que la modification (trop timide) de la carte des régions apportera peu d’économies. La refonte doit  être profonde, généralisée, soucieuse d’efficacité et portée en conséquence par une volonté dégagée d’arrière-pensées politiques, ce qui est évidemment difficile. Ensuite, l’externalisation d’une partie des missions et des charges de l‘Etat permet de répondre à des besoins pressants sans peser immédiatement sur les finances publiques : l’expérience des autoroutes montre l’efficacité de cette approche si l’Etat garde la vigilance nécessaire sur le dispositif en place. Ces Partenariats Public Privé (PPP), présentés comme solution miracle dans les pays en développement, sont applicables en nombre de domaines comme les transports, l’énergie, dès lors que les pouvoirs publics fixent des règles de fonctionnement équitables, imposant à la fois rigueur et qualité de service. Ils pourraient être un des éléments d’un grand plan d’investissements publics apportant à la fois relance économique et modernisation.

La mauvaise appréhension de la question du chômage est un troisième facteur. La rigidité exceptionnelle du marché du travail a certes permis que le chômage n’explose pas récemment comme il le fit ailleurs. Elle ne l’a toutefois pas empêché de s’accroitre significativement et gêne actuellement son possible reflux. La non prise en compte des changements intervenus dans les relations des entreprises et des salariés avec l’emploi explique les décisions prises en ce domaine. Pressurés par la concurrence et par la crise, les employeurs cherchent à composer une part croissante de leurs effectifs de salariés en contrat à durée déterminée. Du côté de la demande, ce changement inévitable est désormais de plus en plus accepté, faute de mieux. Les acteurs sociaux sont donc prêts à supporter une plus grande flexibilité dans leurs  relations, comme c’est le cas dans de nombreux pays développés. Il pourrait en résulter, comme ailleurs, une diminution du chômage. Plusieurs facteurs entravent en France cette évolution : un comportement des organisations patronales et syndicales plutôt porté à la confrontation qu’à la concertation ; un dispositif de compensation financière du chômage très « avantageux » et peu incitatif à l’acceptation d’emplois peu protégés ; des coûts minimaux du personnel fort élevés  en raison des charges fiscales et sociales qui y sont liées. Il apparait donc préférable d’accepter les transformations sans doute définitives de cet univers du travail en atténuant au mieux les blocages énumérés ci-avant et en mettant en place l’environnement assurant que les salariés ne sont pas les victimes de ces changements : développement maximal de l’apprentissage et de formations professionnelles bien adaptées pour faciliter les mutations en cours de carrière ; renforcement des possibilités de concours bancaires, y compris à long terme, pour ceux qui n’ont pas de contrat à durée indéterminée ; encouragement maximal à la création et au soutien des petites et moyennes entreprises.   

Enfin, la qualité du leadership politique est une autre donnée clé du succès. Celle-ci suppose  plusieurs conditions. D’abord la clarté et la pertinence de la vision à long terme des leaders politiques quant à l’avenir de notre société et aux conditions requises pour le réaliser au bénéfice de tous. En second lieu, la consistance et la stabilité des programmes mis en œuvre à cette fin par l’Etat, dans le périmètre bien compris de sa mission, accompagnées d’une inébranlable volonté de réussir malgré les difficultés. En outre, une ferme discipline collective des dirigeants, capables de maîtriser leur égo pour ne pas remettre en question les orientations fixées par le premier d’entre eux et de se mobiliser totalement sur la mission nationale qui leur est confiée. Enfin, la démonstration par les faits de la force de leur engagement total et prioritaire face aux difficultés de l’heure. Les commémorations de cette année nous rappellent que, il y a quelques décades, des femmes et des hommes furent capables de réunir toutes ces exigences. L’urgence, l’importance et la diversité des problèmes de l’heure appellent les mêmes qualités de la part de nos Responsables actuels. La clairvoyance des populations et le désamour croissant qu’elles portent aux Autorités politiques témoignent que ces qualités ne paraissent pas respectées à ce jour. Une réelle clarification sur ce point amènerait peut-être un retour de confiance dans l’esprit de tous les agents économiques et, pour les entreprises, le goût d’investir requis pour l’amélioration de la productivité.

Sur les deux derniers points, les exigences requises par la situation de la France se retrouvent avec la même force en Afrique. Les Etats y disposent en revanche d’une marge de manœuvre plus grande en termes d’accroissement de leurs ressources, par suite de la pression fiscale encore modeste, ce qui devrait permettre un renforcement de l’Administration, qui n’est pas ici à « dégraisser » mais dont il faut renforcer considérablement l’efficacité.

Il existe en France beaucoup d’atouts pour que le pays réussisse à sortir des difficultés où il se trouve, mais aussi beaucoup de verrous qui pourraient continuer à bloquer les issues qui existent. Si ces verrous ne sautent pas, les « déclinistes » pourraient avoir raison en voyant la France ramenée dans une période future sous la coupe du Fonds Monétaire International (FMI) et en train de devoir quémander l’annulation d’une partie de sa dette. Ici encore, l’Afrique sait bien ce que cela veut dire.

Paul Derreumaux

Lettre ouverte aux (jeunes) entrepreneurs africains de France.

Lettre ouverte aux (jeunes) entrepreneurs africains de France.

 

Les entrepreneurs africains montrent en France leurs qualités d’innovation. Les difficultés rencontrées par les petites entreprises en Afrique les font hésiter à retourner au pays pour tenter leur chance. Pourtant ils pourraient jouer un grand rôle pour concrétiser les mutations attendues sur le continent.

La cérémonie à Paris de remise des Prix de l’Entrepreneur Africain de France, le 19 juin dernier, mérite quelques réflexions. L’évènement avait pour objet de décerner des prix à des chefs d’entreprises, d’origine africaine mais installés en France, en vue de récompenser notamment l’originalité de leurs projets et le succès déjà rencontré par les sociétés concernées ou pouvant être escompté par celles-ci. Deux aspects positifs étaient frappants  dans cette réunion qui visait avant tout des petites ou moyennes entreprises: d’un côté, la jeunesse de la grande majorité des entrepreneurs nominés et primés ; de l’autre, leur capacité d’innovation, la pertinence de leurs projets et leur profonde détermination à se battre, durablement si nécessaire.  En revanche, pour une partie des cas, l’entreprise élue semblait surtout adaptée à l’économie et à la société françaises ; pour ceux dont le «business model» pouvait s’appliquer à l’Afrique, l’idée d’un retour sur le continent paraissait encore incertaine ou lointaine.

Cette grande prudence semble étonnante face à l’engouement dont bénéficie actuellement l’Afrique subsaharienne dans le monde entier. A y regarder de près, elle est moins surprenante qu’il n’y parait.

