Pour ceux qui aiment à la fois le théâtre et les banques, les nouvelles qui ont concerné cet été la société ETI, holding du groupe ECOBANK (22ème banque africaine par ses fonds propres; 33 filiales sur le continent), évoqueront sans doute certains ressorts des tragédies grecques, pleines de rebondissements.
En juin 2025, la banque sudafricaine Nedbank (4ème du pays et 8ème de toute l’Afrique par ses fonds propres), actionnaire principal de ETI, annonçait des négociations avancées pour la cession des 21% du capital qu’elle détient dans le capital de cette société. Présentée par le vendeur comme un virage stratégique, avec un possible recentrage national de ses activités, cette vente n’est pourtant sans doute pas étrangère à trois données actuelles du réseau Ecobank qui rejaillissent sur sa structure de tête. C’est d’abord une longue bataille menée pour réduire et provisionner au niveau adéquat les créances en souffrance de certaines filiales, et notamment celle du Nigéria, qui a empêché depuis plusieurs années ETI de servir un dividende honorable à ses actionnaires. C’est en conséquence une chute durable du cours en bourse depuis sa cotation sur les places d’Abidjan, Accra et Lagos et des difficultés croissantes à le faire remonter malgré les redressements déjà opérés et les belles performances de certaines filiales : il a dû en résulter des provisions importantes à constituer pour les actionnaires cotés comme Nedbank. Ce sont enfin les importants besoins de financements complémentaires imposés à la fois par l’envolée des capitaux propres requis pour les banques nigérianes et par un endettement déjà élevé à honorer. Surprenante pour les observateurs extérieurs, cette décision était donc vraisemblablement attendue pour les familiers de ETI.
Ce premier acte entre personnages déjà en place se terminait par des supputations sur les repreneurs les mieux placés des actions en vente de Nedbank : son alter ego dans l’actionnariat actuel, la Qatar National Bank (QNB), ou un puissant groupe nordafricain, moyen-oriental, voire subsaharien ? L’acte 2, joué fin août 2025, révélait une surprise de taille avec l’annonce par le vendeur du choix de Bosquet Investments, holding installée à Maurice et pilotée par M. Alain Nkontchou, pour la reprise de ses parts au prix d’environ 100 millions de USD. M. Nkontchou, bien connu du milieu bancaire et financier africain, est lui-même actionnaire d’ETI qu’il a présidée pendant 4 ans et jusqu’en 2024. Il est donc bien au fait des efforts menés par les équipes du groupe pour corriger les faiblesses actuelles de celui-ci et lui redonner les forces et l’attractivité nécessaires pour son développement et sa rentabilité. Pourtant, le deal engagé verra normalement s’accomplir au moins trois étapes complémentaires, qui constitueront les actes à venir de cet évènement, avant que l’issue de celui-ci soit parfaitement connue.
Comme déjà annoncé, la première sera celle de l’agrément des Autorités monétaires concernées : au moins celles d’Afrique de l’Ouest francophone, puisque ETI est dans leur périmètre de contrôle, et du Nigéria, site d’implantation de la principale filiale. En raison de l’importance du groupe et du rating de l’actionnaire sortant, l’analyse de la transaction devrait être très attentive. Son prix indiqué -20% du prix payé par Nedbank en 2014- peut s’expliquer par les provisions qu’a déjà dû constituer le vendeur. En revanche, peu d’informations ont été publiées sur Bosquet Investments, ses actionnaires, ses moyens financiers et ses éventuels partenaires : ces données seront scrutées par les Banques centrales.
A l’issue de cet acte décisif de l’agrément, le repreneur aura d’abord à rechercher parmi les principaux actionnaires historiques du tour de table, qui sont peu nombreux, les alliés qui l’aideront à installer une gouvernance stable. Celle-ci permettra de poursuivre, et si possible de renforcer, au sein du groupe, les actions majeures obligatoires – poursuite de l’amélioration de la qualité du portefeuille, accentuation de la digitalisation, ..- pour retrouver une bonne rentabilité tout en faisant face à une concurrence de plus en plus grande. Ces alliés pourraient aussi se révéler inattendus
Enfin, l’acquéreur devra dévoiler la stratégie globale que ses partenaires et lui comptent déployer à moyen terme. En la matière, deux réflexions seront sans doute au menu des décideurs. Celui du périmètre géographique : le choix d’un grand réseau panafricain -le plus vaste du continent- paraissait intangible depuis la création d’ETI. La vente récente de la branche mozambicaine a levé un tabou et pourrait autoriser une concentration sur les filiales les plus puissantes et les plus profitables. Celui du poids relatif de l’implantation au Nigéria : le groupe s’efforce depuis longtemps d’y acquérir un rôle de premier plan. Le coût indispensable en capitaux propres à cette fin est cependant très élevé, ce qui pourrait faire préférer des options plus mesurées.
Les informations à venir ne devraient donc pas être exempte de nouvelles surprises..
Paul Derreumaux
Article publié le 22/09/2025