Banques subsahariennes : premier avertissement…

Banques subsahariennes : premier avertissement…

Une fois n’est pas coutume. C’est par de mauvaises nouvelles que les banques subsahariennes se sont plutôt jusqu’ici illustrées en 2016. Certes, leur forte croissance depuis plus de vingt ans, leurs larges bénéfices, l’accroissement rapide du nombre d’acteurs, la modernisation constante du secteur restent d’actualité. Mais les évènements ont montré que, à côté des aléas de la croissance économique et des coups de boutoir des concurrents, d’autres risques menacent et mettent en évidence des zones d’ombre parfois inquiétantes.

En République Démocratique du Congo (RDC), la Banque Internationale pour l’Afrique Centrale (BIAC), 4ème banque du pays, au large réseau d’agences, est en situation de crise depuis février 2016. Les dirigeants plaident un manque de liquidités provoqué par l’arrêt brutal d’une ligne permanente de refinancement de la Banque Centrale, alors que l’Etat lui-même reste grand débiteur de la BIAC. De leur côté, les Autorités reprochent des erreurs de gestion au management, et le refus de l’actionnaire unique de recapitaliser l’institution à hauteur de la croissance qu’elle a connue. Dans ce pays aux structures économiques et financières encore fragiles, les interférences politiques ont pu exacerber la crise observée et rendre difficile une intervention efficace de la Banque Centrale : celle-ci a d’ailleurs adopté des positions fluctuantes et parfois discutables pour juguler la crise. Quatre mois après le début de ses difficultés, la BIAC semble encore dans l’œil du cyclone malgré le changement de Direction Générale  et la remise en place de lignes de facilités au profit de l’institution. Les défaillances simultanées des actionnaires, de l’Etat et de la Banque Centrale ont donc convergé pour mettre en risque de faillite une des premières banques du pays – les structures à capitaux familiaux comme la BIAC représentent encore environ 50% du total des bilans des banques de RDC-, compromettre des années d’effort de remise en ordre et effriter une confiance encore modeste des populations envers leurs institutions bancaires.

L’accident de Kinshasa ne surprend pas fondamentalement en raison de la jeunesse et de la fragilité d’un système bancaire encore en reconstruction. Des évènements de même nature se déroulent cependant en 2015 et 2016 dans un pays réputé beaucoup plus solide : le Kenya. En neuf mois, trois banques ont été successivement fermées par les Autorités pour leur incapacité à respecter la réglementation en vigueur : Dubaï Bank, Impérial Bank et Chase Bank. Dans cette nation connue par la puissance et la technicité de son système bancaire, la brutalité et la succession rapprochée de ces défaillances surprennent. Certes, le Kenya a traversé à nouveau de fortes perturbations monétaires en 2015, qui ont entrainé une crise généralisée de liquidités dans le système bancaire au second semestre. Les ratios prudentiels très contraignants du pays devaient permettre une traversée sans encombre excessive de ces turbulences, mais plusieurs établissements ont  rencontré sur la période diverses difficultés internes qui ont imposé l’arrêt de leurs activités. Dubai Bank, la première touchée dès août 2015, était la plus petite des 43 banques kenyanes : elle s’est trouvée rapidement en crise de liquidités et de fonds propres face au brusque resserrement des prêts interbancaires. En l’absence d’actionnaires suffisamment crédibles, sa fermeture a été ordonnée par la Banque Centrale du Kenya (CBK). Pour l’Imperial Bank, des fraudes massives de l’équipe dirigeante sur une longue période ont été mises au jour en octobre 2015. La banque, de moyenne importance -19ème dans le classement par total de bilan-, a donc été placée sans délai et jusqu’à fin mars 2016 sous l’administration provisoire de la Kenya Deposit Insurance Corporation (KDIC) chargée de la protection des dépôts du système bancaire. Grâce à la KDIC, deux des plus importants établissements kenyans ont été chargés d’assurer un retour à la liquidité des dépôts les plus modestes à compter de décembre dernier. Le remboursement des clients créditeurs plus importants et la remise en marche de la banque sont en revanche encore en attente et le délai initial de fin mars a été reporté de trois mois. Ces évènements et le caractère frauduleux de la faillite d’Imperial Bank, survenu en dépit du contrôle rapproché de la CBK, ont provoqué une méfiance croissante vis-à-vis des banques moyennes et des transferts notables de ressources vers les « majors » de la profession. Les difficultés rencontrées par une troisième banque kenyane, la Chase Bank, traduisent partiellement l’effet direct de cette « transhumance » des ressources. En très forte croissance depuis quelques années, audacieuse dans ses prises de risques, partiellement appuyée sur un actionnariat international de premier plan, Chase Bank est en 2015 une des étoiles montantes du panorama bancaire kenyan. Elle subit pourtant, comme toutes ses consoeurs de la catégorie des « Tier II », de lourdes ponctions de trésorerie fin 2015 et début 2016. Les doutes portés sur certaines opérations des dirigeants et la propagation extrêmement rapide de ces rumeurs viennent ajouter un facteur de méfiance supplémentaire et un nouvel important repli des dépôts. Echaudée par les précédents des deux autres banques, la BCK prend en urgence la décision d’arrêt des activités de Chase Bank et la place sous administration provisoire de la KDIC. Elle engage cette fois immédiatement les négociations pour le redémarrage de l’établissement et celui-ci rouvre ses portes le 27 avril sous la gestion de la Kenya Commercial Bank (KCB), première banque du pays. Le risque était grand en effet de voir s’accentuer une fuite des dépôts qui aurait pu fragiliser d’autres banques, perturber la distribution du crédit et développer un impact négatif sur les variables macroéconomiques.

