Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) :  succès, défis et ambitions

Vingt-cinq ans après son ouverture en septembre 1998, la BRVM reste une exception, en Afrique comme ailleurs. Entité unique pour les 8 pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), elle offre un marché étendu à l’ensemble de l’Union – 168 milliards d’EUR de Produit Intérieur Brut ; 137 millions d’habitants -pour toutes les émissions en actions et obligations, agréées par les Autorités de la Bourse, des entreprises résidentes et des Etats de l’Union, et ouvert à tous les souscripteurs locaux ou étrangers selon les dispositions légales en vigueur.

Pour ses 25 ans, la BRVM fait fort en s’installant au 5ème rang des 28 pays africains possédant une bourse mobilière. La capitalisation boursière de 12,9 milliards de USD (12,1 milliards d’EUR) au 30 septembre dernier de son compartiment actions la fait en effet passer devant son homologue est-africaine de Nairobi et juste derrière celles de deux grands poids lourds des économies continentales : Nigéria et Egypte. Certes, ce montant ne représente encore que 12,5% des actifs en actions du leader Johannesburg Stock Exchange, mais la performance est de taille après la grande dépression des cours qui avait frappé la BRVM de 2016 à fin 2020. Le repli des indices avait alors été d’environ 60% et n’a été depuis lors que partiellement effacé malgré plus de deux ans de reprise. Trois principaux facteurs expliquent cette bonne nouvelle au plan continental. Deux tiennent à un environnement favorable : une croissance économique de l’UEMOA proche de 6%/an en moyenne sur la dernière décennie, plus forte et plus régulière que celle de nombreuses autres régions du continent ; surtout, une monnaie plus résistante aux fluctuations du Dollar ces dernières années alors que les perturbations monétaires étaient sévères pour les compétiteurs. Le troisième est directement lié aux actions menées en permanence par les équipes de la BRVM pour renforcer et moderniser son organisation, élargir le périmètre de ses activités, améliorer son attractivité en termes de prix et de qualité de service, mieux segmenter le portefeuille des titres à la cote, ou étoffer la coopération avec d’autres bourses, africaines et extérieures au continent. La cotation en continu et la création de l’indice Prestige illustrent ces transformations en profondeur. L’entrée sur le marché fin 2022 de la valeur Orange-Côte d’Ivoire en a été le dernier témoignage. puisqu’elle a boosté d’un coup la capitalisation globale de12,5%.

La BRVM dispose en outre d’un compartiment obligataire qui a pris une importance remarquable : son encours s’élève en effet aujourd’hui à près de 16 milliards d’EUR. Concentré à près de 95% sut les titres publics, il constitue une importante source d’activité et a largement contribué à l’audience régionale comme aux bons résultats financiers de la BRVM.   

A partir de ces atouts, la BRVM peut s’attaquer à de nouveaux défis pour consolider sa position. A court et moyen terme, trois d’entre eux apparaissent prioritaires par leur impact. Le premier serait de renforcer l’utilisation du marché financier par les entreprises régionales, déjà cotées ou non. Plusieurs instruments existent en effet à cette fin : augmentations de capital, émissions d’obligations, plus récemment titrisations de créances. Ces outils ont prouvé leur efficacité à travers les quelques opérations déjà intervenues et toutes réussies, mais ils restent très sous-employés. Il faut maintenant montrer davantage leurs avantages techniques, juridiques, et stratégiques aux émetteurs privés potentiels, convaincre ceux-ci qu’ils ne souffriront pas de la concurrence des émissions publiques de plus en plus nombreuses, simplifier et accélérer les procédures d’émission de titres de dette, et veiller à la compétitivité de ces types de financements par rapport aux concours de banques devenues plus puissantes et plus agressives vis-à-vis des grandes entreprises. La hausse récente, et sans doute durable, des taux d’intérêt, les difficultés croissantes de mobiliser des ressources hors de l’Union, le gonflement des besoins lié aux bonnes performances d’ensemble des grandes entreprises et à l’impossibilité pour les banques de les satisfaire tous, les nouvelles exigences en fonds propres pesant sur les institutions financières sont autant de facteurs favorables à une telle expansion, dans l’univers monétaire stable de l’Union. Le second challenge est d’élargir encore le nombre d’entreprises inscrites à la cote, grâce à cette même politique de renforcement et de mise en valeur des bénéfices qui peuvent y être liés. Depuis sa création, la BRVM a réussi à augmenter de 50% le nombre des sociétés de son compartiment actions. Il est maintenant de 46, et a gagné notamment certains des plus beaux noms des secteurs de la finance et des communications. Leur bonne santé, leur distribution régulière de dividendes élevés participent à l’appétit pour ces opérations des investisseurs régionaux et étrangers. Cependant, on note à la fois que la Côte d’Ivoire truste encore 31 lignes – 67% du total – et que plusieurs secteurs économiques essentiels -industrie, distribution, agriculture, logistique – sont sous-représentés. Elargir géographiquement et sectoriellement l’empreinte de la BRVM dans la région est donc bien une piste majeure pour augmenter sa puissance et son audience. Cette ambition était déjà présente pour le lancement de la Bourse régionale en 1998, en particulier en espérant donner à la nouvelle structure un rôle clé pour les nombreuses opérations alors envisagées. Cet objectif n’a pu être atteint, mais certaines opérations de ce type restent en attente. Surtout, l’essor économique de l’Union a fait naître de nouvelles opportunités : nouveaux groupes industriels et financiers, filiales d’entreprises internationales récemment installées, vente en bourse de participations de fonds d’investissement dans des entreprises locales –les IPO -.   Enfin, le volume des transactions sur le marché secondaire des actions demeure modeste, malgré la densification de ces échanges intervenue dans la période récente : environ 1 million d’EUR/jour en moyenne, soit à peine 2% de la capitalisation. Le comportement surtout patrimonial des actionnaires locaux, éloigné des modalités de gestion des anglosaxons, explique en bonne part cette faiblesse. Pourtant les mentalités peuvent évoluer à force de formation et d’animation, comme le montrent les mouvements soudains de cours, observés lors des opérations capitalistiques récentes réalisées   sur les banques BICICI et Orabank ou actuellement pressenties sur d’autre titres.

Pour réussir ces défis, l’essentiel des actions requises continuera à reposer sur la BRVM elle-même : poursuivre les innovations techniques, la compétitivité des coûts et la qualité du contrôle et de l’organisation. Une coopération active avec les Etats sera aussi nécessaire pour obtenir d’eux des mesures concrètes d’encouragement au profit des agents économiques faisant appel au maché financier et veiller à un traitement équilibré entre les émetteurs publics et privés pour éviter tout sentiment d’inégalité et toute crainte d’éviction.

La détermination et la cohérence avec lesquelles les Responsables de la BRVM mènent depuis longtemps leur stratégie de croissance et de structuration permettent d’être optimistes pour l’avenir. Certes, une nouvelle avancée dans le classement continental parait très improbable à moyen terme en raison de l’écart qui nous sépare des précédents. L’ambition doit donc surtout être interne en visant un renforcement notable du poids des financements désintermédiés dans l’Union et une concurrence stimulante entre les circuits financiers existants. En réussissant ce challenge, la BRVM assumerait bien son rôle d’un meilleur ancrage de l’Union dans les évolutions dominantes des systèmes financiers.

Paul Derreumaux

Article publié le 09/11/2023

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *