Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle au Mali

Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle au Mali

 

Mesdames ( j’espère ) et Messieurs les candidats et futurs candidats à l’élection présidentielle,

Permettez-moi, avec tout le respect du aux très hautes fonctions auxquelles vous prétendrez cette année, de vous adresser cette brève missive. Bien que seulement citoyen malien d’adoption, je m’autorise cette démarche audacieuse en raison de mon âge et des actes que j’ai eu l’honneur de poser dans ce pays depuis 35 ans.

Tout le monde s’accorde à dire que nous sommes au cœur d’une crise multiforme et d’une rare ampleur. Peut-être, sans doute même, avait-on sous-estimé en 2013 l’ampleur des défis comme celle des difficultés, et des excuses peuvent être trouvées à certains échecs ou retards, dès lors toutefois que nous sommes maintenant sur la bonne route. Je vous laisserai le soin d’en discuter, si possible publiquement et « à la loyale » dans quelques beaux débats. Le Mali n’est-il pas réputé pour ses joutes orales ?

J’aimerais seulement ici vous dire comment j’imagine le futur Président qui serait capable de construire en cinq ans les fondations d’un Mali dont chaque Malienne et chaque Malien sera fier parce qu’il les protégera et les respectera tous, où qu’ils se trouvent, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur situation sociale.

Ce Président espéré est nécessairement d’abord un visionnaire, ayant une idée claire de ce que peut devenir notre pays dans les dix ou vingt années. Il le connait dans ses plaines, ses fleuves et ses déserts, dans ses villes et ses campagnes, dans les heurs et les malheurs de son peuple, dans les zones de lumière et d’ombre de ses concitoyens. Dans le monde interconnecté où nous sommes plongés, même dans notre région enclavée, il sait aussi analyser les grands changements géopolitiques, économiques et sociaux qui traversent la planète et qui influenceront le destin du Mali, dans un sens positif ou négatif. Il est capable de sonder le cœur et le véritable intérêt de ses collègues pour trouver de bons alliés et partenaires. Il s’inspire sans cesse des plus belles innovations et réalisations qu’il a la chance de connaitre par ses voyages dans le monde, pour les faire vivre au plus vite dans son pays, en les adaptant à celui-ci. A lui incombe la très lourde responsabilité des choix qui engageront le Mali pour les décennies à venir : Regarder vers l’Ouest, vers le Nord, vers l’Est pour ses relations internationales ? Faire plutôt cavalier seul ou miser avant tout sur la construction régionale ? Prioriser vraiment l’agriculture, pour que le Mali retrouve son rôle de grenier d’Afrique de l’Ouest, ou mettre l’accent sur les services et le « trading », en s’appuyant sur le génie national du commerce et notre position géographique ? Ou les deux à la fois ? Accepter que la religion régente tout ou mettre des limites à son pouvoir ? Préférer le  secteur privé ou l’action étatique pour le développement économique ? Vous le devinez, notre Président aura besoin que ses propres connaissances soient épaulées par une équipe pluridisciplinaire, elle-même éminente mais disciplinée, qu’il sera capable d’animer et de maîtriser. Son succès sera collectif.

Une vision à long terme, même pertinente, ne suffit pas si elle n’est accompagnée des actions et programmes qui permettent de l’imprimer dans la réalité, et d’une farouche volonté de réaliser les changements nécessaires. Le Président souhaité a donc également une vocation de stratège et d’homme d’action. Il est bien sûr appelé à construire, avec rapidité mais aussi cohérence et transparence, les infrastructures, les logements sociaux, les écoles, les hôpitaux qui manquent cruellement. En la matière, il a le souci du respect des délais et de l’utilisation rapide et pertinente des deniers publics. Il lui faut aussi accélérer la reconstruction d’une armée malienne unie, vaillante, mobilisée, servant la nation même au péril de sa vie. Mais ce rôle de bâtisseur concerne surtout les mentalités. A ce titre, il a conscience que l’éducation et la formation sont largement à repenser pour qu’elles satisfassent à la fois les aspirations de la jeunesse et les exigences de l’économie. Il sait relier à la vision globale retenue chaque action conduite, pour que tous comprennent les étapes suivies et gardent la patience nécessaire. Il a une conscience forte de l’urgence où nous sommes dans tous les domaines, et surtout ceux qui semblent négligés comme la maîtrise nécessaire de la croissance démographique et le caractère inéluctable et proche du changement climatique. Il a le talent pour trouver un juste équilibre entre les mutations économiques, qui placeront le Mali sur une nouvelle trajectoire, et les réformes sociales, qui amélioreront le bien-être de chacun.

