Afrique Subsaharienne : Quoi de neuf dans les banques pour la rentrée ?

Afrique Subsaharienne : Quoi de neuf dans les banques pour la rentrée ?

Après une année 2012/2013 fertile en nouvelles, le secteur bancaire subsaharien a fait peu parler de lui pendant l’été qui s’achève. La vigueur du taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’ensemble de cette zone ne s’est pas démentie et atteindrait, selon le Fonds Monétaire International (FMI), 5,4% sur toute l’année en cours. Cette poussée, qui prolonge celle de 2011/2012, devrait soutenir une nouvelle progression des bilans, des activités et des résultats de la profession bancaire durant cet exercice. Le maintien de la bonne santé globale du secteur est donc la première caractéristique probable de celui-ci pour l’année 2013 et le début de 2014. Hors cette bonne nouvelle en continuité avec les années précédentes, plusieurs grandes tendances peuvent être attendues pour la période qui s’engage..

Pour l’expansion des réseaux existants, la nouvelle saison devrait être plus calme que les années précédentes. Les groupes africains actuellement dominants et les plus dynamiques ont d’abord à gérer et, parfois, à consolider ou restructurer les nombreuses entités achetées ou créées ces dernières années, et souvent à renforcer leurs fonds propres, pour préparer l’avenir. Barclays l’a clairement annoncé en réorganisant ses implantations directes et celles de sa filiale sud-africaine ABSA, mais d’autres sont engagés aussi dans cette voie prioritaire, même si c’est de manière plus discrète. De plus, la constitution de nouveaux établissements s’avère de plus en plus couteuse et difficile au fur et à mesure que le capital minimum requis est plus élevé et la compétition plus rigoureuse. Malgré cette probable pause relative, quelques opérations importantes seront sans doute finalisées en 2014 : privatisation au Nigéria par la structure AMCON de trois banques assainies  et vente par le Fonds d’Investissement ECP de sa part dans la banque ivoirienne BIAO par exemple. La taille de ces cibles pourrait  donner l’occasion à de nouveaux groupes, européens ou moyen-orientaux, de renforcer leur position en Afrique subsaharienne ou d’y pénétrer, même si les groupes africains tentent également de se saisir  de ces opportunités rares

Tandis que se calme la frénésie expansionniste, la compétition commerciale entre établissements  devrait s’intensifier dans chaque pays, tous les grands groupes s’efforçant de développer leurs activités, voire leur position locale. Cette concurrence continuera à s’exercer notamment à travers la poursuite de la couverture des territoires nationaux par des réseaux d’agences toujours plus denses, d’une part, et par une diversification des produits servis pour l’équipement de ces réseaux, d’autre part. Les gisements de progression restent en effet nombreux pour cette politique qui vise avant tout la conquête du marché des ménages: perspectives économiques ambiantes généralement positives, marges importantes d’augmentation possible du taux de bancarisation, urbanisation croissante des populations, encouragements des Autorités monétaires et administratives, progrès techniques permettant l’introduction de nouveaux services, en particulier monétiques. En la matière, l’avancée la plus vive pourrait être observée dans les pays francophones, dans lesquels les taux de bancarisation sont encore les plus faibles

Une autre accélération  sera normalement l’expansion attendue du « mobile banking » dans l’éventail des moyens de paiement. Les succès rencontrés au Kenya – compte M’Pesa mais aussi, plus récemment, compte M-Swari qui a des ambitions plus larges – font des émules. L’offensive est souvent menée par les sociétés de télécommunications : Orange mise ainsi activement sur son produit Orange Money dans ses pays d’implantation, notamment au Mali où elle est leader, et commence à traiter des opérations internationales, mais beaucoup de ses concurrents sont sur les mêmes voies. Cette poussée s’appuie sur des considérations techniques, telle l’avance importante du taux de pénétration du téléphone mobile sur celui des comptes bancaires. Elle conjugue aussi l’intérêt des deux parties prenantes : les compagnies téléphoniques fidélisent leurs publics et maintiennent un taux de progression élevé de leurs chiffres d’affaires alors que leur marché initial approche doucement de sa saturation ; les banques accroissent leurs revenus, ont accès à de nouvelles couches de particuliers et soignent leur image de modernité. A moyen terme, cependant, des interrogations importantes émergent : certains acteurs bancaires resteront-ils en dehors de ce mouvement de fond ? Les banques, à l’image des tentatives actuelles de la Société Générale, sauront-elles prendre leur indépendance technique à l’égard des entreprises de communications, qui mènent présentement le jeu ? Le « mobile banking » se laissera-t-il dépasser par les nombreuses autres recherches en cours pour de nouveaux moyens de paiements utilisant d’autres approches, et notamment le « paiement sans contact » ? En forte progression, ce domaine est loin d’être stabilisé.

