Les banques subsahariennes à l’offensive

Les années 2021 et 2022 avaient révélé les prémices d’une nouvelle montée en puissance des banques à capitaux privés subsahariens.  L’année 2023 pourrait confirmer la vigueur de ce mouvement de fonds et mériter d’en analyser les limites.

Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en particulier, l’accélération du départ de la Banque Nationale de Paris (BNP) a été l’illustration marquante de cette tendance dans les deux années écoulées. Après son départ du Mali et du Burkina Faso, la 1ère banque française par le Produit Net Bancaire (et 9ème mondiale par les actifs) a conclu les accords pour céder ses deux principales filiales – celle du Sénégal au groupe Sunu, celle de Côte d’Ivoire à un consortium public national emmené par la Banque Nationale d’Investissement (BNI). Elle laisse ainsi la Société Générale seul établissement français dans l’Union – à l’exception de la toute récente Orange Bank Africa en Côte d’Ivoire-, mais aussi en Afrique -hormis la BRED isolée à Djibouti- puisque la BNP a cédé également ses filiales au Gabon et aux Comores dans cette même période. La prédominance des banques « régionales » par rapport aux « étrangères » dans l’UEMOA, confirmée dès 2020 au moins pour les bilans et la collecte des dépôts, va s’en trouver sensiblement renforcée. L’évolution pourrait aussi vite s’accélérer sous l’effet de l’élargissement continu de l’empreinte des banques qui aspirent à un réseau couvrant tout ou partie de l’Union : les Maliennes BDM et BMS, l’Ivoirienne Bridge Bank par exemple.

Le bouleversement enfle encore si on ajoute à cette catégorie, dans chaque pays ou zone monétaire spécifique, les entités qui viennent d’autres pays du continent. Toujours dans l’UEMOA, l’annonce récente par la Banque Nationale d’Algérie (BNA) de l’installation en 2023 d’une filiale au Sénégal dotée d’un capital imposant de 60 milliards de FCFA est toutefois une surprise en la matière. Il s’agirait là de la première incursion en territoire subsaharien de la 11ème plus importante banque du continent. L’importance de ses moyens financiers, son réseau de correspondants pourraient en faire rapidement un acteur sérieux de la place, surtout pour les opérations de commerce international. L’encouragement des Autorités algériennes donné aux principales banques nationales pour ces installations outre-Sahara pourrait aussi montrer que la venue de la BNA n’est pas un « coup isolé ». Si ces annonces se concrétisent, ceci renforcerait à nouveau le poids des banques maghrébines en zone subsaharienne et leur rivalité avec les banques « regionales ».

Cette tendance irréversible à la « dé-compartimentation » du continent, engagée dès 2005 par les banques nigérianes, se poursuit aussi ailleurs sous des formes devenues plus « classiques ». La Marocaine Atijari prévoit par exemple une implantation au Tchad, qui élargirait son réseau en Afrique occidentale et centrale. Toujours au Tchad, la Gabonaise BGFI pourrait s’emparer de l’ex-filiale de la Banque Commerciale du Cameroun, en restructuration de longue date. Access Bank, une des trois plus grandes banques nigérianes, déjà opérationnelle au Kenya, ayant échoué à y racheter aussi la Sidian Bank, annonce de nouvelles installations au Kenya et au Ghana mais aussi un plan quinquennal d’extension tous azimuts hors d’Afrique. Les puissantes banques kenyanes accentuent pour leur part leur pression sur la République Démocratique du Congo (RDC) qui vient d’adhérer à l’East African Community( EAC) : Equity Bank se saisirait ainsi de la Banque Commerciale du Congo, première entité du pays et ancien fleuron du Groupe belge Belgolaise, et Kenya Commercial Bank (KCB) de la Trust Merchant Bank qui dispose déjà d’une solide assise régionale en Afrique Orientale.

Mais la nouvelle la plus remarquable de ce début 2023 est sans conteste celle du rachat par le réseau ivoirien Atlantic Finance Group (AFG) de la majorité du capital du troisième établissement mauricien, Afrasia Bank. L’opération frappe à la fois par l’importance du « deal » -le bilan d’Afrasia atteint 4,6 milliards d’USD- et par l’éloignement géographique des centres de gravité des deux banques. Lorsque cette opération sera menée à terme, la banque ivoirienne rejoindra le club encore très restreint des entités subsahariennes véritablement panafricaines, c’est-à-dire présentes dans au moins deux zones linguistiques du continent. De plus, Afrasia, comme ses consoeurs mauriciennes, est active par exemple dans la gestion des titres ou le change, autant de secteurs peu familiers aux banques francophones, ce qui durcit encore ce challenge.

