Maison de l’Espoir (Djiguiya-Bon).

Hommage aux Ladies de la maison de l’Espoir (Djiguiya-Bon).

 

Djiguiya-Bon veut dire en bambara « La maison de l’espoir ». Ce n’est pas une école. Seulement un modeste centre d’hébergement, mais qui a valeur d’oasis en plein Bamako pour les quelque 66 petites Cendrillons qui y habitent. Elles ont entre 4 et 15 ans, se partagent les grandes pièces que compte la maison et qui servent de dortoirs et de réfectoire, et sont assurées de manger au moins trois fois chaque jour.

L’idée et la création de Djiguiya-Bon viennent de Mme Ruth Hoffer. Cette première Lady est allemande. Son mari travaillait au Mali où ils habitaient donc tous deux. Je ne sais comment lui est venu l’idée du Centre, mais ce n’est guère important. C’est un souhait ou un projet qui habitent sans doute beaucoup d’expatriés émus par toute la misère qui cogne chaque jour leurs yeux et leur cœur, dès que ceux-ci restent encore ouverts sur l’extérieur. Ce qui mérite l’attention, c’est qu’elle est passée à l’acte. Avec ses propres forces puis celles de quelques amis. C’est ainsi que Djiguiya-Bon est né en 2004, accueillant ses toutes premières pensionnaires. La ténacité, le sérieux, le savoir-faire et le dévouement de Ruth Hoffer ont permis que le Centre vive contre vents et marées, déployant au fil des ans ses ailes protectrices sur un nombre croissant de grands sourires reconnaissants. Je ne connais pas cette Lady: elle et son mari sont rentrés en Allemagne, mais elle continue à veiller de loin sur sa création et, bien sûr, à l’aider financièrement comme elle le peut.

Une autre Lady l’a relayée : Mme Mariame Sidibe-Togo. Elle s’est trouvée dès le début aux côtés de Ruth et elle dirige Djiguiya-Bon depuis le départ de cette dernière. Elle jongle comme elle le peut pour faire face au quotidien des nourritures à servir et pour trouver les moyens de payer les frais de scolarité des enfants dans les différentes écoles, ou les centres de formation professionnelle pour les plus âgées, où ils sont inscrits. Tout le site est maintenant occupé et il n’est donc plus possible d’agrandir les locaux afin d’accueillir toujours plus de fillettes. Mariame Togo est parfois sévère, comme l’est une maman attentive, et fait régner la discipline pour préserver l’oasis, mais c’est pour la bonne cause et toutes ses protégées obtempèrent avec plus ou moins de gaîté de cœur. Les grandes aident les petites, chacun fait son lit le matin pour bien y dormir le soir, et les travaux d’entretien des bâtiments et de la cour sont répartis entre toutes. La vie continue ainsi, aussi paisible que possible.

Comment entre-t-on à Djiguya-Bon ?

Comment entre-t-on à Djiguya-Bon ? Les petites élues « doivent » être sans parents ou sans ressources. Elles sont tellement nombreuses à Bamako à entrer dans cette catégorie que c’est finalement plutôt le bouche à oreille et la bonne étoile qui expliquent les nouvelles venues. Avec parfois des choix cornéliens à réaliser. Mariame Togo raconte comment est arrivée il ya quelques jours sa dernière pensionnaire : « Je n’avais plus de place. Elles sont venues à deux: une de 14 ans et une de 4 ans. La plus grande m’a expliqué qu’elle se prostituait déjà et qu’elle pourrait continuer à se débrouiller à l’extérieur, mais m’a supplié de prendre sa petite sœur pour la sauver. Celle-ci est donc restée et quelques petites se sont serrées plus fort dans un des lits » .

