Perspectives 2020 en Afrique de l’Ouest

Perspectives 2020 en Afrique de l’Ouest:

Le politique devrait primer sur l’économie, mais préparera-t-il bien l’avenir ?

 

 

En ce début d’année, on aimerait avant tout souhaiter à l’Afrique de l’Ouest la poursuite d’une croissance économique soutenue et l’accélération de réformes structurelles propices à l’amélioration de la productivité, aux créations d’emplois et à la maîtrise des inégalités sociales. Les bonnes performances économiques des dernières années, surtout dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), semblaient être un bon point de départ pour rendre ces objectifs accessibles et faire de la zone un des territoires d’espérance en Afrique subsaharienne.

Pourtant, ces aspects risquent de passer au second plan en 2020 face à deux contraintes majeures de nature politique.

La première est le nombre élevé d’élections qui concerneront la région en 2020, et la difficulté attendue de leur déroulement pour certaines d’entre elles. De février à décembre prochain, six pays connaitront un scrutin présidentiel, parfois doublé d’un vote législatif. Dans cet ensemble, deux groupes de situations apparaissent d’ores et déjà. Dans quatre cas, le vote qui s’annonce n’a pas soulevé jusqu’ici de passions extrêmes, mais l’approche des élections devrait inévitablement renforcer rapidement les tensions. Au Togo, qui ouvrira la route en février, le Président Faure sera candidat à sa succession, en mettant en avant son bilan économique : il devrait affronter six autres candidats agréés par la Cour Constitutionnelle mais aussi de possibles contestations juridiques sur sa candidature. Au Burkina Faso, l’actuel Chef de l’Etat, briguera normalement un nouveau mandat en novembre prochain, et ses challengers devraient être pour la plupart les mêmes qu’en 2015. Les importantes difficultés sécuritaires subies par le pays depuis 2018 pourraient cependant rendre sa campagne plus difficile si le contexte ne n’est pas amélioré d’ici là. Au Niger, qui terminera la liste en décembre 2020, le Président Issoufou a affirmé sa volonté de ne pas se représenter et les candidatures comme les alliances ne sont pas encore définitivement arrêtées, laissant pour l’instant le jeu ouvert. Enfin, en dehors de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, le Ghana votera en novembre et, quels que soient les candidats qui s’affronteront et la fièvre des débats, tous les observateurs escomptent que ce pays offrira le même visage de maturité démocratique que celui qu’il a montré depuis plusieurs élections. Dans les deux autres pays au contraire, où le scrutin présidentiel est programmé pour octobre 2020, l’inquiétude est palpable. En Guinée, malgré son bilan économique contesté et de mauvais résultats aux législatives de février 2019, le Président Condé a indiqué de longue date son souhait de postuler un troisième mandat, même si cela requérait une modification de la Constitution qui n’a pas encore été effectuée. Les principaux concurrents sont opposés à cette nouvelle candidature et l’affaire a déjà provoqué en 2019 d’importantes manifestations ayant entraîné plusieurs dizaines de morts selon les observateurs, sans que la question soit encore réglée. En Côte d’Ivoire enfin, les préoccupations des populations se font de plus en plus vives face à la fracture croissante entre les grands partis politiques, à l’incertitude maintenue jusqu’ici quant à l’identité des candidats qui les représenteront et à la tension manifeste que traduisent certaines mesures. L’espoir d’une élection apaisée, qui aurait permis d’effacer les souvenirs dramatiques du début de la décennie et de débattre des futurs économiques possibles du pays, s’est donc pour l’instant amenuisé.

Hors ces élections présidentielles, quelques pays auront aussi à gérer des scrutins législatifs, tels le Burkina Faso, le Ghana et le Mali. Dans ce dernier cas, la désignation des nouveaux députés, repoussée depuis près de deux ans et intervenant dans un contexte de fortes tensions sociales et de sécurité, constituera un enjeu décisif pour aider à résoudre la crise que traverse le Mali.

