Afrique de l’Ouest : La Grande misère du secteur de l’habitat – Acte 3 : La contrainte du financement

Afrique de l’Ouest : La Grande misère du secteur de l’habitat

III : La contrainte du financement

 

L’habitat urbain en Afrique de l’Ouest francophone reste à ce jour un parent pauvre de la croissance, ce que traduit la grave insuffisance de l’offre de logements par rapport à une demande en progrès exponentiel  du au fort accroissement démographique et à l’urbanisation accélérée. Aux carences de la question foncière et aux faiblesses des divers acteurs intervenant dans le secteur (1) s’ajoutent en effet les difficultés liées au financement de l’habitat.

Malgré l’évidence des problèmes socio-politiques que génère l’accumulation de « bidonvilles » autour des principales agglomérations, le financement de l’habitat s’est longtemps heurté à des obstacles considérables. Pour les principales institutions financières d’appui au développement, il reste encore considéré comme proscrit, parfois explicitement, en tant que secteur bénéficiaire. Positions doctrinales ? Peur de la spéculation? Les explications peuvent varier, le résultat est le même. Les seules exceptions significatives viennent de structures comme la Banque islamique de Développement (BID) ou, surtout,  l’institution panafricaine Shelter Afrique. Créée en 1981 par la Banque Africaine de Développement (BAD) et une quarantaine d’Etats africains, celle-ci est entièrement dédiée au financement de programmes immobiliers sous forme de prêts aux promoteurs privés ou aux institutions financières locales dans tous les pays subsahariens. Basée à Nairobi, Shelter finance aussi des projets en Afrique de l’Ouest, au Mali et en Cote d’Ivoire par exemple. Ses moyens demeurent cependant encore limités au regard de l’ampleur des besoins sur le sous-continent.

Les systèmes bancaires  locaux  sont aussi longtemps restés peu orientés vers ce secteur. Les banques spécialisées pour l’habitat,  installées dans la plupart des pays, étaient initialement les seuls canaux par lesquels des lignes de crédit internationales étaient destinées à ce secteur. Elles ont souvent été mises à mal par la crise bancaire systémique des années 1980, comme la plupart des banques étatiques. Lorsqu’elles ont subsisté, la forte concentration de leurs concours au bénéfice de promoteurs d’une qualité souvent médiocre ou peu scrupuleux  a conduit plusieurs d’entre elles à la faillite : les banques de l’habitat du Mali et de Côte d’Ivoire ont ainsi du être restructurées en vue d’une fermeture ou d’une fusion. Seule la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) a échappé à cette spirale négative et reste aujourd’hui une banque importante (4ème banque du pays) et en bonne santé. Du coté des banques commerciales, l’insuffisance de ressources longues a été le principal facteur justifiant pendant longtemps leur faible présence dans cette activité. Même si l’argument est fondé, les difficultés d’obtention des garanties hypothécaires et l’appétit toujours prioritaire pour des concours commerciaux à court terme bien rémunérateurs jouent aussi un rôle dans cette frilosité.

Face à ces blocages anciens, le principal changement intervenu depuis le début des années 2010 est le renforcement notable des concours apportés au secteur par les banques commerciales, notamment en matière de crédits acquéreurs. Plusieurs éléments expliquent ce revirement. Les établissements bancaires sont d’abord poussés par la concurrence à diversifier leurs produits, en particulier en direction des ménages devenus un terrain de compétition essentiel entre les grands réseaux : la fidélisation de la clientèle apportée par des concours à long terme, l’exemple des réussites de financement de l’immobilier rencontrées par les maisons mères françaises et marocaines  rendent donc ce secteur très attractif. Le renforcement régulier des capitaux propres sous l’effet des changements réglementaires et la bonne liquidité de la majorité des établissements, le recours possible au nouveau marché financier constituent d’autres facteurs d’assouplissement. Enfin, la constitution en 2010 de la Caisse Régionale  de refinancement Hypothécaire (CRRH) sous l’impulsion de la Banque Ouest Africaine de développement (BOAD) a créé un autre stimulant : la CRRH peut en effet accorder à ses banques actionnaires, au nombre de 54 actuellement sur les quelque 130 banques en activité dans l’Union, des refinancements sur 10 ou 12 ans pour des prêts immobiliers, que la CRRH finance elle-même par des obligations de même durée sur le marché financier de l’Union. En 7 ans d’existence et  autant d’émissions obligataires, la CRRH a déjà apporté 132 milliards de FCFA, soit plus de 200 millions d’Euros, de ressources longues aux banques de la région. Ce nouvel instrument vient d’ailleurs de déclencher un processus vertueux : l’institution allemande KFW et la Banque Mondiale ont consenti en 2017 à la CRRH des prêts à long terme à des taux concessionnels, pour un total d’environ 160 millions d’Euros, qui autorisent des refinancements supplémentaires à des conditions elles-mêmes privilégiées. Ces appuis, et ceux qui pourraient suivre,  permettront de mixer ces ressources concessionnelles à celles issues du marché financier régional et d’abaisser le taux moyen des refinancements de la CRRH en allongeant éventuellement encore leur durée. En moins de 10 ans, le renforcement des concours à long terme dans le portefeuille des banques de l’UEMOA est significatif et pourrait encore croître rapidement.

Malgré ces améliorations, des faiblesses subsistent sur au moins trois aspects. Le premier est celui des taux. Certes ceux-ci ont eux-mêmes notablement diminué, quoique de façon inégale selon les pays, sous la pression de la concurrence et des Autorités monétaires et administratives. Ici encore, le Sénégal montre l’exemple avec des taux souvent inférieurs à 7%. Mais ces taux continuent à entraîner un volume d’intérêts souvent prohibitif sur une période de 15 ou 20 ans et dépassent les possibilités financières de la plupart des ménages en raison de coûts de construction qui demeurent élevés. De nouveaux progrès sont indispensables. La Société Générale  a récemment frappé fort en Cote d’Ivoire en proposant des taux de 5% : son statut de première banque « retail » dans le pays devrait inciter les banques locales à avancer dans cette voie. Le deuxième est celui des garanties : la rareté des titres fonciers, la cherté des hypothèques réduisent les possibilités de prise de garantie conforme aux exigences des banques et de leurs Autorités de tutelle. L’amélioration de la sécurité foncière faciliterait donc l’accroissement des financements immobiliers. De même, la mise en place de garanties alternatives généralement acceptées, telles des cautions hypothécaires apportées par les assurances sous une forme à définir, aurait le même effet positif. L’amélioration des garanties aurait d’ailleurs un impact favorable sur les taux. Enfin, une meilleure « industrialisation » par les banques de ces concours faciles à « formater » et l’entrée de nouvelles banques sur ce marché auront l’avantage de développer une compétition propice à une offre plus abondante et moins chère.

Le domaine du financement apparait donc comme celui qui a fait le plus de progrès dans la période récente dans ce secteur peu favorisé de l’habitat. Ces avancées restent cependant à compléter, notamment pour la durée et le taux des concours comme pour la diversité des prêteurs. Elles devront surtout être accompagnées d’améliorations profondes au niveau de trois autres acteurs. Aux Etats incombent en particulier la responsabilité de la création d’un cadastre global et si possible informatisé, d’une politique fiscale  favorable aux nouvelles constructions et pénalisante pour les spéculateurs, d’une accélération de la viabilisation des zones urbaines. Aux entreprises de construction s’imposent les obligations de performance et de compétitivité grâce à des équipements modernes, des effectifs bien formés et de possibles alliances avec de grands groupes étrangers. Pour les sociétés de promotion immobilière sont requises un meilleur professionnalisme et des moyens financiers adaptés à leurs ambitions. La tache est donc rude mais les enjeux méritent les efforts nécessaires d’innovation. Un secteur de l’habitat dynamique aurait sans nul doute un impact très positif sur le taux de croissance, la richesse nationale, l’emploi, la modernité, les conditions de vie de la population et la paix sociale. En initiant le mouvement, les acteurs nationaux  créeraient un cercle vertueux, auquel pourront adhérer les partenaires étrangers encore hésitants.

