Afrique subsaharienne : le point manquant de croissance enfin au rendez-vous ?

Afrique subsaharienne : le point manquant de croissance enfin au rendez-vous ?

Les Etats d’Afrique subsaharienne s’enorgueillissent avec raison d’avoir renoué avec la croissance depuis plus d’une décade. Les taux actuels de progression restent cependant insuffisants pour une augmentation suffisamment rapide du produit par tête. Le point minimum de croissance manquant semble en revanche aujourd’hui à portée de main si certaines conditions sont remplies.

Le bilan économique des années 2000/2013 tranche très positivement en Afrique subsaharienne avec celui des deux décennies précédentes, comme le soulignent eux-mêmes les tuteurs et les partenaires du continent. Sur la dernière période, le Produit Intérieur Brut (PIB) a en effet augmenté annuellement en moyenne de 5%. Le progrès que traduit ce chiffre peut également s’apprécier par quelques autres indicateurs, tels notamment la nette réduction de la dette publique extérieure et une meilleure maîtrise de l’inflation. De plus, même si cette hausse du PIB est bien sûr variable selon les pays, leurs avantages naturels et leurs politiques économiques, elle a touché peu ou prou l’ensemble du sous-continent, à l’exception des quelques rares nations restées en état d’instabilité politique permanente sur cette longue période.

Une analyse plus fine montre en revanche une situation moins enthousiasmante. Ramenée au PIB par habitant, la progression est ramenée à un taux qui dépasse rarement 2% sur la décade écoulée. Un faible nombre des pays concernés étant à court terme sur la voie de la « transition démographique », il faudra donc quelque 15 ans pour que ce produit par tête progresse d’environ 35% et plus d’une génération pour qu’il double. Deux principales raisons expliquent sans doute la difficulté avec laquelle ce rythme de croissance économique a été dépassé. D’abord, la progression observée s’appuie essentiellement sur quelques secteurs devenus performants et faisant l’objet de lourds investissements: mines, télécommunications, banques, infrastructures. De nombreux pans d’activité sont souvent restés à l’écart des transformations récentes, telles l’industrie ou l’agriculture, comme le montre bien pour cette dernière le maintien d’une forte dépendance des taux annuels de variation par rapport à la situation climatologique. En second lieu, les pays subsahariens demeurent caractérisés par d’importantes faiblesses structurelles, en particulier du côté de leurs administrations et de leurs politiques économiques. Les dossiers à gérer sont de plus en plus nombreux et complexes : la mise en œuvre rapide de profondes réformes imprimant un changement des priorités,  des modes d’action et des mentalités est donc indispensable. Cet aspect n’a été que rarement jusqu’ici la préoccupation majeure des dirigeants. Au contraire, on constate souvent un recul de l’efficience des Etats : la corruption, le clientélisme, l’approche clanique, la faible attention portée aux résultats obtenus ont en effet plutôt gagné du terrain et favorisent un  statu quo globalement pénalisant mais favorable à des minorités. Ce n’est donc pas un hasard si les secteurs les plus efficients, cités ci-avant, sont les moins dépendants des contraintes locales, grâce aux réglementations strictes, plus ou moins reliées à des normes internationales, qui les régissent, ou au poids essentiel qu’y jouent de puissantes sociétés étrangères.

Dans les toutes dernières années, certains pays ont réussi à dépasser assez régulièrement ces 5% annuels et à atteindre le seuil de 6% de croissance de leur PIB. Des nations aussi diverses que l’Angola ou  l’Ethiopie, le Burkina ou le Mozambique, le Nigeria ou la Tanzanie se sont ainsi illustrées depuis 2010. Quelques-unes sont même régulièrement citées comme des « lions» africains dont la croissance économique, parfois supérieure à 8%, avoisine les records établis par quelques grands pays devenus émergents. Les motifs de cette nouvelle récente poussée sont variables, et parfois accidentelles en raison d’un rattrapage après des années de guerre ou de crise comme au Libéria ou en Sierra-Léone. Mais les facteurs purement économiques semblent prendre de l’ampleur. Trois d’entre eux paraissent essentiels : le poids du secteur minier et pétrolier, qui a gardé ces dernières années un niveau d’activité et de prix satisfaisant ; l’importance et le caractère judicieux des investissements en infrastructures, qui soutient immédiatement l’augmentation du PIB et améliore à terme la compétitivité de l’ensemble des secteurs ; enfin, l’insertion du pays dans une zone d’intégration économique, et si possible monétaire, qui facilite l’expansion des marchés et favorise la croissance des entreprises les plus performantes dans une compétition plus vive. Ces éléments sont rarement tous réunis, surtout de façon durable. Mais la corrélation entre l’intensité et la permanence de leur présence, d’une part, et la vigueur de la croissance, d’autre part, est certaine et forte.

