Obama en Afrique : le retour

Obama en Afrique : le retour

Pour la première fois depuis quatre ans, le Président Obama revient en Afrique avec une première escale à Dakar. Le voyage de 2009, porteur d’immenses espoirs, n’a pas été suivi des réalisations escomptées par les peuples du continent. Depuis, l’Afrique a changé et commence à croire en son destin. Face aux grands problèmes auxquels elle a actuellement à faire face, les Etats-Unis sauront-ils cette fois apporter des réponses concrètes ?

Il était remarquable que le Président Obama se soit tourné immédiatement vers l’Afrique lors de son premier mandat, avec ses visites en Egypte, puis au Ghana à mi 2009. Le premier Président noir des Etats-Unis, à travers cette attention privilégiée, semblait ainsi inaugurer des relations nouvelles entre le plus puissant pays du monde et le continent actuellement le plus défavorisé mais aussi potentiellement le plus riche par sa population, ses ressources naturelles et une croissance économique retrouvée. Les discours d’Accra furent eux-mêmes un grand moment: le leader américain y encourageait bien sûr les réformes démocratiques dans tous les pays africains, mais demandait surtout que ces nations et leurs populations redoublent d’efforts pour accéder à de nouveaux stades de développement. Avec l’éloquence qui le caractérise, il annonçait aux Africains que tout leur était possible, comme pour le reste du monde avant eux, et qu’ils avaient dans leurs propres mains les clés de leur réussite. Galvanisant, ce message laissait cependant aussi entrevoir que la nouvelle administration américaine ne serait pas pour l’Afrique la providence que certains pouvaient espérer de la part d’un Président d’origine africaine.

Les quatre années écoulées ont donné raison aux analystes les plus prudents : les initiatives concrètes de Obama en faveur de l’Afrique n’ont pas été plus importantes que celles de ses prédécesseurs immédiats. Certes il a reçu solennellement à la Maison Blanche à plusieurs reprises des Chefs d’Etat qui se distinguaient par leurs succès démocratiques, mais les « bons points » ainsi distribués, surtout utilisés en politique intérieure par les dirigeants des pays concernés, n’ont pas été accompagnés d’appuis spectaculaires. Pour sa défense, le Président américain a du affronter de graves difficultés, parfois inattendues, comme les tensions aigües  avec l’Iran, les « printemps arabes », la lutte d’influence croissante avec la Chine et la permanence de la crise économique internationale. Sans doute aussi, l’Afrique a-t-elle déçu quant aux changements intervenus sur la période. La croissance économique s’est poursuivie à un taux honorable, se renforçant même par endroits, permettant au continent de se rapprocher des nations les plus performantes en ce domaine. Mais elle demeure fragile, car trop centrée sur quelques rares secteurs et, surtout, insuffisamment inclusive, ce qui conduit à une aggravation visible des inégalités. Au plan politique, la tendance générale à la réduction du nombre et de la durée des conflits ainsi qu’à une meilleure stabilité des régimes en place n’a pas empêché de nouvelles crises importantes telles celles du Soudan, de la Cote d’Ivoire et du Mali. Le bilan s’avère donc, de part et d’autre, en deçà des espérances.

Fin 2012, le Président réélu a consacré cette fois sa première visite emblématique à la Birmanie : outre la volonté de soutenir l’opposante iconique Aung San Suu Kyi, ce voyage confirme aussi l’accentuation du tropisme américain vers l’Asie, logique au vu de la carte actuelle des grands enjeux économiques internationaux. Ce recentrage s’effectue de plus alors que les dirigeants américains, marqués par plusieurs revers de politique étrangère durant la dernière mandature, donnent de toute façon une nette priorité à la situation économique intérieure, dont le redressement reste difficile. L’Afrique n’est donc plus pour les Etats-Unis qu’un interlocuteur parmi beaucoup d’autres, et sans doute ni le plus facile ni le plus attractif. Elle ne peut cependant pas pour autant être ignorée alors que son potentiel commence à se transformer en réalité.

La venue du Président Obama à Dakar est bien sûr liée à l’excellent déroulement de l’élection présidentielle au Sénégal de début 2012 et à la démonstration que le pays a faite à cette occasion de sa maturité démocratique. Pourtant, le discours d’Obama s’adressera évidemment à toute l’Afrique qui scrutera le contenu du message ainsi délivré. Face aux nombreuses attentes du continent, que peut-on espérer de manière réaliste des Etats-Unis ?

