Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) : une réussite à protéger et à faire grandir

La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) à Abidjan, institution financière commune aux huit pays de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), a été saluée avec juste raison début 2025 pour ses performances de 2024. Ces succès sont le résultat d’une stratégie de longue haleine alliant ambition, détermination et capacité de résistance. Ils ne doivent pas occulter les faiblesses que garde malgré tout l’institution, et les conditions encore à remplir pour atteindre les objectifs souhaités.

 Impulsée fermement en 1998 par la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui voulait étoffer les systèmes financiers de l’Union, notamment pour les financements à moyen et long terme, cette expérience unique de bourse multi-pays a surmonté rapidement ses débuts hésitants et entamé après quelques années une solide montée en puissance. Un bon indice en est l’évolution de la capitalisation globale de son compartiment actions, qui est le plus souvent analysé et sur lequel s’appuient surtout les comparaisons internationales. Cette valeur totale des titres côtés est passée de quelque 840 milliards de FCFA à l’origine pour les quelque 30 valeurs provenant de l’ancienne Bourse des Valeurs d’Abidjan, à 3340 milliards de FCFA fin 2008, soit un quadruplement en 10 ans. Elle s’est encore accrue de 82% jusqu’à 2021, malgré la période très difficile 2017/2020 qui a vu un repli important des cours à la BRVM à l’image de la tendance généralisée des bourses africaines les années précédentes. Elle vient enfin de bondir de 60% en trois ans pour avoisiner en mai 2025 le seuil des 11500 milliards de FCFA, consolidant la cinquième place de l’Institution parmi les 29 bourses africaines désormais en activité. Trois principales catégories de facteurs expliquent cette progression remarquable. Le plus important est sans doute l’accroissement du nombre de sociétés cotées -en hausse d’environ 60% depuis l’origine et élevé maintenant à 49 titres, dont 46 actifs- et surtout la qualité de ces entreprises. Celles-ci sont d’abord des banques et des sociétés de télécommunications – respectivement 16 et 3, totalisant 79% de la capitalisation actuelle du marché actions –, qui sont les deux secteurs les plus rentables des économies de la sous-région, et pour le reste essentiellement de grandes sociétés commerciales et industrielles. Un autre est l’environnement économique encourageant : le taux de croissance moyen élevé dans l’UEMOA – plus de 5%/an depuis 2012-, la solidité du FCFA, la maîtrise de l’inflation favorisent ensemble les bons résultats des entreprises et la confiance des investisseurs, étrangers comme nationaux. Enfin, la stratégie de développement clairement affichée de la BRVM lui a apporté une amélioration et une modernisation de son fonctionnement et une visibilité internationale : la cotation en continu, la digitalisation des opérations, la catégorisation croissante des titres, les initiatives d’insertion dans les instances boursières internationales ont facilité l’attraction des épargnants et des sociétés, approfondi la confiance du marché et expliqué la forte augmentation du nombre de sociétés de bourses et leur bonne santé .

L’institution a bénéficié également, notamment depuis les transformations des modalités de financement des États en 2016, d’une évolution fulgurante de son compartiment obligations. Depuis l’origine, les emprunts des sociétés privées sont restés peu nombreux, malgré les succès obtenus par ceux qui ont testé ce nouveau mode de financement -tel le Groupe BANK OF AFRICA à deux reprises-. En revanche, les émissions obligataires ont été largement utilisées par les États de l’Union, et à un moindre degré par les institutions publiques régionales, pour obtenir des financements à moyen terme. Leur encours a augmenté vigoureusement et régulièrement pour dépasser 10 000 milliards de FCFA fin 2024 : il représente à cette date 36% de l’endettement étatique sur le marché régional –à côté des bons et obligations par adjudication- et près de 12% de la dette publique totale de l’UEMOA. La mise annuelle sur le marché d’un volume élevé de nouvelles obligations -1550 puis 1220 milliards de FCFA respectivement en  2023 et 2024-, confirme que l’importance de ce compartiment n’est pas prête à s’interrompre.

