Dette publique en Afrique Subsaharienne

Dette publique en Afrique Subsaharienne : attention danger ?

Dans les années 1980/2000, beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne ont subi douloureusement les effets des Plans d’Ajustement Structurel (PAS) imposés par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. Ceux-ci visaient à combattre un triple déséquilibre structurel : celui des finances publiques, celui de la balance commerciale et celui d’un endettement extérieur insupportable. La cure d’austérité multiforme issue des PAS n’a pas été suffisante pour ramener le ratio de la dette à un niveau acceptable. Les divers créanciers des pays en développement ont donc, accepté, bon gré mal gré, des remises de dettes et supporter ainsi une partie du coût des réformes imposées aux économies africaines. Les institutions publiques bilatérales d’appui au développement, puis les prêteurs privés ont été les premiers à accepter ces restructurations négociées pays par pays à travers des structures portant respectivement les noms respectables de Club de Paris et de Club de Londres. Les grandes institutions multilatérales, regroupées autour de la Banque Mondiale, ont été beaucoup plus réticentes à consentir ce processus d’effacement partiel de leurs créances, qui mettait en cause le dogme de l’intangibilité de celles-ci. La gravité de la situation les a contraintes à cet effort, concrétisé par l’Initiative dite des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) dont ont bénéficié une bonne trentaine de pays d’Afrique Subsaharienne. Rétrospectivement, ces coûteux ajustements paraissaient justifiés de part et d’autre : pour payer le prix, selon les cas, de leurs erreurs d’analyse ou de leur avidité, du côté des prêteurs ; en raison de la gabegie ou de politiques économiques inefficaces, du côté des emprunteurs. C’est finalement chez ceux-ci que ces efforts ont laissé les traces les plus visibles : au passif, des effets sociaux au goût amer encore vivace au sein des populations, en particulier les plus défavorisées; à l’actif, une nette amélioration des équilibres macroéconomiques et une réduction drastique de la dette extérieure.

Il est aujourd’hui généralement admis que cette meilleure santé globale des finances publiques et la plus grande orthodoxie des  politiques économiques suivies ont joué un rôle clé dans la trajectoire de croissance retrouvée de l’Afrique subsaharienne depuis les années 2000. La diminution des charges des Etats à la suite de la meilleure maîtrise des dépenses de fonctionnement et de l’effacement partiel de la dette a facilité, dans la plupart des pays, le paiement à bonne date des salaires de la fonction publique, l’appréciation positive des grandes entreprises étrangères sur l’environnement des affaires de leurs implantations africaines et la reprise des investissements des Etats. La conjugaison de ces divers éléments a été appuyée par les données favorables et les transformations structurelles qui ont soutenu la croissance de quelques secteurs : mines, télécommunications, banques,..

Deux principaux facteurs ont favorisé un nouvel accroissement significatif de l’endettement.

Pour le financement national ou régional, le recours des Etats aux financements privés locaux s’est intensifié sous l’effet conjoint d’une montée en puissance de l’épargne nationale, d’un renforcement des marchés financiers et d’une modification des règles de financement des déficits publics. Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) par exemple, le financement monétaire des Trésors Publics par la Banque Centrale, en application de l’article 16 du Traité de l’Union, qui l’autorisait tout en le contrôlant strictement, est écarté depuis 2001. Il est remplacé aujourd’hui par l’émission publique de titres financiers à court ou moyen terme. Il en découle une plus grande flexibilité des possibilités d’endettement, dans laquelle les Etats se sont engouffrés, et le poids des titres publics sur les marchés monétaire et financier a considérablement augmenté, suivant la voie tracée dans les pays d’Afrique anglophone. La création en 1998 dans l’UEMOA de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) a fourni un cadre approprié à cette expansion. Après des débuts difficiles, la BRVM a démontré la profondeur des gisements d’épargne dans la zone. Les Etats sont vite devenus les principaux émetteurs et leur part dans le compartiment obligataire est aujourd’hui très largement majoritaire, générant ainsi des risques d’assèchement du marché à des fins autres que celles pour lesquelles il avait été créé.

