Évolution du secteur bancaire africain : nouveaux acteurs, nouveaux modèles ?

Article paru dans la Revue Secteur Privé & Développement

(Proparco – n°16 – mai 2013)

Le renouveau du secteur bancaire en Afrique

 

Les systèmes bancaires africains ont connu d’importantes mutations au cours des dernières décennies. L’apparition de groupes africains et le climat de concurrence accrue poussent les acteurs du secteur à adopter des stratégies de développement reposant en particulier sur la diversification de la clientèle et des produits. Malgré sa vitalité, le secteur doit relever de nouveaux défis pour continuer à appuyer le développement du continent.

En 2012, les 200 plus grandes banques africaines représentaient un total de bilan d’environ 1110 milliards de dollars et un produit net bancaire (PNB) de 45 milliards de dollars1. Dans cet ensemble, l’Afrique du Sud, le Nigéria et l’Afrique du Nord dominent : ils représentent respectivement 36 %, 9 % et 40 % du bilan total de ces 200 plus grandes banques africaines et 45 %, 15 % et 32 % de leur PNB total. Le secteur bancaire en Afrique subsaharienne reste toutefois marqué par sa très grande diversité, que l’on considère le degré de concentration des établissements bancaires ou le taux de bancarisation des populations – qui s’échelonne de plus de 50 % pour l’Afrique du Sud à moins de 10 % pour l’Afrique francophone.
Les banques commerciales dominent aujourd’hui encore les systèmes financiers d’Afrique subsaharienne. Après les indépendances, le secteur était essentiellement composé de banques étatiques et de quelques grandes banques issues des anciennes puissances coloniales. Au cours des quarante dernières années, plusieurs mutations majeures ont progressivement transformé les systèmes financiers africains. Une évolution d’importance a été l’apparition des premières banques privées africaines, suivie par la mise en place de leurs réseaux régionaux. Le secteur a également été marqué par le repli partiel des grands groupes étrangers et par les grandes difficultés des banques étatiques. Un autre facteur de changement a été ensuite la création de marchés régionaux, qui a favorisé l’émergence de groupes bancaires africains de dimension régionale ou même continentale. Ces différentes étapes, ces mutations à répétition ont dessiné les contours des systèmes financiers africains d’aujourd’hui – avec leurs forces et leurs faiblesses.

Un secteur bancaire assaini

Le secteur bancaire africain est aujourd’hui globalement en bonne santé. Les crises généralisées de liquidité et de solvabilité des années 1970 et 19802 qui ont marqué les banques commerciales, et leurs autorités de tutelle, sont aujourd’hui passées. Les comportements ont évolué, des modifications structurelles ont été conduites, comme en témoignent par exemple la création des commissions bancaires régionales en Afrique francophone et la mise en place d’un meilleur suivi des risques de contrepartie dans la plupart des banques commerciales.

Aujourd’hui, les institutions bancaires font preuve d’une plus grande résilience.

Aujourd’hui, les institutions bancaires font preuve d’une plus grande résilience et d’un professionnalisme accru – et enregistrent de meilleurs résultats. Poussées par une croissance économique qui s’accélère et qu’elles facilitent, les banques enregistrent une progression régulière de tous leurs indicateurs d’activité et d’exploitation. Le palmarès annuel des 200 plus grandes banques africaines met en valeur ces évolutions positives. Certes, la situation diffère beaucoup d’un pays à l’autre en fonction de la conjoncture économique nationale, de la qualité de l’environnement et de l’état de la réglementation prudentielle. Mais le mouvement est incontestable et remarquable, que l’on considère les données par région géographique, par pays ou par banque. Cet état des systèmes bancaires reflète aussi le mieux-être global de l’Afrique subsaharienne tout en étant conforme aux particularités des zones qui la composent.
Dans cet ensemble, l’Afrique du Sud reste un monde à part. Ses quatre principales banques sont chacune près de trois à quatre fois plus puissantes que celles qui les suivent dans le classement des banques africaines. Elles pèsent, à elles quatre, plus de 35 % du total de bilan des 100 plus importantes banques d’Afrique (Figure 1). Malgré cette avance considérable – qui ne se réduit que lentement – les banques sud-africaines n’ont pourtant pas une implantation sur le continent qui correspond à leur importance : le potentiel d’expansion sur leur marché national et les restrictions d’investissement à l’étranger expliquent sans doute en partie cette situation. Mais l’Afrique du Sud aura nécessairement un rôle clé à jouer dans l’évolution des systèmes financiers africains, comme le confirment quelques tendances récentes : la montée en force de Nedbank au capital d’Ecobank, la restructuration-fusion des implantations de Barclays et d’Absa3  dans Barclays Africa Group et l’arrivée de Stanbic4 au Nigéria.

