Jour de fête à Djiguiya-Bon

Jour de fête à Djiguiya-Bon

 

Ce samedi de fin février à Bamako, la grande cour de la maison de Djiguiya-Bon s’est animée tôt le matin. Les petites pensionnaires se sont affairées pour que leurs lits soient bien faits et que leurs bâtiments brillent de propreté. Leur travail achevé, elles sont maintenant assises derrière leur Directrice Mariame Sidibe-Togo, attendant sagement leurs invités. Chacune arbore fièrement un t-shirt marqué à l’effigie du centre. C’est en effet jour de fête. L’Association Dambé, amie de longue date de Djiguiya-Bon, apporte aujourd’hui à celle-ci les nourritures de base  qui seront nécessaires pour toute une année.

En ce milieu de matinée, le soleil caresse déjà avec vigueur le Centre et ses occupants. Une légère brise peine à adoucir la température. Au milieu de la cour, le drapeau malien flotte mollement, donnant à l’espace qui l’entoure un air de caserne. Les arbustes des massifs sont poussifs, mais résistent à la sécheresse et à la poussière. Par ci, par là, quelques objets de détente : un panier de basket, un vélo, des cartes à jouer. On sent bien que l’atmosphère est moins au jeu qu’au travail et à la discipline. C’est que la vie n’est pas si facile à la « Maison de l’Espoir » que signifie « Djiguiya-Bon ». Depuis que Ruth Hoffer, allemande visionnaire et tenace, a conçu et lancé le Centre en 2004, celui-ci a traversé des tempêtes qui ont parfois faillé l’emporter, essentiellement pour des raisons financières. Ruth a toujours tenu bon, mobilisant ses amis, imaginant des solutions nouvelles, faisant des miracles avec des « bouts de ficelle », apportant à ses protégées, des jeunes filles âgées de 4 à 18 ans, la sérénité que seule une mère peut donner. Partie du Mali, elle a continué à veiller de loin sur sa « maison » et celles qui y vivaient, tant que les forces lui restaient. Elle n’est plus de notre monde aujourd’hui, mais chacun se souvient, comme on parle des ainés disparus avec tendresse et humilité dans une famille. Seul un petit panneau de bois, cloué au mur d’un des bâtiments, rappelle discrètement son rôle, comme une vigie. Mariame a donc pris le relais, prolongeant la même présence bienveillante mais aussi la même fermeté, apportant sa touche personnelle grâce à sa connaissance du milieu.

En 2013, la menace fut sérieuse : les vivres touchaient à leur fin et la peur s’était installée. Malgré ses quelque dix ans d’existence et ses quelque soixante orphelines qu’elle héberge en permanence, Djiguiya-Bon n’est en effet pas encore sur les radars de ceux qui peuvent changer les choses. L’Etat l’ignore, absorbé par ses contraintes de fonctionnement et les priorités qu’il choisit. Les grands donateurs ont trop à faire en raison de la gravité de la misère ambiante mais aussi de leur intérêt marqué pour des études qui rapportent gros aux consultants. Une fois de plus cependant, le miracle s’était produit et, par chance, les bienfaiteurs alors apparus sont devenus des compagnons de route de Djiguiya-Bon et ont donné quelque quiétude à sa Directrice. Pas de quoi se reposer pourtant, non, plutôt relever de nouveaux défis toujours menaçants. L’un des derniers en date a été de prendre en charge une petite fille de 13 ans promise par sa famille à un mariage précoce dans une ville du centre du Mali. Informé, son instituteur l’a littéralement « exfiltrée » alors que, malgré la loi en vigueur, les préparatifs s’achevaient déjà. Connaissant le centre de réputation, il lui a confié l’enfant. Malgré son jeune âge, Fanta (le prénom a été changé) porte déjà sur son visage les traces de cet épisode douloureux. Elle sourit peu, son regard se perd dans le vague comme si elle était encore ailleurs, sous le poids d’une menace invisible. Pourtant, elle va mieux et se fond plus souvent dans le groupe des jeunes filles de son âge, peut-être parce qu’elle s’y sent plus protégée, peut-être tout simplement parce que la vie et l’espoir sont plus forts que le malheur, surtout chez les enfants. « Personne ne pourra plus nous la reprendre »  coupe Mariame pour mettre fin à cette conversation qui lui rappelle de mauvais souvenirs.

