La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan : Interrogations et Perspectives

La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan : Interrogations et Perspectives

Au terme de quinze ans de fonctionnement, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) affiche un bilan plutôt positif : après un démarrage difficile, elle a en particulier fait la preuve de sa viabilité et montré sa capacité à développer progressivement ses activités. Ses détracteurs lui reprochent toutefois de progresser trop lentement et de souffrir encore d’importantes faiblesses de fonctionnement. Face à eux, les dirigeants de la BRVM affichent de fortes ambitions et une grande confiance dans l’avenir de l’institution

Chaque appréciation comporte bien sûr ses arguments. En l’état actuel, la BRVM nécessite encore des améliorations sur plusieurs plans et subit diverses contraintes de son environnement. Dans le même temps, les développements escomptés sont justifiés et plausibles, mais ils supposent que soient réunies des conditions précises.

En termes de faiblesses, il apparait en premier lieu que le contenu du marché financier n’a pas évolué selon les attentes majeures de ses fondateurs. Les sociétés déjà présentes sur l’ancienne Bourse des Valeurs d’Abidjan (BVA) sont restées en place pour la plupart, mais peu d’entre elles ont eu recours au marché pour leur expansion. Moins de dix sociétés, surtout issues des secteurs de la banque et des télécommunications, sont venues s’ajouter sur la liste des sociétés cotées. Les privatisations d’entreprises publiques, qui devaient être la principale origine d’accroissement de l’offre, ont été pour l’essentiel retardées ou se sont réalisées selon d’autres voies, à l’exception notable de Sonatel et d’Onatel. Le financement des grandes sociétés régionales s’est donc peu tourné vers ce nouveau marché alors que celui-ci avait été créé à son profit. Les Etats eux-mêmes sont au contraire devenus l’émetteur dominant, mais leurs opérations obligataires ont été rarement tournées vers la réalisation d’investissements. Les contraintes à court terme  rencontrées les ont plutôt conduits à utiliser le marché boursier pour financer des besoins de trésorerie qui ont cru partout de manière très importante. A fin 2012, les opérations étatiques représentaient près de 70% du total des actifs du compartiment obligataire alors qu’elles étaient quasiment inexistantes 10 ans auparavant. Pour la seule année 2014, plus de 1700 milliards de FCFA de titres publics, toutes durées confondues, ont été émis. Cette situation génère deux risques majeurs. Le premier est celui d’un assèchement du marché, dont la profondeur effective est très mal connue, et de l’apparition de difficultés de placement ou de cherté excessive pour les émetteurs privés d’emprunts obligataires. Le second est que certaines émissions effectuées se retrouvent à un moment en difficultés de paiement, même provisoires, et compromettent ainsi sérieusement la crédibilité des Etats comme celle de la Bourse. Certes, l’analyse effectuée en amont par les Instances responsables permet de vérifier la fiabilité des besoins sous-tendant ces mobilisations de ressources, mais les priorités des Etats sont parfois difficilement discutables. De plus, des évènements exogènes graves peuvent perturber le cours normal des choses, comme ce fut le cas de la crise ivoirienne en 2010.

A côté de ces difficultés externes, le marché financier régional Ouest Africain laisse encore apparaitre diverses faiblesses internes. Même si des progrès significatifs ont été accomplis ces dernières années pour les corriger, des améliorations restent urgentes.

D’abord, les coûts demeurent élevés pour ceux qui ont accepté de s’engager sur l’un ou l’autre des compartiments de la BRVM, en comparaison avec des modalités alternatives de financement. Il s’y ajoute, hormis pour les émissions étatiques, des fiscalités dont le caractère attractif, décidé au plan régional, n’est pas encore appliqué intégralement dans tous les pays. Outre cette pénalisation financière, les contraintes administratives fixées, notamment pour les émissions obligataires, peuvent décourager les candidats. Il en est ainsi des garanties exigées, étonnantes par exemple pour les banques émettrices d’emprunts. Les aménagements récemment introduits, en particulier par la substitution à ces garanties financières de notations d’agences spécialisées, sont une avancée notable, mais la souplesse de ce nouveau système doit encore être renforcée et son coût abaissé. Enfin, le processus d’agrément à la Bourse par les structures compétentes reste nettement trop long pour les opérateurs privés, ce qui exige des mises à jour répétées des données requises. Bien sûr, la rigueur des procédures et le niveau élevé des exigences sont parfaitement compréhensibles, mais les enseignements tirés des quinze ans écoulés doivent permettre désormais de nouveaux ajustements. En la matière, il est essentiel que tous les émetteurs, publics ou privés, soient traités sur un pied d’égalité. C’est à la fois une question d’équité, mais aussi de crédibilité vis-à-vis des investisseurs étrangers.

