Population mondiale : Montée en puissance réaffirmée de l’Afrique en 2050 (Part 1)

Alors que les médias annoncent déjà le franchissement du seuil de 8 milliards d’habitants sur la planète en novembre prochain, les nouvelles projections de la population mondiale par l’Organisation des Nations Unies (ONU) apportent en 2022 des précisions sur son évolution probable pour 2050. Surtout, elles soulèvent beaucoup de questions et de réactions sur les tendances possibles à l’horizon 2100. Quels que soient les scénarii envisagés, l’Afrique y garde une place centrale.

La science démographique est, pour une échéance à venir d’environ 30 ans, une science (presque) exacte. La lente évolution des principales variables qui peuvent infléchir les niveaux, les structures, la répartition spatiale des populations nationales donne une bonne consistance aux projections des experts. Les mouvements entrainant de brusques ruptures de trends – épidémies ou maladies nouvelles, découvertes scientifiques – sont rares et prennent souvent du temps avant de produire tous leurs effets quantitatifs. Les effets de la loi des grands nombres permettent aussi de compenser dans les données des regroupements régionaux les erreurs ou anomalies qui pourraient être faites dans les appréciations au plan national. De manière logique, les dernières projections pour 2050 sont donc peu différentes de celles émises depuis 2015 (1). Elles conduisent à quatre principales conclusions : durant les 28 prochaines années, la population grossit encore, mais ces variations sont de plus en plus inégales selon les régions ; en revanche l’humanité vieillit et s’urbanise partout.

A mi-parcours du 21ème siècle, le monde devrait héberger 9,7 milliards d’êtres humains, après un passage à 8,5 milliards vers 2030, soit quelque 1,9 milliard de plus qu’aujourd’hui. Cette progression n’est que très légèrement inférieure aux précédentes. En revanche, le taux d’accroissement annuel est passé en dessous de 1% en 2020 pour la première fois depuis 70 ans et reste inférieur à ce seuil. Ce résultat est dü à la simultanéité de la baisse continue du taux de natalité dans des régions à population élevée – Asie de l’Est ; une bonne partie de l’Europe – et d’un taux de mortalité relativement stable malgré les effets du Covid-19. 

Cette hausse d’ensemble sera concentrée à 93% sur deux régions du globe : l’Asie du Centre et du Sud et, surtout, l’Afrique subsaharienne. Celle-ci représenterait 62% de l’augmentation de la période, qui porterait sa population à plus de 2,1 milliards d’habitants en 2050 – un quasi-doublement en 30 ans -, soit 22% du total mondial à cette date. Si une fraction de l’Asie, et particulièrement l’Inde, participe à cet accroissement, c’est surtout en raison de son poids prédominant actuel, mais son augmentation, qui s’essouffle, ne serait « que » de 19% sur la période. Le mouvement de l’Afrique est beaucoup plus puissant. Ainsi 5 des 9 pays au monde dont le nombre d’habitants croîtrait le plus seraient africains : Egypte, Ethiopie, Nigéria, République Démocratique du Congo (RDC) et Tanzanie, les deux dernières progressant désormais le plus vite. Ces 5 mastodontes réuniraient à eux seuls près de 1,1 milliard d’habitants en 2050 soit autant que toute la zone subsaharienne en 2020. Cette évolution impressionnante est principalement fondée sur un taux de fécondité qui donne à cette dernière une place désormais unique dans le monde : environ 4,2 enfants par femme alors que ce taux ne dépasse plus 2,1 en moyenne sur les autres continents, ce qui suffit à peine au renouvellement des générations, et se situe en dessous de 3,5 dans les autres régions les plus prolifiques. Certes, les années récentes montrent une baisse de ce taux de fécondité sur le continent, dans le sillage de ce qui s’est déroulé à des périodes diverses sur l’ensemble de la planète, mais la tendance est encore globalement faible, à la différence par exemple de celle opérée en Asie depuis plusieurs décennies, et touche inégalement les pays. En Afrique, elle est presque achevée au Sud, en pleine réalisation au Nord, déjà bien engagée à l’Est, encore fragile à l’Ouest et à peine entamée en zone du Centre. Comme pour l’économie, l’Afrique subsaharienne affiche ainsi sa diversité grandissante en démographie. Malgré quelques progrès, le Niger est toujours à la traine pour cet indicateur avec 6,7 enfants/femme.  