Cette profusion de nouvelles opérations va mécaniquement accroître partout le poids relatif des banques subsahariennes. Toutefois, pour que les changements opérés et/ou annoncés produisent des effets maximaux, beaucoup de conditions sont à remplir.

Les repreneurs des banques françaises devront pour leur part réussir le pari de garder dans leurs nouvelles filiales le public existant mais surtout d’y gagner une clientèle beaucoup plus large et variée et de satisfaire ses besoins de crédit, tout en veillant à maintenir la qualité du portefeuille et des services rendus. La forte présence à Abidjan d’acteurs publics dans l’ex-BNP va aussi constituer une nouveauté au sein d’un système bancaire régional où le secteur privé domine très largement depuis vingt ans. Par ailleurs, tous les acteurs élargissant leur périmètre auront à mettre leurs nouvelles filiales au niveau de leur réseau, et maintenir en même temps la cohésion de celui-ci, dans des environnements changeants, une concurrence plus aigüe et une réglementation toujours plus dure.

Outre ces exigences spécifiques, les systèmes financiers subsahariens doivent en effet continuer dans leur ensemble à relever divers défis. L’un est la hausse continue des ratios prudentiels : elle s’exprime dans l’augmentation du capital social minimal, observée partout et régulièrement, et surtout dans celle des coefficients requis de fonds propres, qui limite strictement les banques dans la progression de leurs crédits, comme on le vérifie actuellement dans l’UEMOA. Dans ce même espace, la Banque Centrale met maintenant l’accent sur une diversification des crédits mieux assurée, pour rattraper le retard par rapport à d’autres régions, telle l’Afrique de l’Est. Ceci va exiger de chaque banque d’importants efforts de recapitalisation qui s’ajouteront, pour toutes celles engagées dans des acquisitions, à ceux des rachats effectués. Le niveau insuffisant des financements bancaires par rapport aux besoins des économies locales, spécialement pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME) n’est en outre en rien résolu par ces fusions-acquisitions : cette question dépend de nombreux facteurs économiques, fiscaux, juridiques, politiques, dont la résolution prendra du temps. Enfin, les banques subsahariennes souffrent aussi dans leurs opérations avec l’extérieur de réticences croissantes des grands établissements internationaux, pour des raisons tenant notamment aux règles de conformité, omniprésentes dans les pays du Nord et jugées souvent insuffisantes en Afrique subsaharienne. La disparition qui y est programmée du réseau de la BNP -après celles des Françaises Crédit Agricole et Banques Populaires ou celle de l’anglaise Barclays-, les incertitudes sur la stratégie de Standard Chartered Bank, risquent de renforcer ces réticences de coopération et imposeront aux entités régionales de reconstruire d’autres réseaux de relations.           

Enfin, il faut souligner que, malgré le projet majeur de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF), les relations économiques, et donc financières, entre zones régionales sont restées jusqu’ici très limitées. Contrairement aux échanges intrarégionaux, elles n’ont jamais pu être un vecteur majeur de synergie et d’expansion des réseaux qui furent les premiers à tenter une construction panafricaine. La prouesse de AFG à Maurice ne prend donc tout son sens que reliée à la récente implantation du Groupe aux Comores et, surtout, à l’obtention annoncée en novembre dernier d’un agrément à Madagascar, où les banques sont encore peu nombreuses et bien rentables.   

En somme, le dynamisme actuel des groupes bancaires africains, et principalement subsahariens, constitue bien « une bonne nouvelle d’Afrique ». Mais il doit avant tout être vu, pour ne pas générer de déceptions, comme le signe d’une détermination des banques concernées à aller de l’avant et à se saisir des opportunités offertes. Il n’est qu’un préalable indispensable pour que les acteurs les plus motivés mettent en place les transformations opérationnelles qui changeront vraiment le visage de ces systèmes bancaires : constructions stratégiques solides, ressources humaines encore plus professionnelles, innovations technologiques adaptées, financements plus nombreux et efficaces, coopérations avec d’autres acteurs financiers,.. L’offensive ne fait que commencer.

