L’actualité met en valeur l’arrivée en Afrique subsaharienne de « fonds secondaires » qui rachètent des actifs de Fonds d’Investissement, ou Fonds de Private Equity (FPE) n’ayant pas réussi dans les délais prévus leur sortie de certaines sociétés. Déjà courante ailleurs, cette nouvelle catégorie souligne l’inventivité constante du monde de la finance, mais témoigne aussi des difficultés croissantes des FPE dans l’atteinte de leurs objectifs, y compris dans ce périmètre géographique. Celles-ci peuvent être appréciées dans deux composantes essentielles de ces structures – les Fonds tournés vers les grandes entreprises ; ceux consacrés aux petites entreprises (ou Fonds d’impact).
Les FPE visant de grandes entreprises des pays subsahariens sont apparus au début des années 2000, en lien direct avec l’afro-optimisme ambiant de l’époque. Leur approche présente en effet des caractéristiques conformes aux besoins des entreprises locales : présence momentanée dans le capital des sociétés investies avec des soutiens financiers et techniques, offrant aux promoteurs locaux un éventail maximal de perspectives ultérieures de développement et de profit. Elle est aussi en harmonie avec les voeux de leurs propres investisseurs : durée de vie limitée à 10 ou 12 ans des FPE ; maximisation de la rentabilité grâce à l’encadrement des promoteurs ; optimisation des conditions de sortie par la recherche des solutions les plus avantageuses. Outre l’abondance des ressources financières disponibles à cette époque, l’engouement pour les FPE a été favorisé par les investissements réalisés par certains d’entre eux dans des sociétés de télécommunications mobiles, alors en début de croissance exponentielle sur le continent, qui ont boosté leur rentabilité. Les succès obtenus expliquent la multiplication de ces FPE, la part importante des investisseurs privés à leur capital et la constitution progressive de solides équipes de gestion prenant en charge plusieurs générations successives de Fonds.
Ces FPE comptent maintenant de nombreuses réalisations en Afrique même si leur poids relatif y reste nettement inférieur à celui atteint ailleurs. Ils sont aussi un canal d’investissement apprécié même s’ils restent majoritairement basés à l’international. Toutefois, plusieurs ressorts essentiels de leur efficacité se sont atténués : affaiblissement de la croissance moyenne des économies depuis 2015 ; retards considérables dans la création d’emplois productifs : ralentissement de la progression d’une classe moyenne de consommateurs dans de nombreux pays ; faiblesse des marchés financiers pour les sorties ; nombreuses perturbations dans les monnaies africaines. Depuis 2020, plusieurs crises mondiales et des tensions politico-sociales nombreuses ont introduit aussi des biais négatifs inattendus. Outre ces facteurs externes, l’expérience a montré, ici comme ailleurs, que certaines entreprises soutenues présentaient dans la durée des défaillances de gouvernance ou de stratégie pouvant compromettre les ambitions initiales. Plusieurs conséquences en résultent : rentabilité des FPE souvent nettement intérieure aux annonces ; tendance au repli du poids des investisseurs privés par rapport aux investisseurs institutionnels ; difficulté de respecter les dates de sortie ; concentration des investissements sur quelques pays ou régions, telle l’Afrique du Nord, et quelques secteurs, en particulier commerce et services ; cession à des groupes étrangers plutôt qu’à des repreneurs africains.
Ces inconvénients montrent que l’essor de ces Fonds consacrés aux secteurs productifs dépend aussi largement, comme pour les sociétés dans lesquelles ils sont investis, de réformes structurelles locales capables de soutenir l’emploi, l’investissement et le bon fonctionnement des entreprises et de l’économie. En revanche, la promotion par les FPE, ou selon d’autres canaux, de sociétés d’investissement pérennes, d’implantations nationales ou régionales, pourrait constituer un relais des Fonds, tout en garantissant un ancrage futur plus local des entreprises investies, conformément aux ambitions affichées de plus en plus par tous les acteurs.
