Institutions internationales, analystes et, surtout, Etats voient dans les diasporas de possibles acteurs décisifs pour une évolution économique accélérée des pays en développement, Si cette hypothèse peut s’avérer pertinente dans certaines régions du monde, l’expérience passée comme les perspectives à moyen terme dans les pays d’Afrique subsaharienne imposent une vision plus prudente d’un rôle des diasporas souvent évoqué à trois niveaux.
Le premier, désormais de loin essentiel, est celui des transferts financiers vers leur pays d’origine. Ceux-ci ont constamment et considérablement progressé dans le temps sous l’effet conjoint de la croissance continue des migrations régionales et internationales, de la hausse universelle, quoique très inégale, des revenus et des prix dans les pays d’accueil et de la progression des besoins familiaux dans les pays d’origine. Selon la #BanqueMondiale, ces transferts seraient de 660 milliards de USD en 2022, soit plus du triple de l’Aide Publique au Développement (APD) et plus de 1,2 fois les Investissements Etrangers (IDE) pour cette même année. Même si l’Afrique subsaharienne n’est pas la région au bénéfice de laquelle ces envois de fonds sont les plus massifs, elle concentrerait quand même 53 milliards de USD en 2022, en croissance de 6% sur 2021 et largement supérieurs aux montants d’APD et d’IDE recensés au profit de cette zone. Les pays anglophones dominent le classement des bénéficiaires – près de 40% du total pour le Nigéria, 12% pour le Ghana par exemple – mais des pays francophones ont aussi une place importante tels le Sénégal et le Mali : respectivement environ 3 et 1,2 milliards de USD en 2022. Le poids inévitablement croissant des diasporas dans les prochaines années devrait entrainer ipso facto une hausse continue de ces transferts
Ces populations subsahariennes sont implantées dans le monde entier avec une prééminence de résidence dans les pays avec laquelle leurs pays d’origine ont des relations historiques, linguistiques ou de proximité : France et Europe continentale pour les francophones, Etats-Unis et Grande Bretagne pour les anglophones, nations africaines voisines pour tous les pays. Ces expatriés appartiennent à des catégories sociales fort variables et vivent donc selon des modalités différentes : elles varient d’un habitat regroupé en foyers pour les travailleurs peu qualifiés provenant des pays les plus pauvres à un habitat individuel dispersé pour les catégories socioprofessionnelles aisées venant souvent de nations économiquement plus avancées. Les montants individuels transférés sont souvent modestes et les canaux utilisés se sont multipliés au fil des années : du système informel « hawala » de compensation à l’usage de Western Union ou du mobile banking en passant par les banques.
Dans tous les cas cependant, ces transferts présentent des caractéristiques communes. L’effort financier consenti par les membres des diasporas est fort conséquent par rapport à leurs revenus- en général au moins 15% de ceux-ci et parfois bien plus – et aussi régulier que le permet la trésorerie des migrants. Pour chaque nationalité, les flux annuels observent une remarquable tendance à la hausse, même si la conjoncture internationale ou des pays d’accueil se dégrade, en raison du caractère prioritaire que les migrants accordent à ces opérations. Compte tenu de leur masse globale importante, ces transferts constituent un soutien, parfois essentiel, du pays destinataire pour l’équilibre de ses comptes extérieurs et l’apport de devises -ils représentent ainsi plus de 10% du Produit Intérieur Brut au Sénégal. Les coûts de ces rapatriements restent particulièrement lourds : encore estimés récemment en moyenne au-delà de 6% du montant pour un envoi de 200 USD, ils figurent parmi les plus élevés au monde. Mais les choses bougent vite dans le bon sens : pour le Mali, quelques canaux formels offrent déjà des taux ne dépassant pas 4% pour une telle somme transférée. Surtout, les flux financiers sont destinés pour leur très large majorité à deux usages : une aide financière affectée aux dépenses quotidiennes de la famille restée au pays et des petits investissements locaux (écoles, dispensaires) pour le village d’origine.
Cette dernière caractéristique explique pourquoi une deuxième attente de chaque pays à l’égard de sa diaspora, à savoir une contribution directe à la politique nationale de développement et au financement d’investissements d’envergure nationale, n’a eu jusqu’ici que peu d’écoute. En effet, les migrants, quelles que soient leur origine et leur activité, sont très peu enclins à répondre aux sollicitations de ce type. Les raisons sont multiples : méfiance vis-à-vis des actions étatiques en raison d’expériences passées ou par crainte de détournement des fonds mobilisés, difficultés pour les Etats d’utiliser les bons moyens de communication avec une communauté méfiante et à l’accès parfois complexe, forte pression sociale des familles pour garder la priorité du bénéfice de l’effort financier accompli. Les expériences réussies, telle une émission, déjà ancienne, de bons par le Nigéria pour 100 millions de USD ou l’emprunt obligataire de 20 milliards de FCFA (30 millions d’EUR) de la Banque de L’Habitat du Sénégal en 2019 pour un programme immobilier, sont des exceptions. La dysfonctionnements politiques qui s’accumulent dans beaucoup de pays, notamment en zone francophone, depuis 2019 et le ralentissement de la croissance économique qui se prolonge sur le continent depuis 2016 constituent des freins supplémentaires à cette ambition ancienne. Celle-ci risque de rester un voeu pieux jusqu’à ce que se produisent des changements profonds dans les pays africains.
Enfin, un autre espoir souvent évoqué réside dans le retour au pays d’une part significative de la diaspora, et notamment de celle qui a réussi à l’étranger. Ces Repats, comme on les appelle souvent, peuvent amener dans leurs bagages une formation, une expérience professionnelle, des moyens financiers, un goût de l’innovation et des projets d’entreprises nouvelles. Leur valeur ajoutée, déjà testée dans des activités précédentes à l’étranger, est particulièrement utile pour combler des insuffisances locales. Celles-ci sont en effet fréquentes dans le niveau de compétence des candidats à l’emploi, mais aussi dans la qualité de gestion ou les moyens en fonds propres des petites entreprises qui constituent une bonne part du système économique des pays africains. Pourtant, le nombre des migrants qui franchissent le pas reste encore modeste. Les baisses fréquentes de revenu qui en résultent, au moins à court terme, par rapport à la situation antérieure, la multiplicité des obstacles administratifs à franchir, la rareté des dispositifs locaux de soutien, les pièges de la corruption découragent beaucoup de bonnes volontés malgré les solidarités familiales. Les situations sont donc actuellement inégales. Dans les pays les plus économiquement avancés et ouverts sur l’extérieur, et notamment des zones anglophones, le poids relatif et les succès de ces anciens de la diaspora évolue positivement et commence à devenir significatif. Dans les pays les moins bien structurés, en croissance modeste ou soumis actuellement à des soubresauts politiques, le flux des entrants est limité et le petit nombre des réussites empêche des effets d’entrainement. Ceci risque d’ailleurs d’être une cause d’aggravation des écarts qui se creusent dans les évolutions économiques respectives entre nations subsahariennes.
Pour être efficaces dans la mobilisation des potentialités de leurs diasporas, les pays de départ et tous leurs partenaires auraient donc intérêt à ne pas rester passifs face à ces deux atouts naturels mais au contraire à concentrer sur eux, au moins à court terme , des actions concrètes : développer et faciliter les transferts, déjà considérables et permanents, des migrants et optimiser l’usage par ceux-ci des fonds envoyés ; favoriser l’accueil et les activités des personnes revenues pour profiter au mieux du dynamisme économique et social qu’ils peuvent générer et encourager ainsi l’essor de ces rapatriements. Le succès de ces deux chantiers, déjà exigeants, permettrait sans nul doute d’en fixer avec réalisme de plus ambitieux
Paul Derreumaux
Article publié le 24/10/2023