L’Afrique est en effet à la mode pour le progrès de son économie, qui soutient la croissance mondiale, pour ses richesses naturelles de mieux en mieux exploitées, et pour ses perspectives d’évolution que tous envient. Certes les crises et les conflits y sont encore présents, même s’ils sont moins souvent évoqués qu’auparavant, et peuvent annihiler des années d’efforts de développement dans certaines régions. Toutefois, peu de très grandes entreprises ou de fonds d’investissement dans le monde conçoivent désormais leur business plan sans y intégrer l’Afrique subsaharienne.

Ces visions optimistes reposent sur des fondements objectifs. La situation s’est en effet fortement améliorée sur beaucoup de points en moins de 15 ans et tous les changements positifs sont ressassés partout, parfois avec excès. Deux d’entre eux sont sans doute  essentiels. Le premier est que les centres d’intérêt des Etats et des grands bailleurs de fonds sont actuellement les bons, ceux qui sont nécessaires pour une croissance économique durable : accroître toutes les infrastructures, créer des emplois en grand nombre et, si possible, de bonne qualité ; intégrer la plus grande partie de la population dans le cercle vertueux de la croissance. C’est à ce prix que le développement évitera d’être non inclusif, c’est-à-dire, puisque le politiquement correct interdit désormais d’être trop brutal, inégalitaire ou injuste. Le deuxième progrès est celui du rôle grandissant pris par le secteur privé, ce qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec l’accélération observée de la croissance : ce sont les entreprises privées qui investissent, introduisent les nouvelles techniques, poussent l’intégration régionale, créent des emplois, apportent la valeur ajoutée.

Mais ces photos en rose ne reflètent pas toute la vérité et de nombreux indicateurs restent à l’arrêt ou régressent. La pauvreté est encore beaucoup plus visible que la classe moyenne dont on parle si souvent. L’agriculture n’a pas encore fait sa révolution, essentielle à l’essor du reste de l’économie. L’éducation se dégrade souvent en quantité et en qualité. L’Etat remplit rarement son rôle: celui d’un législateur-juge-arbitre irréprochable, capable de définir les lois les plus justes, de les faire appliquer par tous sans favoritisme, d’encourager mais aussi de sanctionner et de promouvoir le développement avec toute la diligence requise. Tant que cette mutation d’un Etat faible et inéquitable vers un Etat fort et respecté ne sera pas réalisée, l’Afrique perdra  toujours les 1 ou 2 points de croissance qui lui manquent terriblement.

Dans cet univers en demi-teinte, les aspects favorables bénéficient surtout à deux catégories d’acteurs économiques. La première est celle des grandes entreprises internationales et des plus importants groupes locaux. Leur puissance financière leur donne à la fois les fonds propres adéquats et l’accès aux financements extérieurs ou locaux nécessaires à leurs investissements et à leur fonctionnement. Leur domaine d’activité les place souvent dans un cadre réglementaire échappant au comportement erratique ou prédateur des administrations nationales ; banque centrale indépendante pour les banques, code minier pour les industries extractives, autorité de régulation pour les sociétés de télécommunications… A défaut, elles disposent d’une meilleure capacité de négociation, tant de manière autonome que par les appuis qu’elles peuvent recevoir. La seconde est celle des sociétés, grandes ou petites, du secteur informel ou relevant d’activités traditionnelles, essentiellement commerciales: celles-ci s’accommodent en effet plus facilement des divers blocages ou carences de l’environnement, qu’elles savent «gérer», tandis que leur chiffre d’affaires profite mécaniquement du taux global de croissance observé depuis près de 15 ans et de l’accroissement de la population. Face à ces deux groupes, les entreprises de taille moyenne ou modeste, tournées vers les secteurs à valeur ajoutée significative, sont les moins privilégiées, qu’elles soient autochtones ou étrangères. Elles sont en effet beaucoup plus dépendantes d’une qualité optimale de toutes les composantes de l’environnement national des affaires et tout dysfonctionnement de celui-ci pénalise fortement leurs chances de prospérité. Ce sont donc elles qui ont les chances de survie les moins élevées. En revanche, leur rôle est fondamental dans la construction d’un appareil économique portant les germes d’une véritable transformation des pays africains : seules leur multiplication et leur réussite permettront de transformer la croissance d’aujourd’hui, en partie offshore, en un développement plus pérenne et bénéfique à tous. Malgré un environnement encore imparfait, les conditions apparaissent aujourd’hui mieux réunies pour réussir cette rupture avec le passé.

Les opportunités d’abord. Grâce aux étapes déjà franchies, les possibilités d’investissement se multiplient et leur champ s’élargit. Deux avantages nouveaux sont en effet apparus dans la période récente. La croissance soutenue de quelques grands secteurs (télécommunications, banques, mines par exemple) renforce les perspectives d’une sous-traitance structurée avec les grandes entreprises concernées, ce qui sécurise le chiffre d’affaires, au moins pour un démarrage. De plus, les innovations techniques permettent de réduire la taille des investissements, et donc des financements, nécessaires et celle des marchés minimaux requis. Les possibilités correspondantes s’étendent maintenant de l’agriculture (stockage, transport, conditionnement, nouvelles variétés), aux services informatiques ou comptables en passant par l’énergie, les industries légères, le bâtiment ou le tourisme.

Pour concrétiser ces opportunités, les ressources humaines sont là plus que jamais. Si l’enseignement local est souvent un parent pauvre des mutations récemment observées, il existe des exceptions et quelques formations supérieures de bon niveau peuvent être trouvées dans la plupart des pays. Les jeunes qui ont la chance de faire la fin de leur scolarité à l’étranger se limitent de moins en moins aux enfants des dirigeants politiques ou des personnalités économiques les plus favorisées. Un nombre croissant de cadres moyens ou supérieurs accomplissent l’effort financier nécessaire pour envoyer leurs enfants dans les écoles et universités françaises, américaines ou canadiennes ou, à défaut, d’Afrique du Nord ou de Turquie. Les étudiants ainsi formés acquièrent souvent une première expérience professionnelle à l’extérieur, où ils s’essayent parfois à créer leur entreprise. La formation technique de ces privilégiés égale souvent celle de leurs homologues des pays du Nord et leur enthousiasme décomplexé impressionne. Ils ont donc dans leur esprit et dans leurs mains un véritable trésor de compétence et d’expérience qu’ils peuvent faire fructifier sur leur continent d’origine. Ils disposent en effet à la fois de la formation qui manque sur place et de la connaissance du terrain que n’ont pas les investisseurs étrangers. Cette nouvelle classe d’entrepreneurs potentiels peut ainsi jouer un rôle essentiel dans la création des types de société dont l’Afrique a le plus besoin.