Paul Derreumaux

Article publié le 23/01/2023

Les systèmes financiers de l’UEMOA : 2 . Microfinance : belle relance. Monnaie électronique : expansion sous contraintes.

Si les acteurs bancaires gardent une très large prédominance dans l’écosystème financier de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), ils coexistent avec deux autres groupes, qui ont performé de manière acceptable en 2021.

 Le premier est celui des institutions de microfinance ou Systèmes Financiers Décentralisés (SFD). Ceux-ci sont nombreux, disparates et surtout de faible envergure. Parmi eux, la Commission Bancaire contrôle les « SFD de grande taille », dont les dépôts et les crédits dépassent 2 milliards de FCFA. Cette catégorie a subi des vagues de restructuration qui ont réduit son effectif en raison de la mauvaise santé financière de nombreuses composantes, mais elle regroupe encore quelque 200 entreprises, dont près de la moitié sont organisées en réseaux. Malgré ces efforts, beaucoup de ratios financiers de ces SFD restent en moyenne faibles par rapport aux normes recherchées, tels ceux de la capitalisation, de la marge bénéficiaire et de la rentabilité des fonds propres, ce qui freine le renforcement des entreprises du secteur. Les contraintes réglementaires montrent quant à elles des progrès variés : la limitation des risques globaux à 200% des ressources est respectée par la quasi-totalité des SFD tandis que les normes de capitalisation et de liquidité ne sont atteintes que par environ la moitié.

En dépit de ces avancées, les SFD gardent à fin 2021 un poids globalement négligeable par rapport   aux établissements bancaires : 5% pour les bilans, près de 6% pour les crédits, moins de 4% pour les dépôts. Ils sont aussi ces deux dernières années la catégorie des structures financières qui progresse le moins vite tant pour les bilans que pour les dépôts. Malgré cette faiblesse structurelle, ils totalisent en 2021 11,7 millions de comptes de clientèle, soit 67% du nombre des comptes bancaires, et sont l’interlocuteur privilégié des micro-, petites et moyennes entreprises, comme des ménages les moins favorisés. Ils ont d’ailleurs largement contribué à l’essor de la bancarisation dans toute la région et leur place déterminante s’est globalement maintenue sur la décennie écoulée. Entre 2011 et 2018, le taux de bancarisation « strict » -banques seules – avait même cru moins vite que celui apporté par les SFD et, si la tendance s’est inversée les trois dernières années, le « match » reste encore ouvert à ce jour.  Cette situation est spécialement marquée sur toute la période dans trois pays de l’Union -Bénin, Sénégal et Togo-, où les réseaux de SFD ont une densité de bureaux qui dépasse toujours celle des agences bancaires.  

Leur proximité avec la partie la plus fragile des systèmes économiques avait coûté cher aux SFD en 2020 du fait des répercussions de la pandémie Covid-A9 sur les maillons les plus faibles des économies. Le poids des créances en souffrance, le coefficient d’exploitation, la rentabilité s’étaient fortement dégradés et constituaient un signal d’alerte. La tendance s’est inversée en 2021 : le résultat d’exploitation a bondi de 52% avec la hausse des crédits, et le résultat net a presque quadruplé grâce au repli des provisions requises. Dans le même temps, les SFD ont bien tenu leur rôle dans le financement de la relance de leur clientèle spécifique : leurs crédits progressent en effet de +16,4% en 2021, contre +12,5 % seulement pour les banques davantage tournées vers les placements. Le parcours des institutions de microfinance a donc été autant profitable en 2021 pour elles-mêmes que pour les économies de l’Union.

Enfin, une analyse de ces SFD par leur taille montrerait qu’une petite frange d’entre eux possède maintenant des moyens financiers proches de ceux des banques locales et est en mesure de concurrencer ces dernières sur certains dossiers. Ces institutions sont d’ailleurs parfois présentes dans plusieurs pays (Baobab, Cofina par exemple), agissant alors en groupes régionaux bien structurés, et brûlent aussi de franchir un pas supplémentaire en obtenant un agrément de banque de plein exercice grâce à des fonds propres conséquents. D’autres restent cantonnées à un pays mais y sont des structures financières de référence, tel le Crédit Mutuel au Sénégal ou les Banques Populaires au Burkina Faso. La vivacité et l’ambition de ces SFD les plus puissantes constituent aussi une émulation bénéfique à toutes les catégories de clients, et notamment les petites entreprises, mais aussi à l’ensemble du système financier. 