Ce pas en avant supplémentaire pourrait s’étendre à un nombre plus large de pays si ces données montent en puissance. La Banque Africaine de Développement (BAD) ne s’y trompe pas et son Président a récemment appelé à ce que ce « point de croissance » supplémentaire soit rapidement la norme.

Il parait en outre possible dans certains cas d’aller plus loin sans tarder et de viser une progression annuelle du PIB de 7%. Le Nigéria, « locomotive » actuelle du continent africain, devrait atteindre ce  seuil en 2014 pour la deuxième année consécutive. Il en serait de même pour la moyenne réalisée par les huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), notamment grâce à la vive impulsion de la Côte d’Ivoire, après les 6% déjà observés dans l’Union en 2013. A l’échéance de quelques années, les prévisions dominantes sont toujours optimistes puisqu’on annonce que 13 des 25 pays qui croitront le plus vite d’ici 2017 seront subsahariens avec des taux minimaux annuels de progression de 7% (1).

Ce saut quantitatif mérite de devenir un objectif essentiel pour le continent: avec un taux de croissance annuel du PIB de 7%, il faudrait en effet deux fois moins de temps, soit à peine 15 ans, pour que le revenu par habitant double, toutes choses étant égales par ailleurs, ce qui aurait des effets de première importance pour tous les citoyens. Un tel résultat implique cependant de lourdes contraintes.

Il faut d’abord que se prolongent les facteurs positifs qui ont été à l’œuvre ces dernières années. Pour certains, tel le rôle moteur joué par un secteur minier en expansion, l’évolution de la situation économique mondiale sera déterminante : les données actuelles en la matière ainsi que la multiplication des découvertes récentes de nouveaux gisements en Afrique autorisent un optimisme mesuré sur ce point. Pour les autres, le continent tient en ses mains les principales clés de la pérennité de cette embellie. Il lui faut notamment redoubler d’efforts pour le renforcement de ses capacités énergétiques tout en poursuivant l’amélioration de ses infrastructures de transport et urbaines. Il peut aussi approfondir la coopération et l’intégration régionales au sein des Unions déjà existantes afin de réaliser des économies d’échelle, d’éviter les double-emplois, d’harmoniser les réglementations et les politiques et d’insuffler davantage l’esprit d’appartenance à une même communauté globale, autant d’orientations qui seront des facilitateurs pour la création de valeur économique et de progrès social. Le discours intègre déjà partout cette approche ; les actes le font souvent moins fort et moins vite en beaucoup d’endroits.

Si l’Afrique subsaharienne a besoin de ces accélérateurs pour gagner en rythme de croissance, elle doit aussi desserrer les deux freins majeurs, cités plus haut, qui ralentissent son évolution. La consolidation en force et en productivité de secteurs essentiels, et en particulier de l’agriculture, est un de ces pré-requis. Les actions conduites sont nombreuses et l’appui des partenaires techniques et financiers, institutionnels ou non gouvernementaux, souvent déterminé et bien-fondé. Cependant, les meilleures initiatives sont en général trop dispersées et à trop petite échelle, et manquent souvent cruellement de la priorité du soutien public local: leur effet d’entrainement n’acquiert donc pas toute la puissance nécessaire. Les projets originaux du Burkina Faso -pôles de croissance agricole intégrés, comme à Bagré – et du Niger – l’Initiative 3N (Les Nigériens Nourrissent les Nigériens) aux modes d’action transversaux –  seront des tests très utiles de l’impact créé par un fort engagement des Autorités nationales. Car c’est bien à ce niveau que l’évolution parait la plus difficile. Le diagnostic est hélas clairement posé depuis longtemps par la quasi-totalité des praticiens du développement, et les plus hautes Autorités des Etats l’admettent généralement dans leurs discours d’investiture en promettant de vastes changements. Mais les réalisations sont rares et insuffisantes. C’est à la fois une question de volonté et de courage politique, de rythme et de profondeur de réformes, de rareté des expériences requises chez les élites administratives,  de méthodes de travail : face à ces exigences, les blocages sont généralement trop résistants..

Les Etats qui arriveront à atténuer au maximum ces handicaps seront donc les mieux placés pour gagner ce taux supplémentaire de croissance qui semble de plus en plus atteignable et qui ferait toute la différence. Ceux qui, en particulier, sauront concevoir une vision à long terme pour leurs pays, soutenue par une planification à moyen terme performante, et restaurer la fiabilité et la crédibilité d’administrations défaillantes, seront très certainement les mieux placés dans la course à la croissance. La Côte d’Ivoire, le Kenya et l’Ethiopie pourraient faire partie de ces heureux élus. Ceux qui, enfin, ont la chance de se trouver dans une Union régionale solide et allant de l’avant, dans laquelle se trouverait une nation dominante en croissance soutenue, pourraient profiter de ces atouts même si leurs propres spécificités ne sont pas optimales : les membres de l’UEMOA ont une chance de se trouver dans cette situation.

Restera ensuite à répartir au mieux les fruits d’une croissance ainsi renforcée. Ce sera l’objet d’un autre challenge tout aussi pressant….

(1) Revue Deutsche Bank, juillet 2013

Paul Derreumaux

Afrique Francophone : Le Maroc à l’offensive

Afrique Francophone : Le Maroc à l’offensive

Les premiers responsables des principales entreprises marocaines ont ressemblé ces jours-ci à une armée en ordre de bataille, en pleine conquête des  territoires d’Afrique francophone, et leur général était un Roi. Il sera cependant essentiel de vérifier quelles seront les retombées à moyen terme de cette grande mission marocaine et à qui elles bénéficieront.

La tournée que Mohamed VI a effectuée en Afrique de l’Ouest et Centrale du 18 février au 8 mars 2014, successivement au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Gabon, a une allure, une ampleur et un contenu totalement nouveaux. Elle avait certes sans doute des objectifs politiques importants : renforcement en Afrique subsaharienne de l’influence globale du Maroc, seul rescapé à ce jour d’une Afrique du Nord affaiblie et pour l’instant repliée sur le règlement de ses problèmes internes ; utilisation par le monarque de cette audience accrue pour régler plus facilement les problèmes économiques et politiques du pays ; recherche d’un rôle plus déterminant dans le règlement de questions sensibles pour les deux parties, comme celui du Nord Mali. Mais la composante économique de cette mission est peut-être plus essentielle et, dans tous les cas, plus impressionnante.