Enfin, si le soutien des Etats se renforce à pas beaucoup trop mesurés face à l’enjeu que représente cette composante défavorisée des économies africaines, l’environnement s’améliore plus rapidement sur certains aspects, et notamment celui du financement. Sous la pression de la concurrence, les banques et sociétés de micro-finance s’investissent de plus en plus dans le secteur très large et disparate de la petite et moyenne entreprise et adoucissent progressivement les conditions auxquelles elles accordent leurs crédits. Des partenaires financiers au développement plus nombreux acceptent des cofinancements, où ils assument une part du risque des concours bancaires à ces sociétés, ce qui facilite l’accroissement des volumes financés. Quelques sociétés de capital-risque se mettent en place pour aider des entreprises de taille très modeste à grandir, voire à naître, résolvant le handicap majeur des fonds propres insuffisants de ces structures et constituant un maillon jusqu’ici inconnu de l’industrie florissante des fonds d’investissement.

Le temps est donc plus propice pour que les jeunes entrepreneurs se saisissent de la chance qui passe. Ils détiennent aussi une grande responsabilité: celle de contribuer sur le terrain à une nouvelle philosophie de l’activité économique, soucieuse d’efficacité et de succès, mais aussi de droiture et de partage. C’est l’équilibre après lequel tout le monde court depuis longtemps en Afrique ou ailleurs. A la jeunesse africaine de montrer que ce n’est pas qu’un rêve, mais une réalité qu’elle peut porter en elle-même.

Paul Derreumaux

L’« affaire » Alstom : la triple illusion

L’« affaire » Alstom : la triple illusion

L’épilogue momentané de l’ « affaire » Alstom ressemble à une victoire virtuelle du nouveau Ministre de l’Economie de la France. Les résultats annoncés à grand renfort de publicité sont plus symboliques qu’effectifs. Ils pourraient bien recouvrir une triple illusion : celle de l’originalité, celle de l’influence effective et celle des options pertinentes pour le futur.

En utilisant tout l’activisme dont il est capable, le chantre du « patriotisme économique »  a réussi à obtenir une place de l’Etat au capital du géant français de l’énergie et des réseaux, mais n’a pu empêcher que celui-ci tombe pour l’essentiel dans l’escarcelle du conglomérat américain General Electric (GE).

Avec cette démonstration de la possibilité de nationalisations partielles de grands groupes français, et en mettant en scène la construction d’une « alliance » Alstom/GE, les Autorités françaises se donnent le beau rôle mais déplacent le projecteur sur un aspect limité de la transaction. Elles oublient que les efforts des Etats pour privilégier leurs entreprises nationales sont loin d’être propres à la France et que la stratégie des grandes entreprises est souvent plus tenace que la philosophie économique des Etats. L’épisode ignore en outre une tendance probable de l’évolution à venir des relations économiques  internationales. 

En subordonnant la mise en œuvre de fusions ou rapprochements internationaux à l’avis favorable de l’Etat, le gouvernement tombe d’abord dans l’illusion de l’originalité. L’arrêté pris en ce sens  ne constitue en effet qu’un élargissement de dispositions déjà prises pour le même objet près de 10 ans plus tôt. Surtout, il s’agit là de mesures classiques adoptées par la plupart des pays pour des raisons variées : protéger des secteurs stratégiques ou sensibles et préserver ainsi une avance technologique ou une domination politique, pour les pays les plus développés ; faciliter la construction de filières nouvelles ou une forte croissance d’activités prioritaires, pour les pays en développement. Depuis les premières étapes de la révolution industrielle, ces comportements défensifs ont toujours été utilisés par les Etats pour assurer la transformation de leurs économies face à celles des pays qui pouvaient être en avance dans ce processus. L’Allemagne face à l’Angleterre au 19ème siècle, le Japon face aux pays occidentaux dans les années 1980, la Chine face à tous ses prédécesseurs dans les trois dernières décades en sont, parmi d’autres, quelques exemples les mieux réussis.

Deux conditions sont toutefois remplies pour le succès d’une telle politique. La première exige que les pouvoirs publics aient la fermeté et les argumentations nécessaires pour résister aux pressions étrangères s’opposant à cette politique. Ce fut le cas de nombreux pays devenus émergents. A contrario, l’Afrique subsaharienne, faute de contrepropositions convaincantes, a dû accepter de la Banque Mondiale dans les années 1980/90, au nom du libéralisme et des vertus de la concurrence internationale, une suppression maximale de ses mesures protectionnistes, qui a détruit l’essentiel des appareils agricoles ou industriels des pays concernés. En second lieu, ces pays doivent aussi conduire une politique cohérente, déterminée et diligente de transformations structurelles pouvant donner à leur économie une force suffisante pendant la période de répit qu’ils ont ainsi conquise. Faute de cette dynamique de changement, l’isolement conduit à la sclérose et cette politique à l’échec. De nombreux pays asiatiques ont réussi leur décollage grâce à cette combinaison d’une vigilante protection et d’importantes mutations structurelles. La France de 2014 ne parait pas disposer d’une stratégie que cette mesure interventionniste serait destinée à servir et qui conduirait à la croissance de son outil industriel.

L’Etat français ayant donc trouvé un habillage lui permettant d’avoir son mot à dire dans la stratégie du futur Alstom, il reste maintenant à suivre la manière dont cette « alliance » fonctionnera. Toutes les grandes entreprises construisent leur stratégie à partir de l’analyse, à moyen terme et si possible à long terme, de l’évolution de leur environnement, de leur marché, des technologies, de leurs concurrents, de leur « business model ». Elles le font sous la surveillance étroite de leurs actionnaires, de leurs banquiers, des consommateurs, des concurrents, tous prêts à sanctionner les moindres erreurs. Elles ont besoin pour cela de la cohésion et de la rapidité de réaction de leur direction, qui s’accommode mal avec un actionnariat 50/50 où les blocages peuvent être fréquents. Ces stratégies sont souvent suffisamment cohérentes pour conduire au succès, comme le montre la croissance économique des cinquante dernières années. Mais l’échec n’est pas exclu et la prospérité n’est jamais éternelle, comme le prouvent aussi divers exemples de Nokia à… Alstom. Face à ces chefs d’entreprise aguerris, les Etats sont rarement en mesure de définir des solutions alternatives. Leurs préoccupations prioritaires ont en effet des points focaux très variés: opinion publique, réélection, politique étrangère, exigences sociales. Elles sont aussi souvent de court terme et changeantes avec les majorités au pouvoir. Les seules exceptions ne concernent que des pays où une politique économique soigneusement arrêtée dépasse ces considérations et s’efforce de concrétiser une vision cohérente de l’avenir du pays ou de certains secteurs ; la France colbertiste ou gaulliste, Singapour, la Malaisie ont eu cette capacité. Hors de tels cas, l’apport de la puissance publique à la pertinence des décisions de Conseils d’Administration auxquels ils participent se borne à être celui de la censure d’options économiquement valables mais politiquement inopportunes à court terme.

