Le «mercato» bancaire

Le «mercato» bancaire continue en Afrique

Avec un peu d’imagination, l’actualité des acquisitions et restructurations bancaires apparait aussi passionnante que celle du « mercato » pour les transferts footballistiques. Comme prévu, la reconstruction du système bancaire africain se poursuit en effet activement et, durant ces derniers mois, quelques opérations méritent d’être soulignées en raison de leur nouveauté. L’Afrique du Nord était restée jusqu’ici en dehors des principales tendances qui ont marqué le système bancaire subsaharien des dix dernières années. Elle en occupe cette fois l’avant-scène.

Deux grandes banques françaises viennent d’abord de céder leur implantation respective en Egypte  à de grands établissements bancaires du Moyen Orient, confortant la présence de cette dernière région dans une zone qui leur est familière. La BNP a vendu sa filiale égyptienne à la banque émiratie NBD et la Société Générale quitte Le Caire laissant la place à l’institution qatarie National Bank. Certes, les sociétés françaises insistent sur l’étroite coopération qui sera nouée avec les entrants et sur le renforcement des activités qu’elles en attendent eux-mêmes pour leur réseau. Mais ce départ physique est aussi le signe que la BNP et la Société Générale ne prévoyaient pas une reprise à court terme du développement de leur implantation cairote. La situation économique reste en effet particulièrement difficile dans ce grand pays fortement ouvert sur l’extérieur : les effets de la crise internationale, toujours pesants, y sont accentués par les tensions sociales fortes qui résultent de la nouvelle majorité islamiste issue des élections présidentielles et qui mettent pour l’instant le développement économique au second plan des priorités. Des transformations de l’environnement législatif, réglementaire et fiscal peuvent être craintes, générant des incertitudes que n’aiment pas les investisseurs étrangers. Enfin, la montée en puissance probable des produits bancaires islamiques dans ce nouveau contexte politique n’est pas un avantage comparatif pour les banques françaises. Les banques du Moyen Orient sont au contraire expertes en la matière. Elles peuvent mieux s’accommoder des nouvelles orientations politiques majeures qu’est susceptible de connaitre l’Egypte. Leurs fonds propres élevés leur permettent enfin, sans dommage significatif pour leurs ratios réglementaires, d’attendre des jours meilleurs de la conjoncture nationale pour partir à la conquête de l’Afrique subsaharienne pour laquelle le pays dispose d’une bonne position géostratégique et peut être une excellente base.

C’est probablement cette même visée de long terme vers le Sud du Sahara qui explique les discussions annoncées entre Attijariwafa Bank et le fonds Kuweit Investment Authority. C’est en effet de ses installations sur le reste du continent que Attijariwafa, comme ses deux autres grandes consœurs marocaines, espère tirer une bonne part de sa croissance dans les années à venir, face à un marché national dont le développement est actuellement nettement ralenti. Pour une expansion géographique qu’elle a annoncée en termes ambitieux, la banque marocaine a besoin d’importants fonds propres pour donner toutes assurances à sa Banque Centrale. Le fonds Koweitien dispose de ces larges ressources, et connait bien les banques et l’économie marocaines. Il considère aussi, comme beaucoup, l’Afrique subsaharienne comme l’une des « nouvelles frontières » pour les grands investisseurs, et le secteur bancaire des pays qui s’y trouvent comme mûr pour la venue de nouveaux opérateurs modernes et puissants.

C’est ce même raisonnement qui a prévalu depuis quelques années dans le secteur des télécommunications mobiles et qui a conduit à l’arrivée, et parfois ensuite au repli après de belles plus-values, de plusieurs groupes de téléphonie du Moyen Orient dans cette partie du continent. La banque devrait être un domaine plus stratégique et donc d’implantation plus durable.

La convergence d’intérêts entre les deux parties possibles de ce « deal » en discussion est certaine et, même si la transaction évoquée ne se conclut pas, des rapprochements de ce genre paraissent très probables à terme rapproché entre les principales banques marocaines et des groupes financiers ou bancaires du Moyen-Orient. Il est vrai que l’épopée subsaharienne des banques marocaine les rend de plus en plus « appétissantes ». Les récents résultats pour l’exercice 2012 de Attijariwafa Bank et, surtout, de la Banque Marocaine du Commerce Extérieur (BMCE), affichent les bons résultats de cette politique : en 2012, dans leur bilan consolidé respectif, la contribution des établissements du Sud du Sahara est en progression. C’est particulièrement vrai pour la BMCE, pionnière dans cette voie, où ce pourcentage, grâce aux BANK OF AFRICA, dépasse  40%  du bénéfice net contre quelque 35% en 2011. La Banque Populaire du Maroc s’engagera normalement en 2013 sur ce même chemin après son entrée majoritaire dans la Banque Atlantique.