Dans la cour, tout en restant sagement assises, les petites demoiselles s’animent devant l’attente qui se prolonge. Malgré leur jeune âge, leur caractère s’affiche déjà au vu de leurs attitudes et de leurs jeux. Il y a les rieuses, les songeuses, les joueuses, les solitaires, les bruyantes, les moqueuses, les élégantes, les timides, les bavardes, les audacieuses, celles qui ne tiennent pas en place, les peureuses. Toutes, pourtant, ont en commun une certaine sérénité et une grande joie de vivre. Nous profitons de l’attente des marchandises attendues pour prendre quelques nouvelles des anciennes pensionnaires et de la vie de Djiguiya-Bon. Les « petites ladies » grandissent en effet et tachent de prendre leur envol, mais le cercle reste  encore suffisamment restreint pour que personne ne soit perdu de vue. Depuis longtemps, le centre a réussi à mener au bout de leurs études la plupart de ses pensionnaires, mais les filières choisies étaient souvent manuelles : couture, coiffure, cuisine,.. Ces deux dernières années, Djiguiya-Bon a fait plus fort et compte maintenant avec fierté ses premières bachelières : quatre en 2015, trois en 2016. Sept seront candidates en 2018. Elles poursuivent maintenant des études supérieures : presque toutes ont choisi de préparer une carrière d’enseignante en lettres ; l’une est mordue de journalisme et s’accroche vaillamment à cette idée, dévorant les livres des grands auteurs que le amis du Centre lui procurent à sa demande ; l’une des plus jeunes, toujours animée et souriante, est férue de télécommunications et prépare un Brevet de Technicien Supérieur., et mieux si possibilités. Toutes ont dû sortir de leur cocon de Djiguiya Bon, trouver un logement à l’extérieur et se débrouiller comme elles le pouvaient. Elles découvrent ainsi les conditions dans lesquelles se débattent, au Mali comme dans beaucoup de pays africains, les universités : les grèves à répétition, l’insécurité et les vols dans les logements d’étudiants, les polycopiés que vendent les professeurs, les retards dans les cours, le non-paiement des bourses, l’absence de documents de travail. Les bonnes fées qui veillent sur Djiguiya-Bon ont procuré à chacune téléphone mobile et ordinateur : un minimum pour poursuivre ces études dans des conditions acceptables. Beaucoup de celles qui ont choisi des filières professionnelles sont déjà dans la vie active et se débrouillent comme elles le peuvent, souvent en se regroupant. Elles ont rarement coupé le cordon ombilical avec le Centre et leurs cadettes comme le montre la visité de Assitan, ancienne pensionnaire devenue couturière mais aussi formatrice dans le Centre : elle vient ce jour en visite avec ses deux petites filles, vêtues et coiffées comme deux princesses. Ainsi se perpétue et s’agrandit la famille de Djiguiya-Bon.

Le Centre est d’ailleurs toujours au plein de ses capacités ; voire au-delà. Mariame Sidibe raconte que leur capacité de 66 personnes est en ce moment dépassée et qu’ils hébergent à ce jour 71 petites. Ils ont en effet accueilli 8 fillettes de 4 à 14 ans, dont les pères respectifs étaient des militaires récemment morts au combat. Pour beaucoup de ces épouses, souvent jeunes, ce drame familial entraine le retour en province, dans leur famille ou une famille d’accueil, et la misère presque garantie. Mariame n’a pas hésité longtemps : à la demande des mamans en détresse, elle a récupéré les fillettes qui semblaient dans la situation la plus difficile et les a intégrées au Centre : on se serre un peu plus, les plus jeunes dorment à deux dans le même lit, mais l’équipage tient bon. Mama (c’est son surnom) est la cadette de ce nouveau contingent. Haute comme trois pommes, ne tenant pas en place, elle ne peut passer inaperçue. Le visage rond, les grands yeux en mouvement, coiffée d’un foulard aux couleurs passées lui donnant l’air d’une pieuse Hadja, elle va de l’un à l’autre en bavardant sans cesse. Sans s’effaroucher, elle me raconte une histoire que je ne comprends pas mais qui a l’air d’être passionnante. Puis, jugeant sans doute vexant mon silence prolongé, elle repart prestement et va s’assoir au premier rang, les bras croisés, sûre d’être à sa place..

