CARNET DE VOYAGE A LOS CANOS : Quelques visages d’une Espagne multiple

Los Canos (prononcer Canios) de Meca est une petite ville d’Andalousie, située dans la province de Cadix, plantée face à l’Atlantique. Deux heures à peine suffisent pour parcourir les 180 kms qui la séparent de l’aéroport de Séville ; l’autoroute ultramoderne qui relie les deux villes rappelle dès l’abord aux visiteurs que l’Espagne a bien rejoint dans la modernité les autres grands pays de l’Union Européenne.

L’Histoire n’est pourtant jamais loin. La cité tire son nom de sa position sur la route qu’emprunteront les Maures, pendant les quelque cinq siècles où ils occupèrent une bonne partie de l’Espagne, pour accomplir leur pèlerinage à La Mecque. Situé à une quarantaine de kilomètres du Détroit de Gibraltar, qui met l’Afrique et l’Europe si proches, en face l’une de l’autre, elle devait être une étape importante, reposante et rafraichissante au bord de la mer avant le voyage éprouvant qui suivait. Il ne reste guère de traces de ces passages dans la petite ville balnéaire d’aujourd’hui, à l’opposé des trésors d’art et d’architecture que toute l’époque a laissés à Séville. Dans cette capitale régionale, l’extraordinaire Alcazar et les nombreux jardins agrémentés de fontaines exaltent la trace indélébile de la civilisation musulmane, tout en se mêlant harmonieusement aux monuments, comme la Cathédrale Notre Dame du Siège, qu’édifieront le roi Ferdinand III et ses successeurs après le Reconquista. A Los Canos, les amateurs d’Histoire tournent plutôt leurs regards vers l’Océan : sur un petit promontoire en bordure de la ville, on voit en effet distinctement le Cap Trafalgar et son phare. C’est dans ces parages que se déroula en 1805 la célèbre victoire du Vice-Amiral Nelson et de la marine anglaise sur la flotte franco-espagnole. Peu rancuniers, les touristes français, comme les autres, se pressent souvent sur ce point de vue. Mais la proximité de Gibraltar continue aussi à mettre cette région, avec les Iles Canaries, aux avant-postes de l’actualité internationale : elle accueille un nombre croissant de migrants ouest-et nord africains qui « choisissent » l’Espagne pour rejoindre l’Union Européenne, illustrant une politique d’ouverture que la baisse de la natalité, particulièrement marquée dans ce pays, rend économiquement inévitable pour poursuivre le chemin déjà engagé.

Car le bond économique des soixante dernières années est une réalité tangible. Il a transformé les paysages autant que les mentalités, accentué l’exode rural et densifié les villes, mais aussi   rapproché le niveau de vie de celui des nations du Nord de l’Europe. L’agriculture a été et reste un fer de lance de cet essor. Elle couvre de nombreuses régions de toutes les couleurs vives de ses fruits ou de ses légumes, de ses immenses serres ou de ses grands espaces plantés de céréales. Dans ce mois d’avril andalou, le long du ruban de l’autoroute, le soleil fait scintiller de toutes les nuances de vert les diverses cultures qui s’étalent sur les horizons vallonnés et ondulent sous le vent. A côté d’elle, le tourisme est aussi un secteur clé. Source de croissance rapide et large pourvoyeur emplois, il a généré en même temps des comportements erratiques, notamment en matière de construction. Ses effets néfastes ont aussi été amplifiés par la tourmente financière mondiale de 2008, et la longue crise économique et immobilière qui s’en est suivie a laissé de douloureuses traces : accroissement des inégalités, pénuries de logements sociaux face aux cohortes d’appartements restés vides ou en chantier dans les sites les plus visités. Mais le secteur semble avoir bien rebondi, porté par les atouts naturels du pays -mer, soleil, culture, prix modérés- et s’est ancré aussi dans des régions plus méridionales.

C’est le cas de Los Canos. Comme chaque printemps, la ville s’apprête à enfler démesurément pendant quelques mois sous l’afflux des touristes étrangers comme des visiteurs venus de la région ou d’autres parties du pays. La Semaine Sainte, très suivie en Espagne, venue tôt en avril cette année, marque le début des arrivées. Les cérémonies catholiques sont ici peu apparentes, comparées à celles de Séville qui sont grandioses, mais elles sont une occasion immanquable pour se retrouver en famille, comme aiment le faire les Espagnols Le temps est cette année encore frais et maussade, contrairement à l’habitude. Les résidents ne détestent pas cette douceur, qui tranche avec la chaleur souvent fréquente en cette saison. La situation alimente des conversations animées sur les évolutions climatiques que beaucoup relient au drame qui a frappé Valence fin octobre dernier. Celui-ci a traumatisé la nation et a mis en valeur des fragilités de gouvernance qui préoccupent. Malgré tout, l’heure est plutôt aux pensées plus joyeuses. Les familles emplissent bruyamment les restaurants, nombreux et ouverts parfois à toute heure. Les connaisseurs sont venus se régaler dans le populaire Los très Carioles ou le plus chic La Traïna (prononcer Trainia) : on y trouve à chaque fois excellente chère, gentillesse et simplicité. Le soir, ceux qui ont de la chance peuvent trouver un coin de plage encore tranquille, où la vue porte jusqu’aux côtes africaines nappées de brume.    Ils pourront y rêvasser ou, s’ils sont ambitieux, réfléchir à un avenir qui leur conviendrait mieux.

Paul Derreumaux

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