Les dernières mutations des banques subsahariennes ont peu développé jusqu’ici leur appétit pour le financement des infrastructures

Les dernières mutations des banques subsahariennes ont peu développé jusqu’ici leur appétit pour le financement des infrastructures

 

Depuis la fin des années 1980, les banques commerciales ont réalisé en Afrique subsaharienne d’impressionnantes mutations. Dans la période 2015/2020, ces transformations ont porté principalement sur trois plans.

Au plan capitalistique tout d’abord, le départ des intérêts extérieurs au continent s’est poursuivi. En zone francophone, les banques françaises ont accéléré leur repli. Après Indosuez puis le Crédit Lyonnais dans les années 2000, les Banques Populaires ont laissé leurs implantations en Afrique Centrale en 2018 et la BNP vient de céder trois filiales en Afrique de l’Ouest et négocie des sorties dans d’autres zones. Dans l’espace anglophone, la réorientation de Barclays a conduit au démembrement de sa puissante implantation africaine. Les participations étrangères ont été rachetées pour partie par des établissements marocains, qui prolongent leur expansion géographique, et pour partie par des banques subsahariennes. Ces dernières continuent également leur croissance exogène par de nouvelles implantations. Les groupes Coris Bank, BGFI et Atlantic Financial Group (AFG) sont les plus actifs en zone francophone ; quelques réseaux nigérians, tels celui de UBA ou d’Access Bank, kenyans, comme Equity Bank, ou sud-africains, telle Stanbic, mènent le mouvement en Afrique anglophone. Malgré la résistance d’acteurs comme la Société Générale française, les intérêts africains dominent donc de plus en plus le paysage.

Le durcissement réglementaire est le deuxième changement majeur. Il s’est d’abord longtemps    manifesté partout par des exigences régulièrement accrues pour le capital minimum des banques africaines, qui atteint souvent aujourd’hui des niveaux très élevés : 30 millions de USD en République Démocratique du Congo (RDC), environ 90 millions de USD au Ghana ; 190 millions de USD au Nigéria dès 2005 par exemple. Dans l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), ce seuil, même s’il a été multiplié par10 en 10 ans et s’élève désormais à environ 15 millions d’EUR, reste donc encore à la traine. Mais la priorité est de plus en plus donnée à des ratios réglementaires contraignants, qui obligent les banques à ajuster immédiatement leurs fonds propres dans une relation directe avec l’augmentation de leurs risques de crédit ou opérationnels. En effet, reflétant en cela la réglementation internationale, le suivi du risque est devenu progressivement la ligne directrice du contrôle des activités bancaires par les organes de régulation. Dans l’UMOA, cette application de règles inspirées de celles de « Bale III » a été tardive, mais irréversible depuis 2018 et s’étale sur 5 ans. Malgré sa sévérité par rapport aux normes précédemment en vigueur, cette réforme semble d’ailleurs jusqu’ici assez bien supportée par la majorité des banques, ce qui montre leur capacité d’adaptation et leur bonne santé financière d’ensemble. Mais déjà, dans des pays économiquement plus matures comme le Maroc, s’installent les dispositions de « Bâle IV » qui s’étendront inévitablement ailleurs.

L’importance grandissante de la digitalisation est la troisième et plus récente mutation en cours. La plupart des banques ont pris un important retard en la matière, pénalisées par des systèmes informatiques mal conçus pour intégrer de tels changements, par les coûts importants liés à cette mutation et, peut-être, par une trop grande confiance dans leur supériorité. Les succès commerciaux impressionnants du « mobile banking », la concurrence frontale des banques sur le terrain des moyens de paiement engagée par les sociétés de télécommunications, avec la création d’Emetteurs de Monnaie Electronique (EME), et les changements des habitudes des clients, de plus en plus addictifs à internet et aux réseaux sociaux, contraignent maintenant les systèmes bancaires à adopter dans l’urgence ces nouveaux moyens de communication et de relations avec leur clientèle. Même si des groupes majeurs comme Ecobank, la Société Générale ou Equity Bank figurent parmi les mieux avancés, des banques encore isolées, telle l’ivoirienne Bridge Bank, sont aussi devenues opérationnelles en ce domaine en 2020 (1).

Ainsi plus africaines dans leurs actionnaires, plus solides dans leurs moyens d’action et leurs structures, plus performantes dans leurs outils commerciaux, les banques subsahariennes demeurent aussi en bonne santé financière. La croissance économique soutenue, au moins jusqu’en 2016, la densification des réseaux d’agences et l’accroissement des ressources collectées qu’elle favorise sont deux des éléments moteurs de ces bons résultats. Ces améliorations ont permis aux systèmes bancaires nationaux de mieux prendre en charge les attentes de financement de leurs pays. Mais ces progrès ont été inégaux selon les secteurs et les types de concours, et le financement des infrastructures est sans doute, avec celui des petites et moyennes entreprises, un des parents pauvres de l’évolution, malgré les besoins considérables en ce domaine souvent évalués à près de 100 milliards de USD/an pour le continent.

Ces besoins peuvent être regroupés en deux principales catégories « stricto sensu ». La première est celle des infrastructures qui dépendent directement ou indirectement de l’Etat et construisent le cadre dans lequel agissent les agents économiques : routes, ports, aéroports, télécommunications, énergie, …. Par leur rentabilité diffuse et souvent difficilement cernable – à l’exception notable des télécommunications mobiles -, par leur montant unitaire souvent considérable, ces investissements sont généralement assumés directement par les Etats ou des sociétés publiques, tant pour leur autofinancement que pour la mobilisation des prêts nécessaires. Toutefois, les banques commerciales sont progressivement associées aux montages utilisés, comme le montrent les trois exemples suivants. Les banques sont d’abord les principaux souscripteurs des titres obligataires émis par les Etats, qui constituent désormais un des instruments les plus courants de mobilisation de ressources locales utilisés par ceux-ci. Elles participent donc par ce biais aux investissements d’infrastructure réalisés au moins partiellement avec ces émissions de bons. Dans les pays francophones, venus plus récemment à ce système, les banques ont vite montré un appétit important pour ces obligations étatiques peu risquées et bien rémunérées, malgré les mesures prises à partir de 2017 par les Autorités monétaires pour limiter cette tendance. La propension des Etats à utiliser au profit de leurs dépenses courantes les ressources ainsi captées réduit cependant l’affectation réelle de celles-ci aux investissements d’infrastructure. Une modalité plus innovante est issue du financement par le Partenariat Public Privé (PPP), dans lequel les banques africaines peuvent s’associer à d’autres acteurs -banques étrangères, Partenaires Techniques et Financiers (PTF) – pour financer pour le compte d’un Etat des infrastructures de grande taille, gérés pour une période donnée par un opérateur expérimenté. Souvent cités, les PPP ont permis de concrétiser en effet certains projets, notamment dans les pays anglophones tel le gigantesque parc éolien du lac Turkana au Kenya avec le leadership de la sudafricaine Nedbank.  Dans les pays francophones, les réussites, plus rares et plus modestes, existent aussi comme le projet Albatros d’énergie solaire au Mali. Toutefois, ces exemples tiennent une place encore limitée. La santé financière souvent fragile des entreprises publiques concernées par ces infrastructures, les incertitudes sur les modalités de remboursement par les Etats ou par les paiements des usagers expliquent entre autres cette faible présence. Sur ce dernier point, la diminution d’échelle induite par les nouvelles technologies, notamment pour certaines ressources énergétiques, pourraient améliorer la donne. On pourrait enfin citer d’autres modalités prometteuses, comme celles de la BOAD (2) qui associe certaines banques locales à des prêts qu’elle accorde à des entreprises de travaux publics pour la construction de routes.