A côté de ces aspects commerciaux porteurs, les systèmes bancaires subsahariens sont confrontés à une montée en puissance des risques qui pourrait freiner l’élan qui les caractérise depuis près d’une décennie. L’extension des réseaux et des clientèles, la diversification continue  des systèmes de fraude augmentent d’abord les risques opérationnels pour des équipes qui ne sont pas toujours suffisamment aguerries face à ces dangers. L’agence de notation Moodys, tout en reconnaissant la forte croissance et le renforcement des banques africaines, a aussi récemment souligné les contreparties de cette progression, liées en particulier à une persistante faiblesse relative des ressources propres, aux fluctuations rapides des cours des matières premières et à la forte imprégnation de la corruption. Toutefois, la principale difficulté a sans doute trait à la diminution de la qualité des portefeuilles de crédits et à l’accroissement sensible des Créances Douteuses et Litigieuses (CDL) dans bon nombre de réseaux. Cette croissance des CDL n’est pas illogique par suite de l’expansion remarquable des concours à la clientèle les années passées et des conséquences diffuses de la crise économique mondiale. Elle interpelle cependant par sa généralité et illustre à la fois une certaine faiblesse des dispositifs de gestion des risques de contrepartie dans certains groupes et la nécessité  d’y remédier sans délai pour ne pas compromettre les acquis de la période récente. Encore ce niveau déclaré des CDL dépend-il de la transparence de la gestion des banques ainsi que de la rigueur de la réglementation et du suivi des banques centrales : divers exemples montrent que les présentations officielles ne reflètent pas toujours une réalité exhaustive et que des ajustements brutaux sont parfois imposés par les Autorités de contrôle. Le Nigéria a illustré cette situation à plusieurs reprises et, comme en d’autres domaines, l’Afrique de l’Ouest apparait moins performante que l’Afrique de l’Est.

Enfin, l’une des questions qui devrait utilement faire débat est celle des taux débiteurs qui restent en général fort élevés pour les particuliers comme pour les entreprises petites et moyennes. Les banques centrales accentuent les incitations à une baisse de ces intérêts en réduisant elles-mêmes leurs taux directeurs, comme vient de le faire encore la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, mais les banques commerciales sont peu enclines à réduire leur bonne rentabilité actuelle et arguent notamment du coût élevé du risque de crédit. Celui-ci reste effectivement obéré par la fragilité de nombre d’entreprises, par les fréquents soubresauts de la conjoncture et, surtout, par l’efficacité insuffisante et la grande lenteur des tribunaux, dénoncées de longue date mais toujours présentes.  Ces handicaps sont réels mais la meilleure maîtrise de l’inflation dans nombre de pays rend le loyer de l’argent parfois prohibitif en termes réels. Il est donc nécessaire d’aller au-delà des progrès déjà réalisés : les efforts réels et importants récemment consentis par les banques dans l’allongement de la durée des crédits à long terme n’auront par exemple leur pleine réussite que si les taux baissent, faute de quoi les charges d’intérêt correspondantes rendront insupportable le coût imposé aux emprunteurs. Contrairement à de nombreux domaines, la zone francophone pourrait être ici mieux placée que les autres parties du continent grâce à la stabilité monétaire qu’apporte la zone franc, si les Etats réalisent les ajustements nécessaires de l’environnement bancaire

La saison 2013/2014 pourrait donc voir une inflexion dans les priorités des banques subsahariennes. L’actualité des années récentes était dominée par la croissance des principaux groupes, ponctuée fréquemment par des mouvements capitalistiques de grande ampleur. Une nouvelle donne devrait s’imposer : elle privilégiera d’un côté la croissance interne des entités existantes, grâce au renforcement des canaux commerciaux déjà connus et le développement de nouveaux moyens de paiement ; elle mettra l’accent, de l’autre, sur le renforcement des aspects les plus fragiles des systèmes actuels. Cette période de consolidation permettra sans doute la reprise ultérieure des mouvements de concentration du cycle précédent. Dans tous les cas, la profession a encore de beaux jours devant elle, grâce au tonus actuel de la croissance économique africaine.

Paul Derreumaux

Développement financier et intégration régionale

Développement financier et intégration régionale: quelques interactions en zone Franc

Un secteur bancaire dynamique a été l’un des importants soutiens de la bonne croissance économique en zone Franc depuis le début des années 2000. Quelques facteurs semblent avoir joué un rôle déterminant dans cette mutation positive. D’importants progrès restent cependant à faire  pour compléter le dispositif existant et renforcer les synergies favorables.