Les exemples congolais et kenyan rappellent, toutes proportions gardées, les jours sombres de la décennie 1980, où fermetures et défaillances des banques africaines ont pris un tour systémique. Ils nous font craindre surtout que de telles mésaventures  menacent d’autres régions, telle la zone francophone. Même si les environnements de la RDC et du Kenya sont fort distincts, ces accidents ont en effet des causes communes.

La première réside dans les spécificités d’un environnement financier africain encore caractérisé par une forte préférence des individus et des nombreuses sociétés informelles pour la monnaie fiduciaire, d’une part, et par une multiplication récente des établissements bancaires dans chaque pays, d’autre part. Le premier élément explique que la plupart des déposants soient prompts à retirer leur argent des comptes bancaires et à fonctionner en « cash ». Le second atténue la traditionnelle inertie des clients africains face à des crises bancaires, dont ils ont souvent été victimes dans le passé et qui leur ont parfois fait perdre une part importante de leur épargne. Cet élément prend une force particulière dans un pays comme le Kenya, où une culture bancaire sophistiquée s’est généralisée, où la clientèle a de nombreux choix possibles qu’elle peut et sait comparer et où les nouvelles se diffusent et enflent avec la force des nouveaux moyens de communication. En la matière, le cas de la Chase Bank pourrait préfigurer des crises futures.

Le deuxième facteur est lié aux banques elles-mêmes. Beaucoup des établissements les plus dynamiques, poussés par leurs actionnaires, privilégient la profitabilité à court terme. La vivacité de la concurrence entre acteurs, la volonté de gagner des places sur chaque marché amènent à prendre des risques de plus en plus élevés. En matière de crédits par exemple, les ratios Dépôts/Crédits progressent partout, allant souvent à des niveaux jamais atteints. Ceux-ci restent certes éloignés des valeurs observées en Europe, mais les banques subsahariennes travaillent la plupart du temps en dehors des refinancements de leurs Banques Centrales. Synonyme d’une plus grande liberté d’action, cette situation porte aussi en elle le germe de risques potentiels élevés en cas de contraction de la liquidité ou de détérioration des portefeuilles qui rendraient brutalement les banques dépendantes de leurs Autorités de contrôle ou d’autres prêteurs. De plus, les crédits accordés restent insuffisamment orientés vers le financement des investissements productifs : les banques contribuent donc encore peu à la diversification et à l’approfondissement des appareils économiques, condition sine qua non de leur propre renforcement à moyen terme. Enfin, le grand appétit pour les dividendes, de façon à rentabiliser les lourds investissements et répondre aux souhaits des actionnaires des maisons mères, ralentissent parfois la progression des fonds propres pourtant indispensable.

La troisième cause provient des Autorités de régulation et de contrôle elles-mêmes. Comme partout dans le monde, les législations bancaires nationales ont connu en Afrique d’importants durcissements  progressifs depuis une trentaine d’années. Les nouveaux dispositifs s’avèrent pourtant encore insuffisamment solides par comparaison aux croissances et transformations impressionnantes des banques subsahariennes sur la même période, et à la multiplication des nouveaux risques qui les a accompagnées. C’est le cas de la BIAC, petit établissement devenu en vingt ans une grande banque à réseau. C’est le cas des banques kenyanes où les initiatives pullulent en termes de nouveaux produits dans un milieu exceptionnellement concurrentiel et sophistiqué, avec des garde-fous règlementaires parfois complexes à expérimenter. En outre, l’arsenal réglementaire s’était jusqu’ici peu penché sur les scénarii de faillite de banques, hypothèse sans doute considérée comme théorique à court terme dans un univers bancaire en pleine expansion. Alors que la Banque Centrale Européenne concentre par exemple une bonne part de ses réflexions sur les cas possibles de « résolution » de crise, les Autorités monétaires subsahariennes affrontent ces difficultés au coup par coup. En l’absence de stratégie globale, la gestion de ces situations peut donner lieu à des appréciations instables susceptibles de générer de nouvelles  difficultés.

La zone CFA a échappé à ces tensions dans la période récente. Son système bancaire tout autant que son arsenal prudentiel recèlent pourtant des faiblesses sans doute aussi grandes qu’au Kenya. Elle doit donc profiter de cet avertissement pour s’armer davantage et écarter autant que possible les dangers de toutes sortes, toujours présents.

Paul Derreumaux

Article publié le 29/06/2016

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