Comme s’ils n’attendaient qu’elle, les livreurs arrivent et commencent à étaler les sacs de riz, de sucre, de poudre de lait qui vont alimenter le Centre pour toute l‘année. Les fillettes s’animent un peu puis viennent s’attrouper autour des sacs de marchandise. Pas de grands discours ni de cérémonial car nous sommes en famille. Seulement quelques photos souvenirs pour garder des traces de ce bon moment. Au vu des regards envieux des badauds qui s’agglutinent à l’entrée, une évidence s’impose : grâce à la discipline collective, le quotidien est finalement mieux assuré pour les pensionnaires que pour les groupes les plus défavorisés de ce quartier de Bamako et les fillettes sont mieux protégées que les nombreux enfants de la rue qui jouent sans s’amuser.

Débarrassée du souci de l’approvisionnement pour « ses » filles pour une bonne période, Mariam Sidibe se remet à penser tout haut à ses autres préoccupations moins immédiates. L’effectif qu’elle a accepté pose au Centre un problème de place disponible .Elle rêve d’ajouter un étage à l’un des bâtiments qui encadrent la cour, mais elle doit d’abord recenser toutes les conséquences financières avant d’aller à la recherche de nouvelles aides financières. Beaucoup de travail et de soucis supplémentaires en perspective mais le spectacle des jeunes filles heureuses balaye ses hésitations.

Bien sûr, au Mali ou ailleurs, il existe beaucoup de centres comme Djiguiya-Bon. Dans les pays en développement en particulier, le rôle de ces « maisons de solidarité » grandit sous des formes variées : orphelinats, pouponnières, centres pour handicapés, encadrement d’enfants de la rue, .. Grâce à elles, misère et détresse humaine reculent un peu, au moins pour quelque temps, pour ceux qui ont la chance d’être pris en charge. Face à ces initiatives privées, locales ou étrangères, les Etats sont écrasés par l’immensité de leurs charges, mais aussi englués dans leurs inerties, leur fréquente inefficacité et le manque d’intérêt réel de beaucoup de leurs représentants. Or les besoins croissent sans cesse sous l’effet de la poussée démographique, de l’exode rural, de l’urbanisation sauvage et de la multiplication des inégalités. Ces actions privées,  incroyables par leur générosité et leur courage, sont donc de plus en plus indispensables, mais ne peuvent être encouragées par la kleptocratie ou les abus de certains dirigeants. Les Etats doivent donc se corriger d’urgence pour que l’ « inclusion » ne soit pas un slogan sans consistance, mais un véritable mot d’ordre, et que les nombreux Djiguiya-Bon se sentent moins seuls.

Paul Derreumaux

Enfin le «Big Bang» des assurances en zone CIMA?

Enfin le « Big Bang » des assurances en zone CIMA ?

 

Face aux progrès rapides et aux profondes transformations de la banque subsaharienne des trente dernières années, le secteur des assurances, qu’il s’agisse des activités vie ou des branches non-vie (IARD), continue à jouer les seconds rôles dans le système financier d’Afrique francophone. Certes, quelques groupes régionaux se sont constitués les dix dernières années et sont devenus des acteurs prédominants du marché. Ils n‘ont toutefois pas conduit à la croissance exponentielle que tous attendaient. Les 14 pays regroupés dans la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) restent caractérisés par un taux de pénétration très faible tant en valeur absolue (0,27% du produit Intérieur Brut (PIB) pour la vie et 0,65% pour la non-vie en 2014) que par comparaison à d’autres zones : respectivement de 1,1% et 2,1% au Maroc, et 4,2% et 2,7% en Europe par exemple.

De nouveaux atouts s’étaient pourtant ajoutés à l’existence d’un vaste espace aux règles uniformes, embrassant 14 pays (fait sans doute unique au monde) et quelque 150 millions d’habitants. De vrais assainissements ont en effet été introduits ces dernières années : doublement du capital social minimum en 2012 ;  comptabilisation en produits des seules primes encaissées et non des primes émises; accélération de l’indemnisation des sinistres ; exigence nouvelle pour chaque compagnie de scinder  les opérations vie et non-vie en deux entités juridiquement distinctes. De plus, le retour à une croissance économique soutenue et l’augmentation des revenus moyens par tête dans toute la zone étaient aussi des éléments favorables à une relance du secteur. Deux principales raisons expliquent sans doute la déception : d’un côté, la persistance d’un nombre trop élevé de petites compagnies insuffisamment capitalisées et peu structurées ; de l’autre, l’inadaptation des produits offerts et de leur distribution par rapport aux besoins du public.