De leur côté, les Emetteurs de Monnaie Electronique (EME) ont continué en 2021 une vive expansion mais ont moins brillé que les années précédentes.

Trois points positifs restent inchangés. D’abord, la densité d’implantation remarquable de ces institutions là où elles existent. Les comptes recensés s’élèvent à 85,7 millions fin 2021, en augmentation de 15% sur l’année contre +47% l’année précédente. Ils représentent maintenant environ 5 fois l’effectif des comptes bancaires. Surtout, le nombre de leurs points de vente est sans commune mesure avec celui des guichets bancaires -788 000 contre 3930- ce qui traduit bien le rôle crucial des EME dans l’inclusion financière des populations, notamment hors des grandes villes. Ensuite, l’envergure croissante des opérations traitées, en nombre comme en montants. En 2021 les premiers ont crû de 18% avec près de 4 milliards de transactions, tandis que les seconds progressaient de 22% avec 35240 milliards de FCFA, soit plus du tiers du Produit Intérieur Brut de la zone. Même si le rythme a fléchi, il reste supérieur à celui de l’évolution des activités dans l’Union et témoigne de la présence renforcée des EME dans le domaine des moyens de paiement. Enfin, la diversification continue du spectre des utilisations. La part des paiements, longtemps ultra-prédominante, baisse régulièrement et partout, au profit des règlements de factures et de services ou de transferts internationaux, voire de paiements de salaires, qui représentent ensemble près de 20% de l’ensemble des usages fin 2021, contre moins de 10% il y a 5 ans. Cette extension illustre la place désormais irremplaçable de la monnaie électronique dont une partie est aussi désormais conservée par les clients, en attente de transactions à venir, comme une épargne scripturale classique.

D’autres données sont plus nuancées. Les EME ne sont encore en activité que dans cinq pays. De plus, 3 des 13 sociétés agrées ne sont toujours pas opérationnelles. Les liens de ces institutions avec les sociétés de télécommunications expliquent que leur dynamisme dépende beaucoup de celui des leurs sociétés mères et des priorités de celles-ci. En outre, les EME n’ont pas le monopole de la monnaie électronique. Celle-ci est aussi proposée par 26 banques, qui agissent en partenariat avec des opérateurs de téléphonie ou des « Fintechs », et leurs opérations ne sont pas recensées dans les données ci-avant bien que certains de ces acteurs aient parfois une grande importance locale. Ce marché très prometteur est donc encore en construction et la domination actuelle des EME fait face à plusieurs défis. L’un est de nature concurrentielle. Il vient du système bancaire dont la gestion des opérations est de plus en plus digitale, quelle que soit la taille de celles-ci alors que les EME ne peuvent gérer que des transactions de faible montant . Il résulte aussi de la montée en puissance de certaines Fintech qui ont réussi à lever des capitaux importants auprès d’institutions internationales : c’est le cas de la société Wave après ses succès au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Appréciées par les réductions des coûts de transaction qu’elles favorisent, ces Fintech sont cependant soumises à des contraintes réglementaires plus modestes, ce qui peut fausser la compétition. Un autre est d’ordre réglementaire : si la Banque Centrale se réjouit de l’existence des EME en raison de leurs effets favorables sur l’inclusion financière, elle poursuit aussi l’objectif central de faire progresser encore celle-ci par tous moyens grâce à la réduction continue des coûts sur les petites transactions jusqu’à des limites difficiles à supporter pour les filiales des grandes entreprises de communication. Cette approche explique que les Autorités aient laissé « pousser » avec bienveillance les Fintech, même si leur contrôle se resserre sur elles aujourd’hui. Dans le même temps, le chantier bien avancé de l’interopérabilité entre toutes catégories d’institutions financières devrait certes apporter de grands progrès aux entreprises comme aux individus dans leur fonctionnement quotidien, mais prévoit de nouvelles réductions drastiques des commissions prélevées, qui imposeront sans doute de profondes réformes pour les EME. Un dernier risque est opérationnel. Dans la diversification des opérations qu’ils offrent maintenant au public, les EME n’ont pas encore réussi à percer dans la distribution des petits crédits en partenariat avec des banques ou des SFD. Les tentatives qui se multiplient en la matière n’ont pas prouvé jusqu’ici, pour des raisons autant techniques que de profitabilité, leur viabilité et évoluent lentement. Le pan des activités de crédit reste donc toujours l’apanage des institutions bancaires et de microfinance, et un atout pour leur préséance.    