Le troisième facteur à prendre en compte est celui de l’environnement économique sous deux principaux aspects. Avant tout, le marché financier est le reflet, en particulier pour les actions, du niveau de développement atteint et de l’histoire économique constatée. Rappelons que les bourses de Paris et de New York sont nées respectivement en 1724 et 1817 et que leur croissance a été notamment soutenue par celle des grandes sociétés ferroviaires, minières, industrielles et d’infrastructures qui ont été à la base de la révolution économique du XIXème siècle en Occident. L’évolution de ces deux marchés, comme celle de nombreux autres, prouve que le marché financier et la croissance économique se nourrissent mutuellement. De plus, la comparaison du ratio des financements d’intermédiation par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB) est un autre élément de relativisation de la taille respective des marchés financiers. La jeunesse de la BRVM, le niveau encore limité du développement économique de la région doivent être intégrés dans l’analyse : ils justifient, au moins en partie, la modestie de notre capitalisation boursière et du nombre de sociétés cotées. A contrario, l’accélération et la meilleure régularité de la croissance régionale depuis plus de 10 ans sont des facteurs décisifs de l’avancée régulièrement constatée sur la BRVM sur les dernières années. La capitalisation du compartiment actions, qui avait atteint 5000 milliards de FCFA en 2011 a ainsi dépassé les 6000 milliards de FCFA dès le début de 2014. Un second élément de contexte jouant sur le dynamisme de la Bourse régionale est la rigidité du lien qui unit le FCFA à l’Euro. Pour les investisseurs étrangers, qui retrouvent une confiance dans les fondamentaux des économies africaines, cette parité n’est une caractéristique protectrice qu’en cas de fortes incertitudes sur d’autres monnaies mais pas en cas de turbulences mondiales. C’est pourquoi ces acteurs extérieurs ont été croissants avant 2008, se sont plutôt retirés après cette date et auraient plutôt tendance à revenir. Pour les investisseurs nationaux, au vu de cette stabilité du FCFA, les placements boursiers sont surtout une modalité de placements à long terme orientés vers des titres au bon rendement annuel plutôt qu’un moyen de se prémunir contre une perte régulière de valeur de leur monnaie. Ceci explique le comportement davantage patrimonial de nos épargnants à la différence de ceux des pays africains à la monnaie moins stable.

Malgré ces handicaps liés au contexte autant qu’à la jeunesse de la structure, les perspectives d’évolution de la BRVM devraient être nettement favorables pour les prochaines années. Afin de concrétiser ces potentialités, plusieurs conditions ou directions sont cependant à  réunir.

La première concerne la poursuite,  et si possible le renforcement, de la croissance économique de l’UEMOA, point d’ancrage de la vitalité et de l’expansion du marché financier. Sur ce plan, les hypothèses sont optimistes et un taux de croissance annuel moyen d’au moins 6% est escompté jusqu’à 2016 pour la sous-région. Ce taux pourrait sans doute être porté à un minimum de 7% si la croissance  s’accompagne d’une nette amélioration de l’environnement des affaires et d’une meilleure efficacité des administrations, qui transformeraient en profondeur nos économies et nos sociétés. La force de notre intégration régionale, souvent citée en exemple, pourrait alors être mise à profit pour amener tous les pays de l’Union dans un cercle vertueux de développement. Notre Bourse régionale, expérience unique au monde, serait bien placée pour être un des moteurs de cette évolution homogène. Sur cette base, l’objectif fixé à la BRVM d’entrer à bref délai dans le groupe des cinq plus importantes places africaines semble très réaliste et pourrait constituer une première étape tangible de notre consolidation..