L’endettement extérieur, quant à lui, reprend progressivement un poids relatif croissant. L’effort considérable requis en matière d’infrastructures et d’équipements divers amène les Etats à rechercher toujours davantage de financements étrangers, qui sont d’autant plus facilement obtenus que l’Afrique fait moins peur et apparait même comme l’une des grandes terres d’avenir. L’appétit économique, la volonté d’influence et les moyens accrus des grands pays émergents apportent aux emprunteurs de nouvelles possibilités. Celles-ci sont jugées d’autant plus séduisantes que les aides à taux concessionnels des principales institutions d’appui au développement sont quantitativement limitées et accordées sous des conditions suspensives parfois excessivement exigeantes. Dans la période récente, le niveau exceptionnellement bas des taux d’intérêt de référence a également conduit les pays africains à se tourner vers le marché financier international et les prêteurs privés à rechercher sur le continent des emplois rémunérateurs. Plus de 10 pays africains sont ainsi venus sur le marché des Eurobonds jusqu’en 2013 et le mouvement continue puisque la Côte d’Ivoire place actuellement une émission de 500 millions de dollars US. Modestes à l’échelle mondiale, ces opérations ne sont pas négligeables pour la taille des économies concernées et peuvent comporter des risques de taux et de change notables pour des économies encore fragiles : la hausse des taux engagée aux Etats-Unis, et qui pourrait se poursuivre, témoigne de leur réalité. La gourmandise des prêteurs risque aussi de biaiser l’objectivité de leur analyse et d’encourager le financement par emprunt d’investissements d’utilité contestable.

Enfin, la pratique tant évoquée du Partenariat Public Privé (PPP) peut avoir des effets pernicieux. Censés reporter sur le secteur privé – étranger voire national – le financement de chantiers rentables, les projets conduits en PPP incluent souvent des clauses de garantie, financière ou non financière, qui introduisent des coûts futurs potentiels à la charge des Etats si les investissements ne se déroulent pas selon les prévisions arrêtées. Les assurances de trafic minimum données pour des infrastructures de transport ou de production exportée pour des opérations minières menées en joint-venture illustrent ces risques. Le danger est alors d’autant plus grand que les montants correspondants ne sont pas inclus dans la dette publique recensée et que celle-ci peut alors être systématiquement sous-estimée.

Ces problèmes potentiels ne signifient pas que le nouvel accroissement de l’endettement public doit être banni. L’accélération de la croissance économique est une priorité vitale et la marge de manoeuvre disponible pour la mobilisation de ressources grâce à la hausse du niveau d’endettement est donc particulièrement opportune. La marge de variation reste en outre confortable puisque le ratio Dette extérieure/Produit Intérieur Brut est généralement inférieur à 50%. En revanche, le souvenir d’un passé récent, tout autant que les difficultés actuellement rencontrées par plusieurs pays européens, doivent inciter les Etats africains comme leurs partenaires privilégiés à gérer avec attention cet effet de levier. Du côté des partenaires, les efforts doivent être intensifiés pour accroitre le volume des concours concessionnels et éviter l’accumulation abusive de conditions préalables décourageant les emprunteurs. L’enjeu considérable que représente le développement rapide de l’Afrique mérite cet adoucissement.

Du côté des Etats africains, il faut d’abord s’assurer du bien fondé de tous les investissements programmés et de la pertinence des procédures suivies et des intervenants choisis. Même les projets les plus incontestablement urgents, comme ceux qui visent le renforcement des capacités énergétiques, peuvent souvent être exécutés de diverses manières, à des coûts différents  et avec des intervenants de qualité variable. La réalisation d’un appel d’offres ne constitue d’ailleurs pas la panacée, comme le montrent les avatars rencontrés dans la réalisation du barrage de Kandadji au Niger ou dans certains travaux d’infrastructures ailleurs. Pour éviter au maximum les risques évoqués, les Autorités nationales ont donc avantage à  rester fidèles à quelques principes. Le premier est de construire une vision cohérente à long terme de l’avenir de leur pays, accompagnée d’un programme d’investissement ambitieux mais réaliste pour atteindre les objectifs fixés, et de tenir rigoureusement le cap ainsi défini sans succomber aux sirènes de certains investisseurs surtout soucieux de leurs intérêts particuliers. La capacité d’une mobilisation plus rapide et plus efficiente par les Départements ministériels des ressources obtenues serait aussi une contribution notable à l’utilisation optimale de celles-ci. La qualité de l’adéquation entre la nature des ressources drainées, d’une part, et l’objet et la rentabilité des investissements prévus, d’autre part, est une autre contrainte indispensable. Enfin, un élargissement de l’assiette des impôts et taxes et de meilleures performances dans leur recouvrement est une dernière piste pour desserrer les contraintes d’un endettement excessif.

