Banques Subsahariennes : les « grandes manœuvres » continuent

La saison des dividendes versés sur l’exercice 2022 par les banques cotées sur la Bourse Régionale de Valeurs Mobilières (BRVM) de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) s’est terminée en « feu d’artifice » en juillet dernier avec l’annonce par la Société Ivoirienne de Banque (SIB) d’un coupon net de 495 FCFA par action (2,5 fois la valeur nominale et près de 10% de sa valeur de marché), représentant globalement près de 60% d’un bénéfice annuel de 40 milliards de FCFA. Ce résultat est en ligne avec les importants profits dégagés par tout le système bancaire de l’Union en 2022.

Mais, dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, le secteur continue aussi à attirer l’attention par les mouvements capitalistiques qui l’ont animé dernièrement et continue à consolider la place des banques à capitaux régionaux.

La palme revient sans doute en la matière à la nigériane Access Bank, 1er établissement de ce pays et 10ème du continent en 2021 par le bilan. Celle-ci devrait s’installer en effet dans cinq nouveaux pays, allant de la Gambie à la Tanzanie en passant par l’Angola, en acquérant les filiales de l’anglaise Standard Chartered qui quitte ainsi le continent comme l’a fait récemment la française Banque Nationale de Paris (BNP). Dans le même temps, elle ouvre à Paris une succursale de sa filiale londonienne pour récupérer un « passeport européen » pour ses activités de banque correspondante. La zone francophone n’est pas en reste grâce aux opérations menées par deux réseaux pilotés par des Burkinabés. D’un côté, Coris Bank, devenue en 2021 le troisième groupe de l’UEMOA en termes de bilan, annonce le rachat des filiales de la française Société Générale en Mauritanie et au Tchad : elle confirme ainsi sa volonté de dépasser largement le périmètre de l’Afrique de l’Ouest francophone, après sa précédente installation en Guinée. Dans le même temps, Vista Bank a conclu un accord avec la même Société Générale pour reprendre les établissements de cette dernière au Congo-Brazzaville et en Guinée Equatoriale : ces deux pays s’ajouteraient au Burkina Faso, à la Gambie, à la Guinée et à la Sierra Leone et donneraient à la holding une empreinte sur 6 pays fort divers dans leurs structures et leurs régimes monétaires. Après le coup d’éclat réalisé par l’ivoirien Atlantic Financial Group fin décembre 2022 à travers le rachat d’une banque mauricienne parallèlement à une implantation à Madagascar, il s’agirait là d’une nouvelle percée continentale de banques marquant leur spécificité d’un actionnariat en bonne partie ouest-africain.

Les banques d’Afrique orientale anglophone sont dans la même mouvance conquérante comme l’ont confirmé les dernières expansions des kenyanes Equity Bank et Kenya Commercial Bank en République Démocratique du Congo : l’entrée de ce pays dans l’East African Community semble en faire une cible fort attractive. Les conséquences de ces opérations ne se révèleront que progressivement, mais les reconfigurations en cours de l’actionnariat font déjà apparaitre trois constats.

L’un touche toute la zone subsaharienne. Avec ces rachats, le poids relatif des groupes à capitaux régionaux accélère sa croissance, au moins pour les bilans. C’est le cas d’Access qui consolide son statut de banque panafricaine. Mais Coris Bank y contribue aussi en Mauritanie et dans la Communauté des Etats d’Afrique Centrale comme les grandes banques kenyanes dans l’East African Community. De plus l’évolution renforce mécaniquement la place des institutions les plus puissantes dans chaque système bancaire national. Ce ratio avoisine parfois 70% du total des bilans bancaires du pays pour quelques groupes dominants : 4 en Afrique du Sud, 3 au Maroc, 8 au Nigéria, 10 dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Cette concentration est d’ailleurs en général nettement plus importante pour les bénéfices, montrant qu’une taille élevée est aussi génératrice de rentabilité accrue.

Deux autres affectent surtout, pour l’instant, l’espace francophone. D’abord, ces transferts de propriété sont le fait d’actionnaires privés qui poursuivent leurs stratégies. Mais l’histoire récente montre que des Etats s’insèrent dans ces changements du paysage bancaire. La Côte d’Ivoire l’avait prouvé en 2022 avec une reprise de la filiale de la française BNP par des actionnaires étatiques. Le Congo et la Guinée Equatoriale le confirment en 2023 en refusant la cession des entités de la Société Générale sur leur territoire à Vista Bank et en les rachetant eux-mêmes. D’autres pays, tel le Sénégal, semblent prêts à adopter des positions identiques. Avec cette stratégie, opposée à celle des années 1990, les gouvernements disposeront d’outils bancaires pouvant faciliter leurs propres priorités. Reste à voir comment s’exercera la concurrence entre tous les acteurs bancaires du pays.

Une seconde spécificité francophone est le fait que ces « bascules » d’actionnariat et le poids accru des grands groupes dans chaque pays ne conduisent pas à une réduction du nombre de banques agréées. Sous d’autres cieux -tels le Nigéria ou le Ghana- cet effectif a nettement diminué, à la suite notamment de fortes augmentations du capital minimum requis, et est parfois inférieur à celui de nations de l’UEMOA. Au contraire, dans celle-ci, des investisseurs ou des institutions (microfinance, ..) sont encore en embuscade avec de nouveaux projets bancaires. Plusieurs causes peuvent expliquer cette différence : présence en zone anglophone de structures performantes alternatives aux banques (invesment banks, banques rurales…); culture financière différente,.. Un autre constat est à venir. Un actionnariat plus local facilitera-t-il le développement économique ? La condition sera double : les banques devront mieux assurer toutes les missions qu’on attend d’elles et le contexte dans lequel elles agissent devenir plus favorable. Ne l’oublions pas.

Paul Derreumaux

Une réflexion sur « Banques Subsahariennes : les « grandes manœuvres » continuent »

  1. Bonjour Président,
    Article très concis et précis à lire absolument.
    J’ai beaucoup aimé le terme « feu d’artifice », qui a été possible malgré des faits majeurs impactant l’économie mondiale, entre autres:
    * La crise sanitaire
    * La guerre en Ukraine
    * Les coups d’état Répétitifs
    * L’inflation galopante
    * les changement de politique monétaire
    * etc…

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