Les entreprises, quant à elles, ont le double avantage de la durée et de la malléabilité pour atteindre leur seul objectif: optimiser le couple croissance/profitabilité. Elles peuvent faire le gros dos en attendant un changement d’orientation ou de majorité politique. Elles peuvent aussi modifier, par petites touches si nécessaire, les règles de fonctionnement ou les modalités d’organisation d’un groupe de façon à s’extraire des contraintes qui les handicapent à l’excès. Dans les fusions réalisées, la partie absorbée peut même être celle qui imprime sa marque au nouvel ensemble si elle dispose de la vision et des équipes les plus solides : l’histoire économique nous fournit quelques exemples de ces cas de figure.

En choisissant de peser sur les orientations futures à partir de l’intérieur de la société, les Autorités françaises s’illusionnent donc sans doute sur l’efficacité de la voie choisie. L’instauration de cadres législatifs, réglementaires, juridiques, fiscaux et techniques, qui soient à la fois stables, lisibles et incitatifs, aurait plus de portée à moyen et long terme. Elle correspond d’ailleurs au rôle désormais demandé aux Etats face à un secteur privé mieux capable de créer une valeur ajoutée maximale dès lors qu’il est bien encadré.

Enfin, en validant finalement le rapprochement d’Alstom avec un groupe américain, le gouvernement français fait sans doute davantage le choix du passé que celui du futur et s’enfonce ainsi dans une troisième illusion. En effet, la globalisation mondiale des échanges pourrait bien marquer le pas au profit d’un renforcement d’ensembles régionaux plus cohérents et mieux structurés. Les nouvelles disparitions de barrières recommandées par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) se heurtent à des oppositions croissantes. Celles-ci résultent pour l’essentiel du constat que le libéralisme est surtout efficace et équitable entre Etats de puissance et d’avancée comparable; entre partenaires de force inégale, il est au contraire le meilleur moyen pour « tuer » le plus faible, conformément au vieil adage du « renard libre dans un poulailler libre ». Au rebours d’une intégration globale forcenée, on risque donc d’assister à une « fragmentation » au moins momentanée du globe entre blocs au sein desquels se concentreraient les efforts d’intégration, de mise à niveau commune, de développement plus solidaire et donc plus profitable à tous. On assiste en effet à une double tendance. La construction de zones régionales  ou l’entrée dans celles-ci constituent toujours une aspiration essentielle pour les pays souffrant de leur isolement économique et politique. En revanche, l’élargissement trop rapide des unions régionales existantes accroit les risques de fragilisation et de perte de signification et d’intérêt de celles-ci pour leurs habitants, ainsi qu’en témoigne l’Union Européenne. Le renforcement d’ensembles plus restreints mais mieux soudés pourrait donc être de plus  en plus préféré, hormis pour les questions d’établissement de règles générales et de règlement des différends commerciaux.

L’exemple des récents ennuis de la banque BNP aux Etats-Unis, pour des raisons de politique étrangère propres à cet « allié », montre jusqu’où peuvent aller les entorses au libéralisme lorsque des considérations purement nationales sont considérées comme applicables à toutes les filiales, même non américaines, de sociétés étrangères. Face à de tels risques, qui pourraient s’appliquer au nouvel ensemble Alstom/GE, il est permis de se demander si le choix d’un partenariat européen pour l’avenir du groupe français n’était pas plus logique. Certes, la solution pouvait être difficile à trouver, pour les raisons de doublons bien identifiées par les entreprises concernées, mais tout problème est à moitié résolu dès qu’il est bien posé. La réussite d’Airbus témoigne d’ailleurs du caractère porteur de la construction de champions européens.

Même s’il était guidé par le louable souci de bien faire, le Gouvernement français risque ainsi d’avoir fait les mauvais choix tant dans la méthode d’intervention, que dans les moyens de contrôle du dispositif retenu ou du meilleur renforcement possible de l’appareil économique français à moyen terme. L’existence d’une politique clairement définie de nos meilleures décisions possibles face aux tendances lourdes des équilibres géoéconomiques, des marchés et des technologies aurait sans doute été précieuse en la circonstance, dès lors qu’elle était accompagnée de la ferme volonté de s’y tenir. La prochaine occasion sera peut-être la bonne.

Paul Derreumaux

Dette publique en Afrique Subsaharienne

Dette publique en Afrique Subsaharienne : attention danger ?

Dans les années 1980/2000, beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne ont subi douloureusement les effets des Plans d’Ajustement Structurel (PAS) imposés par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. Ceux-ci visaient à combattre un triple déséquilibre structurel : celui des finances publiques, celui de la balance commerciale et celui d’un endettement extérieur insupportable. La cure d’austérité multiforme issue des PAS n’a pas été suffisante pour ramener le ratio de la dette à un niveau acceptable. Les divers créanciers des pays en développement ont donc, accepté, bon gré mal gré, des remises de dettes et supporter ainsi une partie du coût des réformes imposées aux économies africaines. Les institutions publiques bilatérales d’appui au développement, puis les prêteurs privés ont été les premiers à accepter ces restructurations négociées pays par pays à travers des structures portant respectivement les noms respectables de Club de Paris et de Club de Londres. Les grandes institutions multilatérales, regroupées autour de la Banque Mondiale, ont été beaucoup plus réticentes à consentir ce processus d’effacement partiel de leurs créances, qui mettait en cause le dogme de l’intangibilité de celles-ci. La gravité de la situation les a contraintes à cet effort, concrétisé par l’Initiative dite des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) dont ont bénéficié une bonne trentaine de pays d’Afrique Subsaharienne. Rétrospectivement, ces coûteux ajustements paraissaient justifiés de part et d’autre : pour payer le prix, selon les cas, de leurs erreurs d’analyse ou de leur avidité, du côté des prêteurs ; en raison de la gabegie ou de politiques économiques inefficaces, du côté des emprunteurs. C’est finalement chez ceux-ci que ces efforts ont laissé les traces les plus visibles : au passif, des effets sociaux au goût amer encore vivace au sein des populations, en particulier les plus défavorisées; à l’actif, une nette amélioration des équilibres macroéconomiques et une réduction drastique de la dette extérieure.

Il est aujourd’hui généralement admis que cette meilleure santé globale des finances publiques et la plus grande orthodoxie des  politiques économiques suivies ont joué un rôle clé dans la trajectoire de croissance retrouvée de l’Afrique subsaharienne depuis les années 2000. La diminution des charges des Etats à la suite de la meilleure maîtrise des dépenses de fonctionnement et de l’effacement partiel de la dette a facilité, dans la plupart des pays, le paiement à bonne date des salaires de la fonction publique, l’appréciation positive des grandes entreprises étrangères sur l’environnement des affaires de leurs implantations africaines et la reprise des investissements des Etats. La conjugaison de ces divers éléments a été appuyée par les données favorables et les transformations structurelles qui ont soutenu la croissance de quelques secteurs : mines, télécommunications, banques,..

Deux principaux facteurs ont favorisé un nouvel accroissement significatif de l’endettement.

Pour le financement national ou régional, le recours des Etats aux financements privés locaux s’est intensifié sous l’effet conjoint d’une montée en puissance de l’épargne nationale, d’un renforcement des marchés financiers et d’une modification des règles de financement des déficits publics. Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) par exemple, le financement monétaire des Trésors Publics par la Banque Centrale, en application de l’article 16 du Traité de l’Union, qui l’autorisait tout en le contrôlant strictement, est écarté depuis 2001. Il est remplacé aujourd’hui par l’émission publique de titres financiers à court ou moyen terme. Il en découle une plus grande flexibilité des possibilités d’endettement, dans laquelle les Etats se sont engouffrés, et le poids des titres publics sur les marchés monétaire et financier a considérablement augmenté, suivant la voie tracée dans les pays d’Afrique anglophone. La création en 1998 dans l’UEMOA de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) a fourni un cadre approprié à cette expansion. Après des débuts difficiles, la BRVM a démontré la profondeur des gisements d’épargne dans la zone. Les Etats sont vite devenus les principaux émetteurs et leur part dans le compartiment obligataire est aujourd’hui très largement majoritaire, générant ainsi des risques d’assèchement du marché à des fins autres que celles pour lesquelles il avait été créé.

L’endettement extérieur, quant à lui, reprend progressivement un poids relatif croissant. L’effort considérable requis en matière d’infrastructures et d’équipements divers amène les Etats à rechercher toujours davantage de financements étrangers, qui sont d’autant plus facilement obtenus que l’Afrique fait moins peur et apparait même comme l’une des grandes terres d’avenir. L’appétit économique, la volonté d’influence et les moyens accrus des grands pays émergents apportent aux emprunteurs de nouvelles possibilités. Celles-ci sont jugées d’autant plus séduisantes que les aides à taux concessionnels des principales institutions d’appui au développement sont quantitativement limitées et accordées sous des conditions suspensives parfois excessivement exigeantes. Dans la période récente, le niveau exceptionnellement bas des taux d’intérêt de référence a également conduit les pays africains à se tourner vers le marché financier international et les prêteurs privés à rechercher sur le continent des emplois rémunérateurs. Plus de 10 pays africains sont ainsi venus sur le marché des Eurobonds jusqu’en 2013 et le mouvement continue puisque la Côte d’Ivoire place actuellement une émission de 500 millions de dollars US. Modestes à l’échelle mondiale, ces opérations ne sont pas négligeables pour la taille des économies concernées et peuvent comporter des risques de taux et de change notables pour des économies encore fragiles : la hausse des taux engagée aux Etats-Unis, et qui pourrait se poursuivre, témoigne de leur réalité. La gourmandise des prêteurs risque aussi de biaiser l’objectivité de leur analyse et d’encourager le financement par emprunt d’investissements d’utilité contestable.

Enfin, la pratique tant évoquée du Partenariat Public Privé (PPP) peut avoir des effets pernicieux. Censés reporter sur le secteur privé – étranger voire national – le financement de chantiers rentables, les projets conduits en PPP incluent souvent des clauses de garantie, financière ou non financière, qui introduisent des coûts futurs potentiels à la charge des Etats si les investissements ne se déroulent pas selon les prévisions arrêtées. Les assurances de trafic minimum données pour des infrastructures de transport ou de production exportée pour des opérations minières menées en joint-venture illustrent ces risques. Le danger est alors d’autant plus grand que les montants correspondants ne sont pas inclus dans la dette publique recensée et que celle-ci peut alors être systématiquement sous-estimée.

Ces problèmes potentiels ne signifient pas que le nouvel accroissement de l’endettement public doit être banni. L’accélération de la croissance économique est une priorité vitale et la marge de manoeuvre disponible pour la mobilisation de ressources grâce à la hausse du niveau d’endettement est donc particulièrement opportune. La marge de variation reste en outre confortable puisque le ratio Dette extérieure/Produit Intérieur Brut est généralement inférieur à 50%. En revanche, le souvenir d’un passé récent, tout autant que les difficultés actuellement rencontrées par plusieurs pays européens, doivent inciter les Etats africains comme leurs partenaires privilégiés à gérer avec attention cet effet de levier. Du côté des partenaires, les efforts doivent être intensifiés pour accroitre le volume des concours concessionnels et éviter l’accumulation abusive de conditions préalables décourageant les emprunteurs. L’enjeu considérable que représente le développement rapide de l’Afrique mérite cet adoucissement.

Du côté des Etats africains, il faut d’abord s’assurer du bien fondé de tous les investissements programmés et de la pertinence des procédures suivies et des intervenants choisis. Même les projets les plus incontestablement urgents, comme ceux qui visent le renforcement des capacités énergétiques, peuvent souvent être exécutés de diverses manières, à des coûts différents  et avec des intervenants de qualité variable. La réalisation d’un appel d’offres ne constitue d’ailleurs pas la panacée, comme le montrent les avatars rencontrés dans la réalisation du barrage de Kandadji au Niger ou dans certains travaux d’infrastructures ailleurs. Pour éviter au maximum les risques évoqués, les Autorités nationales ont donc avantage à  rester fidèles à quelques principes. Le premier est de construire une vision cohérente à long terme de l’avenir de leur pays, accompagnée d’un programme d’investissement ambitieux mais réaliste pour atteindre les objectifs fixés, et de tenir rigoureusement le cap ainsi défini sans succomber aux sirènes de certains investisseurs surtout soucieux de leurs intérêts particuliers. La capacité d’une mobilisation plus rapide et plus efficiente par les Départements ministériels des ressources obtenues serait aussi une contribution notable à l’utilisation optimale de celles-ci. La qualité de l’adéquation entre la nature des ressources drainées, d’une part, et l’objet et la rentabilité des investissements prévus, d’autre part, est une autre contrainte indispensable. Enfin, un élargissement de l’assiette des impôts et taxes et de meilleures performances dans leur recouvrement est une dernière piste pour desserrer les contraintes d’un endettement excessif.