A peine 25 ans après la fin des PAS, l’Afrique subsaharienne ne peut se permettre de retomber dans le piège d’une dette publique qui l’étranglerait à nouveau. Les challenges d’une croissance rapide, d’un développement inclusif et d’une création massive d’emplois sont en effet des incitations fortes à investir, y compris par l’endettement, mais aussi des contraintes si pressantes qu’elles interdisent à tous les Responsables le droit  à l’erreur.  

Paul Derreumaux

Afrique subsaharienne : le point manquant de croissance enfin au rendez-vous ?

Afrique subsaharienne : le point manquant de croissance enfin au rendez-vous ?

Les Etats d’Afrique subsaharienne s’enorgueillissent avec raison d’avoir renoué avec la croissance depuis plus d’une décade. Les taux actuels de progression restent cependant insuffisants pour une augmentation suffisamment rapide du produit par tête. Le point minimum de croissance manquant semble en revanche aujourd’hui à portée de main si certaines conditions sont remplies.

Le bilan économique des années 2000/2013 tranche très positivement en Afrique subsaharienne avec celui des deux décennies précédentes, comme le soulignent eux-mêmes les tuteurs et les partenaires du continent. Sur la dernière période, le Produit Intérieur Brut (PIB) a en effet augmenté annuellement en moyenne de 5%. Le progrès que traduit ce chiffre peut également s’apprécier par quelques autres indicateurs, tels notamment la nette réduction de la dette publique extérieure et une meilleure maîtrise de l’inflation. De plus, même si cette hausse du PIB est bien sûr variable selon les pays, leurs avantages naturels et leurs politiques économiques, elle a touché peu ou prou l’ensemble du sous-continent, à l’exception des quelques rares nations restées en état d’instabilité politique permanente sur cette longue période.

Une analyse plus fine montre en revanche une situation moins enthousiasmante. Ramenée au PIB par habitant, la progression est ramenée à un taux qui dépasse rarement 2% sur la décade écoulée. Un faible nombre des pays concernés étant à court terme sur la voie de la « transition démographique », il faudra donc quelque 15 ans pour que ce produit par tête progresse d’environ 35% et plus d’une génération pour qu’il double. Deux principales raisons expliquent sans doute la difficulté avec laquelle ce rythme de croissance économique a été dépassé. D’abord, la progression observée s’appuie essentiellement sur quelques secteurs devenus performants et faisant l’objet de lourds investissements: mines, télécommunications, banques, infrastructures. De nombreux pans d’activité sont souvent restés à l’écart des transformations récentes, telles l’industrie ou l’agriculture, comme le montre bien pour cette dernière le maintien d’une forte dépendance des taux annuels de variation par rapport à la situation climatologique. En second lieu, les pays subsahariens demeurent caractérisés par d’importantes faiblesses structurelles, en particulier du côté de leurs administrations et de leurs politiques économiques. Les dossiers à gérer sont de plus en plus nombreux et complexes : la mise en œuvre rapide de profondes réformes imprimant un changement des priorités,  des modes d’action et des mentalités est donc indispensable. Cet aspect n’a été que rarement jusqu’ici la préoccupation majeure des dirigeants. Au contraire, on constate souvent un recul de l’efficience des Etats : la corruption, le clientélisme, l’approche clanique, la faible attention portée aux résultats obtenus ont en effet plutôt gagné du terrain et favorisent un  statu quo globalement pénalisant mais favorable à des minorités. Ce n’est donc pas un hasard si les secteurs les plus efficients, cités ci-avant, sont les moins dépendants des contraintes locales, grâce aux réglementations strictes, plus ou moins reliées à des normes internationales, qui les régissent, ou au poids essentiel qu’y jouent de puissantes sociétés étrangères.