La seconde catégorie est celle des investissements en matière de logements. L’Afrique subsaharienne souffre d’un déficit considérable et en accroissement régulier d’habitations décentes sous l’impact de la forte pression démographique et de la poussée de l’urbanisation. Les investissements dans ce secteur, et surtout dans le logement social et économique, ont en effet longtemps souffert de nombreux handicaps : distorsions entre les coûts de viabilisation et de construction, d’une part, et les ressources financières des ménages concernés, d’autre part ; difficultés pour beaucoup d’Etats de prendre en charge les viabilisations de terrains et/ou les subventions aux programmes de constructions ; fiabilité insuffisante de nombreux promoteurs ; disparition progressive des banques étatiques spécialisées ; manque de ressources longues des banques commerciales pour des prêts acquéreurs ; ratios prudentiels très contraignants. Ces trois derniers points expliquent que les systèmes bancaires n’aient pu faire de ce créneau une composante importante de leur portefeuille, à la différence par exemple du Maroc où le financement du logement a été dans les années 1990 une des causes notables de l’essor magistral des grands établissements marocains avec l’appui des Autorités politiques et monétaires. Les blocages inhérents aux institutions bancaires se sont peu à peu desserrés depuis le début des années 2010. Grâce à la forte croissance des ressources collectées et aux efforts commerciaux et organisationnels des banques, la durée moyenne des dépôts s’est notablement allongée, facilitant l’octroi des crédits immobiliers à long terme. Dans certaines zones monétaires, des contraintes réglementaires ont été assouplies : ainsi, dans l’UEMOA, le ratio de transformation a été abaissé en 2015 à 50%, contre 75% auparavant, et le secteur immobilier est favorisé en termes d’exigences de fonds propres pour les banques dans les mutations introduites en 2018 par la réforme dite de « Bâle II/III ». Dans cette même Union, suivant en cela d’autres pays du continent, une Caisse Régionale de Refinancement Hypothécaire (CRRH) offre depuis 2010 des possibilités de refinancement à long terme pour les concours à l’habitat, soit par des ressources drainées sur le marché régional, soit plus récemment par des concours à conditions concessionnelles obtenues de certains PTF. Malgré cet environnement plus positif, les crédits acquéreurs ne progressent encore que modérément. La gestion foncière souvent médiocre des Etats, la faiblesse des revenus moyens des particuliers, les taux d’intérêts encore trop hauts, freinent en effet l’évolution souhaitée. Celle-ci, pour être stimulée, aura besoin d’idées nouvelles. En la matière, le succès en 2019 de l’emprunt obligataire de 20 milliards de FCFA par la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) placé auprès de la diaspora du pays, pour de nouveaux programmes promus par cette banque, est une première subsaharienne et ouvre des perspectives encourageantes.

Malgré de meilleurs atouts, les banques subsahariennes se sont donc pour l’instant peu tournées vers le financement des infrastructures. Pour amplifier les améliorations constatées, il sera indispensable que les autres acteurs concernés contribuent activement à améliorer l’environnement de ces investissements. Sous ces conditions, une hausse moyenne des actifs bancaires à hauteur de 1% du PIB du continent, qui génèrerait quelque 10 milliards de USD de crédits à moyen et long terme, pourrait voir une part significative de ceux-ci orientée vers les infrastructures.

  • 1. D’autres évolutions attendues (Revue Banque mai 2013 : La banque saharienne du futur : quelques mariages, beaucoup d’innovations) n’ont pas pleinement prospéré
  • 2. Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)

 

Article paru dans le mensuel Banque & Stratégie publié par le Groupe Revue Banque.

Retrouvez l’article dans le numéro 395 d’octobre 2020 « Financement des infrastructures en Afrique »  http://www.revue-banque.fr/banque-strategie/numero-395

Paul Derreumaux

 

365 jours de Covid 19 : quelques nouvelles leçons !

365 jours de Covid 19 : quelques nouvelles leçons !

 

Le monde s’est réveillé au seuil de l’année 2020 sous la menace du Covid 19. Apparue en Chine dès début janvier, cette nouvelle maladie a frappé très vite les autres pays asiatiques et l’Océanie. Puis l’épidémie, poursuivant sa route, a atteint l’Europe fin février et l’Amérique en mars. Le désarroi initial face à la gravité et la nouveauté de la maladie, les réponses hésitantes apportées, le manque de certains matériels basiques dans divers pays, tels les masques, ont conduit au déferlement d’une « première vague » mondiale. Pour stopper celle-ci, les dirigeants se sont la plupart résignés à la solution extrême et inédite de l’isolement de chaque pays, voire de chaque ville, au confinement généralisé impliquant l’arrêt momentané des activités économiques non vitales, et à l’injection de financements considérables par le canal des banques centrales et des Etats pour faire face aux coûts économiques et sociaux de la pandémie. Malgré ces mesures, l’impact sanitaire de cette première attaque du Covid19 a été lourd : au 20 juillet 2020, alors que la pandémie franchissait ses 200 jours, les contaminations officielles avaient touché 14,5 millions de personnes et provoqué quelque 620000 décès. Cinq grands pays – Etats-Unis, Brésil, Inde, Russie et Afrique du Sud- rassemblaient plus de 55% des malades, même si la situation y révélait des intensités relatives fort différentes de l’épidémie. Ces données étaient sans doute nettement sous-estimées en raison de tests insuffisamment nombreux d’une comptabilisation incertaine des décès et de l’absence de statistique de la Chine après fin avril.