Les FPE visant le financement des petites entreprises sont plus récents et plus rares. Ils cumulent aussi plus de handicaps liés aux caractéristiques de leurs cibles : incertitudes de profitabilité, voire de viabilité, des entreprises investies ; faible formalisation imposant de lourdes actions d’encadrement et de formation par les gestionnaires des Fonds ; forte dépendance par rapport à un environnement en général peu favorable et instable ; nombre réduit de repreneurs potentiels, nationaux comme étrangers, lors de la sortie des Fonds en raison de la difficulté des challenges à relever. Il en découle pour les FPE de cette catégorie, dans un phénomène d’’enchainement négatif, un poids relatif élevé des coûts de gestion face à des produits limités et étalés dans le temps, une rentabilité souvent modeste et tardive et une faible attractivité sur des investisseurs largement composés d’institutionnels.
Malgré ces défis, la présence des Fonds d’impact progresse en Afrique subsaharienne, par suite de la place prééminente des petites et moyennes entreprises dans les économies et du constat général d’un chaînon manquant dans leur financement : celui des capitaux propres. Le secteur connait même des avancées originales comme celle du Fonds IPDEV 2. Celui-ci s’est fixé en 2016 l’objectif de la création d’une dizaine de FPE locaux de taille modeste, dans des pays francophones et anglophones, centrés sur les petites entreprises et réunissant à leur tour de table, des actionnaires nationaux privés ou publics. Une bonne part du chemin est franchie ; en juin 2024, 8 fonds sont déjà opérationnels dans des pays aussi variés que le Sénégal et Madagascar, et ont ensemble un volume d’investissements d’environ 32 millions d’EUR dans une bonne cinquantaine d’entreprises ; 2 nouveaux fonds sont en préparation et 6 sorties d’entreprises ont déjà été réussies ; en revanche, aucun des fonds nationaux n’a pu effacer entièrement les pertes supportées depuis sa création et démontrer sa viabilité durable. Malgré l’intensité des efforts exigés, les résultats obtenus sont donc encore infimes par rapport aux challenges relevés.
Pour corriger cet état de fait préoccupant, des réformes majeures seraient cruciales, dont quelques exemples peuvent être évoqués. La première mutation semble justifiée par le fait que ces FPE se substituent, au moins partiellement, à des actions habituellement accomplies par des institutions d’appui au développement ou les Autorités locales : études de marché et de faisabilité de projets, apports financiers et techniques à des études préalables à des investissements productifs et à la réalisation de ceux-ci, formalisation des méthodes de travail des petites sociétés, formation professionnelle des chefs d’entreprises. Dans ces missions de quasi-service public, les FPE apportent deux avantages décisifs qui sont la compétence technique des équipes et leur approche plus permanente que celle de projets. Ceci peut justifier des soutiens directs aux FPE pour prendre en charge une fraction de leurs coûts d’approche ou tout ou partie des pertes subies pendant les premières années de fonctionnement. Ceci peut inclure aussi pour des mini-FPE nationaux le support, dégressif dans le temps, des coûts de gestion de ces structures, dont le poids est particulièrement lourd mais qui recouvrent un encadrement essentiel pour les entreprises financées. Une autre amélioration pourrait être, comme pour les FPE visant les grandes entreprises, la création de sociétés d’investissement locales pour constituer, à la sortie des Fonds, un relais d’actionnariat durable des entreprises financées. Compte tenu des enjeux financiers plus limités dans le cas présent, ces sociétés devraient d’ailleurs être plus facilement constituées, bénéficier d’avantages fiscaux et même intéresser des capitaux de la diaspora, comme IPDEV a pu le vérifier dans un de ses pays d’implantation.
Sans être des panacées, les FPE ont fait la preuve de leur utilité en zone subsaharienne comme ailleurs. Les imperfections actuelles de leur fonctionnement appellent des transformations pour que leur rôle s’élargisse. Comme pour toute institution financière, ces mutations n’auront toutefois leur plein effet que si les acteurs qui maîtrisent tout l’environnement -Autorités nationales et grands bailleurs de fonds notamment- participent activement à son amélioration.
Paul Derreumaux
Article publié le 21/05/2025