Qu’on les anticipe sereines ou délicates, ces joutes électorales devraient de toute façon peser négativement sur l’économie des nations concernées. Les investisseurs, étrangers mais aussi parfois nationaux, auront tendance à repousser la réalisation de leurs projets dans la période post-élections. L’activité économique quotidienne pourra être soutenue par des dépenses publiques accrues des Etats, affectées à des programmes d’urgence, mais surtout ralentie en raison de la prudence des acteurs privés. Les orthodoxies d’équilibre budgétaire ou d’endettement extérieur risquent d’être reléguées provisoirement au second plan. Les grands chantiers de réformes structurelles seront également plus difficilement engagés avant la désignation des futures équipes. En cas de troubles sociaux durant ces périodes électorales, ces risques pourraient être aggravés pour une durée inconnue.  Dans l’UEMOA notamment, le taux de croissance remarquable proche de 7% atteint en moyenne ces dernières années pourrait donc faiblir, en raison notamment du poids de la Cote d’Ivoire dans le total régional. Seul le Sénégal, où les élections se sont déroulées en 2019, a de bonnes chances de réussir de meilleures performances, grâce aux investissements d’infrastructures et de préparation de l’exploitation pétrolière, et de conforter ainsi sa place de deuxième puissance régionale.

La seconde contrainte est de nature sécuritaire. Sur ce plan, la forte dégradation de la situation en 2019 dans plusieurs pays du Sahel est bien connue. Au Burkina Faso et au Mali, les victimes, civiles comme militaires, des terroristes islamistes ont fortement augmenté, les populations déplacées se comptent en centaines de milliers et l’Etat a perdu le contrôle d’une bonne partie du territoire national. Au Niger, qui avait jusqu’ici mieux résisté, les derniers mois de 2019 ont été très meurtriers. Dans la partie Nord des pays côtiers, de la Cote d’Ivoire au Bénin, la menace terroriste se fait plus directement menaçante. Les troupes de Boko Haram continuent à sévir au Nigéria, mais aussi au Tchad et au Niger. Malgré les efforts de mutualisation menés au niveau régional, avec la Force du G5 Sahel, et les appuis militaires apportés par le France et quelques autres partenaires, le sentiment de recul et d’échec tend à croître face aux assauts terroristes, et les craintes d’une contagion internationale s’amplifient. Dans le même temps, l’environnement de guerre larvée génère, au moins dans le Sahel, deux graves conséquences. Les Etats, qui disposent de moyens déjà limités au regard de toutes les urgences qui leur incombent, doivent réaliser pour la sécurité nationale des efforts budgétaires de plus en plus lourds .Ces coûts pénalisent les autres dépenses de fonctionnement ou d’investissement, perturbent les équilibres macroéconomiques et peuvent parfois générer de nouveaux circuits de corruption. De plus, la conquête de certains territoires par les troupes terroristes, souvent alliées objectives d’un grand banditisme, empêche les actions de développement des zones concernées, désorganise les équilibres sociaux et favorise le détournement d’une partie de leur population vers les rangs extrémistes.

Les évènements les plus récents ont conduit à une prise de conscience plus aigüe des dangers encourus et de la nécessité d’une nouvelle stratégie de riposte. Ses grandes lignes sont maintenant connues : meilleure intégration des armées nationales et étrangères dans la bataille antiterroriste ; concentration des actions dans les zones les plus menacées ; amélioration des capacités humaines et matérielles des armées des pays du Sahel ; renforcement et diversification des appuis extérieurs ; plus grande rapidité de réaction face aux attaques ennemies ; concomitance de la reprise des programmes d’investissements productifs et sociaux dans les sites reconquis. Il s’agirait, par rapport à la période passée, d’un changement de nature et d’échelle des moyens mis en œuvre et des stratégies suivies, seul capable d’enrayer le pourrissement de la situation. Ceci entrainerait ipso facto des coûts nettement supérieurs et de possibles sacrifices supplémentaires dans les arbitrages de dépenses publiques au sein de la région.