La CIMA  a frappé en 2016 un grand coup sur le premier plan en imposant une multiplication par 5 du capital minimum à une échéance de 5 ans, avec une étape intermédiaire d’un triplement dans les 3 ans. Pour les entreprises d’assurance actuellement présentes dans la zone CIMA, ce diktat est un coup dur : la plupart des compagnies sont en effet loin du compte et leurs capacités de recapitalisation pour atteindre l’objectif souvent incertaines. La société de Conseil en assurances, Finactu, a conduit en octobre 2016, sur un échantillon de 131 sociétés implantées dans les 11 principaux pays, une analyse détaillée sur les effets à terme de cette mesure, mais aussi sur les risques auxquels conduit celle-ci.

La démonstration effectuée est mathématiquement sans appel. Elle part d’une hypothèse simple mais logique: les actionnaires, anciens ou nouveaux, n’accepteront d’investir que si la profitabilité nette des compagnies atteint au moins 15% du capital. Sur cette base, et compte tenu du nouveau capital minimum imposé et de la rentabilité moyenne observée des sociétés  (8% pour la branche non-vie et 4% pour la branche vie sur la période récente), le nombre de sociétés qui n’ont pas le résultat net ou le chiffre d’affaires annuels suffisants pour la rémunération minimale escomptée par les actionnaires a été recensé. Dans le secteur vie, 38 des 45 entreprises existantes ne satisfont pas à l’une ou l’autre des deux contraintes fixées. Ce nombre est de 54 pour les 86 entreprises de la branche non-vie. De plus, le capital social supplémentaire nécessaire aux 125 sociétés de l’échantillon qui disposent présentement d’un capital inférieur aux 5 milliards de FCFA prévus dépasserait 400 milliards de FCFA, soit 45% du chiffre d’affaires total des 131 sociétés étudiées. L’énormité des accroissements capitalistiques à opérer explique la conclusion de l’étude : il sera impossible à toutes les sociétés d’atteindre l’objectif visé, soit en raison des difficultés à réunir les ressources nécessaires, soit par suite de l’incapacité à élever l’activité jusqu’au chiffre d’affaires minimum requis. Il devrait en résulter la disparition  de nombreuses compagnies par arrêt de celles-ci ou par absorption ou fusion avec les compagnies les plus importantes. Le rapport estime ainsi que le nombre des sociétés devrait dans les 5 ans être réduit à environ 80.

L’évolution décrite s’appuie sur les exemples du Maroc, du Nigéria ou, dans un contexte différent, de France. Les fortes augmentations de capital minimum décidées dans ces pays ont entrainé la fermeture de certaines sociétés d’assurance, alimenté la concentration du secteur, accru la rentabilité des sociétés subsistantes grâce à la diminution des coûts fixes et accéléré notamment une informatisation massive, élément essentiel de cette baisse des charges.

Le cas des pays relevant de la CIMA se distingue cependant de ces exemples et l’ajustement capitalistique demandé pourrait conduire à des résultats moins tranchés pour au moins trois raisons. D’abord, la résistance à un mouvement de regroupement est forte dans la zone, comme l’ont montré les deux dernières augmentations de capital minimum imposées aux banques pour 2007 puis 2017 : le nombre d’établissements ne s’est pas réduit et chaque entité a réussi à trouver une solution individuelle. Le long délai de 5 ans toléré pour ce quintuplement du capital social des assurances va favoriser cette tentation de solutions sans rapprochement inter-compagnies, notamment par des ajustements progressifs rendus possibles par l’augmentation naturelle du chiffre d’affaires sur la période. Par ailleurs, une forte restructuration de la profession, sous forme de disparitions de sociétés ou de regroupements  nombreux, suppose pour être supportable d’importantes mesures de facilitation et d’accompagnement de la part des pouvoirs publics : indemnisation ou reclassement des personnels concernés par les fermetures et les regroupements, paiement des sinistres en instance des compagnies dissoutes, gestion des effets sur les réseaux de distributeurs touchés par ces opérations. La mise en place de structures performantes et dotées de moyens suffisants est donc indispensable pour minimiser, bien répartir et régler dans les meilleurs délais ces inévitables coûts de la réforme : faute de telles structures, le risque du statu-quo n’est pas à exclure. Enfin, les nouveaux critères de capital et les augmentations de chiffre d’affaires qu’ils imposeront à chaque compagnie pourraient conduire dans les plus petits pays à la non-viabilité de toute société d’assurances locale ou à la présence d’un monopole préjudiciable pour le public. Pour empêcher de telles situations, la CIMA aura à faire preuve de volonté et d’imagination. Les solutions de l’agrément régional unique ou d’une autorisation de commercialisation dans un pays des produits d’une compagnie agréée dans un autre pays seraient des choix possibles mais se heurtent à des dogmes jusqu’ici bien installés. En l’absence de telles décisions, des exceptions à la nouvelle règle pourraient être préférées et perturber la transformation du cadre général.