Emportée par ce ralentissement de la natalité et un allongement jusqu’ici continu de la vie -l’espérance de vie moyenne dans le monde atteignait 73 années en 2019-, l’humanité poursuivra son vieillissement qui s’accélère. Certes, la pandémie du Covid 19 a provoqué pour la première fois un recul de cette espérance de vie, ramenée à 71,4 ans en 2021 dans le monde. Pour des pays comme les Etats-Unis ce recul est d’ailleurs plus conséquent et pourrait être plus durable pour des raisons sociologiques. Malgré cette incertitude, les projections restent optimistes en adoptant pour 2050 une valeur supérieure à 77 ans et un allongement étendu à tous les continents. Sur cette base, le poids des « plus de 65 ans » augmentera le plus vite et devrait passer d’environ 10% à plus de 16% en 2050. La part des « 20-65 ans », approximativement assimilables aux actifs, va diminuer en poids relatif et parfois en valeur absolue. Cette tendance posera de plus en plus des problèmes de croissance économique et de financement des charges liées aux « seniors », et aucune partie du monde n’y échappe. La Chine la ressentira particulièrement alors qu’elle sera sans doute globalement dépassée par l’Inde dès 2023, quatre ans avant la date antérieurement prévue. La population pourrait décliner dans une soixantaine de pays, notamment dans toute l’Europe et au Japon, et parfois jusqu’au niveau inquiétant de 10% sur la période. Même l’Afrique, où les « moins de 20 ans » restent majoritaires jusqu’au milieu du siècle, devrait voir la place des actifs commencer à régresser en raison de la poussée des « anciens ». Ceux-ci bénéficient en effet du fort allongement de la durée de vie – désormais proche de 65 ans, et de moins en moins en retard vis-à-vis de la moyenne mondiale – qui devrait se poursuivre, même de façon plus ralentie. Avec cette nouvelle composition de la pyramide des âges, le « dividende démographique » espéré s’éloigne sans que l’Afrique n’ait jamais pu en profiter vraiment, faute de la création effective d’emplois formels bien rémunérés.

Le renforcement de la concentration urbaine restera une dernière dominante des 30 ans à venir. L’exode rural ininterrompu depuis la révolution industrielle du XVIIIème siècle a donné un souffle vigoureux à cette tendance millénaire. Dans la période plus récente, la forte urbanisation a surtout profité aux très grandes conurbations, dressant un écart grandissant de conditions de vie et d’infrastructures économiques et sociales entre celles-ci, d’une part, et les villes moyennes et les zones rurales, d’autre part. Ainsi, non seulement 55% des habitants du monde habitent désormais en zone urbaine -et sans doute 70% en 2050 -, mais la planète compte en 2020 31 « méga-villes » de plus de 10 millions d’habitants, toute l’agglomération de Shanghai culminant à 70 millions de personnes. L’Afrique reste en retard sur ce plan, sous l’influence d’activités agricoles – de rente et vivrières confondues – qui occupent encore la majorité de la population totale : à ce jour, la population urbaine y reste minoritaire avec 42,5% du total et on ne compte que 3 conurbations de plus de 10 millions d’habitants. Mais elle suit bien le même chemin avec quelques nuances. La croissance urbaine est partout supérieure à 3% l’an et peut atteindre 5%, soit le double de la progression globale des pays : le cap des 50% devrait donc être dépassé rapidement. Cependant, à la différence de la plupart des pays asiatiques, cet apport concerne avant tout les capitales nationales qui deviennent tentaculaires et non les villes de l’intérieur du pays. Ce déséquilibre spatial renforce des handicaps mutuels : les capitales enflent souvent avec un désordre et une rapidité qui rendent difficile une urbanisation cohérente bénéficiant au plus grand nombre ; dans les autres villes, les déficits d’infrastructures et la modestie des conditions de vie réduisent les activités économiques et freinent l’ancrage local des populations rurales.

Ainsi le chemin démographique vers le milieu du siècle apparait déjà bien tracé à partir des réalités actuelles, au moins pour les regroupements régionaux, avec des idées-forces qui devraient peu varier. Au-delà de cette date, le poids des hypothèses devient plus déterminant et conduit à des scenarii d’évolution encore vagues et fort divers (cf. Article II à suivre)

(1) Cf. sur ce blog : « Démographie ; le casse-tête de l’Afrique », juin 2016 ; « l’Afrique, maître du destin démographique du monde, juin 2018 » ; Projections démographiques mondiales : Des incertitudes, mais l’Afrique reste maître du jeu », septembre 2021

Paul Derreumaux

Article publié le 22/09/2022

Ralentissement de la croissance chinoise : Quel impact pour l’Afrique ?

Ralentissement de la croissance chinoise : Quel impact pour l’Afrique ?

 

L’affaire semble maintenant entendue. La hausse du Produit Intérieur Brut (PIB) de la Chine à des taux annuels régulièrement supérieurs, parfois de loin, à 8% devrait bien faire partie du passé, la question principale étant de savoir si le ralentissement déjà observé va rester modéré et progressif, ou s’intensifier rapidement.

Il parait d’abord étonnant de reprocher à la Chine cet adoucissement de sa croissance. Depuis dix ans, le dynamisme du développement économique chinois a été un des moteurs de la croissance mondiale et a notamment réduit les impacts négatifs de la crise financière et économique de 2008. La crainte des effets d’une « surchauffe » de ce pays par suite de fragilités du système financier, de « bulles » sectorielles prêtes à éclater, de dégradations de l’environnement, d’une nécessaire adaptation du modèle de croissance ont alimenté les analyses des experts durant quelques années et amené beaucoup de ceux-ci à prôner un rythme moins soutenu de cette progression. L’apparente prise en compte par les Autorités chinoises de ces difficultés réelles les conduit à retenir de nouvelles priorités, telles l’augmentation de la consommation intérieure et l’accroissement du pouvoir d’achat qu’elle impose. Celles-ci entrainent logiquement le ralentissement de la hausse du PIB, préconisé par les économistes. Les politiques ont un autre raisonnement : les craintes de fortes répercussions du ralentissement chinois les conduisent à regretter celui-ci pour des considérations essentiellement égoïstes.

Pour l’Afrique, cette peur est encore amplifiée au vu du rôle tenu par la Chine dans la croissance du continent observée depuis une quinzaine d’années. Les bonnes performances d’évolution du PIB de beaucoup de pays africains doivent en effet beaucoup à l’appétit pour les matières premières et les ressources énergétiques nécessaires pour alimenter l « usine du monde » qu’est devenue la Chine. La demande de celle-ci en métaux de toutes sortes, mais aussi en pétrole a entrainé à la fois la forte croissance des exportations correspondantes et la hausse des prix unitaires de ces produits. Pour sécuriser et accroître ses approvisionnements, l’Empire du Milieu est aussi devenu un important investisseur direct pour ces secteurs dans plusieurs pays et a augmenté considérablement les concours financiers aux Etats africains. Il en est résulté pour ces derniers une meilleure diversification possible de  leurs sources de financements et une diminution de leur dépendance à l’égard de partenaires traditionnels  multipliant les exigences préalables à leurs décaissements. En retour, les marchandises et prestations chinoises à bas prix sont maintenant, pour une large part des populations africaines, un moyen d’accès à des produits et services auparavant inabordables, et ont contribué à améliorer le mode de vie du plus grand nombre. De même, de grandes entreprises chinoises, spécialement dans le bâtiment et les travaux publics, ont permis la réalisation de grands chantiers à des prix plus compétitifs. En 15 ans, la Chine est donc devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique, avec plus de 250 milliards de USD d’échanges en 2014 et une multiplication de ceux-ci de plus de vingt fois par rapport à 2000. Même si les investissements chinois sur le continent n’ont pas suivi le même rythme, leur stock dépassait 25 milliards de USD dès 2013 et tenait une place déterminante dans certains secteurs comme l’extraction de matières premières et de pétrole. Cette place désormais incontournable de la Chine sur le continent n’est d’ailleurs pas exempte de frictions diverses au niveau local: la manière selon laquelle des contrats de travaux ont été « troqués » contre des fournitures de matières premières, le faible appel aux travailleurs africains sur certains chantiers confiés à des entreprises chinoises ou  l’arrivée surprise en Afrique de l’Ouest de petits commerçants chinois venant concurrencer le secteur informel national sont des exemples de ces difficultés.

Face à l’étroitesse de ces liens économiques, toute décélération du développement de la Chine génère donc a contrario des inquiétudes en Afrique. Ces appréhensions devraient pourtant être limitées pour deux principales raisons.