 La délégation marocaine n’a pas compté moins d’une vingtaine des chefs d’entreprises les plus emblématiques du pays, qui étaient épaulés des principaux Ministres à responsabilité économique et de conseillers du Cabinet royal. Les trois grandes banques marocaines, le secteur des assurances, la société nationale de télécommunications, la compagnie aérienne, les principales sociétés de construction et de promotion immobilière, l’industrie du ciment, l’Office Chérifien des ¨Phosphates (OCP), constituaient l’ossature de la représentation des secteurs économiques. Ce n’est pas un hasard.  Royal Air Maroc avait agi en pionnier et, depuis plus d’une décade, emplit pour une part non négligeable ses avions à destination de l’Europe et des Etats-Unis grâce aux passagers africains qu’il vient chercher par ses nombreuses dessertes africaines. Les trois banques marocaines sont devenues sur les cinq dernières années les premiers acteurs des systèmes bancaires de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en prenant le contrôle de réseaux régionaux existants ou en rachetant in extenso les filiales d’une banque française, selon la stratégie choisie par les intervenants. Une percée de moindre ampleur a eu lieu en Afrique Centrale francophone mais devrait s’intensifier à l’avenir. En rachetant l’un des plus importants groupes régionaux d’assurances, une compagnie marocaine est devenue d’un coup incontournable en zone francophone. Maroc Télécom s’est implantée progressivement au Gabon, au Burkina Faso, en Mauritanie et au Mali et est maintenant un acteur qui compte dans la région. De manière plus diffuse, certains produits de l’agriculture marocaine se déversent de plus en plus fréquemment sur quelques pays du Sahel. D’autres secteurs sont impatients de suivre cette voie de croissance externe. Les quelques grands de la construction, qui ont réussi avec brio dans le domaine du logement, et de l’habitat social en particulier, voient dans la forte croissance de la population et des villes africaines sur les trente prochaines années une chance unique de développement d’activités actuellement moins allantes au Maroc. De puissantes industries liées à ce secteur, comme les cimenteries, sont aux aguets de telles opportunités pour les même raisons. L’OCP, géant parmi les géants au Maroc, se sent un appétit nouveau mais gigantesque pour approvisionner toute l’Afrique subsaharienne en engrais.

Toutes ces entreprises ont été représentées dans la mission royale par leurs plus hauts dirigeants, de façon que des décisions effectives de coopération puissent être ratifiées sans délai. Elles ont été rejointes à quelques endroits clés de ce voyage, comme Abidjan et Libreville, par un nombre  beaucoup plus élevé de chefs d’entreprises marocaines, ce qui a permis de tenir dans ces villes un grand forum économique. Fort de cet accompagnement solide, Mohamed VI  s’est efforcé avec succès d’être très concret. Passant de quatre à cinq jours dans chaque pays, il a littéralement labouré tous les domaines qui pouvaient répondre aux visées expansionnistes des capitaines d’industrie de son pays et s’est efforcé de  repartir à chaque fois avec des résultats tangibles. La moisson a été riche : 18 accords de partenariat et de coopération signés au Mali, 26 conclus en Côte d’Ivoire par exemple. Les domaines concernés ont été nombreux et souvent analogues. Certaines conventions sont globales et prévoient des avantages réciproques : pour l’encouragement des investissements, l’appui aux exportations, la coopération touristique, les zones industrielles, la pêche et les activités portuaires dans certains pays côtiers. Certaines couvrent des aspects sociaux ou culturels, allant d’accords-cadres pour l’enseignement supérieur et la recherche en Côte d’Ivoire à la formation des imams au Mali. Mais l’essentiel concerne des projets d’implantations d’entreprises ou d’octrois de financements : ceux-ci sont d’ailleurs souvent conclus directement entre les Etats subsahariens intéressés et les sociétés marocaines leaders des secteurs visés, sous le patronage très rapproché du roi du Maroc. Les actions surtout  mises en valeur de part et d’autre ont été celles des banques et des sociétés de promotion immobilière. Les dernières ont annoncé la construction dans chacun des quatre pays de milliers de logements sociaux, économiques et de standing – jusqu’à 10000 en Cote d’Ivoire -, mais aussi de plusieurs complexes hôteliers. Les Présidents de chacune des trois banques présentes, pour leur part, se sont relayés pour signer une pleiade de conventions de financement de grande envergure, dont une bonne part était, directement ou non, au bénéfice des Etats visités.