Il y a bien sûr d’autres centres de ce type et d’autres ladies semblables à celle-là. Leur combat quotidien est toujours le même : survivre à force d’intelligence, d’imagination, de volonté et de quelques générosités. Dérisoire, me direz-vous ? Ce n’est pas sûr. Dans toutes les grandes villes de ce qu’on n’ose plus appeler le « Tiers-monde », en Afrique ou ailleurs, les minuscules structures telles que ce centre sont sans doute les seules à éviter que la pauvreté extrême et la malchance s’accumulent au point de faire éclater la société. Elles pourraient effectivement constituer un amortisseur de malheur donnant à l’Etat, lui-même surchargé de responsabilités si nombreuses dans ce développement qui tarde tant à venir, un peu de répit pour faire face à toutes les urgences. Mais le scénario n’apparait pas déjà écrit pour une fin obligatoirement heureuse: la croissance, enfin présente, ne va pas assez vite et connait parfois des reculs comme ce fut le cas ici en 2012. Surtout, beaucoup peuvent se demander à qui profite cette croissance puisque les inégalités se creusent et que les souffrances semblent se multiplier plus vite que les progrès : un peu plus de mendiants au coin des rues, plus de chômeurs, plus de difficultés pour le plus grand nombre à chaque fin de mois. Les défis sont tellement innombrables que ces situations ne seraient pas vraiment choquantes si on avait en même temps le sentiment que tous les responsables sont mobilisés au-delà de ce qui est humainement possible pour que les choses évoluent vite et bien. Mais ce n’est pas vraiment le cas : l’administration n’a pas changé de rythme et reste majoritairement engluée dans l’inertie ; la corruption demeure un mode d’action d’autant plus déterminant qu’il faut en ce moment préparer les élections ; l’aide internationale se complait toujours davantage dans les effets d’annonces et les séminaires, et brille trop souvent par son inefficacité ; les débats politiques qui renaissent se situent surtout pour l’instant au niveau des hommes et non des programmes ou des stratégies.

Dans cette atmosphère étonnante de décontraction face à une situation explosive, Djiguiya-Bon a failli mourir cette semaine. Le soutien que lui apportait habituellement le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a été interrompu avec le putsh de 2012. Les efforts du Centre et de ses amis avaient permis d’affronter jusqu’ici ce petit dommage collatéral d’un coup d’état qui en a entrainé bien d’autres, mais les réserves touchaient à leur fin. Par chance, une Fondation vient de leur faire un don qui va couvrir la consommation alimentaire pour une année. Il était temps : il restait un sac et demi de riz….Sauvées pour 300 jours : après, on verra à nouveau. Sans vraiment être conscientes du péril qu’elles avaient côtoyé, les 66 petites Ladies ont du comprendre qu’elles pouvaient ce soir là sourire plus que d’habitude et faire des rêves paisibles : on apprend vite lorsque sa vie est en jeu….

Pendant ce temps, à San, à quelque 400 kms de Bamako, au-delà de Segou, disparaissait une autre Lady. Elle s’appelait Mintou C. Je la connaissais très peu mais je crois que nous nous étions adoptés mutuellement. Elle avait près de 85 ans mais en paraissait à peine 75 : sans doute la sveltesse qu’elle avait gardée, sa façon de se tenir droite et sa conversation toujours animée. Elle fut l’une des premières femmes lettrées de San et ses lunettes sévères lui donnaient bien l’air de l’institutrice en retraite qu’elle était. Deux choses m’avaient frappées lors de ma dernière visite : l’extraordinaire propreté de sa maison et de sa cour malgré la ribambelle de petits enfants et de jeunes voisins qui devaient piailler là chaque jour ; l’absence de toute plainte ou de toute requête malgré l’évidente difficulté de l’environnement qui était le sien. Pas d’imprécation contre ceux qui ne faisaient pas leur travail, pas de résignation non plus face aux difficultés vécues. Simplement une immense dignité : celle des honnêtes gens qui continuent à croire en l’avenir même si le présent vous invite à y renoncer. Simplement des paroles simples et plaisantes, parfois piquées d’une gentille ironie, qui font qu’on se sent bien et qu’on a envie de continuer à écouter. Comme celles de tant de gens de bonne volonté qui se battent au quotidien espérant qu’on n’a pas oublié qu’ils existent.

Lady Mintou avait pleuré lorsque notre petit groupe était parti, sans doute parce que nous allions à nouveau lui manquer. Peut-être aussi redoutait-elle, après ces quelques moments insouciants de détente, de replonger dans ses combats quotidiens et de partir pour toujours sans avoir pu constater que les choses changeaient comme elle le souhaitait.