Le séisme qui a frappé les banques en zone Franc dans les années 1980 commence à s’estomper de la mémoire collective : les jeunes générations de cadres économiques et politiques ne l’ont pas vécu et observent en revanche une expansion remarquable du système bancaire dans les trente dernières années. Celle-ci a été impulsée par des acteurs presqu’entièrement renouvelés et en intense compétition : ces changements d’identité et de comportement sont très certainement une cause majeure des améliorations observées. Dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) par exemple, sur les onze principaux groupes que recense la Commission Bancaire fin 2012, neuf  n’existaient pas il y a 35 ans ou sont passés entre les mains de nouveaux actionnaires sur la période. Seuls deux groupes français figurent encore dans ce peloton de tête. Les nouveaux venus, qui représentent une large majorité des bilans bancaires de la zone, sont tous africains : leur croissance sur le continent constitue donc leur objectif prioritaire, voire unique, et la profitabilité des opérations correspondantes le point d’appui de leur rentabilité globale. La montée en puissance des implantations subsahariennes dans le résultat des banques marocaines Atijari et BMCE en donne la preuve éclatante et devrait se poursuivre. Cette situation entraine d’ailleurs les banques françaises encore en place à s’engager fermement dans cette concurrence aiguisée, et la transformation de leur dispositif africain a sans doute été plus intense durant les vingt dernières années que dans les vingt précédentes.

Trois principales conséquences résultent de cette transformation. D’abord, le nombre d’entités bancaires a fortement progressé dans chaque pays, porté par l’émergence de nombreux établissements privés à partir des années 1990 et, surtout, par la volonté des principaux acteurs de se constituer en réseaux couvrant toute l’Union pour mieux servir leurs grands clients : l’effectif a ainsi franchi en 2010 le seuil des 100 unités pour les huit pays. En second lieu, ces banques ont pour la plupart mené une politique offensive d’installation d’agences sur l’ensemble du territoire de leur Etat d’implantation, d’une part, et d’ouverture du nombre maximal de comptes bancaires, d’autre part, pour préserver ou consolider leur part de marché et multiplier leurs opportunités d’opérations : le nombre de guichets bancaires avoisine 2000 fin 2012, en hausse de 16% sur les deux dernières années, tandis que le nombre de comptes bancaires a progressé de 42% sur la même période pour approcher l’effectif de 8 millions. Le principal effet en est la sensible augmentation récente du taux de bancarisation des populations, qui est malgré tout encore en deçà du seuil des 10% et nettement en retard par rapport aux autres parties de l’Afrique. Enfin, tous les intervenants, et principalement les grands acteurs, ont intensément œuvré pour une densification des services et produits mis à la disposition de leur clientèle élargie. Le public des particuliers a été spécialement visé dans cette politique de conquête de la clientèle de masse, grâce notamment à une extension rapide des produits de monétique, à une forte augmentation des prêts personnels et à un allongement de la durée des prêts. Ce dernier point autorise notamment un début de satisfaction des besoins  importants en financement de l’habitat. Les entreprises ont toutefois été également bénéficiaires : la réalité d’un espace monétaire et financier unifié dans l’UEMOA et la consolidation à l’intérieur de celle-ci des réseaux de banques commerciales ont permis un bon soutien  financier, y compris par des financements consortiaux d’investissements, de l’expansion régionale des grandes entreprises, qui contribuait elle-même à la consolidation de l’intégration et de la croissance de la zone.

Pour la Communauté Economique et Monétaire des Etats d‘Afrique Centrale (CEMAC), quelques décalages pourraient être notés sur plusieurs des aspects soulignés pour l’UEMOA. Toutefois les tendances sont analogues : primauté nouvelle des groupes africains, durcissement de la concurrence générant d’importants progrès au profit des clientèles, forte modernisation des produits et services bancaires, approche régionale intégrée appliquée par les acteurs financiers même si le dispositif institutionnel est légèrement moins avancé.

Ce renforcement mutuel progressif du développement financier et de l’intégration économique régionale rencontre cependant encore divers freins qui pourraient être levés.