Une concurrence et une régulation accrues

Les filiales de banques étrangères ont progressivement cédé leur position dominante – sans doute de façon définitive – à des banques africaines. Les nouveaux leaders, peu nombreux, sont issus de quelques pays : le Maroc et le Nigéria affichent les réseaux les plus importants, suivis par l’Afrique du Sud et, depuis peu, par le Kenya et le Gabon. Mais cet équilibre est instable ; car tous ces leaders sont puissants et entreprenants, notamment en raison de la taille qu’ils ont acquise dans leurs pays d’origine. Tous, aussi, ont les mêmes motivations : parvenir à une expansion géographique maximale, en s’appuyant sur leurs moyens capitalistiques et leur savoir-faire.

La quête de nouveaux marchés concerne désormais toute l’Afrique subsaharienne.

La quête de nouveaux marchés concerne désormais toute l’Afrique subsaharienne ; l’expansion se fait par le biais, selon les circonstances, du rachat d’une banque existante ou de la création d’une nouvelle entité. Aujourd’hui, les seuls freins à cette politique d’expansion géographique sont les limites financières de certains réseaux ou les difficultés concrètes d’identification de cibles attractives. Pourtant, rares encore sont ceux qui ont une présence véritablement continentale – c’est-à-dire touchant au moins deux zones linguistiques ; c’est le cas d’Ecobank, de Bank of Africa et d’United Bank for Africa (Tableau 1). Il est vraisemblable que quelques autres les rejoindront à brève échéance. En décloisonnant son périmètre d’action, le secteur bancaire joue sans doute un rôle de précurseur et se pose en modèle ; les grandes entreprises africaines, qui raisonnent systématiquement en termes régionaux, devraient ainsi suivre et dépasser leur cadre géographique, devenu trop étroit. Comme souvent, le secteur privé montre donc l’exemple en matière d’intégration ; les banques constituent, dans ce contexte, un catalyseur essentiel – en particulier par l’accompagnement qu’elles apportent à leurs clients.
Dans cet environnement très compétitif, les acteurs du secteur développent des stratégies analogues visant à capter de nouveaux publics tout en diversifiant leurs opérations. Ils s’appuient sur leurs réseaux d’agences, qui se densifient rapidement – assurant de ce fait l’évolution du niveau général de bancarisation en Afrique. Les produits sont toujours plus nombreux et plus modernes : monétique, banque par Internet ou par téléphone mobile. Elles visent les mêmes cibles, allant du particulier à la grande entreprise, soucieuses de conquérir des parts sur des marchés encore étroits où chaque intervenant est contraint de travailler avec toutes les clientèles. Désormais mieux organisées et plus innovantes, les banques africaines rattrapent leur retard et devancent même leurs homologues des pays du Nord en matière de mobile banking ou de cartes Visa prépayées.

L’action des banques centrales tient (…) une place essentielle dans l’évolution du secteur.

L’action des banques centrales tient, aussi, une place essentielle dans l’évolution du secteur. Celle-ci a commencé avec la mise en place d’autorités de tutelle indépendantes imposant des règles inspirées des normes bancaires internationales : initiées dès les années 1970 dans les pays anglophones d’Afrique de l’Est, ces structures ont été instaurées en Afrique francophone à la fin des années 1980. L’augmentation massive du capital minimum requis pour l’exercice de la profession constitue une autre illustration de ce travail de régulation : la brusque exigence du Nigéria en 2005 de fixer ce capital à 200 millions de dollars a divisé par quatre en quelques années le nombre de banques et poussé les survivants au-delà de leurs frontières nationales pour tenter de rentabiliser leurs nouveaux fonds propres. La portée et le rythme des réformes en Afrique francophone sont bien différents ; les dispositifs de contrôle en place témoignent d’une rigueur et d’un suivi encore insuffisants. Quoi qu’il en soit, l’adhésion de plus en plus étroite aux règles de surveillance bancaire internationale représente l’ultime étape à ce jour des transformations du secteur : les normes de Bâle II, les règles internationales d’information financière (IFRS), les nouveaux ratios prudentiels s’étendent lentement mais sûrement à toute l’Afrique subsaharienne.

Les nouveaux défis du secteur bancaire

Grâce à ces multiples transformations, les systèmes bancaires africains ont beaucoup gagné en performance au cours des deux dernières décennies. Leurs clients en sont les premiers bénéficiaires. Ceci est tout particulièrement vrai pour les particuliers, qui se voient désormais proposer des produits qui répondent mieux à leurs besoins, voire qui les stimulent – prêts scolaires, prêts « pèlerinage », épargne retraite, livrets « Jeunes » – et qui leur sont offerts dans un plus grand nombre de points de vente. C’est aussi le cas pour les entreprises bien structurées et de grande taille, grâce aux pratiques devenues courantes de syndication entre filiales d’un même groupe, ou banques d’une même zone. C’est également valable pour les relations entre banque et microfinance – qui se multiplient et se diversifient face à des champs d’action qui convergent de plus en plus.
Malgré tout, des faiblesses demeurent. Le financement des petites et moyennes entreprises (PME) reste problématique, même si les banques commerciales les plus dynamiques leur consacrent aujourd’hui parfois plus de 25 % de leur portefeuille de crédits directs. Les efforts à faire restent importants ; ils doivent être soutenus, continus et menés conjointement (Derreumaux, P. 2009). Les banques doivent se professionnaliser et innover en matière d’analyse du risque, de garantie et de montage ; les entreprises peuvent augmenter leurs fonds propres, adopter une meilleure organisation et une gestion plus transparente de leurs flux financiers. Le financement de l’habitat, longtemps défaillant, semble bénéficier de l’intervention récente mais rapide d’un nombre croissant de banques et de la facilitation des conditions de refinancement des prêts accordés par les établissements5. Ces avancées doivent encore déboucher sur une croissance de l’offre de logements de qualité adaptés aux pouvoirs d’achat des populations – ce qui aurait un effet d’entraînement sur l’ensemble du secteur. À l’inverse, la bancassurance, qui balbutie depuis près d’une décennie, peine à prendre son envol alors que le secteur des assurances entre dans une période de mutation profonde, similaire à celle qu’ont connu les banques.
L’histoire ne peut pas s’arrêter là ; la plupart des mutations en cours devraient se poursuivre, conduisant à des systèmes bancaires toujours plus concentrés et performants. Mais pour continuer à jouer un rôle moteur dans la dynamique de développement en Afrique, le système financier africain a besoin d’autres atouts. Certains dépendent des États : en soutenant les banques, ils peuvent aussi poursuivre leurs propres objectifs, par exemple en améliorant le fonctionnement de la justice et en utilisant les incitations fiscales pour obtenir la baisse du coût du crédit qu’ils réclament à juste titre. Mais la plupart des améliorations nécessaires dépendent de la capacité des acteurs bancaires eux-mêmes à relever de nouveaux défis. Il faut utiliser de façon optimale les nouvelles technologies et adopter des procédures plus efficaces pour accroître la productivité des équipes.

Il est indispensable de (…) de conquérir de nombreux publics peu ou pas encore bancarisés.

Il est indispensable de prévenir les fraudes, d’améliorer la pénétration des produits, de conquérir de nombreux publics peu ou pas encore bancarisés et drainer encore plus d’épargne. Enfin, il serait utile de faciliter les financements de masse dans la banque de détail. Le domaine des moyens de paiement est l’un des secteurs clés de ces évolutions : le mobile banking a déjà commencé à faire « bouger les lignes », puisque les sociétés de télécommunications, en pointe sur ces instruments, apparaissent désormais comme des rivaux potentiels. D’autres systèmes, s’appuyant davantage sur la monétique, sont en gestation. Les gagnants seront ceux qui sauront mettre au point et diffuser des instruments alliant simplicité, sécurité et adaptation optimale à l’environnement. Il s’agit aussi de favoriser l’émergence des marchés de valeurs mobilières, de sociétés de capital-risque et de fonds de garantie, de façon à mettre à la disposition des entreprises toute la panoplie des instruments qui peuvent aider à leur développement. Par leur position centrale, les banques peuvent jouer un rôle essentiel dans cet enrichissement – si elles osent le faire et si elles sont encouragées par les États.
La convergence pourrait être le maître-mot de ces évolutions souhaitables : convergence des instruments avec ceux mis en place par d’autres secteurs, convergence des banques avec d’autres intervenants possibles du secteur financier ; convergence des acteurs de la banque et de ceux de l’assurance, qui pourraient étudier ensemble les activités susceptibles d’être menées conjointement. D’autres évolutions se profilent : l’ouverture des pays encore interdits aux banques étrangères, par exemple, ou l’arrivée de nouveaux acteurs majeurs dans le système bancaire africain. En la matière, le possible retour des grandes banques européennes semble ne se concrétiser qu’à pas comptés, tandis que les établissements chinois et indiens prennent leur temps. La surprise pourrait venir du Moyen-Orient, qui a bien compris l’enjeu et les espoirs que représente le continent africain – et qui semble prêt à s’y positionner rapidement6.

1 À titre de comparaison, le PNB du seul Groupe BNP Paribas avoisinait 55 milliards de dollars en 2011.

2 Par exemple au Bénin, au Cameroun et à Madagascar.
3 Absa Group Limited est l’une des quatre premières banques commerciales sud-africaines. En 2005, le Groupe Barclays Bank acquiert une participation majoritaire dans le Groupe Absa. Cette participation sera de 62,3 %, à la suite de la fusion des opérations avec le Groupe Absa.
4 Stanbic est un membre du groupe Standard Bank.
5 Il faut noter la création récente de la Caisse régionale de refinancement hypothécaire (CRRH) dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UMEOA), où beaucoup de banques commerciales accordent désormais couramment des prêts à l’habitat d’une durée de 15 ans.
6La Qatar Bank vient ainsi de racheter la filiale égyptienne de la Société générale tandis qu’un grand fonds koweitien envisagerait une participation dans Attijariwafa Bank.
 

Paul Derreumaux

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Réglementation bancaire dans l’UMOA

Réglementation bancaire dans l’UMOA :

Un progrès, mais doit (beaucoup) mieux faire.

 

Les deux changements introduits en décembre 2012 dans la panoplie des ratios bancaires de l’Union semblent bien être la marque d’une meilleure prise en compte de la réalité économique locale. De nombreuses améliorations sont encore cependant nécessaires pour que la réglementation  et sa mise en application contribuent davantage au renforcement du système bancaire régional, à l’image de certains aspects du dispositif existant par exemple dans divers pays anglophones.

De manière inattendue, la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA) a adopté en décembre dernier deux mesures importantes et positives, peu mises en avant depuis lors

La première est l’abaissement du « coefficient de couverture des emplois à moyen et long terme par des ressources stables », ramené à 50% contre 75% antérieurement. Indiquant pour une banque la limite possible de transformation de ses ressources  à court terme en emplois à  terme supérieur à deux ans, ce ratio représente pour les banques une des principales contraintes pour la composition et la taille de leur portefeuille de crédits à la clientèle. En réduisant ce taux, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) allège notablement les limites imposées aux banques en matière de concours directs par rapport à la nature de leurs ressources, qui restent encore majoritairement collectées pour des périodes courtes. Elle favorise donc surtout le développement des crédits aux entreprises et pour l’habitat, et  donne ainsi un signal fort aux systèmes bancaires de la zone sur sa volonté d’encourager le financement des économies par les institutions financières locales. Cette avancée est particulièrement à saluer.

La seconde mesure est la suppression pure et simple du ratio de structure du portefeuille, qui  contrôlait, parmi l’ensemble des concours en trésorerie d’un établissement bancaire, le pourcentage des crédits de celui-ci faisant l’objet d’un accord de classement obtenu de la Banque Centrale. En raison du faible nombre de ces accords de classement, aucune des 99 banques de l’UMOA, en 2011 comme en 2010, ne satisfaisait à ce ratio dont la norme était fixée de longue date à 60%. Cette suppression ne fait donc que répondre au souhait, exprimé depuis longtemps par les Associations nationales de banques, de l’abandon d’une exigence considérée par la profession comme inatteignable. La principale conséquence de la nouvelle décision pourrait cependant être ailleurs. La BCEAO lie jusqu’ici la possibilité pour les banques de mobiliser auprès d’elle des crédits à la clientèle, pour satisfaire des besoins de liquidité, à l’existence d’un accord de classement pour les concours concernés : peu déterminante pour l’instant en raison de la bonne liquidité des établissements bancaires, cette règle n’en constitue pas moins une épée de Damoclès permanente. Il faudra donc savoir si cette règle est assouplie ou si les accords de classement sont plus facilement accordés, pour vérifier la parfaite cohérence des dispositions ainsi prises.

Cette double réforme n’est pourtant qu’une avancée modeste

Cette double réforme n’est pourtant qu’une avancée modeste en comparaison avec les changements profonds qui seraient nécessaires pour amener l’arsenal réglementaire et le contrôle prudentiel dans l’Union à des niveaux plus compatibles avec les standards internationaux de la profession tout comme avec les exigences du développement économique. En la matière, certaines des règles en vigueur dans d’autres pays, comme par exemple ceux de l’East African Community (EAC), pourraient être des points de référence utiles en plusieurs domaines..

Le premier concerne la panoplie des normes réglementaires. Celle-ci reste, dans l’UMOA, calée sur une approche trop traditionnelle de la profession bancaire. Divers durcissements et simplifications seraient donc bénéfiques. Les ratios majeurs, qui ont trait à la solvabilité des banques, restent encore ainsi à des niveaux modestes dans l’Union. Dans beaucoup d’endroits, à l’instar des tendances internationales,  le Capital Adequacy Ratio (CAR), qui suit les rapports existant entre les crédits, d’un côté, et les fonds propres, de l’autre, a été aménagé. D’un calcul plus simple, ce ratio est aussi souvent devenu plus sévère en termes de fonds propres et limite donc plus strictement le développement de toute banque en fonction de l’importance de ses moyens d’actions. Ce ratio peut atteindre 12% pour le rapport « fonds propres  largo sensu /crédits directs et par signature » dans des pays de l’EAC, contre 8% encore dans l’UMOA. Au Kenya, on trouve même un plancher obligatoire de 8% pour le rapport « fonds propres stricto sensu /dépôts », rarement retenu ailleurs. Même si  cette dernière règle est peut-être contraignante à l’excès, ces exigences expliquent en bonne partie pourquoi les banques kenyanes sont aussi puissamment capitalisées et pourquoi elles peuvent  faire face à des tensions importantes induites par la politique monétaire du pays. Au Ghana, ce pragmatisme, construit sur une approche similaire, a également fait ses preuves dans le renforcement de la solidité du système bancaire national. D’autres critères réglementaires mériteraient un toilettage, tels par exemple celui du coefficient de liquidité, plus précis et rigoureux à l’Est, et celui de la concentration des risques sur une même signature, qui reste à 75% des fonds propres dans l’UMOA alors que les pourcentages classiquement en vigueur se situent entre 25% et 35%.

Une autre mutation opportune devrait viser le capital minimum des banques agréées. Malgré le quintuplement appliqué depuis décembre 2010, qui a porté le plancher de 1 à 5 milliards de FCFA, soit l’équivalent de près de 10 millions de dollars, l’Afrique de l ‘Ouest francophone reste en retard par rapport aux niveaux atteints dans de nombreux pays ou régions du continent. Ce plancher atteint en effet aujourd’hui près de 30 millions de dollars US à Accra et jusqu’à 200 millions de dollars US à Lagos, et déjà 15 millions de dollars US à Kinshasa. Le faible niveau de quelque 12 millions de dollars US au Kenya est compensé par les CAR élevés appliqués, qui conduisent au même effet et dont il est déjà annoncé qu’ils seront relevés de 2,5% d’ici 2015. Dans l’UMOA, le projet de porter à la contre-valeur de quelque 20 millions de dollars US ce capital minimal ne parait plus au contraire d’actualité brûlante alors qu’il permettrait de consolider la crédibilité des banques de la zone face à des besoins de financement en expansion rapide.

