Mali: premier tour de l’élection présidentielle

Quelques leçons du premier tour de l’élection présidentielle au Mali

 

L’élection présidentielle du 28 juillet 2013 a bien eu lieu, à la date fixée et dans des conditions qui sont jugées suffisamment acceptables. Les faits ont donc donné  raison aux optimistes et à ceux qui voulaient sortir au plus vite le Mali du drame où il se trouvait.  Certes, les mécontents et les puristes pourront toujours dire que ces élections n’étaient pas parfaitement organisées et, notamment, qu’une partie des populations déplacées ou de l’importante diaspora, surtout parisienne, n’ont pas pu voter. C’est une réalité et le retard mis par la Cour Constitutionnelle à valider les résultats provisoires du premier tour tend à le confirmer. Toutefois, le pari était tellement ambitieux que cette étape peut être considérée comme correctement franchie, le nombre des électeurs n’ayant pu voter par défaut de carte « Nina » ou de bureau de vote ne paraissant pas d’un effectif à changer les résultats obtenus.

Cette première phase de la désignation du nouveau Président du Mali n’est que le point de départ du processus de remise en ordre du pays. Celui-ci comporte encore de nombreuses incertitudes : maîtrise des tensions inévitables avant le probable second tour ; qualité de la préparation et du déroulement du vote du 11 août ; crédibilité du résultat final de l’élection et reconnaissance optimale de celui-ci par l’ensemble du pays; rapidité de la mise en place d’un Gouvernement et appréciation de sa composition par la population ; pertinence et audience des premières mesures politiques, économiques et sociales qui seront adoptées.

Pour l’heure, quelques premières leçons peuvent cependant déjà être tirées de cette étape.

La première est la force de l’engagement sur le terrain de la grande majorité des candidats. Après quelques hésitations pour certains, ceux-ci ont admis que le scrutin se tiendrait effectivement à la date fixée, et se sont tous lancés activement dans la campagne. Il est vite apparu que les candidats pouvaient être rassemblés en trois groupes : les trois ou quatre « ténors », disposant de moyens financiers importants et s’appuyant sur un parti bien structuré; les postulants moins renommés mais qui pouvaient compter sur un « lobby » organisé et/ou possédaient des moyens personnels substantiels ; des candidats plus modestes, exprimant une sensibilité spécifique ou une ambition personnelle, au moins pour un poste de Ministre à défaut de celui de Président. La forme, le nombre, le contenu et le calendrier d’installation des panneaux de campagne placardés dans Bamako illustrent parfaitement cette typologie. Ceux promouvant les candidats du premier groupe ont été les premiers mis en place, les plus présents et les mieux faits, contribuant ainsi à accroitre l’écart d’audience avec les représentants des autres groupes. Même si la présence de nombreux candidats a été bénéfique pour la vitalité de la campagne, le nombre total atteint – 27 personnes validées – apparait cependant véritablement élevé et l’engagement financier requis pour les candidatures pourrait utilement être revu à la hausse dans cinq ans.

La seconde, qui est sans doute la leçon la plus positive tirée de ce scrutin, est le taux record de participation du corps électoral. Avec environ 50% des inscrits, le quorum des votants dépasse largement tous ceux observés sur les quatre présidentielles qui se sont succédé de 1992 à 2007. Les Maliens n’ont donc été rebutés ni par les menaces réelles qui pesaient sur l’évènement, ni par les difficultés qui ont marqué la préparation, l’organisation et les modalités du vote. Au contraire l’enjeu parfaitement appréhendé de ce scrutin, qui s’apparente à celui constaté dans des votes analogues effectués récemment dans des nations en « sortie de crise » – Irak, Tunisie, Egypte,..-, explique l’engouement observé, comme dans ces autres pays, malgré les risques encourus par les électeurs. Il montre combien les nationaux étaient pressés de mettre fin à la situation subie depuis près de seize mois. En la matière, le nombre élevé de candidats a pu jouer favorablement  sur ce résultat, compensant partiellement les freins que constituent le maintien d’un fort analphabétisme chez les personnes en âge de voter et le nombre important de bulletins nuls dont la fréquence interpelle.