Une seconde condition est la poursuite des transformations structurelles engagées pour rendre la BRVM plus attractive. Les directions déjà engagées sont pertinentes et pourraient être accentuées dans les meilleurs délais. Une nouvelle réduction des coûts d’entrée et de présence sur le marché, toutes commissions incluses, est d’abord souhaitable pour que les émetteurs puissent donner une préférence au recours au marché financier, en particulier par rapport aux crédits bancaires dont les conditions s’adoucissent régulièrement sous la pression d’une compétition accrue entre banques et du très faible niveau des taux internationaux. Cette baisse des coûts sera certes d’autant plus réalisable que les valeurs inscrites et les opérations effectuées seront plus nombreuses. Elle est cependant avant tout la conséquence de choix politiques que la BRVM et les différents acteurs du marché doivent assumer pour justifier leurs ambitions. Les procédures de sécurisation pourraient utilement continuer à être diversifiées  en admettant d’autres garanties, en allégeant celles-ci dans certains cas ou pour certains secteurs, en acceptant l’intervention des agences de notation internationales. La rapidité de réaction à des demandes d’émission obligataire, d’augmentation de capital, voire de nouvelle cotation en bourse sera aussi un élément déterminant pour convaincre les sociétés de la région de la performance du marché et de l’opportunité d’y avoir recours. Ici encore, toutes les Instances de décision se doivent d’être compétitives, faute de quoi le marché ne pourra profiter des opportunités que génère l’embellie actuelle de la croissance africaine.  On pourrait également ranger dans ce chapitre les mesures nécessaires pour préserver un équilibre acceptable entre les émetteurs publics et privés, aussi bien en termes de volume d’opérations que de calendrier de celles-ci. La création récente de l’Agence UMOA Titres montre à la fois la prise de conscience du risque existant et la possibilité de le réduire grâce à une meilleure coordination des offres des Etats. Toutes ces dispositions apporteraient à la fois une plus grande attractivité financière et une meilleure organisation de la place d’Abidjan, toutes deux de nature à stimuler l’intérêt des acteurs économiques extérieurs comme régionaux.

Enfin, la dernière piste de progression de notre Bourse réside évidemment dans l’élargissement de sa gamme de produits. Les avancées passées, comme par exemple la création de quelques SICAV ou FCP, sont encore insuffisantes et la multiplication des OPCVM est très certainement de nature à multiplier les transactions sur tous les compartiments grâce à un rôle accru des professionnels. Le projet de création d’un Département réservé  aux Petites et Moyennes Entreprises est en cours de concrétisation. Une autre voie d’expansion pourrait être celle d’un marché spécialement réservé aux Start Up dans quelques secteurs d’activité reconnus au niveau mondial comme particulièrement porteurs d’avenir. Des restrictions pourraient alors être apportées aux agents admis à investir sur ce marché hautement risqué, pour éviter les possibles désillusions futures d’acteurs peu expérimentés. Dans l’UEMOA comme ailleurs, une bonne partie des entreprises futures n’existe sans doute pas encore. Les jeunes talents africains, qui ont parfois déjà fait leurs preuves sous d’autres cieux, pourraient alors trouver localement les fonds qui leur manquent et faire profiter pleinement la région de leur créativité. Le renforcement qualitatif pourra aussi trouver sa source dans les coopérations accrues avec d’autres bourses, comme les dirigeants de la BRVM l’ont déjà commencé avec les places d’Accra et de Lagos, et dans l’appui technique que sont en mesure d’apporter les intervenants de marchés plus développés. Sur ce plan, la forte présence des groupes bancaires marocains dans l’Union est une excellente opportunité. Tous sont des acteurs majeurs sur un marché boursier national très mature et sophistiqué : leur implication renforcée dans les activités boursières de leurs filiales subsahariennes sera essentiel pour accélérer les évolutions en cours. Enfin, si ces ouvertures complémentaires sont nécessaires, il faut en même temps que la BRVM consolide les garde-fous empêchant autant que possible les opérations à caractère spéculatif ou hasardeux. Tout impact négatif qui serait lié à de telles opérations aurait des effets dévastateurs sur la confiance qui commence à s’installer et projetterait notre région dans des espaces de turbulences évités jusqu’à présent.

