Hommage aux soldats de l’armée malienne et à ses morts

Hommage aux soldats de l’armée malienne et à ses morts

 

L’insécurité qui règne en de nombreux endroits du Nord et du Sud du Mali et la capacité de l’armée malienne à faire front aux terroristes qui menacent le pays sont avec juste raison dans les conversations d’un grand nombre de citoyens. On disserte à l’infini sur les moyens disponibles de l’appareil militaire, sur la place à laisser aux alliés étrangers, sur la stratégie à suivre pour corriger les faiblesses constatées et arriver à une victoire finale face à l’ennemi.

Curieusement cependant, cette armée reste pour beaucoup  « sans visage ». Je n’ai pas lu ou vu jusqu’ici de journalistes maliens retraçant par des reportages le quotidien des soldats, sous-officiers et officiers dans leurs garnisons sur le territoire ou dans leurs patrouilles face à un ennemi difficilement saisissable. Secret défense ? Les responsables militaires ont les moyens de veiller à ce que ces articles ou émissions ne divulguent pas des données à caractère stratégique. De plus, les attaques des terroristes semblent montrer qu’ils disposent de réseaux d’informations et d’infiltration suffisamment efficaces pour ne pas dépendre de ces analyses de non-professionnels de la guerre. Manque de moyens financiers des médias nationaux ? Sans doute, mais il est vraisemblable qu’ils trouveraient assez aisément des contributions financières, publiques ou privées, nationales ou étrangères, pour les aider si nécessaire dans ce travail alors que les plus hautes Autorités ont bien déclaré que le pays est en guerre et que l’Etat doit mettre en valeur ceux qui portent l’essentiel de son poids. Ces reportages seraient pourtant utiles à divers points de vue. Ils montreraient à nos militaires que le pays s’intéresse à leur destin et à leurs attentes, mais aussi aux difficultés et souffrances qu’ils doivent endurer, et contribueraient ainsi à renforcer leur moral. Ils donneraient à tous les citoyens une meilleure connaissance et compréhension de ce que vivent et pensent ceux qui sont au front, permettraient d’éviter les désinformations ou les scénarii complotistes sans fondement. Ils amèneraient ainsi à faire évoluer vers une meilleure communion les troupes qui risquent leur vie et le peuple qu’ils défendent. Difficultés pratiques ? Certes. Mais le Mali compte de bons journalistes. En outre, la multiplication de telles enquêtes conduirait à l’amélioration progressive de leur qualité. En ce domaine aussi d’ailleurs, la coopération internationale pourrait jouer un rôle d’accompagnement pour éviter que seuls les grands médias étrangers nous content la vie des Forces Armées Maliennes (FAMA) et l’âpreté de leurs combats.

Mais ce manque de personnalisation parait encore plus pesant et cruel vis-à-vis des soldats qui ont perdu leur vie.  2019 n’a pas été en effet une année comme les autres. Hors de Bamako, l’insécurité a explosé en de nombreux endroits, et les militaires maliens, plus encore que leurs alliés de la France ou de la Minusma, ont lourdement souffert en pertes de vies humaines durant cette période. Plusieurs drames collectifs, Mondoro, Boulkessi, Indélimane pour les plus récents, ont frappé au cœur la nation et ému le monde entier, et ont visé directement des camps militaires tandis que de nombreuses mines ont entrainé d’autres victimes. En lisant les commentaires, souvent trop lapidaires, relatant les horreurs constatées, quelques vers, terribles, de Victor Hugo racontant la campagne de Russie de l’armée napoléonienne remontent inévitablement en mémoire :

            « …Toutes les nuits, qui vive ! alerte, assauts ! attaques !

            Ces fantômes prenaient leurs fusils, et sur eux

            Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux,

            Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves,

            D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes fauves.

            Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait. ».

Comment ne pas se sentir concernés par la vision de ces jeunes hommes et de leurs ainés confrontés à des assaillants sans doute plus aguerris, plus lourdement armés et plus déterminés à tuer, voire à massacrer ? Comment ne pas souhaiter en savoir davantage sur eux pour qu’ils ne soient pas des « fantômes ? Nous n’avons guère que de sombres statistiques égrenant le nombre de décès qui s’accroit à trop grande vitesse. Pas de reportage sur le terrain qui puisse nous aider à essayer de comprendre l’innommable et à mieux connaitre les disparus et partager le deuil de leurs familles. Qui étaient-ils finalement ? De quelle région et de quel village étaient-ils originaires ? Représentaient-ils bien à eux tous la mosaïque si harmonieuse des populations du Grand Mali -bambaras, sarakolés, peuls, sonrhai, et tous les autres-, unis dans le même combat de défense des valeurs de tolérance et de communauté ancestrale ? Comment ne pas s’intéresser en particulier aux plus jeunes, peut-être les moins expérimentés, mais peut-être aussi les plus vaillants et les plus enthousiastes, fauchés d’un coup par ces attaques ou ces attentats aveugles, enlevés à l’affection des leurs et à leur destin ?

Avec cette meilleure connaissance des soldats disparus et la force des relations sociales au Mali, il est certain qu’un très grand nombre de familles serait directement concerné par ces victimes, aidant les plus proches de celles-ci à mieux supporter leur peine, et que le pays tout entier renforcerait encore son appui et sa solidarité aux FAMA.

Ce surcroit de solidarité autour des forces nationales au combat pourrait enfin contribuer au sursaut national que tous appellent de leurs vœux face à l’impitoyable menace terroriste. Car la situation, quelque difficile qu’elle soit, ne peut conduire au découragement. L’Histoire ancienne a montré les grandes réalisations qu’ont su accomplir le Mali et quelques dirigeants légendaires, et les prouesses parfois réalisées dans les moments les plus sombres. C’est dans les périodes de grande adversité, comme celle connue aujourd’hui, que le génie d’un peuple doit puiser dans ses racines pour trouver les solutions aux problèmes qu’il affronte. Mais c’est dans le présent et non dans le passé que doivent être trouvées les nouveaux chemins à suivre face à ces nouveaux risques. Le contexte dépasse d’ailleurs le cas du Mali et s’étend aussi au Burkina et au Niger, eux aussi très durement soumis aux mêmes outrages. L’heure est donc à une riposte immédiate, multiforme, proportionnée aux attaques subies, et parfaitement coordonnée entre tous les Etats de la région et leurs alliés étrangers. Deux évènements devraient permettre d’initier sans tarder cette réponse.

Au Mali, la toute prochaine Fête de l’Armée pourrait être pour la nation entière une occasion de rendre un hommage exceptionnel à chacun des militaires maliens déjà morts au combat et de montrer à toutes les troupes mobilisées que les citoyens s’identifient à elles et sont prêts à s’associer au quotidien à leurs efforts et à leurs sacrifices. Pour l’ensemble de la région, tous les acteurs, locaux ou extérieurs, qui affichent leur volonté de lutter contre le terrorisme, ont à mettre au point d’urgence ensemble, à Pau ou ailleurs, de nouvelles façons d’opérer en commun, en transparence et sans égoïsme. Toute autre approche ne ferait que le jeu d’un adversaire sans état d’âme, résolu à précipiter le Sahel vers le drame.

Paul Derreumaux

Article publié le 13/01/2020