En résumé, l’année 2021 apparait plus équilibrée que la précédente dans l’évolution des trois composantes des systèmes financiers de l’Union. Celles-ci ont toutes connu une croissance significative de leurs indicateurs d’activité et dégagé des résultats financiers positifs, consolidant chacune leurs positions. Les contraintes réglementaires qui s’imposent à chaque type d’institution sont dans l’ensemble respectées par une très large majorité de celles-ci, C’est notamment la cas pour les banques : près de 90% d’entre elles réussissent toujours en particulier à se plier aux exigences de fonds propres minimaux, durcies chaque année depuis 2019, et le fléchissement observé en 2021 sur certains ratios -liquidité, immobilisations, ressources stables- est modéré, Le ratio de division des risques continue à être partout le plus difficile à atteindre et pourrait conduire à des normes de fonds propres encore plus évères pour répondre aux besoins des économies locales. Comme déjà souligné, les SFD ont connu aussi un « satisfecit » limité en ce domaine et les principaux EME sont actuellement conformes au niveau minimal de fonds propres qu’ils doivent atteindre. Cette consolidation respective pourrait permettre à chacune des catégories de redoubler d’efforts pour mieux accomplir les missions dans lesquelles elles montrent encore des faiblesses. Les banques pour l’augmentation de leurs fonds propres, une plus grande implication dans les concours à l’économie et l’intensification du marché interbancaire. Les SFD pour un renforcement de leurs capacités financières, une modernisation de leurs structures et un plus grand dynamisme. Les EME pour une meilleure accessibilité aux populations et entreprises les plus fragiles, l’accroissement du taux d’activité de leurs comptes et l’extension de leur opérations présentant la meilleure valeur ajoutée.

La multiplication de passerelles entre les activités de ces trois groupes et d’occasions de partenariats entre ceux-ci en des domaines à définir serait aussi susceptible d’ouvrir la voie à un rôle plus actif dans le financement des économies de la sous-région, tel qu’attendu par tous. Même s’ils ne peuvent générer eux-mêmes le développement économique, les systèmes financiers doivent être prêts à l’épauler au mieux à tout moment.      

Paul Derreumaux

Article publié le 12/01/2023

Les systèmes financiers de L’UEMOA en 2021 : 1. Banques : Santé florissante, diversité des acteurs, nouveaux équilibres au sommet

Au vu du dernier rapport de la Commission Bancaire, les systèmes financiers de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) demeurent fin 2021 une des activités les mieux portantes de cet espace économique. Leurs trois principaux groupes – banques, sociétés de microfinance (ou Systèmes Financiers Décentralisés SFD) et Etablissements de Monnaie Electronique (EME) – montrent des traits communs d’évolution, mais aussi des spécificités. Les banques y gardent cependant une place très prépondérante tant en masse bilantielle que pour le financement intermédié de l’économie, avec respectivement 92% et 95% du total. Cette domination justifie donc une analyse particulière.

Le premier constat pour les établissements bancaires qui se dégage des données disponibles à fin 2021, et parfois au 30 juin 2022, est celui d’un secteur toujours en croissance et dont la santé s’est encore améliorée. La plupart des indicateurs de bilan augmentent d’au moins 12% : +17,1% pour le total des bilans ; +12,5¨% pour les crédits à la clientèle nets de provisions ; + 19,6% pour les dépôts. Ces rythmes de progression sont tous sensiblement supérieurs à celui du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’UEMOA (+6,0 %) en cette année de reprise post-Covid. De même les principales données d’activité ressortent embellies par rapport à 2020, qui fut pourtant un « bon cru » pour les banques malgré la crise sanitaire : un Produit Net Bancaire (PNB) en hausse de +8,8% ; surtout un taux brut de dégradation du portefeuille ramené à 10,3%, en repli de plus de 11% en un an, qui autorise une parfaite stabilité du volume de provisions pour créances en souffrance ; un résultat net final en conséquence relevé de +77% sur l’année sous revue. Celui-ci induit une belle amélioration des ratios de rentabilité par rapport au chiffre d’affaires comme aux fonds propres. Le coefficient d’exploitation moyen connait lui aussi une remarquable avancée et descend à 61%, plancher jamais atteint dans la dernière décennie. Le fait que ces tendances aient touché les systèmes bancaires de chacun des Etats de l’Union souligne enfin la force de ce mouvement positif. Ce dernier semble d’ailleurs se poursuivre sur le premier semestre 2022 malgré les incertitudes liées à une forte inflation non encore maîtrisée. Les premières données au 30 juin 2022 des banques cotées sur la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) enregistrent en effet de belles augmentations vis-à-vis de la même période de 2021. On note ainsi, en termes de PNB, +10,9% pour la Société Ivoirienne de Banque (SIB), +7,2% pour la BOA-BURKINA FASO, +16,6% pour le réseau Orabank par exemple, tandis que les résultats nets s’accroissent souvent plus vite.