Dans les toutes dernières années, certains pays ont réussi à dépasser assez régulièrement ces 5% annuels et à atteindre le seuil de 6% de croissance de leur PIB. Des nations aussi diverses que l’Angola ou  l’Ethiopie, le Burkina ou le Mozambique, le Nigeria ou la Tanzanie se sont ainsi illustrées depuis 2010. Quelques-unes sont même régulièrement citées comme des « lions» africains dont la croissance économique, parfois supérieure à 8%, avoisine les records établis par quelques grands pays devenus émergents. Les motifs de cette nouvelle récente poussée sont variables, et parfois accidentelles en raison d’un rattrapage après des années de guerre ou de crise comme au Libéria ou en Sierra-Léone. Mais les facteurs purement économiques semblent prendre de l’ampleur. Trois d’entre eux paraissent essentiels : le poids du secteur minier et pétrolier, qui a gardé ces dernières années un niveau d’activité et de prix satisfaisant ; l’importance et le caractère judicieux des investissements en infrastructures, qui soutient immédiatement l’augmentation du PIB et améliore à terme la compétitivité de l’ensemble des secteurs ; enfin, l’insertion du pays dans une zone d’intégration économique, et si possible monétaire, qui facilite l’expansion des marchés et favorise la croissance des entreprises les plus performantes dans une compétition plus vive. Ces éléments sont rarement tous réunis, surtout de façon durable. Mais la corrélation entre l’intensité et la permanence de leur présence, d’une part, et la vigueur de la croissance, d’autre part, est certaine et forte.

Ce pas en avant supplémentaire pourrait s’étendre à un nombre plus large de pays si ces données montent en puissance. La Banque Africaine de Développement (BAD) ne s’y trompe pas et son Président a récemment appelé à ce que ce « point de croissance » supplémentaire soit rapidement la norme.

Il parait en outre possible dans certains cas d’aller plus loin sans tarder et de viser une progression annuelle du PIB de 7%. Le Nigéria, « locomotive » actuelle du continent africain, devrait atteindre ce  seuil en 2014 pour la deuxième année consécutive. Il en serait de même pour la moyenne réalisée par les huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), notamment grâce à la vive impulsion de la Côte d’Ivoire, après les 6% déjà observés dans l’Union en 2013. A l’échéance de quelques années, les prévisions dominantes sont toujours optimistes puisqu’on annonce que 13 des 25 pays qui croitront le plus vite d’ici 2017 seront subsahariens avec des taux minimaux annuels de progression de 7% (1).

Ce saut quantitatif mérite de devenir un objectif essentiel pour le continent: avec un taux de croissance annuel du PIB de 7%, il faudrait en effet deux fois moins de temps, soit à peine 15 ans, pour que le revenu par habitant double, toutes choses étant égales par ailleurs, ce qui aurait des effets de première importance pour tous les citoyens. Un tel résultat implique cependant de lourdes contraintes.

Il faut d’abord que se prolongent les facteurs positifs qui ont été à l’œuvre ces dernières années. Pour certains, tel le rôle moteur joué par un secteur minier en expansion, l’évolution de la situation économique mondiale sera déterminante : les données actuelles en la matière ainsi que la multiplication des découvertes récentes de nouveaux gisements en Afrique autorisent un optimisme mesuré sur ce point. Pour les autres, le continent tient en ses mains les principales clés de la pérennité de cette embellie. Il lui faut notamment redoubler d’efforts pour le renforcement de ses capacités énergétiques tout en poursuivant l’amélioration de ses infrastructures de transport et urbaines. Il peut aussi approfondir la coopération et l’intégration régionales au sein des Unions déjà existantes afin de réaliser des économies d’échelle, d’éviter les double-emplois, d’harmoniser les réglementations et les politiques et d’insuffler davantage l’esprit d’appartenance à une même communauté globale, autant d’orientations qui seront des facilitateurs pour la création de valeur économique et de progrès social. Le discours intègre déjà partout cette approche ; les actes le font souvent moins fort et moins vite en beaucoup d’endroits.