Tant que de telles Ladies existeront, tous les espoirs seront encore permis. Mais le temps presse.

Tant que de telles Ladies existeront, tous les espoirs seront encore permis. Mais le temps presse. En Afrique, les femmes, pourtant si souvent maltraitées, ont aussi un rôle essentiel dans les grands changements, comme l’ont appris à leurs dépens de nombreux dirigeants. Qu’elles se battent pour ceux qui sont sous leur protection, comme celles de Diguiya-Bon, ou qu’elles résistent stoïquement, comme celle de San, nos Ladies sont la plupart du temps plus patientes et plus résistantes que les hommes. Elles savent comment gérer le chaudron sur le feu même si celui-ci chauffe à l’excès. Mais elles ne laisseront pas le couvercle se renverser et se lèveront à temps pour éviter la catastrophe. Saurons-nous nous montrer à la hauteur de ces fées si vigilantes ?

Paul Derreumaux

Réglementation bancaire dans l’UMOA

Réglementation bancaire dans l’UMOA :

Un progrès, mais doit (beaucoup) mieux faire.

 

Les deux changements introduits en décembre 2012 dans la panoplie des ratios bancaires de l’Union semblent bien être la marque d’une meilleure prise en compte de la réalité économique locale. De nombreuses améliorations sont encore cependant nécessaires pour que la réglementation  et sa mise en application contribuent davantage au renforcement du système bancaire régional, à l’image de certains aspects du dispositif existant par exemple dans divers pays anglophones.

De manière inattendue, la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA) a adopté en décembre dernier deux mesures importantes et positives, peu mises en avant depuis lors

La première est l’abaissement du « coefficient de couverture des emplois à moyen et long terme par des ressources stables », ramené à 50% contre 75% antérieurement. Indiquant pour une banque la limite possible de transformation de ses ressources  à court terme en emplois à  terme supérieur à deux ans, ce ratio représente pour les banques une des principales contraintes pour la composition et la taille de leur portefeuille de crédits à la clientèle. En réduisant ce taux, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) allège notablement les limites imposées aux banques en matière de concours directs par rapport à la nature de leurs ressources, qui restent encore majoritairement collectées pour des périodes courtes. Elle favorise donc surtout le développement des crédits aux entreprises et pour l’habitat, et  donne ainsi un signal fort aux systèmes bancaires de la zone sur sa volonté d’encourager le financement des économies par les institutions financières locales. Cette avancée est particulièrement à saluer.

La seconde mesure est la suppression pure et simple du ratio de structure du portefeuille, qui  contrôlait, parmi l’ensemble des concours en trésorerie d’un établissement bancaire, le pourcentage des crédits de celui-ci faisant l’objet d’un accord de classement obtenu de la Banque Centrale. En raison du faible nombre de ces accords de classement, aucune des 99 banques de l’UMOA, en 2011 comme en 2010, ne satisfaisait à ce ratio dont la norme était fixée de longue date à 60%. Cette suppression ne fait donc que répondre au souhait, exprimé depuis longtemps par les Associations nationales de banques, de l’abandon d’une exigence considérée par la profession comme inatteignable. La principale conséquence de la nouvelle décision pourrait cependant être ailleurs. La BCEAO lie jusqu’ici la possibilité pour les banques de mobiliser auprès d’elle des crédits à la clientèle, pour satisfaire des besoins de liquidité, à l’existence d’un accord de classement pour les concours concernés : peu déterminante pour l’instant en raison de la bonne liquidité des établissements bancaires, cette règle n’en constitue pas moins une épée de Damoclès permanente. Il faudra donc savoir si cette règle est assouplie ou si les accords de classement sont plus facilement accordés, pour vérifier la parfaite cohérence des dispositions ainsi prises.

Cette double réforme n’est pourtant qu’une avancée modeste

Cette double réforme n’est pourtant qu’une avancée modeste en comparaison avec les changements profonds qui seraient nécessaires pour amener l’arsenal réglementaire et le contrôle prudentiel dans l’Union à des niveaux plus compatibles avec les standards internationaux de la profession tout comme avec les exigences du développement économique. En la matière, certaines des règles en vigueur dans d’autres pays, comme par exemple ceux de l’East African Community (EAC), pourraient être des points de référence utiles en plusieurs domaines..