Outre ce panorama avantageux, trois principaux points saillants apparaissent. C’est d’abord un écart grandissant entre les indicateurs de puissance et de modernité des établissements selon les pays. Le nombre des banques en activité, qui s’est actuellement stabilisé en 2020/21 à 131 entités dans l’Union, est partagé pour l’essentiel en 2 zones: Côte d’Ivoire et Sénégal, leaders quasiment ex-aequo avec 27 et 28 établissements chacun ; toutes les autres nations classées en outsiders, comptant chacune 14 ou 15 entités, à l’exception de la Guinée-Bissau et ses 5 banques. Mais les autres critères de ventilation sont beaucoup plus largement différenciés entre pays et reflètent avant tout la vitalité économique de ceux-ci. Ainsi, la Côte d’Ivoire regroupe fin 2021 près de 34% du total des bilans de l’Union, contre moins de 19% pour le Sénégal, mais le retard du dernier est inférieur pour les guichets en activité et supérieur pour les automates bancaires. Derrière, la dispersion est encore plus forte, même hors Guinée-Bissau dont la petitesse fait un cas à part. Le poids relatif des bilans entre pays s’échelonne entre 14,5% pour le Burkina et moins de 4% pour le Niger, hors établissements financiers qui ont une place spécifique dans ce dernier. Ces écarts élevés apparaissent sous d’autres aspects. Le nombre de comptes en Côte d’Ivoire est deux fois plus important qu’au Sénégal alors que la concurrence entre établissements semblerait plus vive dans ce dernier. Le Niger, pays le plus peuplé, recense moins de 60% des guichets automatiques du Togo, moins de 37% des comptes bancaires du Burkina et à peine 17% de ceux de Côte d’Ivoire. Globalement, le nombre des automates bancaires a cru plus vite que celui des guichets. Derrière ces disparités, on retrouve l’évidence, pas toujours acceptée, que la présence d’établissements financiers n’est pas une condition suffisante pour le développement et que la vigueur de ce dernier influe aussi sur les caractéristiques du système bancaire national. En revanche, le taux de bancarisation dans l’Union, longtemps faiblesse majeure, continue à progresser partout. L’effectif des comptes bancaires s’est renforcé de 51% sur 4 ans, bien au-delà de l’accroissement de la population. Cet important progrès est indéniablement un succès de la période récente.