Si l’Afrique subsaharienne a besoin de ces accélérateurs pour gagner en rythme de croissance, elle doit aussi desserrer les deux freins majeurs, cités plus haut, qui ralentissent son évolution. La consolidation en force et en productivité de secteurs essentiels, et en particulier de l’agriculture, est un de ces pré-requis. Les actions conduites sont nombreuses et l’appui des partenaires techniques et financiers, institutionnels ou non gouvernementaux, souvent déterminé et bien-fondé. Cependant, les meilleures initiatives sont en général trop dispersées et à trop petite échelle, et manquent souvent cruellement de la priorité du soutien public local: leur effet d’entrainement n’acquiert donc pas toute la puissance nécessaire. Les projets originaux du Burkina Faso -pôles de croissance agricole intégrés, comme à Bagré – et du Niger – l’Initiative 3N (Les Nigériens Nourrissent les Nigériens) aux modes d’action transversaux –  seront des tests très utiles de l’impact créé par un fort engagement des Autorités nationales. Car c’est bien à ce niveau que l’évolution parait la plus difficile. Le diagnostic est hélas clairement posé depuis longtemps par la quasi-totalité des praticiens du développement, et les plus hautes Autorités des Etats l’admettent généralement dans leurs discours d’investiture en promettant de vastes changements. Mais les réalisations sont rares et insuffisantes. C’est à la fois une question de volonté et de courage politique, de rythme et de profondeur de réformes, de rareté des expériences requises chez les élites administratives,  de méthodes de travail : face à ces exigences, les blocages sont généralement trop résistants..

Les Etats qui arriveront à atténuer au maximum ces handicaps seront donc les mieux placés pour gagner ce taux supplémentaire de croissance qui semble de plus en plus atteignable et qui ferait toute la différence. Ceux qui, en particulier, sauront concevoir une vision à long terme pour leurs pays, soutenue par une planification à moyen terme performante, et restaurer la fiabilité et la crédibilité d’administrations défaillantes, seront très certainement les mieux placés dans la course à la croissance. La Côte d’Ivoire, le Kenya et l’Ethiopie pourraient faire partie de ces heureux élus. Ceux qui, enfin, ont la chance de se trouver dans une Union régionale solide et allant de l’avant, dans laquelle se trouverait une nation dominante en croissance soutenue, pourraient profiter de ces atouts même si leurs propres spécificités ne sont pas optimales : les membres de l’UEMOA ont une chance de se trouver dans cette situation.

Restera ensuite à répartir au mieux les fruits d’une croissance ainsi renforcée. Ce sera l’objet d’un autre challenge tout aussi pressant….

(1) Revue Deutsche Bank, juillet 2013

Paul Derreumaux

Afrique Francophone : Le Maroc à l’offensive

Afrique Francophone : Le Maroc à l’offensive

Les premiers responsables des principales entreprises marocaines ont ressemblé ces jours-ci à une armée en ordre de bataille, en pleine conquête des  territoires d’Afrique francophone, et leur général était un Roi. Il sera cependant essentiel de vérifier quelles seront les retombées à moyen terme de cette grande mission marocaine et à qui elles bénéficieront.

La tournée que Mohamed VI a effectuée en Afrique de l’Ouest et Centrale du 18 février au 8 mars 2014, successivement au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Gabon, a une allure, une ampleur et un contenu totalement nouveaux. Elle avait certes sans doute des objectifs politiques importants : renforcement en Afrique subsaharienne de l’influence globale du Maroc, seul rescapé à ce jour d’une Afrique du Nord affaiblie et pour l’instant repliée sur le règlement de ses problèmes internes ; utilisation par le monarque de cette audience accrue pour régler plus facilement les problèmes économiques et politiques du pays ; recherche d’un rôle plus déterminant dans le règlement de questions sensibles pour les deux parties, comme celui du Nord Mali. Mais la composante économique de cette mission est peut-être plus essentielle et, dans tous les cas, plus impressionnante.