Stratégiquement comme tactiquement, ce voyage est donc une réussite éclatante pour le Maroc et pour son souverain. Ceux-ci ont tous deux occupé totalement l’espace médiatique des quatre pays visités durant ces vingt jours. En choisissant à chaque fois ce séjour prolongé, Mohamed VI a en effet délibérément adopté une approche différente des visites éclairs que les Présidents des premières nations du monde, France comprise, effectuent toujours en Afrique. Pour les Africains, pour lesquels le temps n’est pas une denrée rare, ce choix est très apprécié et le message est clair : à la différence de beaucoup, le Maroc ne voit pas l’Afrique comme une destination parmi d’autres mais comme une vraie priorité, De plus, l’organisation, méticuleusement préparée selon les souhaits marocains, a été spécialement efficace. Le nombre élevé des conventions signées, le large spectre et le caractère stratégique des activités choisies pour ces accords, l’importance des engagements financiers pris par les principales compagnies du royaume ont donné une impression de puissance des acteurs marocains et de confiance de leur part en l’Afrique. Ces deux aspects s’accordent parfaitement aux souhaits des Autorités des pays hôtes, avides d’investissements étrangers, pour alimenter leur croissance économique, et de considération internationale, pour rehausser leur crédibilité auprès de leur propre opinion publique. En fin stratège qu’il est, le souverain chérifien a donc bien atteint tous ses objectifs économiques et, au moins dans son pays, politiques comme semblent le montrer les commentaires émis à la suite de sa mission. La balle est maintenant dans le camp de ses grandes entreprises, auxquelles il a donné un « coup de pouce » de premier plan et qui seront ainsi très logiquement ses obligées

En Afrique subsaharienne le bilan ne peut encore être totalement tiré. A court terme, celui-ci est incontestablement positif. L’attention accordée par le Maroc – deuxième investisseur du continent dans les pays d’Afrique subsaharienne après l’Afrique du Sud – flatte les pays visités et ouvre pour ceux-ci des perspectives séduisantes d’implantation de nouvelles entreprises et de réalisation de divers investissements, et donc de soutien au développement annoncé aux populations. Celles-ci ont par ailleurs, avec leur placidité habituelle, globalement accepté la place omniprésente laissée au Maroc dans leur pays pendant près d’une semaine. A moyen terme, l’appréciation dépendra d’abord de la capacité des entreprises marocaines et de leurs filiales subsahariennes à passer des effets d’annonce à des réalités vérifiables sur le terrain et capables de produire dans des délais raisonnables tous les effets annoncés. En la matière, les « tycoons » marocains, comme bien d’autres, sont susceptibles de mettre plus de temps que prévu à concrétiser leurs projets alors que la rapidité d’exécution est décisive pour les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale. La déception serait alors à la hauteur de l’espoir initial suscité par cette visite en fanfare. De plus, si tous les projets prennent corps, il serait laissé peu d’espace aux entreprises subsahariennes pour conquérir une place de choix dans leurs propres pays au sein des secteurs les plus prometteurs et les plus importants, alors que la réciprocité affichée des conventions signées, qui ouvre la porte à des investissements subsahariens au Maroc, risque de rester essentiellement virtuelle.

Les accords conclus doivent donc être observés avec attention pour apprécier leur application réelle et leurs aspects positifs. Il serait toutefois injuste de faire la fine bouche. Par cette  visite inédite, le Maroc apporte un appui de premier plan à l’Afrique au moment où les besoins et les ambitions de celle-ci se multiplient grâce au retour durable de sa croissance. Cette arrivée en force d’un nouvel acteur va également permettre de faire jouer la concurrence, toujours utile pour améliorer les prestations reçues. Il appartient donc aux Autorités africaines de profiter au mieux de l’aubaine pour accélérer et renforcer le développement de leurs pays respectifs, et d’utiliser cette étape pour faire éclore sur leurs territoires de nouveaux talents et de nouvelles opportunités. Alors, ce partenariat avec le Maroc sera bien gagnant-gagnant comme annoncé.

Paul Derreumaux

Bonnes ou mauvaises nouvelles d’Afrique : qui va l’emporter ?

Bonnes ou mauvaises nouvelles d’Afrique : qui va l’emporter ?