 

Paul Derreumaux

(1)  cf. »Afrique de l’Ouest : La grande misère du secteur de l’habitat –« Acte I : Le casse-tête du foncier » et « Acte II : Les difficultés des acteurs » dans  Regard d’Afrique du 3 novembre 2017 et du 5 janvier 2018

Article publié le 16/02/2018

UEMOA : sale temps pour les banques ?

UEMOA : sale temps pour les banques ?

 

Les banques de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ont vu quelques paramètres déterminants de leur activité  brutalement modifiés en ce début 2017.

Celles-ci étaient en effet devenues en quelques années des partenaires de premier plan dans le nouvel environnement mis en place pour le financement régional des besoins des Etats de l’Union en étant des souscripteurs essentiels dans les émissions d’emprunts obligataires publics. Au moins deux raisons expliquent cette situation. Ces titres publics offrent d’abord un rapport sécurité/rémunération de bon niveau : la signature des Etats garantit normalement l’absence de tout besoin de provision durant la vie de l’emprunt et donc de tout prélèvement sur la rentabilité ; les taux offerts, restés jusqu’ici entre 5,0% et 6,5%, sont en conséquence des taux nets et la défiscalisation de ces opérations conduit à un taux encore sensiblement supérieur en terme de contribution au bénéfice. La surveillance portée par les institutions du marché financier régional, tant dans l’émission de chaque emprunt que durant la vie de celui-ci, apporte un confort supplémentaire pour les détenteurs de ces actifs. En second lieu, la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a décidé que les titres émis par les Etats et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) seraient tous éligibles au refinancement qu’elle peut apporter aux établissements bancaires, au même titre que les crédits bénéficiant d’un « accord de classement ». Or, ces accords de classement restent fort difficiles à obtenir, malgré quelques adoucissements apportés au fil du temps par l’Autorité monétaire : les critères comptables que doivent respecter les entreprises à qui sont attribués les concours sont en effet rigoureux au regard de l’environnement économique et des méthodes de fonctionnement de la quasi-totalité des entreprises de l’Union, et les accords de classement sont rares et peuvent aussi être brutalement supprimés au vu de mauvais résultats d’un exercice social.

Compte tenu de ces divers paramètres, les titres publics sont désormais pour les banques le support privilégié pour leurs éventuels refinancements mais aussi une composante croissante de leurs actifs. On note ainsi en 2016 que les titres publics représentent près de 30% des emplois bancaires et qu’ils croissent à un rythme nettement plus rapide que les concours à l’économie –respectivement 7,1% et 4,5% durant le premier semestre de l’année dernière-. Dans le même temps, les banques ont bénéficié de refinancements de la BCEAO pour un montant proche de leurs nouvelles souscriptions aux titres d’Etat. Les modalités de fonctionnement des deux guichets de refinancement ouverts par la BCEAO ont facilité cette évolution : le recours au guichet principal est certes resté réglementé et limité, mais la plus grande liberté de fonctionnement du guichet marginal et son coût modeste en ont fait un vecteur privilégié et les niveaux de son utilisation ont connu un grand développement. A fin juillet dernier, les refinancements basés sur ces titres dépassaient 3100 milliards de FCFA et donc la limite de 35% des recettes fiscales de l’UNION pour l’année 2014.

Deux décisions de la BCEAO de décembre 2016 ont brutalement remis en cause ces mécanismes : limitation des refinancements à 200% des fonds propres de l’établissement emprunteur, cette limite étant applicable dès fin juin 2017; relèvement significatif immédiat des taux pratiqués, surtout sur le guichet marginal, par ailleurs supprimé début avril 2017. Avec cette politique nouvelle, la Banque Centrale poursuit plusieurs  objectifs. Elle souhaite d’abord orienter davantage les banques vers les concours aux entreprises et ménages, en vue d’une contribution plus active au développement de l’économie régionale. Elle veut aussi encourager les banques à recourir  au marché interbancaire qui se développe insuffisamment à son gré et demeure surtout limité pour l’instant aux prêts à court ou très court terme, et entre établissements d’un même groupe.