Le début de l’été 2020 fut marqué à la fois par la poursuite d’une flambée des contaminations dans quelques nations comme les Etats-Unis, l’Inde et le Brésil, mais par un sensible ralentissement dans les principaux pays d’Europe, et surtout d’Asie, après les périodes d’isolement appliquées au printemps. Intégrant ces deux mouvements contraires, les données mondiales montent alors avec plus de modération et leur hausse semble concentrée sur certaines zones. La planète espère à ce moment éviter une « deuxième vague ». Il est vrai que l’ignorance qui persiste sur beaucoup de caractéristiques de la maladie laisse une grande place à des théories optimistes sur la maîtrise possible de celle-ci. Mais la réalité s’impose : après le succès relatif des mesures de confinement, la vigilance s’est réduite dans les comportements, notamment pendant les vacances d’été en Europe. A partir de fin septembre toutefois, le doute ne sera plus permis : le Covid 19 lance sa deuxième attaque meurtrière sur le monde entier. Le trimestre écoulé depuis lors nous permet de tirer fin 2020 au moins cinq leçons de cette nouvelle période.

La première est que le rythme des contaminations officielles s’est considérablement accéléré. En octobre, il s’est globalement élevé à près de 370000 personnes/jour, contre 225000 en juillet, pour passer à 550000 en novembre et 650 000 en décembre. Deux facteurs opposés expliquent cette amplification, sans qu’il soit vraiment possible d’identifier l’influence particulière de chacun d’eux: l’interruption des mesures d’isolement les plus contraignantes appliquées dans la plupart des pays au second trimestre, et l’intensification massive des tests qui augmente les détections de cas positifs Quoi qu’il en soit, le nombre total officiel de personnes infectées avoisine 83,5 millions au 31 décembre dernier, bien au-delà des hypothèses les plus pessimistes (on complotistes) formulées au milieu de l’année dernière. Encore ces données écartent-elles toujours la Chine, toujours en dehors des écrans statistiques, et doivent parfois être réajustées la hausse, comme l’a montré l’exemple récent de la Turquie. Durant les 5 derniers mois de 2020, les infections recensées ont donc augmenté 4,9 fois plus vite que dans les 7 premiers mois de l’année, ce qui montre l’emballement de la maladie, et se sont bien répandues dans tous les pays. L’absence à ce jour de traitement avéré, les lacunes persistantes sur la connaissance du virus et donc ses modes de propagation, l’approximation (voire la réticence) avec laquelle les mesures minimales de distanciation sont parfois respectées ont facilité cette dissémination. Elles ont obligé la plupart des nations, surtout en Europe, à revenir à des méthodes plus contraignantes, prises en ordre dispersé à partir de septembre 2020. La généralisation récente de ces précautions accrues semble avoir réussi à stabiliser le nombre des nouveaux cas, proche de 625000 en moyenne dans les deux dernières semaines de 2020.

Dans cette évolution inquiétante, on note une grande variété de situations rencontrées et le monde pourrait être partagé en plusieurs grands compartiments.  Les Etats-Unis demeurent l’épicentre de la maladie et le nombre d’infections y a franchi le cap des 20 millions dans les derniers jours de 2020 : la moyenne de contaminations a augmenté d’environ 50000/jour en juin à près de 210000 en décembre, et près de 2500 morts quotidiennes sur ce dernier mois. L’Inde est encore à ce jour la deuxième nation la plus frappée : mais les quelque 10,2 millions de contaminations à fin 2020 sont avant tout le reflet de sa population de 1,3 milliard d‘habitants. Le pays a eu en effet le courage de faire appliquer pendant le troisième trimestre des mesures de confinement douloureuses pour la majorité de la population, qui ont montré leur efficience. La courbe des infections a nettement fléchi depuis octobre dernier et le nombre officiel de malades/million d’habitants reste aujourd’hui de l’ordre de 8400, environ 5 fois inférieur aux niveaux européens. Le troisième groupe se compose de la plupart des pays d’Europe et d’Amérique du Sud. Ils sont devenus des foyers majeurs de la « deuxième « vague » d’invasion du Covid19.  L’Europe a particulièrement été touchée durant cette période :  les défenses ont été érigées de façon souvent « pointilliste » par les Etats, pour éviter l’arrêt d’une grande partie des activités économiques comme au premier semestre, et ont entrainé une série de « stop and go » en fonction de l’évolution des statistiques de l’épidémie. Elles ont aussi été prises de façon dispersée selon les pays, ce qui a permis au virus de mieux « circuler ».  A fin 2020, le nombre total des contaminations s’élève à 25,8 millions et a dépassé celui des Etats-Unis depuis la fin d’octobre dernier. En Amérique du Sud, où le Brésil compte fin 2020 7,7 millions de contaminations officielles, un bon nombre de pays ont suivi un chemin analogue tels l’Argentine, le Chili et la Pérou. On note que la densité des malades sur ces deux continents est fréquemment comprise entre 30000 et 40000 par million d’habitants. Mais certains pays restent des exceptions : ainsi le Mexique, l’Allemagne, la Russie sont relativement moins frappés ; l’Europe de l’Est l’est davantage que la moyenne : la Suisse et la Belgique ont les moins bons résultats du monde, à l’égal des Etats-Unis, avec plus de 60000 malades/million d‘habitant. L’Afrique a bien résisté contrairement aux craintes initiales : seule l’Afrique du Sud avait été fortement impactée et ses 600000 malades représentaient en juin dernier plus de 50% des contaminations officielles du continent. La faible progression notée ensuite, à l’exception notable du Maroc, n’a cédé la place à une nouvelle poussée dans beaucoup de pays africains que depuis début décembre. L’Afrique du Sud apparait encore la plus concernée et a terminé l’année à plus d’1 million de contaminations. En Asie enfin la plupart des nations ont résisté, grâce à une grande vigilance et à de vives réactions, à une reprise de la pandémie sur leur territoire selon les données collectées.

Pour la létalité de la pandémie, la période récente est dominée par trois constats. D’abord, l’accélération par rapport à la phase janvier/juillet 2020 a été également observée, mais elle a été plus maîtrisée que pour les contaminations : multiplication par 2,7 au plan mondial, par 2, 3 aux Etats-Unis, par 2,6 en Europe par exemple. C’est que l’influence probable de la densification des tests, soulignée pour les contaminations, est nettement plus faible sur le nombre de décès enregistrés. La deuxième observation, la plus importante, est la remarquable stabilité d’un pays à l’autre du rapport entre le nombre de malades recensés et le nombre officiel de décès, tous deux calculés pour un million d’habitants du pays concerné. Ce ratio s’inscrit dans une fourchette comprise entre 1,6% et 2,5% pour la grande majorité des nations, que celles-ci aient été ou non lourdement frappées par la maladie : ainsi ce ratio est-il de 1,7% aux Etats-Unis, de 1,9% en Allemagne et de 2,5% en France. Certes il existe quelques exceptions comme la Belgique à 3,0%, mais aussi le Japon à 1% ou la Serbie à 0,8%. Mais la faiblesse de l’écart moyen tend à prouver que ce pourcentage exprime le mieux le ratio tendanciel de mortalité de la maladie. Celui-ci a d’ailleurs eu tendance à baisser puisqu’il était supérieur à 3% en juillet dernier, ce qui pourrait constituer un indice d’une meilleure capacité des systèmes sanitaires à traiter les cas graves. Malgré cette uniformité de la dangerosité de la maladie, la diversité des taux de contaminations officiels par pays explique que le nombre de décès rapporté à la population varie fortement d’un pays à l’autre. En la matière, la Belgique détient toujours le triste record avec plus de 1900 décès/million d’habitants alors que l’Inde, bien que très frappée par la pandémie, en compte « seulement » 118.