L’année 2013 ne s’est pas très bien terminée sur le continent. Dans tous les médias, internationaux comme locaux, les grands titres ne sont plus centrés sur la croissance résiliente du continent mais sur les guerres et les crises qui frappent certains de ses Etats. Centrafrique et Sud-Soudan, où les tensions sont devenues meurtrières et les évolutions difficilement prévisibles, font bien sûr la une des grands journaux et des télévisions. Mais dans de nombreux autres pays, la fragilité est souvent remise au premier plan. En Afrique du Sud, qui représente près de 25% du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Afrique et la seule nation déjà considérée comme économiquement émergente, l’après-Mandela inquiète et beaucoup se demandent comment évoluera, en économie comme en politique, la « nation arc-en-ciel ». Au Mali, la réunification effective du pays reste en butte à des obstacles de fond tandis que le redémarrage des investissements s’effectue très lentement. En Côte d’Ivoire, la politique de réconciliation nationale est jusqu’ici peu convaincante, ce qui réduit l’impact positif des réformes structurelles engagées et des grands chantiers déjà lancés. Au Niger, le taux de croissance « à la chinoise » obtenu en 2012, soutenu par les débuts d’exploitation du pétrole et la mobilisation bien structurée d’importantes ressources extérieures, n’a pas empêché une crise politique récente. Au Cameroun et au Nigéria, le terrorisme rampant perturbe toujours des parties entières du territoire des deux pays. Au Kenya, le récent attentat terroriste de Nairobi et l’épée de Damoclès du jugement du Président et de son Vice-Président par la Cour Pénale Internationale (CPI) atténuent l’attractivité sur les investisseurs de ce pays au puissant potentiel et aux bonnes performances économiques. Dans la Somalie voisine, la guérison longtemps espérée de cette nation martyrisée est encore faiblement visible. A Madagascar, il aura fallu quatre ans pour espérer une sortie de crise qui est encore incertaine.

Ces exemples pourraient encore être multipliés. De ceux-ci émergent clairement quelques conclusions générales. D’abord, la montée, maintenant admise par tous, du risque alliant terrorisme et brigandage de grand chemin : très présent dans le Sahel et sur les voies maritimes, ce danger menace d’autres pays et peut, de cette base, déborder sur l’Europe. Cette question sécuritaire vient parfois s’envenimer localement de querelles religieuses, tribales ou claniques, rendant les solutions encore plus difficiles à mettre au point. Même lorsque ces risques ne sont pas au devant de la scène, la gestion politique parait frappée par de grands handicaps : faible nombre de leaders charismatiques, désintéressés et capables de concevoir une vision à long terme du pays ; tentations fréquentes de remise en cause des constitutions nationales ; accroissement généralisé des comportements prévaricateurs de décideurs politiques et administratifs. Derrière ces faits apparait surtout la carence croissante des Etats qui ne semblent pas en mesure de choisir les priorités, et a fortiori de les assumer, d’adapter les rythmes d’action à l’urgence et à l’ampleur des problèmes posés, de remplacer les anciennes cohérences sociologiques par de nouvelles organisations mieux ajustées aux  transformations structurelles requises par le développement

Pourtant, l’embellie économique de l’Afrique depuis le début des années 2000 est une réalité incontestable et généralisée. La croissance moyenne du PIB supérieure à 5% sur la période est connue et remarquable. L’évolution positive touche la grande majorité des pays malgré de fortes diversités de situations. L’accent de plus en plus porté sur les infrastructures routières et urbaines transforme la physionomie des pays, et surtout des capitales. Deux principaux facteurs expliquent l’essentiel de cette lame de fond qui a saisi le continent. Le premier est l’amélioration significative du cadre macroéconomique dans lequel fonctionnent une grande partie des nations africaines, et notamment subsahariennes : la diminution relative des déficits budgétaires, les efforts d’accroissement des recettes fiscales, la réduction drastique du volume de dette extérieure et de son poids sur les finances  publiques, l’amélioration des termes de l’échange sur une bonne partie de la période, la meilleure pertinence des politiques suivies ont facilité une meilleure atteinte des grands équilibres, en même temps qu’ils rassuraient et encourageaient les investisseurs. Parallèlement, les vingt années passées ont été pour certains secteurs synonymes de progrès intenses et même de rattrapage vis-à-vis des pays développés. C’est notamment le cas des télécommunications, où les taux de pénétration du téléphone mobile atteignent aujourd’hui près de 60% en moyenne, et des banques, où le dynamisme et la bonne santé du système bancaire subsaharien sont unanimement salués. C’est aussi le cas des productions minières et énergétiques, pour lesquelles sont intervenues de nombreuses découvertes et ont été réalisées de lourds investissements, soutenus notamment par la forte demande de grands pays émergents. La construction dans certains pays d’importantes infrastructures a constitué un autre moteur de la croissance observée, en même temps qu’elle portait à un bon niveau le bâtiment et les travaux publics. Ces diverses composantes de l’activité ont bien résisté à la crise financière majeure de 2008 et aux multiples facettes de la crise économique internationale qui ont suivi. D’autres aspects positifs pourraient être évoqués : progressive montée en puissance d’un secteur privé apportant plus d’efficacité et de dynamisme, même dans sa partie informelle qui reste dominante ; augmentation sensible des revenus moyens d’une frange de la population – cadres salariés, entrepreneurs individuels – qui modifie les niveaux et les modes de consommation ; vive poussée de l’urbanisation, qui facilite la couverture en équipements publics minimaux d’une plus grande partie de la population.