Le Président dont je rêve a bien sûr d’autres qualités. Son autorité naturelle n’a d’égale que son humilité, comme celles d’un Mandela. Sa combativité est en tous points celle d’un Ho Chi Min. Sa vertu et son sens du devoir sont ceux d’un Périclès. Il ne parle guère de lutte contre la corruption puisque chacun sait que celle-ci lui est étrangère et qu’il la détruira partout où il la verra apparaitre. Il a la vigueur de Soundiata Keita pour lutter contre les ennemis du pays et du peuple et la tendresse d’un père pour tous ceux qu’il voit souffrir injustement. Il a l’abnégation d’un héros qui oubliera dès son élection sa propre personne pour consacrer pendant cinq ans toute sa vie au Mali.

Portrait utopique d’un Président virtuel, me direz-vous ?  C’est que l’impatience et l’exigence de chacun de nous ont grandi avec le temps qui s’enfuit.  Cinq ans représentent au Mali près de 10% de la vie des plus démunis. A ce prix, chacun souhaite maintenant conjuguer l’espoir au futur proche, et non à un conditionnel lointain.

Pour beaucoup, la marque du futur Président sera bien sûr d’abord celle de la paix et de la sécurité dans le Mali tout entier. Les cris des soldats qui meurent, qu’ils soient maliens ou étrangers, les pleurs des familles endeuillées des victimes innocentes ont à disparaitre. Chacun doit pouvoir redécouvrir sans crainte les merveilles du Mali, de la majestueuse entrée dans la cité des Balanzan aux mausolées de Tombouctou en passant par les falaises rocailleuses de  Bandiagara. Mais son empreinte s’étendra à d’autres aspects s’il veut être à la hauteur du moment. Il saura redonner confiance à la jeunesse et faire en sorte que des études au Mali ne soient plus systématiquement un handicap dans la recherche d’un métier au pays. Il apportera toute l’aide possible aux entreprises qui créent des emplois, si possible qualifiés, mais dans tous les cas décents, durables et honnêtement payés, et fera de ses promesses en matière de création de postes un engagement sur son propre honneur. Il  montrera, par ses décisions,  que le travail est la plus grande valeur, celle qui apporte à chacun dignité et confiance en soi, mais aussi celle qui sert le mieux le pays, et est donc la seule à mériter récompenses et honneurs. Il aura à coeur de maîtriser les inégalités afin que les plus déshérités aient toujours une seconde chance, au moins pour leurs enfants, et que les privilégiés connaissent les limites à ne pas dépasser Il veillera à ce que le Mali ne se fracture pas entre une capitale dont la concentration de pauvreté et l’étouffement finissent par plus que compenser ses créations de richesse, et le reste du pays enfoncé dans un cercle vicieux d’absence de perspective et de dénuement économique et humain.

A voir la liste des candidats, qui devrait encore s’étendre, j’admire l’intrépidité de ceux qui sont prêts à se présenter à nos suffrages. Il est vrai que le Mali a compté de grands hommes et s’est forgé dans le passé un destin admiré de tous. Puissent donc ces ancêtres exceptionnels inspirer chacun de vous. Que leur exemple vous donne l’imagination, la force, la ténacité, le don de soi pour construire le futur du Mali à la hauteur du monde de demain.

Respectueusement.

Paul Derreumaux

Article publié le 06/04/2018

 

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