En quinze ans, la BRVM a donc su s’imposer comme un marché financier fiable, viable et profitable, pour ses émetteurs aussi bien que pour ses investisseurs. Certaines de ses caractéristiques sont encore fragiles et doivent faire l’objet d’améliorations, parfaitement explicables par sa jeunesse. Malgré cela, beaucoup d’expériences concrètes observées confirment les apports possibles que ce marché a déjà amenés. Les transformations introduites ces dernières années témoignent bien de la ferme volonté d’aller plus loin en ce sens et du soutien des Autorités politiques de l’UEMOA.  Cet état d’esprit est sans doute le meilleur gage des développements que peut encore réaliser la BRVM et de la responsabilité qu’elle porte au sein de notre zone. Il faut maintenant que les actions annoncées soient menées à bien avec diligence. Le marché financier est un terrain réservé aux hommes d’action. L’Histoire des grands devanciers de Paris ou d’ailleurs montre que, à côté des temps de facilité ou des  réussites éclatantes, chaque place doit subir aussi ses moments difficiles et ses jours d’échec. Pour devenir l’instrument irremplaçable de financement des économies qu’ils sont aujourd’hui, ces marchés ont su faire montre à chaque instant d’imagination des acteurs, de soutien des Autorités, d’exploitation des opportunités et de vitesse de réaction. C’est ce cocktail d’atouts que la BRVM devra mettre en œuvre pour gagner la partie qu’elle a engagée.

Paul Derreumaux

Afrique de l’Ouest : une année manquée ?

Afrique de l’Ouest : une année manquée ?

 

L’Afrique de l’Ouest va-t-elle manquer le coche de l’année en cours et ne pas profiter au mieux des opportunités qui lui étaient offertes pour être en 2014 un des champions de la croissance subsaharienne ?

Certains des atouts annoncés ont bien été concrétisés. Les investissements en infrastructures se sont effectivement accélérés et quelques projets phares sont lancés comme la Boucle Ferroviaire qui devrait concerner 5 pays de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Le secteur minier est resté très actif et quelques nouveaux gisements ont été identifiés. Le fonctionnement de l’UEMOA demeure une référence en Afrique Subsaharienne et permet de progresser sur divers grands chantiers comme celui de la fiscalité. La Côte d’Ivoire a repris son rôle de moteur économique de la zone, avec un taux de croissance supérieur à 10% en 2013 comme en 2014, et attire des investisseurs étrangers en nombre croissant.

Pourtant, alors que la fin d’année approche, le sentiment d’ensemble est la déception.  

L’occasion offerte d’une concentration de l’attention sur les grands sujets économiques, grâce à l’absence d’élections majeures en 2014 et à la fin des crises ivoirienne et malienne, a été rarement mise à profit. Au Mali, les faibles progrès dans les négociations avec les touarègues et une sécurité encore fragile ont bloqué une bonne part des projets de relance dans la partie Nord du pays tandis que les insuffisances constatées dans la gouvernance freinent le soutien des grands partenaires financiers. Les investissements publics comme privés s’effectuent donc au ralenti et le taux de croissance de 6,5% annoncé pour 2014 semble difficile à justifier. Au Niger, les actions menées dans le cadre d’un ambitieux Plan de Développement à moyen terme ont vu leurs effets pénalisés par de vives tensions politiques et par les grandes faiblesses persistantes de l’administration. Au Burkina Faso, les bonnes performances des années précédentes risquent d’être amoindries en 2014 par les problèmes énergétiques rencontrés et par l’impact négatif sur les investissements des contestations déjà engagées à propos des élections présidentielles de novembre 2015. Au Sénégal, les résultats obtenus par la nouvelle équipe ne sont pas jusqu’ici à la hauteur des attentes. Dans le voisinage de l’UEMOA, deux  pays qui semblaient être des piliers de la croissance régionale font face à de sérieux handicaps : le Ghana en raison de la forte chute de valeur de sa monnaie ; le Nigeria par suite de la montée en puissance du terrorisme dans le Nord du pays.   