Ces deux principales cibles ne sont pas aisées à atteindre. La confiance entre les banques est encore fragile et n’évoluera que lentement. La montée des risques de crédit freine par ailleurs les ardeurs des banques, notamment vis-à-vis de cibles difficiles comme les Petites et Moyennes entreprises (PME). En revanche, l’effet des mesures sur la participation des banques aux souscriptions de titres publics a été immédiat. Durant les quelques semaines qui ont suivi, les émissions de Bons et Obligations de quelques Trésors Publics n’ont pu être entièrement souscrites par des banques craignant pour leur liquidité. Les émissions suivantes ont en outre été marquées par des taux en hausse notable pour faciliter le placement des titres mis sur le marché. Pour rassurer les banques et lever les inquiétudes possibles de certains Etats quant au financement de leurs besoins de trésorerie, la BCEAO a pris rapidement deux autres mesures ; abaissement de 5% à 3% du coefficient de réserves obligatoires, libérant de la trésorerie à due concurrence ; augmentation massive du montant mis en adjudication de l’injection hebdomadaire de liquidités, de façon à réduire le recours au guichet de prêt marginal.

Il faudra sans doute quelque temps pour savoir si ces différentes dispositions permettent de retrouver un nouvel équilibre satisfaisant pour toutes les parties en jeu. Dans tous les cas, chaque acteur aura à réaliser de nouveaux efforts. Pour les Etats, le levier du marché régional obligataire, solution de plus en plus utilisée ces dernières années, sera sans doute moins aisé, ce qui imposera, pour ne pas retomber dans les excès d’endettement extérieur, des efforts accrus en matière d’impôts et de droits de douanes : les ratios « Recettes fiscales/ Produit Intérieur Brut » peinent en effet à atteindre le seuil souhaité de 20%, tant par suite de la structure présente des impôts que de l’efficacité de leurs recouvrements. Pour le secteur bancaire, actuellement déjà soumis dans la zone aux contraintes résultant du passage des normes de Bâle I à celles de Bâle III, il va s’agir de s’adapter aux nouvelles règles par l’identification de produits de substitution ou une augmentation supplémentaire des fonds propres. Il pourrait en résulter une baisse au moins provisoire de la rentabilité.

Alors, sale temps pour les banques ? Pas si sûr. Les réformes structurelles sont souvent indispensables pour ne pas tomber dans la facilité et pour fonder de nouveaux progrès. La fin des placements de trésorerie rémunérateurs offerts par la BCEAO dans les années 1990 n’a pas empêché, bien au contraire, les établissements bancaires de poursuivre leur expansion et de  gagner une santé florissante. Elle a en même temps fortement contribué à développer les crédits à l’économie et à renforcer le rôle des banques. Une nouvelle fenêtre d’opportunités peut ainsi déboucher des récents changements si certaines conditions sont réunies. La transformation des moyens de paiement devrait accroitre fortement les ressources drainées si les systèmes bancaires prennent bien leur part à la révolution digitale en cours. La multiplication tant souhaitée des PME et des crédits à l’habitat offre des possibilités immenses si les banques réussissent enfin à mettre au point des formules leur permettant une plus grande implication sans augmenter à l’excès les risques encourus. Une modération volontaire et provisoire des dividendes versés et un plus grand recours aux marchés financiers pour des augmentations de capital apporteraient les suppléments de ressources propres requis pour des investissements dans l’organisation, la modernisation, les gains en productivité permettant de mieux franchir de nouvelles étapes.

Comme dans l’art de la guerre, la meilleure défense des banques sera leur capacité de reprendre l’offensive. Elles en ont, ou peuvent trouver, les moyens financiers et peuvent s’appuyer sur une forte attente de leur clientèle et sur le soutien probable des Autorités politiques et administratives. Celles qui passeront le plus vite à l’acte dans ces mutations structurelles seront très certainement celles qui transformeront le mieux cette phase délicate en facteur de succès. 

Paul Derreumaux

Article publié le 28/04/2017