Le quatrième constat, que traduisent en partie ces données erratiques, est l’ampleur des lacunes subsistantes sur la maladie et les faiblesses souvent constatées dans la stratégie de la lutte anti-Covid. Malgré les déclarations assurées des nombreux « experts » qui défilent dans les médias, la connaissance du virus est encore approximative : modalités de contaminations, symptômes, durée de l’immunité, sensibilité à la température ou à l’environnement sont toujours en débat. La crainte suscitée par la diffusion plus rapide et l’impact inconnu des nouvelles variantes anglaise et sud-africaine ravive encore ces incertitudes. La variété des politiques de réaction à la pandémie et les échecs de certaines d’entre elles accroissent également la méfiance et le découragement des populations ballotées d’une stratégie à l’autre avec des résultats décevants. Le manque de liberté laissé aux Autorités locales ou régionales pour réguler certains aspects pour lesquels elles semblent les mieux placées ajoutent à la cacophonie. Enfin la surexposition médiatique des recherches pour les vaccins, les outrances financières auxquelles ont donné lieu les succès obtenus, au bénéfice des actionnaires et dirigeants des compagnies concernées, ont quelque peu terni l’immense espoir né de la découverte de vaccins tant attendus et réduit la confiance des citoyens. En France, les échecs et mensonges des dirigeants, toujours assumés avec la même arrogance, pour les masques, puis les tests expliquent sans doute la grande réserve devant les vaccins : le début de la phase vaccinale ne semble pas leur donner tort. Face à ces constats, les populations ne sont pas dupes et le sentiment d’inquiétude continue à dominer.

Enfin, l’année vécue avec le Covid permet de valider ou de revoir au moins quatre conclusions hâtivement tirées sur l’impact économique de celui-ci. D’abord, la pandémie aura frappé en 2020 l’économie « réelle », c’est-à dire la Production Intérieure Brute Mondiale (PIB), qui devrait reculer d’environ 4,5% selon les dernières estimations. Toutefois, les replis enregistrés des PIB ont eu tendance à s’amenuiser partout par rapport aux prévisions formulées dès mars 2020 : le monde en effet choisi de faire face à la deuxième vague du Covid en maintenant au maximum les activités économiques. En second lieu, la pandémie a épargné jusqu’ici la sphère financière. Les grandes bourses mondiales – la France étant une des exceptions – terminent en effet l’année plus haut qu’elles ne l’ont commencée, et leurs principaux acteurs ont été, par des circuits divers, les grands bénéficiaires de la manne inédite déversée par les banques centrales. Il est remarquable que les Etats-Unis, pays apparemment le plus fragile vis à vis du Covid soient aussi un des pays où les cours boursiers ont le plus progressé. En troisième lieu, la pandémie aura bien accéléré une mutation de la structure de toutes les économies. Si certains secteurs ont été mis à mal – aéronautique, hôtellerie et restauration, divertissements, petits commerces, -, d’autres ont progressé de manière parfois considérable et inattendue – nouvelles technologies, transports de marchandises, industries pharmaceutiques, – et certains s’en sortent bien comme les activités financières ou les secteurs « verts ». C’est vraisemblablement cette restructuration qui traduira le « monde d’après » plutôt qu’une remise en cause du primat de l’économie sur d’autres valeurs. Enfin, le Covid a introduit en une seule année des sources considérables de nouvelles inégalités financières, sociales et de bien-être entre pays, groupes sociaux et individus. Si les Responsables politiques ne considèrent pas la réduction de ces inégalités comme une priorité des années à venir, à l’égal du retour à la croissance économique, les risques de déstabilisation mondiale atteindront de nouveaux seuils, potentiellement plus explosifs.

L’année 2021 s’ouvre encore sous des auspices contradictoires. Après les fêtes de fin d’année, les contaminations ont repris leur rythme ascendant, parfois vivement dans certains pays européens ou aux Etats-Unis. Dans le monde, il y a toutes « chances » que le nombre de cas recensés dépassera le seuil symbolique des 100 millions de personnes avant ce 31 janvier tandis que le cap des 2 millions de morts vient d’être franchi. L’identification récente de nouvelles souches plus virulentes ; comme l’anglaise et la sud-africaine, font craindre une amplification de cette propagation : l’exemple actuel du Royaume Uni montre que cette hypothèse est loin d’être théorique. Face à ces menaces persistantes, tout l’espoir repose maintenant sur les quelques vaccins annoncés à grands bruits fin 2020 et déjà en cours d’application. Encore faut-t-il que leur production suive les besoins, que leur délivrance et leurs résultats soient à la hauteur des attentes et qu’ils soient si possible complétés par un traitement efficace de la maladie. Il est donc encore trop tôt pour crier victoire. L’année 2021 sera, de manière certaine, une nouvelle période de combat. Pour le reste, la prudence reste de mise.

Paul Derreumaux

Article publié le 21/01/2021