Même si elles sont contraignantes, les nouvelles normes capitalistiques devraient introduire des cercles vertueux capables de provoquer les trois révolutions escomptées dans le secteur.

La première est celle des canaux de distribution, en particulier pour l’assurance vie. A côté des agents généraux et des courtiers, deux nouveaux modes devraient prendre une place dominante, comme dans d’autres zones. C’est d’abord la bancassurance : la densité croissante des agences bancaires et le développement des « packages » font des banques un vecteur naturel des assureurs pour atteindre au moindre coût de nouveaux publics, et la présence d’actionnaires communs facilite parfois cette synergie. C’est surtout le nouveau champ ouvert par le téléphone mobile : grâce à la multiplication incessante des applications disponibles sur celui-ci, la souscription de micro-assurances à des prix très réduits est devenue facile et permet de viser de vastes populations aux revenus modestes et de nouveaux créneaux comme l’assurance maladie ou l’assurance agricole. Des coopérations, voire des alliances, devraient d’ailleurs se développer entre les acteurs du secteur et les sociétés de télécommunications.

Une deuxième est celle des produits offerts. Les récentes améliorations apparues restent modestes par rapport à la gamme sans cesse élargie rencontrée dans les pays du Nord mais aussi l’Afrique du Sud ou le Maroc. Les nouvelles technologies, la transformation des modes de vie sur le continent, la recherche d’une meilleure adéquation du produit avec les services visés et les moyens financiers des assurés multiplient les opportunités à saisir. L’assurance indicielle agricole, apportant une protection contre les phénomènes naturels sur la base de données météorologiques désormais plus fiables, en est un bon exemple : elle devrait avoir un effet très positif sur la productivité du secteur en apportant aux paysans une sécurité auparavant inconnue face aux risques climatiques qui pourraient se multiplier. De même, l’imposition par les Autorités du caractère obligatoire de nombreuses polices civiles ou professionnelles, à l’image des exigences de pays plus avancés, favoriserait la croissance des assureurs tout en protégeant le fonctionnement sans heurt de nombreuses activités.

Une dernière transformation majeure est celle de la rationalisation du fonctionnement, conduisant à la fois à l’amélioration de la qualité de service et à la compression maximale des frais généraux. Le poids actuel de ceux-ci dans le chiffre d’affaires, proche de 25% en moyenne, est sensiblement supérieur aux normes internationales et pénalise la rentabilité des acteurs. En la matière, un effort prioritaire doit être consacré à l’informatisation massive des composantes de l’activité : émission des primes, données statistiques des assurés, gestion des sinistres, réassurance, reportings. Les gains en coût d’exploitation et en rapidité d’action qui en résulteront seront accompagnés de la possibilité d’une meilleure sélection des risques et, une nouvelle fois, d’une hausse de rentabilité.

Ces trois transformations, indispensables pour donner aux assureurs de la zone CIMA une bonne chance de rejoindre les pays africains les mieux placés, impliquent que les acteurs du secteur investissent avec ampleur et innovent avec audace. L’augmentation de capital  imposée trouve donc ici toute sa justification, et la concentration qui devrait en ressortir facilitera sans doute cette mise à niveau. Dans cette phase, certains ajustements pourraient être difficiles, voire douloureux. En ce secteur comme en beaucoup d’autres, les actes concrets posés par les pouvoirs publics, leur suivi attentif des réformes et leur propre capacité  à ajuster ou compléter celles-ci si nécessaire seront donc des éléments aussi décisifs du succès ou de l’échec final que la volonté des entreprises d’aller de l’avant.

Paul Derreumaux