A peine 25 ans après la fin des PAS, l’Afrique subsaharienne ne peut se permettre de retomber dans le piège d’une dette publique qui l’étranglerait à nouveau. Les challenges d’une croissance rapide, d’un développement inclusif et d’une création massive d’emplois sont en effet des incitations fortes à investir, y compris par l’endettement, mais aussi des contraintes si pressantes qu’elles interdisent à tous les Responsables le droit  à l’erreur.  

Paul Derreumaux

Le rail au service de la « conquête de l’Afrique de l’Ouest » ?

Le rail au service de la « conquête de l’Afrique de l’Ouest » ?

Le rail a été, depuis les indépendances, le mal-aimé des investissements soutenus par les grandes institutions de financement et les exemples de réhabilitation réussie de l’existant sont peu nombreux. Le projet de Boucle Ferroviaire en Afrique de l’Ouest, qui inclurait près de 1200 kms de voies nouvelles, pourrait changer la donne si les conditions difficiles de son succès sont bien remplies.

Près de 50% des pays d’Afrique subsaharienne possèdent une voie ferrée en activité. Pourtant, les investissements qui seraient nécessaires sont souvent écartés: trop cher, mauvaise qualité du service offert et trop d’exemples de gestion désastreuse générant des charges très lourdes pour les Etats. Victimes de cet ostracisme vis-à-vis du rail, les compagnies ferroviaires africaines se sont de plus en plus délitées dans la plupart des pays. Les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) et le ralentissement de la croissance économique ont accéléré ce phénomène.

Pendant la décennie 1990/2000, quelques institutions – Banque Mondiale, Agence Française de Développement, Banque Européenne d’Investissement – ont aidé, trop modestement, à la restructuration de diverses compagnies nationales. La solution la plus fréquemment retenue a été celle de la privatisation, sous des formes variées, de l’exploitation des lignes existantes : plus des deux tiers des sociétés ferroviaires du continent fonctionnent maintenant selon ce schéma. Ces changements ont certes amélioré sensiblement le fonctionnement et la productivité des compagnies, accru le trafic transporté et redressé la qualité des prestations offertes. Toutefois le bilan global demeure incertain : en particulier, l’équilibre recherché entre les gestionnaires et les Etats concédants est souvent imparfait tandis que les investissements nécessaires ont été rarement effectués au niveau requis. Malgré ces efforts, le rail a vu sa place relative reculer par rapport à la route. A ce jour, l’Afrique demeure encore la partie du monde où la densité de trafic ferroviaire est la plus faible.

La partie n’est toutefois pas jouée et des arguments renforcés plaident aujourd’hui pour le chemin de fer. La réduction possible de la facture énergétique est un atout majeur. Le transport par voie ferrée consomme beaucoup moins de diesel que par la route. Il offre donc un avantage compétitif et une empreinte carbone réduite pour le transport de marchandises très pondéreuses sur de longues distances : la mise en exploitation de nouveaux gisements importants de divers minerais, composante essentielle de la croissance dans plusieurs pays,  justifie en conséquence cet intérêt retrouvé. Le rôle positif que peut jouer le chemin de fer sur le développement agricole, la création d’emplois et l’aménagement du territoire renforce les avantages possibles du rail.

Sur cette base, les actions de réhabilitation se poursuivent sur divers sites ou continuent à être à l’étude. Elles portent cependant presque toujours sur les sociétés et les lignes existantes, en cherchant à améliorer leur fonctionnement et à densifier leur trafic. La situation respective du transport ferroviaire au sein du continent ne s’en trouve donc guère modifiée : l’Afrique australe est de loin la mieux dotée en lignes ; les chemins de fer du Gabon et du Cameroun restent en tête pour le trafic comme pour la productivité.

Mal placée jusqu’ici, l’Afrique de l’Ouest francophone pourrait bien révolutionner ce secteur.

Le projet de Boucle Ferroviaire, initié par le Niger en novembre 2011, vise en effet la mise en place d’une voie ferrée continue sur le parcours Cotonou/Niamey/Ouagadougou/Abidjan. Traversant quatre pays, long de plus d’environ 3000 kms, ce projet se caractérise surtout par deux ambitions hors du commun. D’abord, il comprend, outre l’amélioration de quelque 1800 kms de lignes actuelles, la construction de près de 1200 kms de voies nouvelles : elles concerneront au premier chef le Niger, qui n’a jamais connu de voie ferrée sur son sol. Cet ajout, le plus long réalisé depuis longtemps sur le continent, contribue au gigantisme de l’investissement dont l’enveloppe actuellement prévue dépasse déjà 4,3 milliards de dollars. La seconde originalité majeure du chantier est son caractère pluri-étatique, puisqu’il associe quatre pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Ceci donne bien sûr tout son sens à cet investissement ferroviaire qui concernerait donc plus de soixante millions d’habitants et une part prédominante de l’Union, pouvant notamment profiter à plusieurs projets miniers et intéressant sur son chemin de nombreuses entreprises. En revanche, la nature transfrontalière accroit sensiblement les difficultés d’ordre légal, administratif, organisationnel, fonctionnel de la future compagnie qui gèrera ce qui pourrait s’appeler le TransOuestAfricain. En Europe, la mise en place de lignes intéressant deux  nations, en dépit de l’expérience désormais acquise dans de tels projets, montre bien les grandes difficultés d’une telle situation..

Malgré ces défis financiers et structurels, l’idée quitte peu à peu la virtualité et approche d’un début de concrétisation : la partie Niamey/Parakou a en effet fait l’objet d’un lancement symbolique le 7 avril au Niger et l’achèvement de cette première partie de la Boucle est annoncé pour 2016. Il est vrai que cet investissement est soutenu par la volonté farouche des Chefs d’Etat concernés, qui lui trouvent une envergure particulièrement mobilisatrice. Il évoque en effet instinctivement deux des plus grandes épopées économico-sociales du 19ème siècle: celle de la conquête de l’Ouest aux Etats-Unis, celle de la deuxième révolution industrielle en Europe. Comme dans ces deux références de légende, le projet est en partie un acte de foi et un signe de fermeté politique, et ne peut être uniquement conditionné à l’élaboration d’un « business plan » bancable. Le cas du Niger le montre bien. Après les élections réussies de 2011, les nouvelles Autorités ont lancé un programme exceptionnellement ambitieux, capable de placer le pays, en cas de succès, sur une spirale de développement sans commune mesure avec le passé. Ce programme a pour ossature quelques investissements stratégiques par leur taille, leurs effets structurants sur de nombreux secteurs et leurs résonances psychologiques. La Boucle Ferroviaire du Niger en fait partie et en est très certainement le plus emblématique par son caractère novateur et sa dimension régionale. Le pari est risqué, mais pas irréaliste. La construction des grandes lignes de chemin de fer a toujours été corrélée avec des périodes de forte croissance économique et le renforcement du secteur minier au Niger peut constituer le fondement justificateur de cet investissement. Celui-ci pourrait aussi constituer un modèle d’intégration régionale et un électrochoc de croissance.