Derrière ces hausses impressionnantes se nichent aussi quelques constats à prendre en compte pour mieux préparer l’avenir. Pour les actions, on retiendra la hausse remarquable de la capitalisation dans la période récente- dont+28,9% en 2024, un record après les 39,1% du rebond de 2021 consécutifs à la phase de déprime, et déjà +9% en 2025. Elle tient pour une bonne part à l’entrée très réussie à la cote de trois grandes sociétés, dont une banque et une société de télécommunications, toutes deux leaders dans leur pays, sous forme de privatisation partielle du capital. A cet atout se sont ajoutés quelques autres évènements favorables : nombre exceptionnel de distributions d’actions gratuites de grandes banques cotées pour d’importantes augmentations de capital ; hausse quasi-généralisée des dividendes distribués par les fleurons des secteurs clés de la bourse. Le panorama du compartiment reflète aussi des caractéristiques économiques de l’Union : bonne santé, modernité et croissance régulière des secteurs les plus présents à la cote ; poids économique dominant et représentation accrue dans le paysage de la BRVM de quelques pays- près de 90% des sociétés et de la capitalisation concentrés dans 3 d’entre eux-. A contrario, des faiblesses structurelles de la BRVM et de l’environnement régional demeurent : nombre insuffisant de titres sur le marché -le Kenya en compte une soixantaine avec un Produit Intérieur Brut en USD d’environ 60% de celui de l’UEMOA en 2024-; faible utilisation du marché financier pour le renforcement effectif des fonds propres des sociétés ; rare attractivité sur les entreprises moyennes. La BRVM est donc bien devenue un vecteur puissant et efficace de mobilisation de l’épargne, mais n’est pas encore un instrument significatif du financement du secteur productif. Le bond en avant souhaité pour l’avenir parait en conséquence très lié à la fois à l’entrée en bourse d’un nombre accru de champions régionaux ou nationaux, et à un recours conséquent au marché financier des sociétés cotées pour leurs fonds propres et leur endettement.     

Car ce recours est possible comme le montre l’évolution du compartiment obligations.. Celui-ci a en effet répondu positivement à toutes les sollicitations qui lui ont été faites dans ce cadre, quels que soient les émetteurs, privés ou publics, avec des durées d’emprunt qui se sont progressivement allongées et dépassent maintenant les 10 ans. Les données récentes mettent aussi en avant deux autres constats. D‘abord, les seuls emprunteurs étatiques, grâce à des émissions nombreuses, régulières, soigneusement programmées en lien avec les Autorités monétaires, ont progressivement assis une très large domination sur les encours globaux en circulation, dont ils représentent maintenant plus de 90%. Par ailleurs, ces titres publics sont souscrits pour une grande part par des investisseurs institutionnels et, surtout, par des banques commerciales de l’Union à des fins de placements financiers. Ils constituent notamment dès fin 2023 plus de 20% des emplois des établissements bancaires et mobilisent indirectement de ce fait un volume important des épargnes publiques nationales drainées par ces derniers. A travers ces divers liens, les fonctionnements des deux compartiments de la BRVM apparaissent nettement interconnectés. Les remboursements, sans incident majeur à ce jour, de toutes les lignes obligataires émises témoigne à la fois de l’importance que les Etats accordent au respect de leurs engagements en la matière et de l’efficacité des Autorités monétaires à trouver des solutions adaptées lors des crises majeures, telle celle du Covid.  Toutefois, l’apparition récente d’une disparité entre les taux acceptés par les pays pour leurs emprunts, qui esquisse une échelle de risques à l’intérieur de l’Union, souligne l’intérêt d’un renforcement de cette vigilance collective.

Forte des avancées engrangées depuis sa création, la presque trentenaire BRVM nourrit encore d’importantes ambitions, en particulier pour l’accroissement de ses contributions au financement de l’économie de l’Union. Quelques opportunités pourraient être aisées à saisir, telles les augmentations de capital en numéraire des banques qui seront inévitables à bref délai. La plupart demanderont encore aux dirigeants de la BRVM combativité et ténacité : accélération de l’entrée en bourse de nouvelles grandes entreprises ; appel à la cotation pour les sorties des fonds d’investissement (les IPO) ; mise au point d’obligations privées compétitives, incluant par exemple une part variable dans la rémunération. Ceux-ci auront aussi à combiner leurs actions de développement à une surveillance étroite des opérateurs et du marché, et à l’obtention d’un appui des États à leurs initiatives. C’est une exigence qu’ils connaissent déjà.

Paul Derreumaux

Article publié le 16/06/2025

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