A l’autre bout du continent, les lignes bougent également, toujours selon la double stratégie du décloisonnement géographique et de la construction de grands réseaux. La quatrième banque sud-africaine, First Rand Bank, à travers sa filiale d’investissement Rand Merchant Bank, vient d’obtenir au Nigéria une nouvelle licence bancaire. L’évènement n’est pas anodin en raison du leadership politico-économique que se disputent les deux plus grands pays subsahariens, et du fait que la Banque Centrale du Nigéria n’avait accordé aucune licence à une banque étrangère depuis plus de dix ans. Il exprime d’abord la sérénité des Autorités monétaires nigérianes qui terminent plusieurs phases, toujours brutales et parfois douloureuses, d’assainissement du système bancaire national : celui-ci est maintenant redevenu parfaitement crédible à l’étranger et, compte tenu de son renforcement, devrait reprendre à bref délai l’expansion sur le continent qu’il avait engagée à partir de 2005 et quasiment stoppée vers 2010 sous la pression de ses instances de supervision. Il traduit aussi la volonté des plus grands groupes sud-africains, mastodontes du secteur bancaire de toute l’Afrique, de se déployer davantage et hors de leurs places traditionnelles d’intérêt : le choix du Nigéria, où l’accès est cher et la concurrence rude, comme l’une de ces cibles possibles d’expansion montre la  détermination des acteurs bancaires de Pretoria et l’envergure de leur stratégie de conquête de nouveaux territoires.

Cette opération ne devrait pas rester  isolée. Certains concurrents nationaux de la First Rand Bank pourraient vouloir suivre le même chemin. Les Autorités nigérianes annoncent par ailleurs que trois banques placées  en 2011 sous la coupe de la structure nationale de défaisance AMCON (Asset Management Corp of Nigéria,), par suite notamment de la détérioration de leur portefeuille de crédits et de la faiblesse de leurs fonds propres, sont désormais assainies et prêtes pour une dénationalisation dès cette année. L’entrée possible de partenaires stratégiques étrangers au capital de ces établissements constituerait un indicateur supplémentaire de l’ouverture au processus de décloisonnement d’un pays majeur, jusqu’ici très réservé vis-à-vis de la venue d’investisseurs extérieurs. Dans le même temps, en Afrique du Sud, la banque ABSA, premier groupe bancaire du continent, réorganise ses relations capitalistiques avec sa maison mère Barclays. La banque londonienne cède toutes ses filiales africaines en échange d’une augmentation de sa participation déjà majoritaire dans ABSA: le dispositif africain devrait en revanche être rebaptisé Barclays Africa Bank, ce qui annonce bien la couleur quant à la vigueur d’une politique expansionniste de cet établissement sur le continent, mais aussi à la volonté de relier celle-ci à l’appartenance à très grand groupe international, ce qui lui donnera plus de crédibilité.

Enfin, la montée en puissance de Nedbank au capital d’Ecobank, déjà connue, coïncide avec des résultats en forte progression de ce dernier groupe pour 2012 : de futures visées expansionnistes peuvent ainsi être également attendues de ce côté si la mise en commun des moyens de ces deux grands acteurs s’effectue avec efficacité.

La restructuration du système bancaire africain se poursuit donc avec l’intensité prévue. La position plus offensive de banques sud-africaines, d’une part, et l’entrée sur le terrain de joueurs arabes, d’autre part, constituent en revanche deux évènements nouveaux de la période  récente. La seconde est aussi  une relative surprise puisque beaucoup d’observateurs attendaient plutôt les banques chinoises et indiennes que les institutions arabes. Les faits viennent ici nous rappeler à la fois l’influence de la géographie et le poids croissant que les pays du Moyen Orient, grâce à leurs gigantesques moyens financiers, souhaitent occuper en Afrique, en raison des perspectives très positives que celle-ci parait offrir à long terme.

Paul Derreumaux

Contribution publiée dans le magazine African Banker n°15 (avril/juin 2013)

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