 La délégation marocaine n’a pas compté moins d’une vingtaine des chefs d’entreprises les plus emblématiques du pays, qui étaient épaulés des principaux Ministres à responsabilité économique et de conseillers du Cabinet royal. Les trois grandes banques marocaines, le secteur des assurances, la société nationale de télécommunications, la compagnie aérienne, les principales sociétés de construction et de promotion immobilière, l’industrie du ciment, l’Office Chérifien des ¨Phosphates (OCP), constituaient l’ossature de la représentation des secteurs économiques. Ce n’est pas un hasard.  Royal Air Maroc avait agi en pionnier et, depuis plus d’une décade, emplit pour une part non négligeable ses avions à destination de l’Europe et des Etats-Unis grâce aux passagers africains qu’il vient chercher par ses nombreuses dessertes africaines. Les trois banques marocaines sont devenues sur les cinq dernières années les premiers acteurs des systèmes bancaires de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en prenant le contrôle de réseaux régionaux existants ou en rachetant in extenso les filiales d’une banque française, selon la stratégie choisie par les intervenants. Une percée de moindre ampleur a eu lieu en Afrique Centrale francophone mais devrait s’intensifier à l’avenir. En rachetant l’un des plus importants groupes régionaux d’assurances, une compagnie marocaine est devenue d’un coup incontournable en zone francophone. Maroc Télécom s’est implantée progressivement au Gabon, au Burkina Faso, en Mauritanie et au Mali et est maintenant un acteur qui compte dans la région. De manière plus diffuse, certains produits de l’agriculture marocaine se déversent de plus en plus fréquemment sur quelques pays du Sahel. D’autres secteurs sont impatients de suivre cette voie de croissance externe. Les quelques grands de la construction, qui ont réussi avec brio dans le domaine du logement, et de l’habitat social en particulier, voient dans la forte croissance de la population et des villes africaines sur les trente prochaines années une chance unique de développement d’activités actuellement moins allantes au Maroc. De puissantes industries liées à ce secteur, comme les cimenteries, sont aux aguets de telles opportunités pour les même raisons. L’OCP, géant parmi les géants au Maroc, se sent un appétit nouveau mais gigantesque pour approvisionner toute l’Afrique subsaharienne en engrais.

Toutes ces entreprises ont été représentées dans la mission royale par leurs plus hauts dirigeants, de façon que des décisions effectives de coopération puissent être ratifiées sans délai. Elles ont été rejointes à quelques endroits clés de ce voyage, comme Abidjan et Libreville, par un nombre  beaucoup plus élevé de chefs d’entreprises marocaines, ce qui a permis de tenir dans ces villes un grand forum économique. Fort de cet accompagnement solide, Mohamed VI  s’est efforcé avec succès d’être très concret. Passant de quatre à cinq jours dans chaque pays, il a littéralement labouré tous les domaines qui pouvaient répondre aux visées expansionnistes des capitaines d’industrie de son pays et s’est efforcé de  repartir à chaque fois avec des résultats tangibles. La moisson a été riche : 18 accords de partenariat et de coopération signés au Mali, 26 conclus en Côte d’Ivoire par exemple. Les domaines concernés ont été nombreux et souvent analogues. Certaines conventions sont globales et prévoient des avantages réciproques : pour l’encouragement des investissements, l’appui aux exportations, la coopération touristique, les zones industrielles, la pêche et les activités portuaires dans certains pays côtiers. Certaines couvrent des aspects sociaux ou culturels, allant d’accords-cadres pour l’enseignement supérieur et la recherche en Côte d’Ivoire à la formation des imams au Mali. Mais l’essentiel concerne des projets d’implantations d’entreprises ou d’octrois de financements : ceux-ci sont d’ailleurs souvent conclus directement entre les Etats subsahariens intéressés et les sociétés marocaines leaders des secteurs visés, sous le patronage très rapproché du roi du Maroc. Les actions surtout  mises en valeur de part et d’autre ont été celles des banques et des sociétés de promotion immobilière. Les dernières ont annoncé la construction dans chacun des quatre pays de milliers de logements sociaux, économiques et de standing – jusqu’à 10000 en Cote d’Ivoire -, mais aussi de plusieurs complexes hôteliers. Les Présidents de chacune des trois banques présentes, pour leur part, se sont relayés pour signer une pleiade de conventions de financement de grande envergure, dont une bonne part était, directement ou non, au bénéfice des Etats visités.

