Réglementation bancaire dans l’UMOA

Réglementation bancaire dans l’UMOA :

Un progrès, mais doit (beaucoup) mieux faire.

 

Les deux changements introduits en décembre 2012 dans la panoplie des ratios bancaires de l’Union semblent bien être la marque d’une meilleure prise en compte de la réalité économique locale. De nombreuses améliorations sont encore cependant nécessaires pour que la réglementation  et sa mise en application contribuent davantage au renforcement du système bancaire régional, à l’image de certains aspects du dispositif existant par exemple dans divers pays anglophones.

De manière inattendue, la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA) a adopté en décembre dernier deux mesures importantes et positives, peu mises en avant depuis lors

La première est l’abaissement du « coefficient de couverture des emplois à moyen et long terme par des ressources stables », ramené à 50% contre 75% antérieurement. Indiquant pour une banque la limite possible de transformation de ses ressources  à court terme en emplois à  terme supérieur à deux ans, ce ratio représente pour les banques une des principales contraintes pour la composition et la taille de leur portefeuille de crédits à la clientèle. En réduisant ce taux, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) allège notablement les limites imposées aux banques en matière de concours directs par rapport à la nature de leurs ressources, qui restent encore majoritairement collectées pour des périodes courtes. Elle favorise donc surtout le développement des crédits aux entreprises et pour l’habitat, et  donne ainsi un signal fort aux systèmes bancaires de la zone sur sa volonté d’encourager le financement des économies par les institutions financières locales. Cette avancée est particulièrement à saluer.

La seconde mesure est la suppression pure et simple du ratio de structure du portefeuille, qui  contrôlait, parmi l’ensemble des concours en trésorerie d’un établissement bancaire, le pourcentage des crédits de celui-ci faisant l’objet d’un accord de classement obtenu de la Banque Centrale. En raison du faible nombre de ces accords de classement, aucune des 99 banques de l’UMOA, en 2011 comme en 2010, ne satisfaisait à ce ratio dont la norme était fixée de longue date à 60%. Cette suppression ne fait donc que répondre au souhait, exprimé depuis longtemps par les Associations nationales de banques, de l’abandon d’une exigence considérée par la profession comme inatteignable. La principale conséquence de la nouvelle décision pourrait cependant être ailleurs. La BCEAO lie jusqu’ici la possibilité pour les banques de mobiliser auprès d’elle des crédits à la clientèle, pour satisfaire des besoins de liquidité, à l’existence d’un accord de classement pour les concours concernés : peu déterminante pour l’instant en raison de la bonne liquidité des établissements bancaires, cette règle n’en constitue pas moins une épée de Damoclès permanente. Il faudra donc savoir si cette règle est assouplie ou si les accords de classement sont plus facilement accordés, pour vérifier la parfaite cohérence des dispositions ainsi prises.

Cette double réforme n’est pourtant qu’une avancée modeste

Cette double réforme n’est pourtant qu’une avancée modeste en comparaison avec les changements profonds qui seraient nécessaires pour amener l’arsenal réglementaire et le contrôle prudentiel dans l’Union à des niveaux plus compatibles avec les standards internationaux de la profession tout comme avec les exigences du développement économique. En la matière, certaines des règles en vigueur dans d’autres pays, comme par exemple ceux de l’East African Community (EAC), pourraient être des points de référence utiles en plusieurs domaines..

Le premier concerne la panoplie des normes réglementaires. Celle-ci reste, dans l’UMOA, calée sur une approche trop traditionnelle de la profession bancaire. Divers durcissements et simplifications seraient donc bénéfiques. Les ratios majeurs, qui ont trait à la solvabilité des banques, restent encore ainsi à des niveaux modestes dans l’Union. Dans beaucoup d’endroits, à l’instar des tendances internationales,  le Capital Adequacy Ratio (CAR), qui suit les rapports existant entre les crédits, d’un côté, et les fonds propres, de l’autre, a été aménagé. D’un calcul plus simple, ce ratio est aussi souvent devenu plus sévère en termes de fonds propres et limite donc plus strictement le développement de toute banque en fonction de l’importance de ses moyens d’actions. Ce ratio peut atteindre 12% pour le rapport « fonds propres  largo sensu /crédits directs et par signature » dans des pays de l’EAC, contre 8% encore dans l’UMOA. Au Kenya, on trouve même un plancher obligatoire de 8% pour le rapport « fonds propres stricto sensu /dépôts », rarement retenu ailleurs. Même si  cette dernière règle est peut-être contraignante à l’excès, ces exigences expliquent en bonne partie pourquoi les banques kenyanes sont aussi puissamment capitalisées et pourquoi elles peuvent  faire face à des tensions importantes induites par la politique monétaire du pays. Au Ghana, ce pragmatisme, construit sur une approche similaire, a également fait ses preuves dans le renforcement de la solidité du système bancaire national. D’autres critères réglementaires mériteraient un toilettage, tels par exemple celui du coefficient de liquidité, plus précis et rigoureux à l’Est, et celui de la concentration des risques sur une même signature, qui reste à 75% des fonds propres dans l’UMOA alors que les pourcentages classiquement en vigueur se situent entre 25% et 35%.

Une autre mutation opportune devrait viser le capital minimum des banques agréées. Malgré le quintuplement appliqué depuis décembre 2010, qui a porté le plancher de 1 à 5 milliards de FCFA, soit l’équivalent de près de 10 millions de dollars, l’Afrique de l ‘Ouest francophone reste en retard par rapport aux niveaux atteints dans de nombreux pays ou régions du continent. Ce plancher atteint en effet aujourd’hui près de 30 millions de dollars US à Accra et jusqu’à 200 millions de dollars US à Lagos, et déjà 15 millions de dollars US à Kinshasa. Le faible niveau de quelque 12 millions de dollars US au Kenya est compensé par les CAR élevés appliqués, qui conduisent au même effet et dont il est déjà annoncé qu’ils seront relevés de 2,5% d’ici 2015. Dans l’UMOA, le projet de porter à la contre-valeur de quelque 20 millions de dollars US ce capital minimal ne parait plus au contraire d’actualité brûlante alors qu’il permettrait de consolider la crédibilité des banques de la zone face à des besoins de financement en expansion rapide.

La troisième transformation souhaitable pourrait être celle des modalités de contrôle des banques par la Commission Bancaire. La comparaison avec certaines pratiques d’Afrique anglophone pourrait ici encore être méditée puisqu’elle montre dans ces pays à la fois une pression plus dense et une concertation plus étroite: les inspections sur site s’y succèdent tous les 12 à 18 mois ; les critiques et recommandations s’ordonnent autour de quelques thèmes majeurs synthétisés dans un indicateur composite, dénommé le CAMEL ( Capital, Asset quality, Management, Earnings, Liquidity), et les cinq notations possibles du CAMEL permettent aisément d’apprécier les progrès ou les affaiblissements de la banque et d’être utilisés par les Autorités comme indicateur d’alerte ou signe d’encouragement. L’inflexibilité de la banque Centrale sur le respect permanent de chaque contrainte réglementaire, l’application immédiate de sanctions pécuniaires ou disciplinaires en cas d’infraction, les rencontres obligatoires de restitution après chaque inspection entre les membres de la mission et tout le Conseil d’Administration de la banque inspectée, le renouvellement annuel des licences bancaires qui peut être utilisé comme menace sont autant de pratiques qui créent une culture de prise en compte prioritaire de la réglementation en vigueur dans la gestion quotidienne des banques : celle-ci est sans doute stressante mais très certainement salutaire si on compare la solidité moyenne des systèmes bancaires.

Les quelques orientations  ci-avant n’indiquent certes que des options, sans exprimer ni des modèles obligatoires ni les seuls aménagements envisageables. Les voies tracées sous d’autres cieux africains ne sont pas d’ailleurs exemptes de critiques : les règles en matière d’actionnariat ou de prises de participations dans d’autres banques sont ainsi d’une grande difficulté d’application au Kenya. La comparaison avec les autres nations devrait toutefois inspirer l’UMOA pour procéder, même par étapes, à divers changements. Ceux-ci viseraient à la fois à consolider plus rapidement le système bancaire de l’Union et à faciliter l’accroissement du poids de celui-ci dans le secteur financier de l’ensemble du continent. La montée rapide en puissance des groupes bancaires relevant d’autres zones monétaires et le rôle croissant dévolu aux banques dans tous les pays exigent cette revue critique de l’existant dans l’intérêt de l’Union.

Paul Derreumaux