Hétérogènes entre pays, les systèmes bancaires de l’UEMOA sont aussi fort diversifiés dans leurs caractéristiques comme le montrent les deux exemples suivants. Pour la ventilation des acteurs bancaires par leur taille, les spécificités relevées fin 2020 ont toutes été amplifiées l’année écoulée. Pour le degré de concentration des systèmes nationaux, la dispersion des bilans entre les plus petites et les plus grandes banques s’est élargie, avec notamment un seuil en hausse de 14% pour les établissements constituant le quartile des banques les plus importantes. Cette évolution est encore plus significative pour les dépôts, qui connaissent à nouveau la plus forte augmentation de l’écart. Malgré tout, la place des 50% des établissements les plus petits pèse encore lourdement dans le financement de l’économie avec près de 24% du total des dépôts collectés dans l’UEMOA et, surtout, de 36% des crédits de trésorerie, qui expriment la force de leur ancrage territorial. Du côté des acteurs les plus importants, les évolutions se poursuivent lentement au plan global. Les treize groupes rassemblant chacun plus de 2% des actifs bancaires de la zone représentent toujours 75% des bilans totaux et des pourcentages souvent supérieurs en termes de comptes gérés, de nombres d’automates et, surtout, de résultats finaux annuels. Aux douze groupes recensés en 2020 s’est ajoutée seulement la banque gabonaise BGFI. Dans ce total, les entités ayant le siège de leur banque ou de leur holding dans l’Union – les « régionales » – consolident modestement une prédominance acquise depuis 2020 pour leur total bilantiel comme pour la densité de leurs implantations. Elles restent cependant derrière celles ayant leur siège à l’extérieur de l’UEMOA – les « internationales » – pour le nombre de comptes et les effectifs. Le réseau régional d’origine burkinabé Coris Bank est même entré pour la première fois dans le trio de tête, derrière ceux de la togolaise Ecobank et de la française Société Générale, repoussant BANK OF AFRICA au 4ème rang. Ces groupes régionaux comprennent en particulier un nombre croissant d’outsiders vite montés en puissance grâce à la promptitude de leur couverture régionale et à leur plus grande agilité dans les décisions de crédit. Cette transformation était attendue et devrait s’accentuer, les anciens leaders étant au contraire contraints par l’absence d’extension géographique et par les exigences de fonds propres de leurs maisons-mères. Ce passage de pouvoirs s’affiche au grand jour depuis 2021 avec par exemple la « vente par appartements » du réseau de la française BNP au Burkina, au Mali, au Sénégal et, en cours, en Côte d’Ivoire à des actionnaires différents, privés ou publics mais tous régionaux. 

Enfin, le portefeuille des établissements bancaires en 2021 s’est, comme l’année précédente, davantage enrichi d’emplois de trésorerie que de concours à la clientèle. Ces deux catégories augmentent respectivement de 18% et de 12% en 2021 et, depuis 2016, la première a progressé de 84% contre 49% pour la seconde. Il s’agit donc bien d’un mouvement de fond issu de plusieurs facteurs : importantes sollicitations des Etats pour financer leurs budgets et leurs investissements -7200 milliards de FCFA pour la seule année 2021- ; durcissements annuels des exigences réglementaires de fonds propres qui touchent les banques de 2019 à 2022 ; plus grande sélectivité apportée dans la distribution du crédit depuis la crise économique qui a résulté du Covid19 en 2020. Le classement des produits d’exploitation traduit cette restructuration : entre 2017 et 2021, les produits de placement auront progressé de quelque 70% et ceux des crédits à la clientèle de 28% seulement. La relation étroite désormais imposée entre le niveau des fonds propres des banques et les risques qu’elles sont autorisées à prendre a été déterminante pour cette réorientation des emplois. La bonne rémunération des emprunts d’Etat, l’absence de provisions qu’ils entrainent jusqu’ici, les avantages fiscaux qui y sont liés compensent aussi en partie l’infériorité de leur rémunération par rapport aux crédits à l’économie. Même si ces derniers croissent sur la période plus vite que le PIB de la zone, le constat effectué n’est pas un bon signe pour le financement des économies, surtout pour les petites entreprises qui sont les plus touchées par ces choix stratégiques des banques. En contribuant fortement au financement des budgets étatiques, les banques appuient bien sûr indirectement les actions de ceux-ci pour le développement économique, mais le choix par elles-mêmes des secteurs et des entreprises bénéficiaires de leurs concours pourrait être plus efficient et plus bénéfique en termes de rendement même s’il devait être plus coûteux en termes de provisions.

En ligne avec les exercices précédents, l’an 2021 a donc été globalement pour les banques de l’UEMOA une excellente période pour la croissance des activités et un millésime exceptionnel pour les résultats et les indicateurs de solidité. La nouvelle progression du poids relatif des principaux groupes et, au sein de ceux-ci, des réseaux dominés par des intérêts régionaux, est sans doute la mutation essentielle, et devrait s’accélérer en 2022 avec les changements en cours sur ce plan.

Sur deux points cependant, la période écoulée n’a pas connu de modification significative : celui d’une plus forte concentration et d’une diminution du nombre d’acteurs, celui d’un renforcement du rôle des banques dans le financement des économies. L’analyse du dynamisme en ce dernier domaine des banques réparties selon leur taille ne plaide toutefois pas en faveur des plus importantes qui sont moins actives en ce domaine. On peut dès lors se demander si, en l’état actuel de l’environnement réglementaire et des appareils économiques nationaux, une concentration plus forte résoudrait mieux la question du déficit de financement constaté ? « Small would it be beautiful today »?

Paul Derreumaux

Article publié le 05/01/2023