Deux principales raisons peuvent être avancées pour ce contretemps généralisé. La région s’est d’abord heurtée à deux handicaps exogènes. Les risques instillés par les groupes terroristes n’ont pas disparu malgré la défaite de ceux-ci au Mali : la menace s’est faite moins directe mais reste toujours pesante dans toute la bande sahélienne et y gêne les investissements, des entreprises comme de l’Etat. Les dégâts causés par le virus Ebola depuis début 2014 se sont rapidement amplifiés et propagés : l’épidémie frappe maintenant officiellement quatre pays, y compris le géant nigérian, mais l’étendue réelle de la contagion est mal connue et les moyens de la stopper non encore identifiés, ce qui provoque parfois une panique contreproductive. A côté de ces éléments externes, le retard croissant pris dans les transformations structurelles constitue sans doute l’élément déterminant des performances décevantes. Les financements requis sont en effet désormais plus facilement mobilisables grâce au renouveau de la confiance envers toute l’Afrique subsaharienne et la diversification continue des bailleurs de fonds. Les priorités stratégiques d’investissements font partout l’objet d’un large agrément, ce qui facilite leur mise en œuvre. En revanche, faute de volonté politique, les réformes les plus difficiles mais aussi les plus décisives sont reportées ou menées à pas trop lents : transformation en profondeur de l’administration afin d’accroitre son efficacité et son honnêteté ; lutte contre la corruption sous toutes ses formes; appui effectif à l’initiative privée tournée vers les activités productives ; modernisation et renforcement de l’agriculture, maîtrise des inégalités et amélioration du caractère inclusif de la croissance. En Afrique francophone plus qu’ailleurs, ces mutations sont indispensables pour détruire les blocages à une croissance économique plus vive et mobiliser au profit de cet objectif toutes les énergies disponibles. L’Etat est en effet dans cette région un acteur économique encore trop important. Il lui faut absolument concentrer ses efforts sur la création d’un environnement mieux adapté au développement, laisser plus de champ libre au secteur privé en exigeant de lui en contrepartie qualité des projets et respect des règles fixées, et veiller à une nette amélioration de la répartition des fruits de la croissance.

L’année 2015 ne sera guère propice à des avancées majeures en ces domaines difficiles. En Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, qui semblent être les pays plus enclins à ce type de réformes, l’attention sera très vite focalisée sur les élections de fin d’année, ce qui devrait ralentir le traitement des sujets les plus difficiles. Ailleurs, il restera d’abord nécessaire de passer en la matière des paroles aux actes. Pour cela, les Autorités doivent être convaincues du caractère vital de ces transformations pour leurs pays. Pour les en convaincre, deux influences extérieures pourraient être déterminantes. Après avoir soutenu très justement la mise à niveau des infrastructures, les partenaires financiers devraient renforcer leur appui financier et technique à ces mutations et en faire une nouvelle priorité. C’est en effet une condition nécessaire pour atteindre l’accélération de la croissance que certains, comme la Banque Africaine de Développement (BAD) appellent maintenant de leurs vœux. Il  faudra cependant de la part de ces institutions un grand effort de réflexion stratégique et de meilleure écoute des contraintes locales pour que leur message soit entendu. L’autre acteur essentiel devrait être l’UEMOA : sa solidité, son fonctionnement sans heurts lui donnent une responsabilité décisive en la matière. Il sera toujours plus facile aux Etats de mettre en œuvre des actions délicates  décidées en commun que de les imposer seuls face à des oppositions ou des lobbys peu soucieux de l’intérêt général. L’Union pourrait donc utilement renforcer son rôle aussi bien dans la promotion de grands investissements structurants que dans celle de réformes institutionnelles ou environnementales.

Le pari est difficile mais il est fondamental. En plus des menaces actuelles déjà évoquées, l’Afrique de l’Ouest doit affronter, peut-être encore plus que d’autres parties de l’Afrique subsaharienne, trois challenges essentiels. A court terme, celui des emplois à offrir en masse à une jeunesse exigeante, mais à laquelle sont données des formations souvent mal adaptées et des opportunités de travail en nombre insuffisant. A moyen terme, une explosion démographique encore non maîtrisée et exceptionnellement rapide. Selon les estimations du « Population Reference Bureau » et faute d’infléchissement des tendances présentes, la population des 8 pays de l’Union devrait être multipliée par 2,5 en 35 ans et dépasser les 250 millions de personnes en 2050, après avoir franchi un seuil de 140 millions d’habitants dans 10 ans. Il est facile d’imaginer l’immensité des actions à accomplir pour apporter à ceux-ci un niveau de vie et de progrès social acceptables. A plus long terme enfin, des modifications climatiques notables, dont les effets sont jusqu’ici très peu pris en compte.

L’urgence devait donc être le maître mot. Le temps politique n’est cependant pas le même que le temps économique… jusqu’à ce que les faits reprennent le dessus sur les promesses.

Paul Derreumaux