CARNET DE VOYAGE A NEW YORK : Politique (d’abord), business et légendes

La politique a une nouvelle fois animé les médias la semaine dernière à New-York, comme dans le reste des Etats-Unis, après avoir été partiellement éclipsée quelques jours par deux faits divers : une loterie dont l’heureux vainqueur allait recevoir 1,7 milliard de USD ; les préparatifs du mariage de la chanteuse Taylor Swift avec une star du football américain.

Une fois n’est pas coutume, la France a occupé le devant de la scène le lundi 8. « Beyrou ousted », « la France, homme malade de l’Europe » : la BBC, qui a le plus traité le sujet – les chaines tricolores comme la langue française sont désormais rarement présentes dans le pays- n’a pas été tendre avec les politiques parisiens et leur inconséquence budgétaire et financière. Les télévisions américaines et leurs multiples commentateurs lui ont emboité le pas, sans doute pas fâchés pour la plupart de voir la France, si souvent donneuse de leçons, être frappée par cette démission forcée.

A peine le nouveau Premier Ministre français installé mardi dernier, les débats revenaient   surtout sur les décisions du Président Trump ou sa situation personnelle : déploiement de la garde nationale à Chicago, dossier Epstein, lutte contre les immigrants,..

Mais tout a basculé le 10 septembre avec l’assassinat en direct à la télévision de Charlie Kirk, 32 ans, « influenceur » vedette du camp républicain, proche de Trump et de Vance. M. Kirk, par ses discours tranchants, incarnait parfaitement les idées et les combats de la stratégie MAGA. Abattu en plein meeting, sa mort et la chasse à son assassin, dont l’arrestation a été annoncée le 12, ont été à la une depuis lors. Ce drame a eu lieu à la veille de la commémoration de la catastrophe du 11 septembre 200I. Il rappelle aussi d’autres heures tragiques de la vie politique américaine et, dans le climat déjà tendu qui prévaut, fait craindre par les analystes nationaux une confrontation de plus en plus rugueuse entre le Président et ses opposants.

Derrière cette prééminence politique, le débat économique s’anime. L’équation à résoudre par la Federale Reserve (FED) se complexifie. La lente montée du chômage et le repli engagé de l’activité de certains secteurs -construction par exemple- plaident pout la baisse des taux tant espérée, mais la poussée des prix liée aux taxes à l’import, qui avait été contenue pendant quelques mois, semble se concrétiser et oblige toujours à la prudence. Confiante dans une issue de ce dilemme favorable à ses attentes, la bourse demeure résolument optimiste

Rien ne semble par ailleurs détourner New York de sa façon de vivre. Elle s’observe au quotidien dans l’atmosphère toujours virevoltante de la ville, de ses encombrements, de ses mugissements de sirènes, de ses lumières, de ses spectacles, avec en point d’orgue le rush de la sortie des bureaux qui traduit le mieux cette frénésie.  Elle s’exprime aussi par la solidité de quelques légendes chères au cœur des Newyorkais. Le Waldorf Astoria en est une. Il était depuis 1931 l’un des hôtels préférés des grandes personnalités américaines et internationales. Vendu à un groupe chinois, ce fleuron du groupe Hilton avait été fermé pour travaux en 2017, en vue d’être reconverti en appartements ultra-luxueux. Une partie de l’immense building a finalement été confiée à Hilton pour que renaisse Le Waldorf en juillet dernier. Trois mois plus tard, son hall central, entièrement rénové, est déjà redevenu le soir the place to be, autour de la magnifique horloge dorée qui y trône depuis 1931. Certaines belles histoires, heureusement, ont longue vie…

Paul Derreumaux

Publié le 16/09/2025

CARNET DE VOYAGE A WASHINGTON :UN ÉTÉ INDIEN (PRESQUE) COMME LES AUTRES ?

Les premières impressions à l’arrivée à Washington sont toujours les mêmes : la foule impressionnante de voyageurs alignés avec discipline pour les formalités de police à l’aéroport de Dulles et la rapidité avec laquelle cette étape est franchie. Ce jour n’a pas échappé à la règle. Environ 1000 passagers de toutes couleurs de peau et de toutes origines, serrés dans une file serpentant dans un immense hall, avancent à petits pas, attentifs aux instructions de l’officier d’immigration. En une heure trente, tous seront passés sans encombre. La lourde machine administrative des Etats-Unis est toujours efficace.  

Sur l’autoroute, les attraits naturels de la capitale et de sa région sont bien au rendez-vous : un doux soleil de septembre dans un ciel bleu pâle et le vert foncé, qui s’apprête à virer vers le roux, des grandes forêts enserrant la capitale. Si rien n’a changé de ce côté, dans le flot habituel des voitures, la prédominance massive des véhicules étrangers, Toyota et autres marques asiatiques très largement en tête, illustre pourquoi la maîtrise des importations de biens est devenue ici un enjeu majeur, budgétaire comme économique.

C’est ce que rappellent les actualités télévisées, centrées sur les initiatives et les déclarations du Président, et sur les réactions des opposants à sa politique. Mais les nouveaux sujets ne manquent pas : actions anti-commerce de drogue vis-à-vis du Vénézuela ; interventions de la garde nationale à Chicago après Washington et Los Angeles ; protestations enflammées des populations contre le projet d’arrêt de distribution de vaccins pour les écoliers en Floride ; et bien sûr commentaires sur la démonstration de force de la Chine lors du sommet et du grand défilé militaire qu’elle vient d‘organiser.

 Cette effervescence politique qui inonde les médias ne perturbe guère pour l’instant l’atmosphère feutrée de la ville ni son activité. Au Mayflower et dans les autres grands hôtels, les séminaires s’enchainent as usual ; à la sortie des bureaux, on se presse dans les restaurants courus comme l’historique Old Ebbitt Grill au centre ou l’élégant Fiola Mare à Georgetown ; les musées du Smithsonian déploient toujours leurs trésors de connaissances et d’art ; les prix du quotidien paraissent avoir peu évolué. Seuls quelques indices peuvent être reliés aux changements intervenus depuis janvier dernier. Dans les activités de services, la main d’œuvre étrangère est toujours présente, mais semble moins nombreuse. Près de la Maison Blanche, une des destinations préférées des touristes, la plupart des parcs sont désormais interdits d’accès. Dans le Square Lafayette, la zone ouverte aux visiteurs est restreinte, mais des orateurs, très peu nombreux, continuent à y clamer des appels à Jésus ou des protestations les plus diverses. Tous sont cependant parfois priés, en douceur mais résolument, de quitter les lieux : chacun se replie alors lentement à l’extérieur avec son appareil photo ou sa banderole.  

La sensation dominante est bien ici celle d’une continuité patiente avant de voir si les évolutions négatives que certains annoncent – inflation, panne de la croissance- se concrétiseront. Dans cette grande ville proche des centres de décision, la sérénité semble de mise pour l’instant. Et les esprits sont loin de la France, de son pessimisme et du sort préoccupant de son premier ministre, sujet dont on parlera sans doute ici seulement le lundi 8.  

Paul Derreumaux

Publié le 08/09/2025

CARNET DE VOYAGES : A Bruxelles, comment résister à la morosité…

La capitale belge n’échappe pas, en cet été 2025, aux inquiétudes que l’actualité internationale déverse sur le monde. Les décisions virevoltantes du Président Trump pour les taxes douanières US ou ses initiatives diplomatiques sont détaillées quotidiennement dans tous les médias. Aux urgences de la guerre en Ukraine et de l’horreur à Gaza – datant de 2024 mais toujours actuelles- se sont ajoutées, entre autres, les incertitudes en Iran et en Syrie. Même le climat s’est mis de la partie : l’incendie géant qui ravage en France les forêts de l’Aude est à la une, et on annonce le retour d’une phase de canicule. La Belgique affronte aussi ses propres difficultés : comme ailleurs, le gouvernement cherche ardemment des recettes supplémentaires dans une conjoncture anémiée et les projets d’une taxation des plus-values sur les actifs financiers ou d’un accroissement des impôts communaux animent les débats. Une présence apparemment en repli cet été de la clientèle étrangère dans les hôtels préoccupe également les métiers du tourisme.

Malgré tout, les Bruxellois gardent les qualités qui caractérisent le pays. Leur « coolitude », mélange unique de tempérament facile, de patience, mais aussi de débrouillardise audacieuse comme de capacité de résistance, est bien une de leurs forces. Les contextes difficiles et la météo capricieuse de l’été ne les détournent pas un instant de leurs passions nationales. En sport, des pages entières sont consacrées à des articles partisans sur le mercato des joueurs des grands clubs belges de football. Les nombreux fans d’histoires royales sont ravis : dans le journal Le Soir, la première bande dessinée sur l’histoire des rois belges rappelle ces jours-ci les positions controversées du souverain Léopold III face aux nazis en 1940 et une enquête décrit par le menu les coulisses de la monarchie britannique. La ville s’anime comme chaque année d’un bouillonnement artistique -même un cinéma en plein air est programmé cette année- qui tranche avec le désert culturel qui semble envahir la capitale française à la même saison.

Dans ces détentes estivales, le festival « Bruxellons » a maintenant une place de choix. Il met à l’affiche en 2025 la comédie musicale Rebecca. Celle-ci est tirée du livre célèbre de Daphné du Laurier, transposé en 1940 par Hitchcock dans un film qui sera honoré aux Oscars et lancera la carrière de Joan Fontaine. Servi par une mise en scène millimétrée, appuyé sur une excellente troupe d’acteurs, de chanteurs et de musiciens, le spectacle est à la hauteur des attentes. A son terme, le public ravi quitte le château de Karreveld et se disperse dans une nuit sans étoile -pollution oblige-, mais sous un ciel égayé par la (presque) pleine lune.

Demain, la population cosmopolite de Bruxelles reprendra ses activités avec entrain et une bonne humeur ambiante. A chaque jour suffit sa peine…

Paul Derreumaux

Article publié le 29/08/2025

SUB-SAHARAN AFRICA: THE « BLUES » OF REGIONAL UNIONS (Part 2)

Alongside the EAC and the CEMAC (see Part 1), the Economic Community of West African States (ECOWAS) is one of the best-known regional unions in sub-Saharan Africa. Created in 1975, it brought together15 member states in 2024 with a total of some 440 million inhabitants – including 170 million for Nigeria alone – and a total Gross Domestic Product of around 500 billion current USD. Three economic heavyweights belong to the Community: Nigeria, Côte d’Ivoire and Ghana, respectively the 4th, 9th and 10th largest African economies by GDP in 2024. In this respect, ECOWAS also includes several countries with already diversified productive structures, even if the extractive industries, traditionally decisive in Nigeria, have an increasingly significant weight throughout the region. One of the keys to this positive development lies in the actions gradually implemented and largely successful to consolidate the Union : free movement of people, establishment of a Common External Tariff (CET) for imports ; promotion of regional transport and electricity infrastructure and active role in financing them by the Community Bank for Investment and Development (EBID), creation of the Union’s Parlaiment and several specialized agencies,…

This ambition to strengthen the zone has led ECOWAS to add an additional protocol to the original treaty aimed at supporting regional stability, and even to set up an interposition force to help resolve national crises. These political initiatives contributed in particular to ending the civil wars in Liberia and Sierra Leone in the years 1990/2003.  On the other hand, the economic and financial sanctions taken by ECOWAS against the four members affected by coups between 2020 and 2023, with the aim of returning to constitutional order within a limited timeframe, have failed. While the situation seems to have calmed down with Guinea, unsuccessful negotiations with Burkina Faso, Mali and Niger led these three countries to leave ECOWAS, a decision validated by the latter in early 2025. This serious crisis has cut the Regional Union by more than 50% of its surface area and by about 15% of its population and its overall GDP, and risks having weakened its cohesion and ambitions. Thus, a growing uncertainty seems to weigh on the major question of a common currency’ creation. Decisive for members who currently have their own currency to escape the trap of the frequent deterioration of it, such as Nigeria, this project was announced in 2019 as being almost materialized. Subsequently put on hold, due to Covid, its postponements deprive the CEDEO of a driving force.  

It is the particular impact of its community projects that is a characteristic of the West African Monetary Union (WAMU, founded in 1962 by seven French-speaking countries), which became the West African Economic and Monetary Union (WAEMU) in 1994. Actions were initially concentrated in the financial field : from the outset, a common central bank, governing a single currency at a fixed parity with the French franc; the creation in 1973 of the West African Development Bank (BOAD), which over the decades has become an essential institution for financing investments in the Union, especially for the States; a banking commission supervising all banks in the Union from 1989 onwards; foreign assets managed on a unitary basis; tight control of money issuance and inflation. To better react to the challenges posed by the devaluation of the CFA franc in 1994, the projects have been extended to other facets of the economy: the launch of the regional financial market in 1996, the creation of the Regional Stock Exchange in 1998, the implementation of the common external tariff in 2000, and the increased convergence of common policies and rules designed by the Commission of the Union and ratified by the members. … This framework has made WAEMU – extended in 1997 to Guinea Bissau – an increasingly unified and comprehensive economic and financial area, stimulating for all actors, both private and public. This context has undoubtedly favoured the rise in the average annual rate of regional GDP growth since 2012, even after the period of Afro-optimism and despite recent crises : this level of more than 5% and steadily improving over the past 13 years – it is currently expected to exceed 7% in 2025 – makes the Union one of the rare sub-Saharan exceptions.

However, the recent panorama highlights growing concerns in the area, as shown by a few examples. On the one hand, the necessary transformations, diversifications and modernizations of economic system+s and social infrastructures have been concentrated mainly in a few countries, widening inequalities between members. At the end of 2019, the Union also missed the opportunity to use its experience to carry out a new major project by quickly switching to another common currency, solid and better adapted, which would silence the old criticisms against the FCFA. At the political level, the WAEMU also suffers greatly, at least in its northern states, from the effects of jihadist terrorism. Finally, although an exemplary democratic transition took place in 2024 in Senegal, the cohesion of the area is subject to new risks : the slightest possible attraction on the three Sahelian members, now out of ECOWAS and united in the new Alliance of Sahel States; the proximity of a presidential election with an uncertain shape in Côte d’Ivoire.  

These four examples illustrate the generality of regional integration approaches in sub-Saharan Africa and their role as a driving force for their member states in many aspects of their economic development. Despite their contributions, these groups have faced at least three converging obstacles in recent years. The first is the increasingly frequent priority given by States to the resolution of national problems and their internal treatment. Linked to the rise of impatience and frustration in the front of too slow improvements, this sovereignism places more limited trust in traditional regional alliances and their requirements. A second is the difficulty of existing unions to quickly identify and implement a new generation of major programs designed to transform the daily lives and prospects of businesses and individuals in an almost irreversible way, like those that had previously built freer and better protected regional spaces. A third is the scarcity of funding from major donors granted directly to the best-structured regional communities, which would have made it possible to carry out large-scale collective investments able to consolidate feelings of solidarity.

It is likely that these obstacles will remain decisive for a few years because of all the urgent issues arising in sub-Saharan countries, the reactions resulting from dissatisfaction accumulated in the past and the complexity of modifying the functioning of heavy institutions as well as the orientations of national governance. It is to be hoped, however, that the advantages of close and multifaced cooperation between nations carrying on  similar struggles for their economic and social progress will reappear more and more essential. To achieve maximum efficiency while taking into account the weaknesses of the past, this joint work would benefit from respecting a few rules, such as the following three examples. Firstly, to continuously deepen the harmony of relationships and objectives between the member countries of a Union, if possible without discard what already exists, but by complying with the constraints imposed by this consensual approach. Secondly, to focus joint actions on programmes of indisputable priority for all the actors of member countries and of a quick and massive impact for the benefit of the greatest number, in order to obtain a graet mobilisation of energies. Finally, to succeed in convincing all donors, public and private, foreign and regional, to join these first decisive projects as partners, to test the effectiveness of the approach. Then, this regional sovereignty will show its usefulness and will make it possible to develop the strength of national sovereignty.   

Paul Derreumaux

Article publié le 01/08/2025

AFRIQUE SUBSAHARIENNE :LE « BLUES » DES UNIONS REGIONALES (Part.2)

Aux côtés de l’EAC et de la CEMAC (cf. Partie 1), la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, ou ECOWAS en anglais), est une des unions régionales les plus connues en Afrique subsaharienne. Née en 1975, elle rassemblait en 2024 15 Etats membres cumulant quelque 440 millions d’habitants -dont 170 millions pour le seul Nigéria- et un Produit Intérieur Brut total de l’ordre de 500 milliards de USD courants. Trois poids lourds économiques appartiennent en effet à la Communauté : Nigéria, Côte d’Ivoire et Ghana, respectivement 4ème, 9ème et 10ème plus importantes nations africaines pour ce critère du PIB en 2024. Sur ce plan, la CEDEAO compte aussi plusieurs pays aux structures productives déjà diversifiées, même si les industries extractives, traditionnellement déterminantes au Nigéria, prennent de plus en plus de poids dans l’ensemble de la zone. L’une des clés de cette évolution positive réside dans les actions progressivement menées et réussies pour consolider l’Union : libre circulation des personnes, mise en place d’un Tarif Extérieur Commun (TEC) pour les importations ; promotion d’infrastructures régionales de transport et d’électricité et rôle actif pour leur financement de la Banque d’Investissement et de Développement de la Communauté (BIDC), création d’un parlement de l’Union et de plusieurs agences spécialisées,…

Cette ambition de renforcement de la zone a conduit la CEDEAO à ajouter au traité originel un protocole additionnel visant à soutenir la stabilité régionale, et même à mettre en place une force d’interposition capable d’aider à résoudre des crises nationales. Ces initiatives à caractère politique ont contribué notamment à mettre fin aux guerres civiles au Libéra et en Sierra -Léone dans les années 1990/2003.  En revanche, les sanctions économiques et financières prises par la CEDEAO à l’encontre des quatre membres touchés par des coups d’Etat entre 2020 et 2023, dans l’objectif d’un retour à un ordre constitutionnel dans des délais limités, ont échoué. Si la situation semble s’être apaisée avec la Guinée, les négociations infructueuses avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont amené ces trois pays à quitter la CEDAO, décision validée par cette dernière début 2025. Cette grave crise a amputé l’Union régionale de plus de 50% de son étendue et d’environ 15% de sa population et de son PIB Global, et risque d’avoir affaibli sa cohésion et ses ambitions. Ainsi, une incertitude croissante semble peser sur la question majeure de la création d’une monnaie commune. Déterminant pour que les membres ayant à ce jour leur propre devise échappent au piège de la détérioration fréquente de celle-ci, tels surtout le Nigéria, ce projet était annoncé en 2019 en voie de proche concrétisation. Mis ensuite en attente, Covid oblige, ses reports privent la CEDEO d’une énergie mobilisatrice.   

C’est l’importance particulière de ces projets communautaires mis en œuvre qui constitue une caractéristique de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA, fondée en 1962 par sept pays francophones), devenue Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en 1994. Les actions ont en effet été d’abord concentrées sur le domaine financier : dès l’origine, une banque centrale commune, régissant une monnaie unique à parité fixe avec le Franc français ; la création en 1973 de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) devenue au fil des décennies une institution essentielle de financement des investissements dans l’Union, surtout pour les Etats; une commission bancaire contrôlant toutes les banques de l’Union à partir de 1989 ; des avoirs extérieurs gérés de façon unitaire ; un contrôle étroit de l’émission monétaire et de l’inflation. Pour mieux répondre aux défis posés par la dévaluation du FCFA de 1994, les chantiers se sont étendus à d’autres facettes de l’économie : lancement du marché financier régional en 1996, création de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières en 1998, mise en place du tarif extérieur commun en 2000, convergence accrue de politiques et règles communes conçues par la Commission de l’Union et ratifiées par les membres,… Ce cadre a fait de l’UEMOA- étendue en 1997 à la Guinée Bissau- un espace économique et financier de plus en plus unifié et complet, stimulant pour tous les acteurs, privés comme publics. Ce contexte a sans nul doute favorisé la hausse du taux moyen annuel de croissance du PIB régional depuis 2012, même après la période d’afro-optimisme et malgré les crises récentes : ce niveau supérieur à 5% et en progrès régulier sur les 13 ans écoulés – il dépasserait actuellement 7% en 2025- fait de l’Union une des rares exceptions subsahariennes.

Le panorama récent met cependant en lumière des préoccupations grandissantes dans la zone., comme le montrent quelques exemples. D’un côté, les transformations, diversifications et modernisations indispensables des appareils économiques et des infrastructures sociales se sont surtout concentrées sur quelques pays, élargissant les inégalités entre membres. L’Union a manqué aussi à fin 2019 l’opportunité d’utiliser son expérience pour mener un nouveau chantier majeur en basculant rapidement vers une autre monnaie commune, solide et mieux adaptée, qui ferait taire les vieilles critiques au FCFA. Au plan politique, l’UEMOA souffre aussi fortement, au moins dans ses Etats septentrionaux, des effets du terrorisme djihadiste. Enfin, bien qu’une transition démocratique exemplaire se soit déroulée en 2024 au Sénégal, la cohésion de la zone est soumise à de nouveaux risques : moindre attraction possible sur les trois membres sahéliens, désormais sortis de la CEDEAO et unis dans la nouvelle Alliance des Etats du Sahel ; proximité d’une élection présidentielle au contour incertain en Côte d’Ivoire.   

                                                

Ces quatre exemples illustrent bien la généralité des démarches d’intégration régionale en Afrique subsaharienne et leur rôle moteur pour leurs Etats membres dans de nombreux aspects de leur développement économique. Malgré leurs contributions, ces regroupements affrontent ces dernières années au moins trois obstacles convergents. Le premier est la priorité de plus en plus fréquente accordée par les Etats à la résolution des problèmes nationaux et à leur traitement de manière interne. Lié à la montée des impatiences et frustrations face à des améliorations trop lentes, ce souverainisme accorde une confiance plus limitée aux alliances régionales traditionnelles et à leurs exigences. Un deuxième est la difficulté des unions existantes à identifier et mettre en œuvre rapidement une nouvelle génération de grands programmes capables de transformer le quotidien et les perspectives des entreprises et des individus de façon quasi-irréversible, comme ceux qui avaient construit auparavant des espaces régionaux plus libres et mieux protégés. Un troisième résulte de la rareté des concours des grands bailleurs de fonds accordés directement aux communautés régionales les mieux structurées, qui auraient permis la réalisation collective d’investissements de grande envergure propres à consolider les sentiments de solidarité.

Il est probable que ces freins resteront déterminants pendant quelques années en raison des multiples urgences qui s’imposent dans tous les pays subsahariens, des réactions résultant d’insatisfactions accumulées dans le passé et de la complexité à modifier le fonctionnement de lourdes institutions tout autant que les orientations de gouvernance nationale. Il est toutefois à espérer que les avantages d’une coopération étroite et multiforme entre nations menant des combats analogues pour leur progrès économique et social réapparaitront de plus en plus indispensables. Pour atteindre une efficacité maximale en tenant compte des faiblesses du passé, ce travail en commun gagnerait à respecter quelques règles, tels les trois exemples suivants. D’abord approfondir de manière continue l’harmonie des relations et des objectifs entre pays membres d’une Union, si possible sans faire table rase de l’existant, mais en se conformant aux contraintes qu’impose cette approche consensuelle. Ensuite, arc-bouter les actions communes sur des programmes d’une priorité incontestables pour tous les acteurs des pays membres et d’un impact rapide et massif au profit du plus grand nombre, en vue d’obtenir une mobilisation maximale des énergies. Enfin, réussir à convaincre tous les bailleurs de fonds, publics et privés, étrangers-et régionaux, de s’associer à ces premiers chantiers décisifs en tant que partenaires, pour éprouver l’efficacité de l’approche. Alors, ce souverainisme régional montrera toute son utilité et permettra d’amplifier la force du souverainisme national.    

Paul Derreumaux

Article publié le 01/08/2025

SUB-SAHARAN AFRICA: THE « BLUES » OF REGIONAL UNIONS (Part 1)

Sub-Saharan Africa has demonstrated comparable inventiveness to other regions in developing regional and continental institutions, both sector-specific and comprehensive. For a long time, these groupings, despite their different characteristics and approaches, have even appeared, on the continent and in the view of major donors, as a stimulus and an essential way for the implementation in their member countries of the reforms and changes, often difficult, for economic and social development. The steady deepening of economic ties between Kenya, Uganda, and Tanzania has fostered growth among the founding  members of the East Africa Community (EAC). The launch in 1989 of the Banking Supervision of the West African Monetary Union (WAMU), by modifying and enhancing the control of all commercial banks in this area, played an important role in the construction of a healthy and efficient banking system. Since the end of the 2010s, however, various issues have disrupted these positive trends in many places. The following four examples show the convergence of these difficulties.

In East Africa, and after an uncertain beginning, the EAC has become a force of attraction for many countries since the 2000s. The three founders – Kenya, Uganda and Tanzania – have indeed set up a common and suitable environment to the expansion of their respective economic activities: free movement of goods, labour and capital in the EAC; a customs union designed to regulate external trade; and privileged cooperation with other areas such as COMESA and SADC. Their demographic weight and the pragmatism of their policies have also encouraged the emergence of solid sectors, including industrial sectors, stimulated by Kenya’s success and the strength of economic and financial relations within the zone. It has therefore gradually expanded to the Great Lakes (Rwanda and Burundi), South Sudan and, more recently, to the Democratic Republic of Congo (DRC) and Somalia, bringing together English-speaking and French-speaking countries as a result. The EAC is thus now one of the most populous and extensive sub-Saharan communities – more than 350 million inhabitants to date, including the giant DRC. It is also a major economic entity: more than current USD 350 billion in Gross Domestic Product (GDP) at the end of 2024 and 3 times more in Purchasing Power Parity (PPP), with Kenya ranking 7th in the continent’s GDP; a great potential in renewable energy already remarkably implemented in Kenya. 

However, the EAC faces notable weaknesses. Some are economic. The delay in major critical projects, such as regional transport infrastructure adapted to its size or a closer coordination of economic policies facilitating a harmonious development of the area, slows down the progress of structural reforms.  The postponements for a common currency’s target allow the fragility of national currencies to persist, whose frequent depreciations are penalizing. The uneven development levels and economic structures of newly admitted countries make it harder to equitably share the benefits of the  union among members. But political questions seem to become more dangerous; South Sudan has long been in a latent civil war; political and social tensions are taking on a worrying dimension in Kenya. Above all, the confrontation between the DRC and Rwanda, over political as well as economic contests, has reached a scale that could disrupt the functioning of the EAC institutions and affect other members such as Burundi. Efforts by the regional community to resolve the crisis have so far been unsuccessful and the US intrusion into the issue could generate further complications. A prolonged deterioration of this conflict would be a halt to 25 years of progress.

The Economic and Monetary Community of Central Africa (CEMAC in french) differs from the EAC in at least three ways. First of all, it is more modest in size: smaller area ,  less populated – nearly 65 million inhabitants only in 2024 – and less powerful – with a global GDP of about 115 billion current dollars, close to that of Kenya. At the economic level, it is characterized by the large domination of the oil and gas sector in the GDP and exports of four of the six members: this specificity was initially an important advantage for the growth and public finances of the Union’s members, but it has long since become a significant handicap because of the ups and downs in the prices of these products. Finally, in its composition, the zone appears to be a priori more homogeneous.  Five of the six countries of CEMAC have been united since their independence by their Francophonie, by traditionally strong relationships with the former colonial power and by their common currency, the CFA franc. Like its twin structure in West Africa – the West African Economic and Monetary Union (UEMOA in french) – it has undergone several changes under different names with the aim of strengthening this community of states and broadening its responsibilities: the monetary union, materialized by the common currency and a single Central Bank, has evolved into an economic union with ambitions of harmonization of public policies and growth and modernization of the economies.

However, CEMAC has not been able to take full advantage of these institutional assets. The effective implementation of community decisions aimed at fostering economic and social progress has often been significantly delayed – or even obstructed – by national priorities taking precedence. Thus, two stock exchanges – Douala and Libreville – coexisted for more than a decade before merging in 2019, postponing the effective mobilization of domestic savings. Similarly, the free movement of people in the Union, decided in 2013 and ratified in 2017, did not fully enter into force until 2025 and still faces obstacles. The competition for leadership between Cameroon – the most powerful and the most populated – and several other nations – much less populous but with a higher average per capita income – makes it more difficult to take decisions on ambitious objectives for the Union and, above all, to achieve them in the service of businesses and populations. This probably explains the low attractiveness of the CEMAC, which only saw the entry in 1983 of Equatorial Guinea, attracted by the solidity of the CFA franc. It also sheds light on the slow pace of a coordinated diversification of national economic systems, which is the only way to reduce the Union’s heavy dependence on foreign countries and sectors with uncertain prospects. The modest growth of the Community’s GDP over the past few years is a direct consequence of this. Finally, the lack of political turnover – two Presidents have been in Office for more than 40 years and another for nearly 30 years – does not favour desirable structural reforms. The 2023 coup in Gabon has shown the limits of this political stability, at least in part due to economic and social failures.  

(To be continued on August 1rst)

Paul Derreumaux

AFRIQUE SUBSAHARIENNE : LE « BLUES » DES UNIONS RÉGIONALES (Partie 1)

L’Afrique subsaharienne est aussi inventive que les autres parties du monde en matière de création d’institutions régionales et continentales, qu’elles soient sectorielles ou globales. Pendant une longue période, ces regroupements, malgré des caractéristiques et des approches différentes, sont même apparus, sur le continent et aux yeux des grands bailleurs de fonds, comme un stimulant et un vecteur essentiel pour la réalisation dans leurs pays membres des réformes et mutations, souvent difficiles, nécessaires pour le développement économique et social. L’intensification continue des relations économiques entre Kenya, Ouganda et Tanzanie a ainsi boosté la croissance des trois premiers membres de l’East African Community (EAC). L’entrée en fonction en 1989 de la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), en modifiant et renforçant le contrôle de toutes les banques commerciales de cette zone, a tenu une place importante dans la construction d’un système bancaire assaini et performant. Depuis la fin des années 2010, des questions de plusieurs ordres ont pourtant perturbé en beaucoup d’endroits ces tendances positives. Les quatre exemples suivants montrent la convergence de ces difficultés

En Afrique orientale, et après des débuts incertains, l’EAC est devenue depuis les années 2000 une force d’attraction pour beaucoup de pays. Les trois fondateurs-Kenya, Ouganda, Tanzanie- ont en effet mis en place un environnement commun propice à l’expansion de leurs activités économiques respectives : libre circulation des biens, du travail et du capital dans l’EAC ; union douanière face à l’extérieur ; coopération privilégiée avec d’autres zones comme la COMESA et la SADC. Leur poids démographique et le pragmatisme de leurs politiques ont aussi favorisé l’émergence de secteurs solides, y compris industriels, stimulés par la réussite kenyane et la force des relations économiques et financières à l’intérieur de la zone. Celle-ci s’est donc progressivement élargie aux Grands Lacs (Rwanda et Burundi) , au Sud-Soudan et, récemment à la République démocratique du Congo (RDC) et à la Somalie, regroupant en conséquence pays anglophones et francophones. L’EAC est ainsi à ce jour une des communautés subsahariennes les plus étendues et les plus peuplées -plus de 350 millions d’habitants dont le géant RDC. Elle est aussi un ensemble économique majeur : plus de 350 milliards de USD courants de Produit Intérieur Brut (PIB) à fin 2024 et 3 fois plus en Parité de Pouvoir d’Achat (PPA), le Kenya se classant à la 7ème place des PIB du continent ; un grand potentiel en matière d’énergies renouvelables déjà remarquablement exploité au Kenya.  

L’EAC affronte cependant des faiblesses notables. Les unes sont économiques. Le retard pris par de grands chantiers mobilisateurs, tels que les infrastructures de transport de portée régionale adaptées à sa taille ou la coordination plus étroite des politiques économiques facilitant une évolution harmonieuse de la zone,  gène  l’avancée de réformes structurelles.  Les reports du projet d’une monnaie commune laissent persister la fragilité des monnaies nationales, dont les fréquentes dévalorisations sont pénalisantes. La consistance limitée des appareils économiques et du niveau de développement des pays récemment admis rend plus difficile qu’auparavant la répartition des avantages liés à l’union entre pays membres. Mais les questions politiques semblent prendre le pas ; le Sud-Soudan est de longue date en guerre civile larvée ; des tensions politico-sociales prennent une dimension inquiétante au Kenya. Surtout, l’affrontement entre la RDC et le Rwanda, pour des contestations politiques autant qu’économiques, a atteint une ampleur pouvant perturber le fonctionnement des institutions de l’EAC et toucher d’autres membres comme le Burundi. Les efforts menés par la communauté régionale pour résoudre la crise sont restés vains jusqu’ici et l’intrusion des Etats-Unis dans le dossier pourrait générer d’autres complications. Une dégradation prolongée de ce conflit constituerait un coup d’arrêt à 25 ans d’avancées.

La Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) diffère de  l’EAC sur au moins trois plans. Elle est d’abord de dimension plus modeste : moins vaste, elle est surtout beaucoup moins peuplée – près de 65 millions d’habitants seulement en 2024 – et moins puissante- PIB global d’environ 115 milliards de USD courants, proche de celui du Kenya. Au plan économique, elle est caractérisée par la large domination du secteur pétrolier et gazier dans le PIB et les exportations de quatre des six membres : cette spécificité a été d’abord un avantage important pour la croissance et les finances publiques des nations concernées, mais elle est devenue depuis longtemps un handicap notable en raison des soubresauts des cours de ces produits. Enfin, dans sa composition, la zone apparait a priori plus homogène.  Cinq des six pays qui la composent sont unis depuis leur indépendance par leur francophonie, par des relations traditionnellement fortes avec l‘ancienne puissance coloniale et par leur monnaie commune, le FCFA.  Comme sa structure jumelle d’Afrique de l’Ouest – l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)-, elle a connu sous des appellations différentes, plusieurs mutations ayant pour objectifs le renforcement de cette communauté d’Etats et l’élargissement de ses responsabilités : l’union monétaire, matérialisée par la devise commune et une Banque Centrale unique, a évolué vers une union économique aux ambitions d’harmonisation des politiques publiques , de croissance et de modernisation des économies.

 Cependant, la CEMAC n’a pu profiter à plein de ces atouts institutionnels. La mise en œuvre concrète des décisions communautaires capables de stimuler les progrès économiques et sociaux de l’espace régional a été souvent longuement retardée, voire contrée, par des préoccupations nationales jugées prioritaires. Ainsi, deux bourses de valeurs mobilières – Douala et Libreville – ont coexisté pendant plus d’une décennie avant de fusionner en 2019, décalant d’autant la mobilisation efficace de l’épargne intérieure. De même, la libre circulation des personnes dans l’Union, décidée en 2013, ratifiée en 2017, n‘est totalement entrée en vigueur qu’en 2025et se heurte encore à des obstacles. La concurrence de leadership entre le Cameroun – le plus puissant et le plus peuplé- et plusieurs autres nations -nettement moins peuplées mais au revenu moyen par habitant plus élevé – rend plus difficiles la prise de décision d’objectifs ambitieux pour l’Union et, surtout, leur concrétisation au service des entreprises et des populations. Elle explique sans doute la faible attractivité de la CEMAC, qui n’a connu que l’adhésion en 1983 de la Guinée Equatoriale, attirée par la solidité du FCFA. Elle éclaire en outre la lenteur d’une diversification coordonnée des appareils économiques nationaux, seule capable de réduire la forte dépendance de l’Union vis-à-vis de l’étranger et de secteurs aux perspectives incertaines. La modestie de la croissance du PIB communautaire depuis plusieurs années en est une conséquence directe. Enfin, le faible renouvellement des dirigeants – deux Présidents sont en poste depuis plus de 40 ans et un autre depuis près de 30 ans- ne favorise pas les réformes structurelles souhaitables. Le coup d’Etat de 2023 au Gabon a montré les limites de cette stabilité politique, au moins en partie en raison des insuccès économiques et sociaux.   

(A suivre le 1er août)

Paul Derreumaux

Article publié le 25/07/2025

Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) : une réussite à protéger et à faire grandir

La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) à Abidjan, institution financière commune aux huit pays de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), a été saluée avec juste raison début 2025 pour ses performances de 2024. Ces succès sont le résultat d’une stratégie de longue haleine alliant ambition, détermination et capacité de résistance. Ils ne doivent pas occulter les faiblesses que garde malgré tout l’institution, et les conditions encore à remplir pour atteindre les objectifs souhaités.

 Impulsée fermement en 1998 par la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui voulait étoffer les systèmes financiers de l’Union, notamment pour les financements à moyen et long terme, cette expérience unique de bourse multi-pays a surmonté rapidement ses débuts hésitants et entamé après quelques années une solide montée en puissance. Un bon indice en est l’évolution de la capitalisation globale de son compartiment actions, qui est le plus souvent analysé et sur lequel s’appuient surtout les comparaisons internationales. Cette valeur totale des titres côtés est passée de quelque 840 milliards de FCFA à l’origine pour les quelque 30 valeurs provenant de l’ancienne Bourse des Valeurs d’Abidjan, à 3340 milliards de FCFA fin 2008, soit un quadruplement en 10 ans. Elle s’est encore accrue de 82% jusqu’à 2021, malgré la période très difficile 2017/2020 qui a vu un repli important des cours à la BRVM à l’image de la tendance généralisée des bourses africaines les années précédentes. Elle vient enfin de bondir de 60% en trois ans pour avoisiner en mai 2025 le seuil des 11500 milliards de FCFA, consolidant la cinquième place de l’Institution parmi les 29 bourses africaines désormais en activité. Trois principales catégories de facteurs expliquent cette progression remarquable. Le plus important est sans doute l’accroissement du nombre de sociétés cotées -en hausse d’environ 60% depuis l’origine et élevé maintenant à 49 titres, dont 46 actifs- et surtout la qualité de ces entreprises. Celles-ci sont d’abord des banques et des sociétés de télécommunications – respectivement 16 et 3, totalisant 79% de la capitalisation actuelle du marché actions –, qui sont les deux secteurs les plus rentables des économies de la sous-région, et pour le reste essentiellement de grandes sociétés commerciales et industrielles. Un autre est l’environnement économique encourageant : le taux de croissance moyen élevé dans l’UEMOA – plus de 5%/an depuis 2012-, la solidité du FCFA, la maîtrise de l’inflation favorisent ensemble les bons résultats des entreprises et la confiance des investisseurs, étrangers comme nationaux. Enfin, la stratégie de développement clairement affichée de la BRVM lui a apporté une amélioration et une modernisation de son fonctionnement et une visibilité internationale : la cotation en continu, la digitalisation des opérations, la catégorisation croissante des titres, les initiatives d’insertion dans les instances boursières internationales ont facilité l’attraction des épargnants et des sociétés, approfondi la confiance du marché et expliqué la forte augmentation du nombre de sociétés de bourses et leur bonne santé .

L’institution a bénéficié également, notamment depuis les transformations des modalités de financement des États en 2016, d’une évolution fulgurante de son compartiment obligations. Depuis l’origine, les emprunts des sociétés privées sont restés peu nombreux, malgré les succès obtenus par ceux qui ont testé ce nouveau mode de financement -tel le Groupe BANK OF AFRICA à deux reprises-. En revanche, les émissions obligataires ont été largement utilisées par les États de l’Union, et à un moindre degré par les institutions publiques régionales, pour obtenir des financements à moyen terme. Leur encours a augmenté vigoureusement et régulièrement pour dépasser 10 000 milliards de FCFA fin 2024 : il représente à cette date 36% de l’endettement étatique sur le marché régional –à côté des bons et obligations par adjudication- et près de 12% de la dette publique totale de l’UEMOA. La mise annuelle sur le marché d’un volume élevé de nouvelles obligations -1550 puis 1220 milliards de FCFA respectivement en  2023 et 2024-, confirme que l’importance de ce compartiment n’est pas prête à s’interrompre.

Derrière ces hausses impressionnantes se nichent aussi quelques constats à prendre en compte pour mieux préparer l’avenir. Pour les actions, on retiendra la hausse remarquable de la capitalisation dans la période récente- dont+28,9% en 2024, un record après les 39,1% du rebond de 2021 consécutifs à la phase de déprime, et déjà +9% en 2025. Elle tient pour une bonne part à l’entrée très réussie à la cote de trois grandes sociétés, dont une banque et une société de télécommunications, toutes deux leaders dans leur pays, sous forme de privatisation partielle du capital. A cet atout se sont ajoutés quelques autres évènements favorables : nombre exceptionnel de distributions d’actions gratuites de grandes banques cotées pour d’importantes augmentations de capital ; hausse quasi-généralisée des dividendes distribués par les fleurons des secteurs clés de la bourse. Le panorama du compartiment reflète aussi des caractéristiques économiques de l’Union : bonne santé, modernité et croissance régulière des secteurs les plus présents à la cote ; poids économique dominant et représentation accrue dans le paysage de la BRVM de quelques pays- près de 90% des sociétés et de la capitalisation concentrés dans 3 d’entre eux-. A contrario, des faiblesses structurelles de la BRVM et de l’environnement régional demeurent : nombre insuffisant de titres sur le marché -le Kenya en compte une soixantaine avec un Produit Intérieur Brut en USD d’environ 60% de celui de l’UEMOA en 2024-; faible utilisation du marché financier pour le renforcement effectif des fonds propres des sociétés ; rare attractivité sur les entreprises moyennes. La BRVM est donc bien devenue un vecteur puissant et efficace de mobilisation de l’épargne, mais n’est pas encore un instrument significatif du financement du secteur productif. Le bond en avant souhaité pour l’avenir parait en conséquence très lié à la fois à l’entrée en bourse d’un nombre accru de champions régionaux ou nationaux, et à un recours conséquent au marché financier des sociétés cotées pour leurs fonds propres et leur endettement.     

Car ce recours est possible comme le montre l’évolution du compartiment obligations.. Celui-ci a en effet répondu positivement à toutes les sollicitations qui lui ont été faites dans ce cadre, quels que soient les émetteurs, privés ou publics, avec des durées d’emprunt qui se sont progressivement allongées et dépassent maintenant les 10 ans. Les données récentes mettent aussi en avant deux autres constats. D‘abord, les seuls emprunteurs étatiques, grâce à des émissions nombreuses, régulières, soigneusement programmées en lien avec les Autorités monétaires, ont progressivement assis une très large domination sur les encours globaux en circulation, dont ils représentent maintenant plus de 90%. Par ailleurs, ces titres publics sont souscrits pour une grande part par des investisseurs institutionnels et, surtout, par des banques commerciales de l’Union à des fins de placements financiers. Ils constituent notamment dès fin 2023 plus de 20% des emplois des établissements bancaires et mobilisent indirectement de ce fait un volume important des épargnes publiques nationales drainées par ces derniers. A travers ces divers liens, les fonctionnements des deux compartiments de la BRVM apparaissent nettement interconnectés. Les remboursements, sans incident majeur à ce jour, de toutes les lignes obligataires émises témoigne à la fois de l’importance que les Etats accordent au respect de leurs engagements en la matière et de l’efficacité des Autorités monétaires à trouver des solutions adaptées lors des crises majeures, telle celle du Covid.  Toutefois, l’apparition récente d’une disparité entre les taux acceptés par les pays pour leurs emprunts, qui esquisse une échelle de risques à l’intérieur de l’Union, souligne l’intérêt d’un renforcement de cette vigilance collective.

Forte des avancées engrangées depuis sa création, la presque trentenaire BRVM nourrit encore d’importantes ambitions, en particulier pour l’accroissement de ses contributions au financement de l’économie de l’Union. Quelques opportunités pourraient être aisées à saisir, telles les augmentations de capital en numéraire des banques qui seront inévitables à bref délai. La plupart demanderont encore aux dirigeants de la BRVM combativité et ténacité : accélération de l’entrée en bourse de nouvelles grandes entreprises ; appel à la cotation pour les sorties des fonds d’investissement (les IPO) ; mise au point d’obligations privées compétitives, incluant par exemple une part variable dans la rémunération. Ceux-ci auront aussi à combiner leurs actions de développement à une surveillance étroite des opérateurs et du marché, et à l’obtention d’un appui des États à leurs initiatives. C’est une exigence qu’ils connaissent déjà.

Paul Derreumaux

Article publié le 16/06/2025

PAYS SUBSAHARIENS : apports et limites des fonds d’investissements

L’actualité met en valeur l’arrivée en Afrique subsaharienne de « fonds secondaires » qui rachètent des actifs de Fonds d’Investissement, ou Fonds de Private Equity (FPE) n’ayant pas réussi dans les délais prévus leur sortie de certaines sociétés. Déjà courante ailleurs, cette nouvelle catégorie souligne l’inventivité constante du monde de la finance, mais témoigne aussi des difficultés croissantes des FPE dans l’atteinte de leurs objectifs, y compris dans ce périmètre géographique. Celles-ci peuvent être appréciées dans deux composantes essentielles de ces structures – les Fonds tournés vers les grandes entreprises ; ceux consacrés aux petites entreprises (ou Fonds d’impact).

Les FPE visant de grandes entreprises des pays subsahariens sont apparus au début des années 2000, en lien direct avec l’afro-optimisme ambiant de l’époque. Leur approche présente en effet des caractéristiques conformes aux besoins des entreprises locales : présence momentanée dans le capital des sociétés investies avec des soutiens financiers et techniques, offrant aux promoteurs locaux un éventail maximal de perspectives ultérieures de développement et de profit. Elle est aussi en harmonie avec les voeux de leurs propres investisseurs : durée de vie limitée à 10 ou 12 ans des FPE ; maximisation de la rentabilité grâce à l’encadrement des promoteurs ; optimisation des conditions de sortie par la recherche des solutions les plus avantageuses. Outre l’abondance des ressources financières disponibles à cette époque, l’engouement pour les FPE a été favorisé par les investissements réalisés par certains d’entre eux dans des sociétés de télécommunications mobiles, alors en début de croissance exponentielle sur le continent, qui ont boosté leur rentabilité. Les succès obtenus expliquent la multiplication de ces FPE, la part importante des investisseurs privés à leur capital et la constitution progressive de solides équipes de gestion prenant en charge plusieurs générations successives de Fonds.

Ces FPE comptent maintenant de nombreuses réalisations en Afrique même si leur poids relatif y reste nettement inférieur à celui atteint ailleurs. Ils sont aussi un canal d’investissement apprécié même s’ils restent majoritairement basés à l’international. Toutefois, plusieurs ressorts essentiels de leur efficacité se sont atténués : affaiblissement de la croissance moyenne des économies depuis 2015 ; retards considérables dans la création d’emplois productifs : ralentissement de la progression d’une classe moyenne de consommateurs dans de nombreux pays ; faiblesse des marchés financiers pour les sorties ; nombreuses perturbations dans les monnaies africaines. Depuis 2020, plusieurs crises mondiales et des tensions politico-sociales nombreuses ont introduit aussi des biais négatifs inattendus. Outre ces facteurs externes, l’expérience a montré, ici comme ailleurs, que certaines entreprises soutenues présentaient dans la durée des défaillances de gouvernance ou de stratégie pouvant compromettre les ambitions initiales. Plusieurs conséquences en résultent : rentabilité des FPE souvent nettement intérieure aux annonces ; tendance au repli du poids des investisseurs privés par rapport aux investisseurs institutionnels ; difficulté de respecter les dates de sortie ; concentration des investissements sur quelques pays ou régions, telle l’Afrique du Nord, et quelques secteurs, en particulier commerce et services ; cession à des groupes étrangers plutôt qu’à des repreneurs africains.

Ces inconvénients montrent que l’essor de ces Fonds consacrés aux secteurs productifs dépend aussi largement, comme pour les sociétés dans lesquelles ils sont investis, de réformes structurelles locales capables de soutenir l’emploi, l’investissement et le bon fonctionnement des entreprises et de l’économie. En revanche, la promotion par les FPE, ou selon d’autres canaux, de sociétés d’investissement pérennes, d’implantations nationales ou régionales, pourrait constituer un relais des Fonds, tout en garantissant un ancrage futur plus local des entreprises investies, conformément aux ambitions affichées de plus en plus par tous les acteurs.  

Les FPE visant le financement des petites entreprises sont plus récents et plus rares. Ils cumulent aussi plus de handicaps liés aux caractéristiques de leurs cibles : incertitudes de profitabilité, voire de viabilité, des entreprises investies ; faible formalisation imposant de lourdes actions d’encadrement et de formation par les gestionnaires des Fonds ; forte dépendance par rapport à un environnement en général peu favorable et instable ; nombre réduit de repreneurs potentiels, nationaux comme étrangers, lors de la sortie des Fonds en raison de la difficulté des challenges à relever. Il en découle pour les FPE de cette catégorie, dans un phénomène d’’enchainement négatif, un poids relatif élevé des coûts de gestion face à des produits limités et étalés dans le temps, une rentabilité souvent modeste et tardive et une faible attractivité sur des investisseurs largement composés d’institutionnels.

Malgré ces défis, la présence des Fonds d’impact progresse en Afrique subsaharienne, par suite de la place prééminente des petites et moyennes entreprises dans les économies et du constat général d’un chaînon manquant dans leur financement : celui des capitaux propres.  Le secteur connait même des avancées originales comme celle du Fonds IPDEV 2. Celui-ci s’est fixé en 2016 l’objectif de la création d’une dizaine de FPE locaux de taille modeste, dans des pays francophones et anglophones, centrés sur les petites entreprises et réunissant à leur tour de table, des actionnaires nationaux privés ou publics. Une bonne part du chemin est franchie ; en juin 2024, 8 fonds sont déjà opérationnels dans des pays aussi variés que le Sénégal et Madagascar, et ont ensemble un volume d’investissements d’environ 32 millions d’EUR dans une bonne cinquantaine d’entreprises ; 2 nouveaux fonds sont en préparation et 6 sorties d’entreprises ont déjà été réussies ; en revanche, aucun des fonds nationaux n’a pu effacer entièrement les pertes supportées depuis sa création et démontrer sa viabilité durable.  Malgré l’intensité des efforts exigés, les résultats obtenus sont donc encore infimes par rapport aux challenges relevés.

 Pour corriger cet état de fait préoccupant, des réformes majeures seraient cruciales, dont quelques exemples peuvent être évoqués. La première mutation semble justifiée par le fait que ces FPE se substituent, au moins partiellement, à des actions habituellement accomplies par des institutions d’appui au développement ou les Autorités locales : études de marché et de faisabilité de projets, apports financiers et techniques à des études préalables à des investissements productifs et à la réalisation de ceux-ci, formalisation des méthodes de travail des petites sociétés, formation professionnelle des chefs d’entreprises. Dans ces missions de quasi-service public, les FPE apportent deux avantages décisifs qui sont la compétence technique des équipes et leur approche plus permanente que celle de projets. Ceci peut justifier des soutiens directs aux FPE pour prendre en charge une fraction de leurs coûts d’approche ou tout ou partie des pertes subies pendant les premières années de fonctionnement. Ceci peut inclure aussi pour des mini-FPE nationaux le support, dégressif dans le temps, des coûts de gestion de ces structures, dont le poids est particulièrement lourd mais qui recouvrent un encadrement essentiel pour les entreprises financées. Une autre amélioration pourrait être, comme pour les FPE visant les grandes entreprises, la création de sociétés d’investissement locales pour constituer, à la sortie des Fonds, un relais d’actionnariat durable des entreprises financées. Compte tenu des enjeux financiers plus limités dans le cas présent, ces sociétés devraient d’ailleurs être plus facilement constituées, bénéficier d’avantages fiscaux et même intéresser des capitaux de la diaspora, comme IPDEV a pu le vérifier dans un de ses pays d’implantation.

Sans être des panacées, les FPE ont fait la preuve de leur utilité en zone subsaharienne comme ailleurs. Les imperfections actuelles de leur fonctionnement appellent des transformations pour que leur rôle s’élargisse. Comme pour toute institution financière, ces mutations n’auront toutefois leur plein effet que si les acteurs qui maîtrisent tout l’environnement -Autorités nationales et grands bailleurs de fonds notamment- participent activement à son amélioration.

Paul Derreumaux

Article publié le 21/05/2025

MALI : JOUR DE FÊTE A KAYO

En ce matin du premier dimanche de mai, beaucoup de gamins aux tenues multicolores, curieux  et bavards, sont déjà assis près de la tente installée pour recevoir les hôtes de marque. Le chef de village et l’imam principal de Kayo accueillent ceux qui les rejoignent. Un petit groupe de villageoises a commencé à chanter, soutenu par le rythme des tams-tams. Son animatrice, une petite femme à lunettes, au large sourire, coiffée d’un bonnet de laine bicolore et armée d’un instrument traditionnel de percussion, emmène l’équipe avec détermination. Hommes, femmes et adolescents arrivent lentement, grossissant peu à peu les rangs des badauds.

La cérémonie que tous attendent est l’heureux résultat d’un parcours engagé en décembre dernier par la Fondation DAMBE. Celle-ci a inscrit dans son programme d’activités depuis trois ans le financement de forages au profit de villages insuffisamment équipés et mal desservis par leur environnement. Devant les autres urgences qui lui sont soumises chaque année et la difficulté de trouver une entreprise compétente et aux exigences financières modérées, le projet avait été reporté jusqu’ici. La Fondation s’était promis de le concrétiser avant fin 2025. Deux personnes rencontrées en novembre dernier vont permettre de franchir le pas. D’abord un entrepreneur de travaux publics, C.S.D., ami de longue date des dirigeants de la Fondation : fin connaisseur de la région de Bamako, toujours serviable, lui-même investi dans les actions de solidarité, il recherche activement et identifie un jeune entrepreneur, D.T. ; qui parait répondre aux critères recherchés. Un rendez-vous avec celui-ci confirme la qualité du choix : l’interlocuteur est posé et direct, il est expérimenté dans son secteur et sa société est équipée d’un matériel performant. Le projet pouvant donc être exécuté dans de bonnes conditions, l’équipe ainsi constituée se met en quête dès décembre 2024 d’un site approprié pour sa réalisation.

Trois critères majeurs ont été clairement fixés dès l’origine pour cette première opération. Le village recherché doit être suffisamment éloigné de Bamako, pour ne pas bénéficier aisément des commodités de la capitale. Sa population doit être assez conséquente pour que le forage change la vie d’un nombre élevé de personnes, et en croissance pour montrer sa vitalité. Surtout, les responsables du village choisi auront à être à la fois les avocats de cet investissement auprès de leur population, et ses protecteurs quand celui-ci sera effectif, ce qui implique un fort engagement de leur part.  Après de premiers contacts menés sur cette base avec quelques localités et restés infructueux, le choix s’arrête sur Kayo. Située non loin de Koulikoro, à proximité de la route à 4 voies qui relie maintenant cette ville à Bamako, Kayo compte en 2025, selon les informations reçues, environ 4000 âmes en incluant les villages et hameaux avoisinants. Elle dispose d’un seul forage opérationnel alors que deux autres tentatives sont restées inachevées. L’accueil réservé à la délégation de la Fondation début janvier 2025 est chaleureux et il est clair que le projet a toute son utilité. Grace à la pêche dans le fleuve Niger assez proche et à l’agriculture vivrière, les familles peuvent subvenir à leurs besoins et la population grandit. Plusieurs endroits sécurisés sont aussi rapidement proposés pour le lieu d’implantation du forage. De plus, outre cette première contribution, et après les explications reçues, la population s’engage aussi à prendre en charge une partie minime du coût de l’opération. La Présidente sait que cet engagement multiforme est crucial. Il sera une garantie supplémentaire de la pérennité du projet car la communauté de Kayo se sentira encore plus concernée par celui-ci et y portera un soin attentif.

Les évènements vont alors aller vite. L’emplacement définitif est retenu et le forage sera installé sur un terrain public près de la mosquée centrale. Les travaux débutent immédiatement, l’eau est trouvée sans difficulté majeure et tout l’équipement est installé et prêt pour la livraison avant fin mars. Le château d’eau, d’une capacité de 500 litres, trône haut au-dessus du forage et, grâce à l’installation incluse de l’énergie solaire, alimente à tout instant d’eau potable les cinq robinets qui peuvent être utilisés simultanément sur deux zones distinctes. L’édification d’un mur et le crépissage de la mosquée voisine par un autre donateur donnent à l’ensemble encore plus d’allure.

C’est pour célébrer dignement la fin de ce travail que tous ceux qui y ont participé sont réunis ce jour. Le public s’est encore élargi depuis tout à l’heure et le chef de village souligne d’abord, en son nom et au nom de ses administrés, sa satisfaction et ses remerciements. Les imams lui emboitent le pas, suivis par la Présidente de la Fondation, qui rappelle les objectifs recherchés. Toute l’assistance se dirige ensuite vers le forage et ouvre solennellement les vannes. Chacun veut toucher l’eau qui jaillit, limpide, vivante, rafraichissante sous le soleil de mai, et en boire si possible une gorgée. Les femmes, les plus heureuses, engagent la danse simulant une « bataille de l’eau », qui illustre la situation si fréquente des épouses et des mères, trop nombreuses avec leurs grands récipients pour partager le filet d’eau qui est leur quotidien. Après cela, tous regagnent leur place, sous ou près de la tente, et s’engagent un deuxième « round » de remerciements, une reprise de la danse de la fausse « bataille », et enfin la chanson rythmée d’une chorale improvisée de femmes du village. A côté des invités, des pêcheurs de Kayo ont déposé en cadeau un échantillon de leur principale richesse : trois magnifiques capitaines encore ruisselants. Un bel exemple de leur propre générosité. La fête est restée simple et familiale, comme souhaité, mais l’enthousiasme témoigne de la satisfaction sincère des habitants

L’investissement n’est bien sûr qu’une petite pierre lisse sur le long chemin caillouteux à transformer en belle piste, qui traduirait l’accès de tous à l’eau potable. Mais la piste apparaitra d’une succession de ces pierres, posées par tous ceux qui le pourront. Et c’est à la prochaine que pensent déjà les artisans de cette première réussite. Demain ne peut attendre….

Paul Derreumaux

Article publié 13/05/2025