Le premier concerne la panoplie des normes réglementaires. Celle-ci reste, dans l’UMOA, calée sur une approche trop traditionnelle de la profession bancaire. Divers durcissements et simplifications seraient donc bénéfiques. Les ratios majeurs, qui ont trait à la solvabilité des banques, restent encore ainsi à des niveaux modestes dans l’Union. Dans beaucoup d’endroits, à l’instar des tendances internationales,  le Capital Adequacy Ratio (CAR), qui suit les rapports existant entre les crédits, d’un côté, et les fonds propres, de l’autre, a été aménagé. D’un calcul plus simple, ce ratio est aussi souvent devenu plus sévère en termes de fonds propres et limite donc plus strictement le développement de toute banque en fonction de l’importance de ses moyens d’actions. Ce ratio peut atteindre 12% pour le rapport « fonds propres  largo sensu /crédits directs et par signature » dans des pays de l’EAC, contre 8% encore dans l’UMOA. Au Kenya, on trouve même un plancher obligatoire de 8% pour le rapport « fonds propres stricto sensu /dépôts », rarement retenu ailleurs. Même si  cette dernière règle est peut-être contraignante à l’excès, ces exigences expliquent en bonne partie pourquoi les banques kenyanes sont aussi puissamment capitalisées et pourquoi elles peuvent  faire face à des tensions importantes induites par la politique monétaire du pays. Au Ghana, ce pragmatisme, construit sur une approche similaire, a également fait ses preuves dans le renforcement de la solidité du système bancaire national. D’autres critères réglementaires mériteraient un toilettage, tels par exemple celui du coefficient de liquidité, plus précis et rigoureux à l’Est, et celui de la concentration des risques sur une même signature, qui reste à 75% des fonds propres dans l’UMOA alors que les pourcentages classiquement en vigueur se situent entre 25% et 35%.

Une autre mutation opportune devrait viser le capital minimum des banques agréées. Malgré le quintuplement appliqué depuis décembre 2010, qui a porté le plancher de 1 à 5 milliards de FCFA, soit l’équivalent de près de 10 millions de dollars, l’Afrique de l ‘Ouest francophone reste en retard par rapport aux niveaux atteints dans de nombreux pays ou régions du continent. Ce plancher atteint en effet aujourd’hui près de 30 millions de dollars US à Accra et jusqu’à 200 millions de dollars US à Lagos, et déjà 15 millions de dollars US à Kinshasa. Le faible niveau de quelque 12 millions de dollars US au Kenya est compensé par les CAR élevés appliqués, qui conduisent au même effet et dont il est déjà annoncé qu’ils seront relevés de 2,5% d’ici 2015. Dans l’UMOA, le projet de porter à la contre-valeur de quelque 20 millions de dollars US ce capital minimal ne parait plus au contraire d’actualité brûlante alors qu’il permettrait de consolider la crédibilité des banques de la zone face à des besoins de financement en expansion rapide.

La troisième transformation souhaitable pourrait être celle des modalités de contrôle des banques par la Commission Bancaire. La comparaison avec certaines pratiques d’Afrique anglophone pourrait ici encore être méditée puisqu’elle montre dans ces pays à la fois une pression plus dense et une concertation plus étroite: les inspections sur site s’y succèdent tous les 12 à 18 mois ; les critiques et recommandations s’ordonnent autour de quelques thèmes majeurs synthétisés dans un indicateur composite, dénommé le CAMEL ( Capital, Asset quality, Management, Earnings, Liquidity), et les cinq notations possibles du CAMEL permettent aisément d’apprécier les progrès ou les affaiblissements de la banque et d’être utilisés par les Autorités comme indicateur d’alerte ou signe d’encouragement. L’inflexibilité de la banque Centrale sur le respect permanent de chaque contrainte réglementaire, l’application immédiate de sanctions pécuniaires ou disciplinaires en cas d’infraction, les rencontres obligatoires de restitution après chaque inspection entre les membres de la mission et tout le Conseil d’Administration de la banque inspectée, le renouvellement annuel des licences bancaires qui peut être utilisé comme menace sont autant de pratiques qui créent une culture de prise en compte prioritaire de la réglementation en vigueur dans la gestion quotidienne des banques : celle-ci est sans doute stressante mais très certainement salutaire si on compare la solidité moyenne des systèmes bancaires.

Les quelques orientations  ci-avant n’indiquent certes que des options, sans exprimer ni des modèles obligatoires ni les seuls aménagements envisageables. Les voies tracées sous d’autres cieux africains ne sont pas d’ailleurs exemptes de critiques : les règles en matière d’actionnariat ou de prises de participations dans d’autres banques sont ainsi d’une grande difficulté d’application au Kenya. La comparaison avec les autres nations devrait toutefois inspirer l’UMOA pour procéder, même par étapes, à divers changements. Ceux-ci viseraient à la fois à consolider plus rapidement le système bancaire de l’Union et à faciliter l’accroissement du poids de celui-ci dans le secteur financier de l’ensemble du continent. La montée rapide en puissance des groupes bancaires relevant d’autres zones monétaires et le rôle croissant dévolu aux banques dans tous les pays exigent cette revue critique de l’existant dans l’intérêt de l’Union.

Paul Derreumaux

L’Etat: nouveau maillon faible?

Article paru le 27/03/2013 dans

Le Cercle des Echos

L’Etat : nouveau maillon faible du développement en Afrique Subsaharienne ?

D’abord quasiment absent, puis longtemps parent pauvre des économies africaines, le secteur privé apporte désormais une contribution notable à la croissance du continent. Son dynamisme et ses potentialités se heurtent cependant souvent aux comportements et aux positions des Etats et des Administrations, qui deviennent ainsi le nouveau maillon faible de notre développement et doivent donc réaliser des mutations profondes et urgentes.

Depuis les indépendances jusqu’à la décennie 1970/1980, le développement des pays africains s’est avant tout réalisé sous l’impulsion de leurs Etats et de leurs secteurs publics. L’absence de structures  privées capables de réaliser des projets de grande envergure et la concentration entre les mains des Etats de l’essentiel des ressources financières et humaines de ces pays naissants expliquent pour une grande part la généralité de ce constat. Les luttes d’influence nées de la guerre froide et la forte séduction idéologique des thèses communistes et anti-impérialistes sur de nombreux dirigeants africains, souvent très charismatiques, ont encore renforcé cette orientation.

Les choix stratégiques souvent contestables menés par les Etats, la mauvaise gestion patente de la plupart des entreprises publiques, l’échec peu à peu avéré des régimes communistes au niveau mondial, le revirement de la pensée dominante des institutions internationales ont cependant progressivement  conduit à considérer le secteur privé comme utile, puis nécessaire, au développement économique. Initié d’abord dans les pays anglophones puis s’étendant aux pays francophones, ce revirement, largement répandu à partir des années 1980, n’a cependant été ni facile ni toujours efficace. La politique d’encouragement du secteur privé, formulée au plus haut niveau des Etats, a été rarement parfaitement relayée dans les politiques publiques et dans le fonctionnement quotidien des administrations. Les obstacles posés à l’encontre d’une croissance saine des entreprises privées ont donc été souvent maintenus et ont freiné l’apparition d’un secteur formel solide et moderne dans des secteurs stratégiques, notamment industriels, qui nécessitent souvent un appui décisif des Etats à leur démarrage. Le dynamisme naturel des initiatives privées s’est surtout exprimé dans des activités commerciales et de services, plus faciles à monter et de rentabilité plus rapide. La nature même de ces activités s’accommodait bien, en outre, à ce qu’une large partie d’entre elles se développe de préférence dans l’informel, ce qui facilitait aussi des « arrangements » possibles avec de nombreux interlocuteurs du secteur public. Dans cette approche, qui a dominé dans nombre de secteurs et de pays, la multiplication d’entreprises privées a été réelle mais elle s’est souvent faite sur la base d’entreprises de qualité modeste et peu contributives au développement, sauf en matière d’emplois faiblement qualifiés, et au détriment des intérêts financiers des Etats : ce secteur privé est bien resté durant cette période en deçà des espoirs placés en lui.

Le panorama se transforme de plus en plus vivement depuis le début des années 2000

Le panorama se transforme de plus en plus vivement depuis le début des années 2000. Dans la plupart des pays subsahariens, des secteurs de premier plan sont passés pour l’essentiel entre les mains d’entreprises privées : banques, assurances, sociétés de télécommunications, mines par exemple. Des  sociétés à capitaux africains, désormais puissantes, modernes et performantes, y jouent un rôle de plus en plus prédominant, même dans les industries minières avec certaines compagnies sud-africaines, et nourrissent une part significative d’une croissance économique qui s’accélère sur le continent. Leur poids financier et psychologique, leur caractère « off-shore » ou les réglementations spécifiques auxquelles elles sont soumises leur permettent en effet souvent d’être peu dépendantes des faiblesses et des retards des lois et règlements nationaux, tout comme de la prédation quotidienne d’un grand nombre de fonctionnaires peu soucieux d’efficacité et de bien public. A côté de ces grandes sociétés et encouragés par elles, les  Petites et Moyennes Entreprises (PME) continuent aussi à progresser  rapidement en nombre et en importance : certes, leur espérance moyenne de vie reste courte, leur rentabilité fréquemment incertaine et leur valeur ajoutée encore faible. Toutefois, les banques, concurrence oblige, les soutiennent  davantage et elles sont maintenant les plus créatrices d’emplois dans beaucoup de pays. On y compte de plus en plus de nouvelles générations de jeunes entrepreneurs, souvent formés à l’étranger, prêts à rationaliser leur gestion et à s’intégrer dans les secteurs formels si cet effort ne les pénalise pas à l’excès. Enfin, les Etats eux-mêmes acceptent désormais de confier à de grandes sociétés privées la construction, mais aussi la gestion, de projets d’infrastructures de très grande ampleur dont la technicité et la taille financière les dépassent : ce sont les Partenariats- Public-Privé (PPP), souvent évoqués mais encore trop rarement menés à bien en raison de leur complexité et de l’exigence de leurs engagements.

Cette montée en puissance et les réussites constatées tendent désormais à faire porter sur le seul secteur privé la pleine responsabilité du développement économique à venir : c’est le nouveau dogme du « tout privé ». Pourtant, cette inversion des premiers rôles est tout aussi illusoire que son contraire. La réalité quotidienne montre en effet tous les freins et obstacles qui, du fait de la faiblesse des Etats, pénalisent encore les entreprises africaines par rapport à leurs concurrentes installées dans d’autres parties du monde. Trois exemples  décisifs peuvent  en être donnés. Les conditions de création, de fonctionnement et d’investissement des entreprises d’abord : les pays africains figurent encore en queue du classement du « Doing Business » avec lequel la Banque Mondiale évalue chaque année la qualité de l’environnement dans lequel évoluent les sociétés : sur les 185 pays classés en 2012, le continent comptait seulement 8 pays – en incluant l’ile Maurice -, dont 7 anglophones, aux 100 premières places. La fiscalité ensuite : les pouvoirs publics n’ont su jusqu’ici ni élargir suffisamment l’assiette des impôts, ni rendre leur fiscalité incitative au service d’objectifs majeurs définis par ailleurs. Il en résulte une charge pesant lourdement sur les secteurs « saisissables » de l’économie, qui facilite encore la corruption et les passe-droits. La justice enfin : en dépit des progrès réels du droit applicable – en zone francophone avec l’OHADA par exemple -, la pratique des tribunaux montre la modeste compétence économique des juges et la fréquence des jugements abusifs, qui pèsent négativement sur les décisions des investisseurs. Seul des Etats forts et tournés ouvertement vers le développement économique peuvent accélérer les réformes institutionnelles, utiliser efficacement le levier fiscal, obtenir l’efficacité de leur système judiciaire. Faute de savoir assez rapidement se transformer et corriger leurs faiblesses dans un monde concurrentiel où la qualité de l’environnement favorise la performance, les Etats africains contraignent donc leurs secteurs privés à progresser dans des conditions médiocres et leurs administrations deviennent eux-mêmes le nouveau maillon faible de notre développement.