La troisième transformation souhaitable pourrait être celle des modalités de contrôle des banques par la Commission Bancaire. La comparaison avec certaines pratiques d’Afrique anglophone pourrait ici encore être méditée puisqu’elle montre dans ces pays à la fois une pression plus dense et une concertation plus étroite: les inspections sur site s’y succèdent tous les 12 à 18 mois ; les critiques et recommandations s’ordonnent autour de quelques thèmes majeurs synthétisés dans un indicateur composite, dénommé le CAMEL ( Capital, Asset quality, Management, Earnings, Liquidity), et les cinq notations possibles du CAMEL permettent aisément d’apprécier les progrès ou les affaiblissements de la banque et d’être utilisés par les Autorités comme indicateur d’alerte ou signe d’encouragement. L’inflexibilité de la banque Centrale sur le respect permanent de chaque contrainte réglementaire, l’application immédiate de sanctions pécuniaires ou disciplinaires en cas d’infraction, les rencontres obligatoires de restitution après chaque inspection entre les membres de la mission et tout le Conseil d’Administration de la banque inspectée, le renouvellement annuel des licences bancaires qui peut être utilisé comme menace sont autant de pratiques qui créent une culture de prise en compte prioritaire de la réglementation en vigueur dans la gestion quotidienne des banques : celle-ci est sans doute stressante mais très certainement salutaire si on compare la solidité moyenne des systèmes bancaires.

Les quelques orientations  ci-avant n’indiquent certes que des options, sans exprimer ni des modèles obligatoires ni les seuls aménagements envisageables. Les voies tracées sous d’autres cieux africains ne sont pas d’ailleurs exemptes de critiques : les règles en matière d’actionnariat ou de prises de participations dans d’autres banques sont ainsi d’une grande difficulté d’application au Kenya. La comparaison avec les autres nations devrait toutefois inspirer l’UMOA pour procéder, même par étapes, à divers changements. Ceux-ci viseraient à la fois à consolider plus rapidement le système bancaire de l’Union et à faciliter l’accroissement du poids de celui-ci dans le secteur financier de l’ensemble du continent. La montée rapide en puissance des groupes bancaires relevant d’autres zones monétaires et le rôle croissant dévolu aux banques dans tous les pays exigent cette revue critique de l’existant dans l’intérêt de l’Union.

Paul Derreumaux

Vers une concentration progressive du secteur bancaire

 Article publié dans

« Jeune Afrique » le 01/10/2011


Banques d’Afrique subsaharienne

Les banques d’Afrique subsaharienne sont au cœur d’une compétition d’une intensité jamais atteinte. elle est, pour la première fois, emmenée par quelques puissants groupes africains – nigérians, marocains, sud-africains, kenyans, mais aussi d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale – pour lesquels le continent est un enjeu stratégique, alors que des groupes internationaux présents de longue date, français notamment, ont adopté une position attentiste ou de repli à la suite d’une vision plutôt afro-pessimiste et des reconversions de cibles imposées par la crise de 2008.

La réussite des acteurs dépendra moins de leur nationalité que de leur sensibilité, leur connaissance du terrain.

 

Dans cette atmosphère nouvelle, l’approche des acteurs est celle d’une politique commerciale agressive, fortement axée sur la banque de détail. Pourtant le jeu reste ouvert : la sortie de certaines banques européennes est quasi terminée et un retour s’esquisse, tandis que les banques chinoises et indiennes sont en embuscade. Sur un autre plan, l’amélioration des performances et le déploiement du mobile banking pourraient amener les sociétés de télécommunications à investir dans les systèmes bancaires, durcissant encore la concurrence. Le scénario le plus probable sera une concentration progressive du secteur autour d’un nombre limité de grands groupes, éventuellement sous forme d’alliances, et la disparition de la plupart des banques isolées.


Cette concurrence exacerbée se manifeste surtout par deux batailles intenses …

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