A l’intérieur des systèmes financiers, quatre faiblesses apparaissent essentielles. La première est la quasi-absence d’établissements financiers non bancaires. A côté de la puissante consolidation du système bancaire, toutes les autres institutions financières restent encore embryonnaires, pour des raisons à la fois réglementaires et fiscales, d’un côté, et par suite de la faiblesse du secteur formel des Petites et Moyennes Entreprises (PME), de l’autre. Les choix de modes de financements, sont donc réduits et le poids des concours à l’économie dans le Produit Intérieur Brut (PIB), qui avoisine 30%, demeure anormalement faible. La deuxième est la cherté persistante des crédits. Certes des efforts importants ont été consentis dans les dernières années par les banques, surtout au profit des grandes entreprises, qui ont su faire jouer à  plein la concurrence entre prêteurs, et sur les places où la compétition bancaire est la plus rude, comme au Sénégal. Dans la plupart des pays et vis-à-vis des autres catégories de clients comme les PME et les particuliers cependant, les taux d’intérêt nominaux restent élevés et l’inflation maîtrisée conduit à des taux réels peu attractifs. Ceci est particulièrement vrai pour les crédits à long terme, que les banques acceptent désormais plus facilement de financer, mais qui ne peuvent se développer à ces conditions peu compétitives. Le prix de collecte des ressources drainées et le coût du risque apparaissent comme les deux principales causes de cette situation et devraient donc être revus. Le troisième est la rareté relative des refinancements interbancaires, dont l’accroissement permettrait d’optimiser l’affectation des ressources entre établissements et entre pays. Même si les dispositifs prudentiels autorisent tous les concours de ce type, ceux-ci restent encore surtout limités aux refinancements, principalement à court terme, entre banques du même groupe ou de la même place. Une généralisation de ces échanges financiers serait de nature à accroitre les moyens d’action des banques dans un cadre régional et à soutenir l’intégration. Enfin, le renforcement de la formation des équipes bancaires devrait être une forte priorité. Face à des métiers qui se sont profondément diversifiés et modernisés, les agents ne sont pas toujours armés pour gérer au mieux des risques opérationnels en forte progression et pour étudier et suivre des concours à des structures informelles qui restent majoritaires. Les développements récents ou souhaités des activités bancaires se heurtent donc à cette contrainte, qui peut provoquer des coûts élevés pénalisant les banques les plus actives.

Pour l’environnement, diverses améliorations sont très souhaitables voire indispensables, qui favoriseraient à la fois développement financier et intégration régionale. La première est d’ordre réglementaire : le dispositif prudentiel reste moins incitatif qu’en d’autres régions du continent pour faciliter la création d’institutions solides et bien adaptées à leur contexte. Certes le ratio relatif à la facilité de transformation des ressources pour une meilleure adéquation à la durée des emplois a été par exemple revu début 2013. Mais d’autres insuffisances et rigidités persistent : ainsi le capital minimum requis pour les banques demeure trop faible par rapport aux normes désormais couramment admises ; dans le même temps, les fonds propres exigés  pour les établissements financiers sont inutilement dissuasifs et expliquent le grand manque de telles institutions dans la zone. Le fonctionnement peu performant de la justice dans la plupart des pays constitue un autre blocage important : cette difficulté était exprimée de longue date par tous les acteurs financiers et de nombreux partenaires étrangers, et l’institution de l’OHADA, il y a déjà vingt ans, avait généré beaucoup d’espoirs en ce domaine. La pratique montre cependant que les changements s’effectuent très lentement et que de nombreuses anomalies subsistent dans les jugements énoncés tandis que la lenteur des décisions est toujours problématique. Par suite, le coût du risque reste lourd et ralentit fortement la baisse souhaitable des taux d’intérêt. Sur un autre plan, des politiques d’intégration plus efficaces et une harmonisation plus poussée des réglementations donneraient aux systèmes bancaires des différents pays davantage de possibilités pour porter leur champ d’action à tout l’espace régional. Les politiques visant une meilleure convergence des économies de chaque pays de la zone Franc peinent jusqu’ici a dégager des résultats probants et ne facilitent pas la mobilisation des institutions financières au profit de l’atteinte d’objectifs communs de développement. En matière d’impôts par ailleurs, les progrès dans l’unification de la fiscalité sur l’épargne, les crédits ou les valeurs mobilières sont récents et encore imparfaits alors qu’ils sont des conditions sine qua non pour l’utilisation optimale par les agents économiques d’un espace monétaire et financier régional unifié. Enfin, la gestion d’une large majorité des entreprises reste d’une qualité insuffisante, tant pour le fonctionnement courant que pour les investissements d’expansion, ce qui rend difficile le partenariat avec les institutions financières. Le renforcement par tous moyens des   PME formelles et de leur poids relatif dans les appareils économiques appuiera donc le développement des systèmes financiers et de ses capacités d’action.

Paul Derreumaux