Ces moteurs de l’activité économique en Afrique devraient continuer à tourner à bon régime durant les prochaines années au vu des plans de développement qu’affichent les Etats et les  groupes concernés et de la vive concurrence qui aiguise les efforts de chacun. D’autres secteurs devraient voir leur niveau d’activité se renforcer à bref délai : dans l’hôtellerie par exemple, les projets d’implantation se multiplient, tant de la part de chaines internationales que de groupes africains ; les assurances, la production de ciment, la grande distribution comptent aussi parmi les domaines où se profilent des opérations d’expansion géographique. La rencontre de besoins considérables sur des plans très divers, d’un plus grand intérêt de beaucoup d’investisseurs pour le continent et du dynamisme des secteurs privés locaux, encore embryonnaires mais en essor constant, peuvent ensemble alimenter durablement le taux de progression des économies africaines.

Toutefois, en raison de la forte poussée démographique, ces améliorations amènent une évolution encore modeste et insuffisante du produit net par habitant. Pour accélérer la hausse de cet indicateur et imposer plus solidement la croissance économique africaine face aux dangers qui la menacent, plusieurs transformations majeures s’imposent à bref délai. L’une a trait à l’agriculture qui doit absolument devenir un enjeu prioritaire : il faut à la fois en améliorer  les performances et la productivité, réduire ses déperditions, mieux la sécuriser par rapport aux changements climatiques : au Niger, les mauvaises conditions météorologiques de 2013 ont ainsi entraîné un recul de la production agricole et une division par deux du taux de croissance global par rapport aux prévisions. Un deuxième centre d’intérêt privilégié doit être l’effort considérable à mener, quantitativement et qualitativement, en termes d’éducation et de formation professionnelle : il conditionne l’accroissement des chances de chacun dans une société en mutation et la capacité des pays à fournir des demandeurs d’emploi aptes à occuper les postes requis par les nouveaux secteurs porteurs de l’économie. Faute de cette action de masse, le chômage, déjà très présent, pourrait  devenir un péril socialement insupportable. Un troisième défi est celui du renforcement des capacités énergétiques, très déficitaire en de nombreux endroits par rapport aux besoins de l’économie comme à ceux des populations. Une quatrième orientation doit être d’accentuer au maximum les orientations et les mesures d’intégration régionale : celles-ci  accroissent les synergies, et donc les économies et l’efficacité, protègent mieux les pays membres, grâce à la pression commune, contre les risques de crise ou de corruption, et favorisent le lancement de projets majeurs : l’avancée progressive vers une union monétaire dans l’East African Community et le chantier de Boucle Ferroviaire en Afrique de l’Ouest en sont deux illustrations.

Si ces sujets reçoivent rapidement une réponse adéquate, l’Afrique a de bonnes chances de voir ses atouts triompher progressivement des handicaps qui persistent ou la menacent. La capacité d’imagination et d’innovation pour trouver des solutions efficaces aux maux qui la minent, telle la faiblesse dramatique de nombreux Etats assumant difficilement toutes les responsabilités qui leur incombent, sera décisive dans ce combat pour le développement. Dans celui-ci, il est probable que les nations progresseront en ordre dispersé et que certaines, mieux organisées ou déjà plus puissantes, avanceront en éclaireurs, ouvrant la voie à d’autres qui pourraient les suivre à quelque distance.

Paul Derreumaux