Pour entrer dans ce cercle vertueux, le projet Ouest-Africain aura cependant à résoudre au mieux trois contraintes principales.

La première est celle d’une construction juridique et administrative solide et appropriée. Le bon fonctionnement d’une société ferroviaire exige en effet déjà une pleine maîtrise de nombreux aspects : juridiques, financiers, fonciers, techniques, sécuritaires, concurrentiels,…  Dans le cas spécifique de ce chantier multi-Etats s’y ajoutent d’importantes données supplémentaires. Elles sont notamment liées à l’adoption d’un cadre légal unifié s’imposant aux règles nationales pour éviter les contestations ou les blocages futurs, ainsi qu’à la mise en place de structures plurinationales décisionnelles suffisamment autonomes pour assurer une activité sans heurts de la future société. 

Une deuxième exigence a trait à l’obtention de financements appropriés. Les projets ferroviaires se caractérisent à la fois par le volume considérable de leurs investissements et leur rentabilité directe faible et de long terme. Ils imposent donc d’abord un effort d’autofinancement important de la part d’Etats sollicités de toutes parts et aux moyens financiers souvent limités.  La mobilisation du maximum possible de ressources publiques concessionnelles est aussi une condition sine qua non. En la matière, la présence au « tour de table » des principales structures publiques traditionnelles de financement sera bien sûr indispensable. Toutefois, le rôle de nouvelles grandes institutions, telles la Banque Africaine de Développement (BAD) ou la Banque Islamique de Développement (BID), sera  au moins aussi déterminant. Leur approche plus audacieuse, leur meilleure capacité à comprendre les préoccupations des pays africains, l’entrainement qu’elles peuvent exercer sur d’autres bailleurs de fonds pourraient être des facteurs clé de la faisabilité du projet

Enfin, la décision de réaliser ce chantier sous la forme d’un Partenariat Public Privé (PPP) requiert de définir avec précision les droits et obligations des diverses entreprises qui seront choisies pour la construction des lignes nouvelles, la réhabilitation des anciennes et la gestion des futures sociétés ferroviaires. Une attention particulière devra être portée au respect des engagements de financement des partenaires privés du PPP, à la plausibilité de leurs prévisions et à la prévention maximale des conflits d’intérêt entre Etats et concessionnaires. Les insuffisances relevées dans nombre d’expériences actuelles de privatisation incitent en effet à la prudence malgré les avantages que cette formule peut recéler.  La capacité des Etats à négocier des accords équilibrés et transparents sera capitale pour la réussite du projet.

Remplir toutes ces conditions ne sera pas chose aisée et le pari ainsi lancé par quatre des Chefs d’Etat de l’Union est particulièrement audacieux. Il est cependant l’exemple même des investissements qui peuvent changer en profondeur le visage de l’Afrique autant que le rythme et le contenu de sa croissance économique. A ce titre, il mérite pleinement que toutes les énergies soient mobilisées pour le succès de cette initiative. Celle-ci pourrait alors faire des émules et d’autres projets ferroviaires sortiraient peut-être de leurs cartons, amplifiant l’effet d’entrainement de cet investissement pionnier.

Paul Derreumaux

Afrique subsaharienne : le point manquant de croissance enfin au rendez-vous ?

Afrique subsaharienne : le point manquant de croissance enfin au rendez-vous ?

Les Etats d’Afrique subsaharienne s’enorgueillissent avec raison d’avoir renoué avec la croissance depuis plus d’une décade. Les taux actuels de progression restent cependant insuffisants pour une augmentation suffisamment rapide du produit par tête. Le point minimum de croissance manquant semble en revanche aujourd’hui à portée de main si certaines conditions sont remplies.

Le bilan économique des années 2000/2013 tranche très positivement en Afrique subsaharienne avec celui des deux décennies précédentes, comme le soulignent eux-mêmes les tuteurs et les partenaires du continent. Sur la dernière période, le Produit Intérieur Brut (PIB) a en effet augmenté annuellement en moyenne de 5%. Le progrès que traduit ce chiffre peut également s’apprécier par quelques autres indicateurs, tels notamment la nette réduction de la dette publique extérieure et une meilleure maîtrise de l’inflation. De plus, même si cette hausse du PIB est bien sûr variable selon les pays, leurs avantages naturels et leurs politiques économiques, elle a touché peu ou prou l’ensemble du sous-continent, à l’exception des quelques rares nations restées en état d’instabilité politique permanente sur cette longue période.

Une analyse plus fine montre en revanche une situation moins enthousiasmante. Ramenée au PIB par habitant, la progression est ramenée à un taux qui dépasse rarement 2% sur la décade écoulée. Un faible nombre des pays concernés étant à court terme sur la voie de la « transition démographique », il faudra donc quelque 15 ans pour que ce produit par tête progresse d’environ 35% et plus d’une génération pour qu’il double. Deux principales raisons expliquent sans doute la difficulté avec laquelle ce rythme de croissance économique a été dépassé. D’abord, la progression observée s’appuie essentiellement sur quelques secteurs devenus performants et faisant l’objet de lourds investissements: mines, télécommunications, banques, infrastructures. De nombreux pans d’activité sont souvent restés à l’écart des transformations récentes, telles l’industrie ou l’agriculture, comme le montre bien pour cette dernière le maintien d’une forte dépendance des taux annuels de variation par rapport à la situation climatologique. En second lieu, les pays subsahariens demeurent caractérisés par d’importantes faiblesses structurelles, en particulier du côté de leurs administrations et de leurs politiques économiques. Les dossiers à gérer sont de plus en plus nombreux et complexes : la mise en œuvre rapide de profondes réformes imprimant un changement des priorités,  des modes d’action et des mentalités est donc indispensable. Cet aspect n’a été que rarement jusqu’ici la préoccupation majeure des dirigeants. Au contraire, on constate souvent un recul de l’efficience des Etats : la corruption, le clientélisme, l’approche clanique, la faible attention portée aux résultats obtenus ont en effet plutôt gagné du terrain et favorisent un  statu quo globalement pénalisant mais favorable à des minorités. Ce n’est donc pas un hasard si les secteurs les plus efficients, cités ci-avant, sont les moins dépendants des contraintes locales, grâce aux réglementations strictes, plus ou moins reliées à des normes internationales, qui les régissent, ou au poids essentiel qu’y jouent de puissantes sociétés étrangères.