Le bon déroulement de ces nombreuses élections et le redoublement des offensives contre les terroristes sont des priorités logiques, compte tenu des enjeux qu’ils recouvrent. Mais les résultats qui seront obtenus sur ces deux plans doivent être suffisamment probants pour qu’ils assurent ensuite le retour à un rythme optimal de développement économique et social. Ainsi, les scrutins, notamment présidentiels, seront surtout profitables aux populations et aux entreprises de chaque pays s’ils portent davantage sur des comparaisons de programmes entre candidats, permettant de juger de la crédibilité de chacun d’eux et de mieux imaginer l’avenir économique comme social à travers une vision stratégique précise et cohérente. De plus, l’exigence de bonne gouvernance, désormais considérée comme condition sine qua non d’un développement durable, supposera de la part des nouveaux dirigeants, une meilleure transparence de la chose publique et une disponibilité totale au service des besoins du pays pendant la durée des mandats. Au plan sécuritaire, beaucoup d’annonces ont été faites depuis plusieurs années, à l’intérieur comme à l’extérieur de la région, sur la dangerosité de la situation et sur le renforcement des moyens mobilisés contre les actions terroristes. Les promesses exprimées sont loin d’avoir été toutes tenues et les méthodes utilisées n’ont pas eu l’efficacité attendue. Il est donc essentiel que, cette fois, les nouveaux engagements pris soient rapidement mis en œuvre et suivis d’effets visibles à bref délai.

Les priorités politiques incontestées de l’heure auront donc à mettre en évidence une véritable rupture par rapport à la manière dont les mêmes questions ont été gérées précédemment. Faute de cela, les pays concernés, et sans doute la région toute entière, perdront de précieuses années. Il leur sera alors encore plus difficile de reprendre de manière plus affirmée leur marche vers le développement, et a fortiori de répondre aux défis de démographie, d’urbanisation ou de changement climatique qui se profilent à un horizon de plus en plus proche.

 

Paul Derreumaux

Article publié le 28/01/2020

 

Hommage aux soldats de l’armée malienne et à ses morts

Hommage aux soldats de l’armée malienne et à ses morts

 

L’insécurité qui règne en de nombreux endroits du Nord et du Sud du Mali et la capacité de l’armée malienne à faire front aux terroristes qui menacent le pays sont avec juste raison dans les conversations d’un grand nombre de citoyens. On disserte à l’infini sur les moyens disponibles de l’appareil militaire, sur la place à laisser aux alliés étrangers, sur la stratégie à suivre pour corriger les faiblesses constatées et arriver à une victoire finale face à l’ennemi.

Curieusement cependant, cette armée reste pour beaucoup  « sans visage ». Je n’ai pas lu ou vu jusqu’ici de journalistes maliens retraçant par des reportages le quotidien des soldats, sous-officiers et officiers dans leurs garnisons sur le territoire ou dans leurs patrouilles face à un ennemi difficilement saisissable. Secret défense ? Les responsables militaires ont les moyens de veiller à ce que ces articles ou émissions ne divulguent pas des données à caractère stratégique. De plus, les attaques des terroristes semblent montrer qu’ils disposent de réseaux d’informations et d’infiltration suffisamment efficaces pour ne pas dépendre de ces analyses de non-professionnels de la guerre. Manque de moyens financiers des médias nationaux ? Sans doute, mais il est vraisemblable qu’ils trouveraient assez aisément des contributions financières, publiques ou privées, nationales ou étrangères, pour les aider si nécessaire dans ce travail alors que les plus hautes Autorités ont bien déclaré que le pays est en guerre et que l’Etat doit mettre en valeur ceux qui portent l’essentiel de son poids. Ces reportages seraient pourtant utiles à divers points de vue. Ils montreraient à nos militaires que le pays s’intéresse à leur destin et à leurs attentes, mais aussi aux difficultés et souffrances qu’ils doivent endurer, et contribueraient ainsi à renforcer leur moral. Ils donneraient à tous les citoyens une meilleure connaissance et compréhension de ce que vivent et pensent ceux qui sont au front, permettraient d’éviter les désinformations ou les scénarii complotistes sans fondement. Ils amèneraient ainsi à faire évoluer vers une meilleure communion les troupes qui risquent leur vie et le peuple qu’ils défendent. Difficultés pratiques ? Certes. Mais le Mali compte de bons journalistes. En outre, la multiplication de telles enquêtes conduirait à l’amélioration progressive de leur qualité. En ce domaine aussi d’ailleurs, la coopération internationale pourrait jouer un rôle d’accompagnement pour éviter que seuls les grands médias étrangers nous content la vie des Forces Armées Maliennes (FAMA) et l’âpreté de leurs combats.