Stratégiquement comme tactiquement, ce voyage est donc une réussite éclatante pour le Maroc et pour son souverain. Ceux-ci ont tous deux occupé totalement l’espace médiatique des quatre pays visités durant ces vingt jours. En choisissant à chaque fois ce séjour prolongé, Mohamed VI a en effet délibérément adopté une approche différente des visites éclairs que les Présidents des premières nations du monde, France comprise, effectuent toujours en Afrique. Pour les Africains, pour lesquels le temps n’est pas une denrée rare, ce choix est très apprécié et le message est clair : à la différence de beaucoup, le Maroc ne voit pas l’Afrique comme une destination parmi d’autres mais comme une vraie priorité, De plus, l’organisation, méticuleusement préparée selon les souhaits marocains, a été spécialement efficace. Le nombre élevé des conventions signées, le large spectre et le caractère stratégique des activités choisies pour ces accords, l’importance des engagements financiers pris par les principales compagnies du royaume ont donné une impression de puissance des acteurs marocains et de confiance de leur part en l’Afrique. Ces deux aspects s’accordent parfaitement aux souhaits des Autorités des pays hôtes, avides d’investissements étrangers, pour alimenter leur croissance économique, et de considération internationale, pour rehausser leur crédibilité auprès de leur propre opinion publique. En fin stratège qu’il est, le souverain chérifien a donc bien atteint tous ses objectifs économiques et, au moins dans son pays, politiques comme semblent le montrer les commentaires émis à la suite de sa mission. La balle est maintenant dans le camp de ses grandes entreprises, auxquelles il a donné un « coup de pouce » de premier plan et qui seront ainsi très logiquement ses obligées

En Afrique subsaharienne le bilan ne peut encore être totalement tiré. A court terme, celui-ci est incontestablement positif. L’attention accordée par le Maroc – deuxième investisseur du continent dans les pays d’Afrique subsaharienne après l’Afrique du Sud – flatte les pays visités et ouvre pour ceux-ci des perspectives séduisantes d’implantation de nouvelles entreprises et de réalisation de divers investissements, et donc de soutien au développement annoncé aux populations. Celles-ci ont par ailleurs, avec leur placidité habituelle, globalement accepté la place omniprésente laissée au Maroc dans leur pays pendant près d’une semaine. A moyen terme, l’appréciation dépendra d’abord de la capacité des entreprises marocaines et de leurs filiales subsahariennes à passer des effets d’annonce à des réalités vérifiables sur le terrain et capables de produire dans des délais raisonnables tous les effets annoncés. En la matière, les « tycoons » marocains, comme bien d’autres, sont susceptibles de mettre plus de temps que prévu à concrétiser leurs projets alors que la rapidité d’exécution est décisive pour les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale. La déception serait alors à la hauteur de l’espoir initial suscité par cette visite en fanfare. De plus, si tous les projets prennent corps, il serait laissé peu d’espace aux entreprises subsahariennes pour conquérir une place de choix dans leurs propres pays au sein des secteurs les plus prometteurs et les plus importants, alors que la réciprocité affichée des conventions signées, qui ouvre la porte à des investissements subsahariens au Maroc, risque de rester essentiellement virtuelle.

Les accords conclus doivent donc être observés avec attention pour apprécier leur application réelle et leurs aspects positifs. Il serait toutefois injuste de faire la fine bouche. Par cette  visite inédite, le Maroc apporte un appui de premier plan à l’Afrique au moment où les besoins et les ambitions de celle-ci se multiplient grâce au retour durable de sa croissance. Cette arrivée en force d’un nouvel acteur va également permettre de faire jouer la concurrence, toujours utile pour améliorer les prestations reçues. Il appartient donc aux Autorités africaines de profiter au mieux de l’aubaine pour accélérer et renforcer le développement de leurs pays respectifs, et d’utiliser cette étape pour faire éclore sur leurs territoires de nouveaux talents et de nouvelles opportunités. Alors, ce partenariat avec le Maroc sera bien gagnant-gagnant comme annoncé.