Dans les toutes dernières années, certains pays ont réussi à dépasser assez régulièrement ces 5% annuels et à atteindre le seuil de 6% de croissance de leur PIB. Des nations aussi diverses que l’Angola ou  l’Ethiopie, le Burkina ou le Mozambique, le Nigeria ou la Tanzanie se sont ainsi illustrées depuis 2010. Quelques-unes sont même régulièrement citées comme des « lions» africains dont la croissance économique, parfois supérieure à 8%, avoisine les records établis par quelques grands pays devenus émergents. Les motifs de cette nouvelle récente poussée sont variables, et parfois accidentelles en raison d’un rattrapage après des années de guerre ou de crise comme au Libéria ou en Sierra-Léone. Mais les facteurs purement économiques semblent prendre de l’ampleur. Trois d’entre eux paraissent essentiels : le poids du secteur minier et pétrolier, qui a gardé ces dernières années un niveau d’activité et de prix satisfaisant ; l’importance et le caractère judicieux des investissements en infrastructures, qui soutient immédiatement l’augmentation du PIB et améliore à terme la compétitivité de l’ensemble des secteurs ; enfin, l’insertion du pays dans une zone d’intégration économique, et si possible monétaire, qui facilite l’expansion des marchés et favorise la croissance des entreprises les plus performantes dans une compétition plus vive. Ces éléments sont rarement tous réunis, surtout de façon durable. Mais la corrélation entre l’intensité et la permanence de leur présence, d’une part, et la vigueur de la croissance, d’autre part, est certaine et forte.

Ce pas en avant supplémentaire pourrait s’étendre à un nombre plus large de pays si ces données montent en puissance. La Banque Africaine de Développement (BAD) ne s’y trompe pas et son Président a récemment appelé à ce que ce « point de croissance » supplémentaire soit rapidement la norme.

Il parait en outre possible dans certains cas d’aller plus loin sans tarder et de viser une progression annuelle du PIB de 7%. Le Nigéria, « locomotive » actuelle du continent africain, devrait atteindre ce  seuil en 2014 pour la deuxième année consécutive. Il en serait de même pour la moyenne réalisée par les huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), notamment grâce à la vive impulsion de la Côte d’Ivoire, après les 6% déjà observés dans l’Union en 2013. A l’échéance de quelques années, les prévisions dominantes sont toujours optimistes puisqu’on annonce que 13 des 25 pays qui croitront le plus vite d’ici 2017 seront subsahariens avec des taux minimaux annuels de progression de 7% (1).

Ce saut quantitatif mérite de devenir un objectif essentiel pour le continent: avec un taux de croissance annuel du PIB de 7%, il faudrait en effet deux fois moins de temps, soit à peine 15 ans, pour que le revenu par habitant double, toutes choses étant égales par ailleurs, ce qui aurait des effets de première importance pour tous les citoyens. Un tel résultat implique cependant de lourdes contraintes.

Il faut d’abord que se prolongent les facteurs positifs qui ont été à l’œuvre ces dernières années. Pour certains, tel le rôle moteur joué par un secteur minier en expansion, l’évolution de la situation économique mondiale sera déterminante : les données actuelles en la matière ainsi que la multiplication des découvertes récentes de nouveaux gisements en Afrique autorisent un optimisme mesuré sur ce point. Pour les autres, le continent tient en ses mains les principales clés de la pérennité de cette embellie. Il lui faut notamment redoubler d’efforts pour le renforcement de ses capacités énergétiques tout en poursuivant l’amélioration de ses infrastructures de transport et urbaines. Il peut aussi approfondir la coopération et l’intégration régionales au sein des Unions déjà existantes afin de réaliser des économies d’échelle, d’éviter les double-emplois, d’harmoniser les réglementations et les politiques et d’insuffler davantage l’esprit d’appartenance à une même communauté globale, autant d’orientations qui seront des facilitateurs pour la création de valeur économique et de progrès social. Le discours intègre déjà partout cette approche ; les actes le font souvent moins fort et moins vite en beaucoup d’endroits.

Si l’Afrique subsaharienne a besoin de ces accélérateurs pour gagner en rythme de croissance, elle doit aussi desserrer les deux freins majeurs, cités plus haut, qui ralentissent son évolution. La consolidation en force et en productivité de secteurs essentiels, et en particulier de l’agriculture, est un de ces pré-requis. Les actions conduites sont nombreuses et l’appui des partenaires techniques et financiers, institutionnels ou non gouvernementaux, souvent déterminé et bien-fondé. Cependant, les meilleures initiatives sont en général trop dispersées et à trop petite échelle, et manquent souvent cruellement de la priorité du soutien public local: leur effet d’entrainement n’acquiert donc pas toute la puissance nécessaire. Les projets originaux du Burkina Faso -pôles de croissance agricole intégrés, comme à Bagré – et du Niger – l’Initiative 3N (Les Nigériens Nourrissent les Nigériens) aux modes d’action transversaux –  seront des tests très utiles de l’impact créé par un fort engagement des Autorités nationales. Car c’est bien à ce niveau que l’évolution parait la plus difficile. Le diagnostic est hélas clairement posé depuis longtemps par la quasi-totalité des praticiens du développement, et les plus hautes Autorités des Etats l’admettent généralement dans leurs discours d’investiture en promettant de vastes changements. Mais les réalisations sont rares et insuffisantes. C’est à la fois une question de volonté et de courage politique, de rythme et de profondeur de réformes, de rareté des expériences requises chez les élites administratives,  de méthodes de travail : face à ces exigences, les blocages sont généralement trop résistants..

Les Etats qui arriveront à atténuer au maximum ces handicaps seront donc les mieux placés pour gagner ce taux supplémentaire de croissance qui semble de plus en plus atteignable et qui ferait toute la différence. Ceux qui, en particulier, sauront concevoir une vision à long terme pour leurs pays, soutenue par une planification à moyen terme performante, et restaurer la fiabilité et la crédibilité d’administrations défaillantes, seront très certainement les mieux placés dans la course à la croissance. La Côte d’Ivoire, le Kenya et l’Ethiopie pourraient faire partie de ces heureux élus. Ceux qui, enfin, ont la chance de se trouver dans une Union régionale solide et allant de l’avant, dans laquelle se trouverait une nation dominante en croissance soutenue, pourraient profiter de ces atouts même si leurs propres spécificités ne sont pas optimales : les membres de l’UEMOA ont une chance de se trouver dans cette situation.

Restera ensuite à répartir au mieux les fruits d’une croissance ainsi renforcée. Ce sera l’objet d’un autre challenge tout aussi pressant….

(1) Revue Deutsche Bank, juillet 2013

Paul Derreumaux