Un premier apport serait une contribution active à la lutte anti terroriste qui est devenue une préoccupation majeure de nombreux Etats d’Afrique subsaharienne, et surtout d’Afrique de l’Ouest. La France a pris ici, avec une certaine réussite, une position d’allié leader grâce à son sauvetage armé du Nord Mali en janvier dernier. La menace, même moins visible, reste forte, comme le montrent les évènements récents au Niger et au Nigéria, et peut s’accroître et s’étendre géographiquement. Pour les Etats-Unis, le traumatisme de septembre 2001 rend cette question toujours essentielle à leurs yeux. Leur avance technologique leur donne les moyens d’être un appui de premier plan, notamment en matière de renseignement et de surveillance, à défaut d’une intervention sur le terrain qui parait à exclure. Cet intérêt et cette expérience pourraient donc justifier de leur part la décision d’une plus grande présence dans ce combat capital..

Un deuxième champ d’action, plus incertain, est celui du soutien au développement économique de l’Afrique. Au plan gouvernemental, les canaux utilisés par les Etats-Unis  restent peu nombreux et déjà anciens : financements de l’USAID ; avantages à certaines exportations à travers l’AGOA, investissements structurants dans le cadre du programme du Millenium Challenge Account (MCA), De nouvelles initiatives sont peu probables en cette période de vaches maigres. En matière d’investissements, les Etats-Unis avaient traditionnellement concentré leurs intérêts sur les pays pétroliers du continent, afin de sécuriser leur approvisionnement en énergie, et leurs entreprises étaient largement cantonnées à ce secteur : la révolution des gaz de schiste diminuera de plus en plus la dépendance américaine à l’égard de l’étranger, et réduira donc la volonté d’investissement. En revanche,  les opportunités de débouchés offertes par la hausse combinée de la population et des revenus moyens pourront inciter de grands groupes industriels et commerciaux à renforcer ou à démarrer leurs implantations: les projets de Wallmart en Afrique du Sud et de Général Electric en Afrique de l’Est et en Cote d’Ivoire en sont quelques illustrations.

Une troisième attente importante est celle qui peut être fournie pour les transformations structurelles des environnements politique, administratif ou judiciaire ou pour les  investissements en infrastructures capables de consolider  le soubassement des économies africaines. En la matière, les Etats-Unis ont eu la plupart du temps une position très favorable aux changements mais sont peu intervenus pour la mise en œuvre de ceux-ci. Ils gardent en outre une position tranchée et dogmatique : celle-ci les conduit souvent à mal prendre en compte les contraintes locales et, en cas de difficultés, à être les premiers partenaires à stopper leurs actions  et les derniers à la reprendre. Le cas récent du Mali, où le programme du MCA a été brutalement arrêté dès le coup d’Etat de mars 2012 et n’a pas encore redémarré à la différence de la plupart des programmes d’aide, en est un bon exemple. Un changement d’approche serait opportun et logique, mais il semble très peu plausible en raison de l’obsession  de la « légitimité » que les Etats-Unis jugent à l’aune de leurs propres critères.

Obama ira-t-il à Dakar, sur ces points et sur quelques autres, au-delà de ce qui semble prévisible ? Les Africains eux-mêmes ont-ils encore autant besoin des Etats-Unis et autant de ferveur vis-à-vis d’Obama ? Dans une Afrique qui se met enfin à croire en sa chance, l’état d’esprit a en effet changé et les impatiences sont plus fortes. Les candidats au partenariat avec le continent se multiplient et des choix sont donc permis. Pourtant l’immensité des besoins qui restent à satisfaire doit inciter à rechercher tous les appuis et le renforcement de celui des Etas-Unis serait particulièrement bienvenu pour maintenir l’élan actuel.

Lors de son tout récent passage à Berlin, le Président américain ne semble pas avoir trouvé les sujets et le ton qu’avaient su retenir certains de ses illustres prédécesseurs et qui avaient rendu leurs voyages historiques. Sera-t-il mieux inspiré dans la capitale sénégalaise? Même si son discours est plus réaliste, il faut espérer qu’il fera encore rêver son public comme il avait su le faire à Accra il y a quatre ans. La détermination a souvent besoin du rêve pour prospérer.

Paul Derreumaux

Contribution publiée sur le Cercle des Echos le 26/06/2013

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