Depuis quelques années, les moteurs de la croissance africaine se sont diversifiés et intériorisés. Les secteurs des télécommunications, des banques et de tous les types d’infrastructures sont désormais des piliers de cette hausse du PIB aussi importants que celui des mines. Ils ont en outre l’avantage, à la différence de ce dernier, de toucher la quasi-totalité des pays subsahariens. Ils portent en eux, pour des raisons technologiques ou de marché, des gisements de progression tels que celle-ci devrait encore avoir un fort impact au moins à moyen terme. La poussée démographique extraordinaire dans laquelle est entrée toute la zone pour les trente ans à venir sera un autre facteur d’entrainement pour les services, les commerces et l’agriculture, surtout si les réformes nécessaires accroissent la productivité de cette dernière. L’évolution des activités industrielles est plus incertaine et a conduit jusqu’ici à beaucoup d’échecs : les révolutions techniques présentement observées et une révision des stratégies suivies en matière de priorités sous-sectorielles pourraient cependant améliorer les perspectives de ce secteur. En matière financière, même si l’aide publique continue son repli, l’Afrique peut d’abord compter sur un intérêt croissant des investisseurs privés de la plupart des pays du Nord ou des grands émergents, à la recherche de nouveaux projets à fort potentiel de croissance. Les Etats comme les entreprises peuvent aussi recourir de façon croissante aux marchés boursiers et aux systèmes financiers locaux ou régionaux qui se développent et, accessoirement, aux marchés internationaux de capitaux où les liquidités sont pléthoriques. Enfin, au moins dans certains pays, allant par exemple du Rwanda à la Côte d’Ivoire, des stratégies globales et cohérentes de développement, incluant les réformes de structures indispensables, sont établies et effectivement conduites par les Autorités politiques : elles devraient jouer un rôle essentiel d’accélération du progrès.

Dans le même temps, l’apport de la Chine restera sans doute important même s’il perd de sa puissance. Une fois la période d’ajustement passée, le poids du continent dans la fourniture des indispensables matières premières et  ressources énergétiques justifiera d’autant plus le maintien de flux commerciaux intenses que les coûts qui y sont liés pèsent modestement dans les investissements chinois étrangers. Le ralentissement des importations chinoises de biens de consommation frappera beaucoup plus les voisins asiatiques que les économies africaines actuelles. Dans la vaste rationalisation qui marque les nouvelles orientations de la politique économique de la Chine, les pays d’Afrique de l’Est et Australe devraient au contraire garder une place déterminante, voire être relativement plus avantagées. Ces régions sont incluses dans le périmètre des « Nouvelles Routes de la Soie » et devraient donc bénéficier des investissements massifs qui y sont prévus, notamment dans les infrastructures ferroviaires, maritimes, ou énergétiques, qui vont soutenir l’activité des très grandes entreprises chinoises. L’Afrique peut aussi aider la Chine à résoudre certaines de ses difficultés actuelles : les exportations vers le continent de produits finis présentant un bon rapport qualité /prix soutiennent d’importants secteurs de l’économie chinoise ; parallèlement, l’essor dans certains pays d’entreprises industrielles grosses consommatrices de main d’œuvre et appartenant aux investisseurs chinois est un moyen pour ceux-ci de contourner la hausse des salaires dans leur pays et de faire face aux autres économies asiatiques émergentes. L’Ethiopie est l’exemple le plus cité de cette nouvelle synergie sino-africaine « à rebours » mais des velléités identiques apparaissent dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest. L’Afrique demeurera donc normalement un enjeu de première importance dans la stratégie économique internationale de la Chine. Le continent continuera d’abord d’être un important champ d’action pour ses entreprises et, comme pour le monde entier, une zone attractive tant par sa démographie que par ses perspectives d’expansion économique. Le Président Xi Jinping l’a rappelé en décembre 2015 à Johannesburg lors du dernier Forum de Coopération Afrique-Chine, avec la promesse que les échanges commerciaux avec le continent seraient portés à 400 milliards de USD d’ici 2020 et des annonces d’investissement visant à rassurer ses interlocuteurs. Par ailleurs, l’Afrique restera un des canaux privilégiés par lesquels peuvent s’exercer les ambitions politico-économiques de la Chine, notamment en matière monétaire : renforcement du rôle du yuan comme monnaie d’échange et de réserve ; adoption du yuan comme devise de référence dans certains pays comme le Zimbabwe.

Malgré la donne économique qui la caractérise aujourd’hui, la Chine devrait donc continuer à être une des grandes courroies d’entrainement de l’économie africaine, en raison du nombre et de l’intensité des liens tissés depuis au moins deux décennies. Cet impact positif pourrait cependant prendre des formes différentes, issues à la fois des nouveaux objectifs chinois et de l’évolution des économies africaines. L’Afrique dispose aussi fin 2015 de leviers de croissance endogènes qui donnent plus d’autonomie à son développement. Sur cette question des relations économiques avec le puissant partenaire chinois comme en bien d’autres domaines, les Etats africains qui auront les meilleurs résultats seront ceux qui ne se seront pas contentés de la « rente chinoise », mais auront réalisé les meilleures réformes pour profiter de leurs nouveaux atouts et limiter les effets négatifs de leur environnement.

Paul Derreumaux

article publié le 05/01/2016