Les actions à mener pour corriger cette situation sont connues et souvent annoncées : simplification des règles et des procédures, rapidité et transparence des décisions administratives, mise en place de tribunaux professionnels, meilleure formation des fonctionnaires, instauration d’une culture du mérite, du résultat, mais aussi de sanction sévère des fautes dans la fonction publique, efficacité accrue du recouvrement des recettes fiscales et douanières, consolidation de l’Etat de droit,..Elles gênent cependant de nombreux intérêts particuliers et supposent une transformation des mentalités, ce qui rend leur mise en œuvre lente et difficile.

Pour faire sauter au plus vite ces verrous, trois approches devraient être d’une utilité particulière. D’abord mener les réformes dans un cadre régional plutôt que national : les réticences aux changements pourraient sans doute  ainsi être plus facilement contournées et l’impact des mutations serait immédiatement plus important. Ensuite, inscrire ces changements dans un effort de planification à moyen terme des grands objectifs suivis par l’Etat et des programmes pour les atteindre : en mettant en valeur une vision globale et cohérente de l’économie et de la société qu’il gère, l’Etat devrait pouvoir mieux faire admettre par chacun les changements nécessaires qui concernent son administration et l’intérêt qu’ils représentent. Enfin, appliquer au maximum un dialogue véritable et fréquent entre l’administration et le secteur privé pour que chaque partie comprenne bien les besoins et les préoccupations de l’autre et que les besoins de réformes du secteur privé soient pris en compte dans des délais plus raisonnables.

En l’état actuel, la transformation des Etats en Afrique subsaharienne n’a donc pas été la plupart du temps  au rendez-vous des exigences des entreprises privées sur lesquelles repose désormais la responsabilité d’une part importante du développement économique des pays concernés. Les handicaps qui résultent de cette situation nous privent vraisemblablement d’1 à 2 points de taux annuel de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB). Même si ce dernier a sensiblement progressé pour approcher aujourd’hui 6% en moyenne sur l’ensemble du continent, ce manque de 2% nous coûte cher: il nous sépare en effet de l’objectif d’un taux de progression de 8% du PIB, à partir duquel l’émergence économique apparait souvent atteignable. C’est dire combien l’enjeu d’un effort massif  en faveur d’un Etat fort au service du développement  est essentiel et urgent.

Paul Derreumaux

Vers une concentration progressive du secteur bancaire

 Article publié dans

« Jeune Afrique » le 01/10/2011


Banques d’Afrique subsaharienne

Les banques d’Afrique subsaharienne sont au cœur d’une compétition d’une intensité jamais atteinte. elle est, pour la première fois, emmenée par quelques puissants groupes africains – nigérians, marocains, sud-africains, kenyans, mais aussi d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale – pour lesquels le continent est un enjeu stratégique, alors que des groupes internationaux présents de longue date, français notamment, ont adopté une position attentiste ou de repli à la suite d’une vision plutôt afro-pessimiste et des reconversions de cibles imposées par la crise de 2008.

La réussite des acteurs dépendra moins de leur nationalité que de leur sensibilité, leur connaissance du terrain.

 

Dans cette atmosphère nouvelle, l’approche des acteurs est celle d’une politique commerciale agressive, fortement axée sur la banque de détail. Pourtant le jeu reste ouvert : la sortie de certaines banques européennes est quasi terminée et un retour s’esquisse, tandis que les banques chinoises et indiennes sont en embuscade. Sur un autre plan, l’amélioration des performances et le déploiement du mobile banking pourraient amener les sociétés de télécommunications à investir dans les systèmes bancaires, durcissant encore la concurrence. Le scénario le plus probable sera une concentration progressive du secteur autour d’un nombre limité de grands groupes, éventuellement sous forme d’alliances, et la disparition de la plupart des banques isolées.


Cette concurrence exacerbée se manifeste surtout par deux batailles intenses …

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