Paul Derreumaux

Afrique Subsaharienne, l’eldorado perdu des banques Françaises.

L’eldorado perdu des banques Françaises

 

Il y a quelque trente ans, des banques françaises détenaient en Afrique francophone une position très dominante et sans véritable concurrence. La crise des systèmes bancaires de cette zone dans la décennie 1970/1980 leur a coûté fort cher en termes de provisions et de recapitalisation. Le traumatisme né de cette charge financière, aggravé par les perspectives alors fort médiocres de l’économie du continent et les alléchantes promesses d’autres  marchés, a décidé les états-majors des institutions concernées à renoncer aux mutations requises dans des filiales trop gérées « à l’ancienne » et à placer l’Afrique dans les périmètres à « alléger ».

Le panorama bancaire actuel au Sud du Sahara montre combien ces choix ont constitué une erreur stratégique notable. La gravité de la crise bancaire d’Afrique francophone rendait indispensable la reconstruction rapide de nouveaux systèmes financiers. Celle-ci a été jugée prioritaire dans les mesures d’ajustement structurel qui ont marqué cette difficile période. Les banques françaises disposaient alors d’une base suffisamment solide pour jouer un rôle majeur dans cette reconstitution d’un appareil bancaire performant : implantations anciennes et souvent puissantes, moyens financiers de premier plan, bonne connaissance des agents économiques locaux et de leurs besoins. Certes, l’évolution de l’environnement et les ambitions d’investisseurs privés régionaux allaient inévitablement amener de nouveaux intervenants dans ce secteur auparavant réservé aux capitaux étrangers et aux Etats. Une réelle politique d’innovation et de conquête des clientèles nationales, à l’image de celle appliquée alors dans les pays du Nord, aurait cependant permis aux banques françaises de garder encore longtemps une place prépondérante.

Ce choix a été écarté. Les banques françaises ont préféré faire profil bas, supportant les coûts du nécessaire assainissement de leurs filiales existantes, mais sans modifier profondément les méthodes et les objectifs de celles-ci, et renonçant de facto à toute politique expansionniste de leur présence. Deux autres évènements ont accentué ce repli relatif : la disparition imprévue et rapide, en fin des années 1980, de l’emblématique BIAO; la fusion Crédit Agricole-Crédit Lyonnais et l’érosion progressive du réseau africain de cet ensemble. Seules deux des « trois vieilles » -la BNP et la Société Générale – restent ancrées au Sud du Sahara, sans avoir véritablement élargi leur assise  historique.

Pendant ces trois décades, le système bancaire africain va vivre plusieurs révolutions. Des banques à capitaux privés nationaux naissent ex nihilo, dans les années 1970 ou 1980 selon les pays. Tournées par nécessité vers des clientèles auparavant négligées, elles démontrent leur viabilité sur ces bases nouvelles et grandissent partout.. En Afrique francophone, les plus ambitieuses engagent la construction de réseaux régionaux, à l’intérieur des unions monétaires en place, exploitant au maximum au profit de leurs clients les synergies possibles entre entités. A compter des années 2004.2005, le cloisonnement du continent entre zones nationales ou régionales quasiment étanches s’efface sous la pression conjointe de quelques groupes subsahariens ambitieux, de banques nigérianes puissamment recapitalisées et de banques marocaines à l’étroit dans leur pays. Entre ces acteurs s’exacerbe une concurrence qui s’exerce notamment par le renforcement accéléré des réseaux d’agences et par la forte diversification et la modernisation de produits offerts. Un cercle vertueux s’instaure entre le développement de ces systèmes bancaires dynamiques, dominés désormais par des acteurs africains et redevenus rentables, et une croissance économique plus soutenue, qui se nourrissent l’une de l’autre.

Face à cette nouvelle donne, quelques banques françaises lorgnent à nouveau vers l’Afrique, mais leurs annonces ne sont pas encore suivies d’effet. La poursuite attendue de la croissance du continent permet de croire que certaines places pourraient encore être prises : elles seront de toute façon de plus en plus rares et chères, et pourront difficilement conduire aux positions dominantes d’autrefois. La chance passe rarement deux fois…..

Paul Derreumaux