Mais ce manque de personnalisation parait encore plus pesant et cruel vis-à-vis des soldats qui ont perdu leur vie.  2019 n’a pas été en effet une année comme les autres. Hors de Bamako, l’insécurité a explosé en de nombreux endroits, et les militaires maliens, plus encore que leurs alliés de la France ou de la Minusma, ont lourdement souffert en pertes de vies humaines durant cette période. Plusieurs drames collectifs, Mondoro, Boulkessi, Indélimane pour les plus récents, ont frappé au cœur la nation et ému le monde entier, et ont visé directement des camps militaires tandis que de nombreuses mines ont entrainé d’autres victimes. En lisant les commentaires, souvent trop lapidaires, relatant les horreurs constatées, quelques vers, terribles, de Victor Hugo racontant la campagne de Russie de l’armée napoléonienne remontent inévitablement en mémoire :

            « …Toutes les nuits, qui vive ! alerte, assauts ! attaques !

            Ces fantômes prenaient leurs fusils, et sur eux

            Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux,

            Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves,

            D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes fauves.

            Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait. ».

Comment ne pas se sentir concernés par la vision de ces jeunes hommes et de leurs ainés confrontés à des assaillants sans doute plus aguerris, plus lourdement armés et plus déterminés à tuer, voire à massacrer ? Comment ne pas souhaiter en savoir davantage sur eux pour qu’ils ne soient pas des « fantômes ? Nous n’avons guère que de sombres statistiques égrenant le nombre de décès qui s’accroit à trop grande vitesse. Pas de reportage sur le terrain qui puisse nous aider à essayer de comprendre l’innommable et à mieux connaitre les disparus et partager le deuil de leurs familles. Qui étaient-ils finalement ? De quelle région et de quel village étaient-ils originaires ? Représentaient-ils bien à eux tous la mosaïque si harmonieuse des populations du Grand Mali -bambaras, sarakolés, peuls, sonrhai, et tous les autres-, unis dans le même combat de défense des valeurs de tolérance et de communauté ancestrale ? Comment ne pas s’intéresser en particulier aux plus jeunes, peut-être les moins expérimentés, mais peut-être aussi les plus vaillants et les plus enthousiastes, fauchés d’un coup par ces attaques ou ces attentats aveugles, enlevés à l’affection des leurs et à leur destin ?

Avec cette meilleure connaissance des soldats disparus et la force des relations sociales au Mali, il est certain qu’un très grand nombre de familles serait directement concerné par ces victimes, aidant les plus proches de celles-ci à mieux supporter leur peine, et que le pays tout entier renforcerait encore son appui et sa solidarité aux FAMA.

Ce surcroit de solidarité autour des forces nationales au combat pourrait enfin contribuer au sursaut national que tous appellent de leurs vœux face à l’impitoyable menace terroriste. Car la situation, quelque difficile qu’elle soit, ne peut conduire au découragement. L’Histoire ancienne a montré les grandes réalisations qu’ont su accomplir le Mali et quelques dirigeants légendaires, et les prouesses parfois réalisées dans les moments les plus sombres. C’est dans les périodes de grande adversité, comme celle connue aujourd’hui, que le génie d’un peuple doit puiser dans ses racines pour trouver les solutions aux problèmes qu’il affronte. Mais c’est dans le présent et non dans le passé que doivent être trouvées les nouveaux chemins à suivre face à ces nouveaux risques. Le contexte dépasse d’ailleurs le cas du Mali et s’étend aussi au Burkina et au Niger, eux aussi très durement soumis aux mêmes outrages. L’heure est donc à une riposte immédiate, multiforme, proportionnée aux attaques subies, et parfaitement coordonnée entre tous les Etats de la région et leurs alliés étrangers. Deux évènements devraient permettre d’initier sans tarder cette réponse.

Au Mali, la toute prochaine Fête de l’Armée pourrait être pour la nation entière une occasion de rendre un hommage exceptionnel à chacun des militaires maliens déjà morts au combat et de montrer à toutes les troupes mobilisées que les citoyens s’identifient à elles et sont prêts à s’associer au quotidien à leurs efforts et à leurs sacrifices. Pour l’ensemble de la région, tous les acteurs, locaux ou extérieurs, qui affichent leur volonté de lutter contre le terrorisme, ont à mettre au point d’urgence ensemble, à Pau ou ailleurs, de nouvelles façons d’opérer en commun, en transparence et sans égoïsme. Toute autre approche ne ferait que le jeu d’un adversaire sans état d’âme, résolu à précipiter le Sahel vers le drame.

Paul Derreumaux

Article publié le 13/01/2020