La troisième leçon est liée aux constats nés de la distribution des voix selon les candidats. Celle-ci montre d’abord le paradoxe entre une forte concentration d’environ 60% des voix sur deux candidats, d’une part,  et une bonne dispersion du reste entre l’ensemble des autres candidats, d’autre part. Elle met aussi en évidence que, parmi les quatre personnes les mieux placées, trois sont des personnalités ou des dirigeants de partis ayant déjà gouverné, y compris sous le régime du dernier Président élu et renversé. Face à la situation si difficile du pays, une prime a donc été clairement donnée à l’expérience, malgré les appels à « l‘aggiornamento »  et au rejet du système antérieur clamés par de nombreux électeurs ou partis politiques. Aucun des jeunes candidats n’a pu convaincre les électeurs qu’il pouvait être l’homme (ou la femme) providentiel (elle) qui guérirait le pays de tous ses maux. Enfin, l’échec de l’ADEMA, parti dominant depuis plus de vingt ans, qui rassemble ici moins de 10% des votants, est patent. De plus, les turbulences nées des choix hésitants de ralliement pour le deuxième tour pourraient conduire à l’éclatement final de ce mouvement qui a été le berceau des initiatives démocratiques au Mali depuis la révolution de 1991.

Une autre observation majeure est celle des déterminants qui paraissent avoir guidé le choix des électeurs dans ce « tour éliminatoire ». Comme pour les élections précédentes et comme dans la plupart des pays d’Afrique, les votants semblent s’être avant tout prononcés pour ou contre des personnalités, jugées les mieux adaptées à l’environnement de l’heure, plutôt que pour ou contre des programmes de gouvernement. La foi, plus ou moins instinctive, dans les qualités ou l’expérience d’un candidat, les affinités régionales, claniques, religieuses ou tribales avec celui-ci ont été plus décisives que  l’adhésion à une vision à long terme du pays et aux projets permettant de l’atteindre. De telles constructions du futur ont d’ailleurs été rarement dessinées avec précision par les candidats et ceux-ci se sont souvent contentés de slogans simples mais susceptibles de ratisser large. Les chefs religieux sont apparus plus présents qu’auparavant dans la campagne et se sont parfois engagés fermement aux côtés d’un candidat, à l’instar de la situation plus classiquement rencontrée au Sénégal. Les personnes en lice ont sans doute toutes cherché un soutien financier ou moral auprès des Etats voisins ou proches du Mali : ces soutiens, lorsqu’ils ont été effectifs, ont été relativement discrets et ont du se répartir au profit des candidats les plus médiatisés.

La montée rapide des tensions apparues dès le lendemain du 28 juillet et les divers retournements d’alliances, souvent surprenants, intervenus durant « l’entre-deux votes » ont été un autre élément marquant, après une campagne pour le premier tour où les clivages avaient paru plus aisés à comprendre. En particulier, le ralliement des candidats malheureux, et de leurs partis, à l’un ou l’autre des deux finalistes semble se faire dans une certaine confusion. Des points sur lesquels s’appliquaient des avis tranchés, soit sous la forme d’un consensus, soit sous celle de franches divergences, apparaissent désormais souvent dans des contours plus flous : cette évolution risque d’être difficile à gérer pour le futur Président qui pourrait voir sa liberté de manœuvre réduite par certaines positions  de ses alliés de la dernière heure. Des déclarations de leaders du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) ajoutent à la confusion face à l’unanimisme de la politique de fermeté des candidats sur ce thème. En un mot, les derniers débats ont été davantage dominés, à quelques rares exceptions près, par des questions moins essentielles et par une vraisemblable course aux postes, un peu comme si l’ampleur des enjeux de la période repassait au second plan.

Ce constat peut inquiéter et même la tenue dans des conditions acceptables du second tour ne devra pas  endormir les vigilances. Les défis qui attendent le futur Président ne se sont en effet atténués en rien: qu’ils soient sécuritaires, militaires, politiques, diplomatiques, administratifs, économiques ou sociaux, ils présentent toujours la même gravité exceptionnelle et celle-ci ne fait que se renforcer avec le temps qui passe inexorablement. L’impatience des populations s’est déjà manifestée avec leur intensité inhabituelle de participation au choix du Président. Leur méfiance reste également vive, suite aux nombreux échecs du passé. Face aux besoins majeurs qui sont tous clairement identifiés – Etat juste et fort, restauration pleine et entière de l’intégrité du territoire et du sentiment d’appartenance nationale, lutte contre la corruption, réduction des inégalités, croissance économique et progrès social, .. -, toute déception provoquée par les nouveaux pouvoirs pourrait rapidement donner lieu à de nouvelles contestations difficilement maitrisables. Celles-ci réduiraient alors à néant toutes les espérances de redressement auquel chacun aspire désormais après 18 mois de descente aux enfers.

Paul Derreumaux

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